Chapitre 7

Infirmerie, fin d'après-midi du même jour

J'étais de nouveau sous le saule pleureur et Lily m'y tenait compagnie. Tout était paisible, si calme, sa voix qui offrait le réconfort… Si doux…

Puis une explosion de lumière, j'étais de nouveau entraînée dans des profondeurs de plus en plus lumineuses. Etourdissantes, aveuglantes. Je ne pouvais que me raccrocher à cette voix qui résonnait encore en moi, cette voix qui pardonnait. Qui pardonnait.

-Lily! Criai-je en me redressant, les yeux écarquillés.

Mais ils ne fixèrent que trois silhouettes noires au milieu d'une pièce bien trop blanche. L'infirmerie. Encore. Un grognement sortit de ma gorge. Qui se prolongea en distinguant les trois personnes se rapprocher de moi. Dumbledore, Rogue et Pomfresh. Evidemment.

-Qu'est-ce que vous m'avez fait, vieux fou?!

Je me relevai avec fureur, pour sentir tout à coup deux larmes quitter mes yeux brûlants. Lily…

-Restez tranquille, Miss Lumare. Vous avez perdu bien trop de sang comme ça; fit Pomfresh en s'approchant.

C'est alors que je me rendis compte des deux perfuseurs emplis de sang qui flottaient autour de moi. Aucun intérêt, j'allais le recracher dans moins de deux heures. Colère.
Mes iris bleus virèrent au grenat.

-Ne m'obligez pas à le répéter; sifflai-je. Qu'est-ce que j'ai?

Et à leur expression, il était évident qu'ils savaient. Mais qu'ils ne diraient rien. Pomfresh trifouillait dans les remèdes sur la table de chevet en évitant mon regard, Dumbledore croisait les mains devant ses affreuses robes, l'expression presque compatissante! Et Rogue… Rogue, me dévisageait avec une fureur grandissante. Qui naissait aussi au creux de ma poitrine, se répandait, me ravageait de l'intérieur.
Une nouvelle quinte de toux me prit à la gorge, je m'écroulai dans les draps qui s'auréolèrent de rouge.

-Dum… ble… dore! Sifflai-je, perdant tout mon sang.

Pomfresh s'affairait à côté, cherchant une potion qui ne venait pas. Elle finit par partir en courant vers sa réserve. Il ne restait plus que le vieux fou et Rogue.

-Il semblerait que le voyage temporel vous ait plus affaiblie que la première fois.

Le voyage temporel? Foutaise! Les seuls effets qui s'étaient jamais présentés ne venaient que de la présence de Lily… et de Rogue.

-Sans compter la perte de votre amie.

Une furieuse envie de l'étrangler de mes mains me foudroya sur place. Et je rendis une mare de sang à leur pied. Oh ma tête, ma tête! Je me la pris à deux mains, fermant si fort les yeux. Mais des bruits de pas résonnaient contre le sol dallé, une cape claquait. Lorsque je parvins finalement à entrouvrir les yeux, Rogue était parti. Il ne restait plus que Dumbledore. Cette vieille chèvre débordante de pitié.

-Dégagez! Hurlai-je.

Il obtempéra sans un mot, sa robe outrageusement colorée ondulant sur les dalles du sol. Tout le contraire de Rogue. Lui était sorti furieux, tellement furieux. Qu'est-ce que j'avais fait? Encore?

Les heures suivantes, je tentai en vain de me reposer. De violentes quintes de toux me submergeaient parfois, le sang s'échappait presque aussi vite de ma gorge qu'il n'entrait dans mes veines. Et entre deux douleurs, je ne pouvais que réfléchir à ma situation. Qu'essayer de comprendre ce qui m'arrivait… Pourquoi?
Vers la fin de l'après-midi, il y eut une accalmie. Les perfuseurs furent retirés, mais j'avais interdiction de sortir de l'Infirmerie. J'entendis, après les cours, quelques Serpentard tenter d'entrer pour se faire dégager par Pomfresh. Je pensais donc pouvoir rester seule encore un certain temps, lorsque les portes s'ouvrirent toutes seules. Et je sentis aussitôt la présence des trois plus insupportables Gryffondor de la création. L'infirmière était dans son office pour le moment, elle ne verrait rien.

-La voie est libre; marmonnai-je, en me redressant contre mes oreillers.

Ils avancèrent, puis tirèrent les rideaux autour de nous et enlevèrent leur cape d'invisibilité. Cet objet avait une signature magique plus qu'intrigante.

-Khorine, ça va? Souffla Granger, semblant inquiète.

-Parfaitement.

Et j'aurais pu être crédible sans le seau plein de sang qui se trouvait près de mon lit. Leurs trois regards m'indiquèrent qu'ils avaient eux aussi jetés un coup d'œil dedans. Mais je n'allais certainement m'épancher en plaintes. Surtout devant ces trois-là. Surtout devant Potter… Harry.

-Hmm, j'ai fait des recherches; lança Granger en se raclant la gorge.

Ca ne m'étonnait même pas. Mais peut-être que ce rat de bibliothèque pourrait s'avérer utile.

-Et tu as trouvé de quoi j'étais atteinte?

Le regard qu'ils s'échangèrent ne me laissa pas en douter. Par contre, je n'étais pas sûre d'apprécier ce que j'allais entendre.

-Eh bien, ce… Ca ne peut pas venir des voyages dans le temps. Il n'y a aucune maladie qui leur est lié. De plus, le métabolisme des vampires ne réagit pas comme celui des mortels et même si la puissance magique du retourneur à trente clefs est phénoménale, elle ne peut pas t'avoir affectée.

-Alors, qu'est-ce que c'est?! Sifflai-je, à bout de nerf.

Je la vis hésiter. Ils étaient tous mal à l'aise. Potter se mordait la lèvre inférieure, Weasley jouait avec les rideaux… Ma patience s'effritait, je faisais d'immenses efforts pour ne pas leur arracher le secret de la bouche. Mais finalement, elle lâcha:

-Tu as besoin de ton calice.

-Mon quoi?! M'exclamai-je, effarée.

A cet instant, j'étais trop choquée pour même penser à être discrète.

-Ton calice, l'être à qui tu es destinée. Celui à qui ton âme est reliée. La maladie que tu as s'appelle «Syndrome du vampire». Je l'ai découvert dans un vieux grimoire du XIIIème siècle; sous mon regard noir elle accéléra le mouvement, ça survient lorsque le vampire est séparé de l'humain qu'il a reconnu comme calice. Donc il est fort probable que tu l'ais rencontré dans le passé.

-Et comme les genres n'ont aucune importance dans les couples vampire/calice; fit Harry. On pense que… ça peut être un des Maraudeurs, ou Rogue, o-ou ma mère.

Je pâlis monstrueusement. Un calice… Alors ce lien, ce lien incompréhensible, c'était ça. J'avais trouvé mon calice. Et je le réclamais. Je voulais son sang. Moi le monstre, enchaîné à un calice.

-Khorine!

J'étais déjà debout, enfoncée dans un profond brouillard qui recouvrait toute sensation cohérente. Le monde alentour s'effaçait. Je marchais seulement, vers celui qui pouvait faire cesser cette horreur, Dumbledore. Ils essayèrent de me rattraper, je fus au troisième étage en quelques secondes. Vacillante, je me tins devant le griffon de pierre qui gardait le bureau du directeur. Mon regard restait dans le vague, j'étais très loin, trop loin. La statue s'éleva soudain, je grimpai sur la première marche. Dumbledore et Rogue se disputaient derrière la vieille porte en chêne au bout du couloir. J'avançai sans y prêter attention, finis par entrer dans le bureau.

-Ah, Miss Lumare! Lança Dumbledore.

Rogue se tut aussitôt et crispa les mâchoires, retenant son immense colère. Je lui en fus gré, je n'avais pas envie de cracher du sang à chaque fois qu'il m'approchait.

-Je suis au courant pour cette ridicule histoire de calice; marmonnai-je, d'une voix monocorde. Ca n'a aucune importance. Je tiendrai jusqu'à l'ouverture du Nid, le reste ne changera pas.

Je parlais bien sûr de la fin du plan qui consistait à emporter la vieille bique dans la tombe. Ce qui me semblait parfait.

-La prochaine pleine lune est dans plus de deux semaines; me fit remarquer le vieux, croisant devant lui ses doigts parcheminés. Vous ne tiendrez pas.

Il semblait tellement sûr de lui.

-Je n'ai pas le choix, Dumbledore; sifflai-je, légèrement plus réveillée. Et je tiendrai!

Le vieillard plissa ses yeux bleu azur. Réfléchissant…

-C'est cela; la voix grinçante de Rogue résonna à ma droite. Il est évident qu'à raison d'un demi-litre de sang par jour vous survivrez les deux semaines nécessaires, plus celle qu'il faudra pour trouver les clefs.

Ses sarcasmes sifflants arrachaient un sourire mauvais à ses lèvres pâles. Et ses yeux si sombres brillaient d'un terrible éclat au milieu des ombres de fin d'après-midi. Il se sentait trahi. Il avait de quoi…

-Vous n'avez qu'à prélever de mon sang et l'utiliser plus tard pour ouvrir le coffre; proposai-je.

-Votre signature magique ne mettra pas longtemps à s'effacer, même avec les sortilèges de conservation adéquats; voulut me raisonner le vieux, d'un ton posé. Cette solution est inenvisageable.

Il y eut un silence. Je pensais aux moyens qui me permettraient de quitter ce monde en paix. Cherchant aussi obscurément à me détacher de la situation présente. Le vieux et Rogue, cherchant à m'empêcher de me laisser mourir. Risible!

-Si…; se risqua le directeur. Si votre calice devait être Lily Potter, il y a un moyen de vous sauver. Le même sang coule dans les veines de son enf…

J'éclatai mon poing contre la table qui craqua, le sang se répandait déjà au coin de mes lèvres.

-Vous oseriez même sacrifier son fils! Comment pouvez-vous…

Je me tordis en deux, crachant du sang sur le tapis. Encore folle de rage. Comment pouvait-il accepter si facilement de céder à un monstre celui qu'il fallait protéger à tout prix? Comment osait-il?!

-La seule solution, Lumare; ricana Rogue.

Il y avait autre chose désormais au milieu du brasier de sa colère. Je perdis encore un peu de sang, puis me relevai avec difficulté. Mes ongles s'agrippèrent à la table pour ne pas faillir. Mal… j'avais mal…

-Ce n'est… pas elle; lâchai-je.

Et tout sembla se figer dans le grand bureau rouge et or. Dumbledore semblait avoir déjà compris. Tandis que les émotions de Rogue se brouillaient dans des spasmes d'une horrible intensité. Le sang s'écoulait librement d'entre mes lèvres.
Je dus me laisser tomber dans un fauteuil, trop faible.

-Black? Cracha-t-il, encore trop perdu pour être vraiment dégoûté.

Et j'éclatai de rire. Un rire gargouillant, s'étranglant dans ma gorge en feu. Oh, si ç'avait été Black! Non, vraiment, je n'aurai pas supporté longtemps d'être liée à ce cabot.

-Alors, Potter?

Cette fois le dégoût apparaissait bel et bien. Il commençait sans doute à comprendre. Je lui lançai un regard narquois depuis mon fauteuil de mourante. Il me fixa encore un instant les sourcils froncés, puis devint terriblement pâle. Rogue avait compris. Grand bien lui fasse.

-Bien entendu; poursuivis-je, tout à coup sereine. La formation d'un quelconque lien est hors de question.

Dumbledore haussa un sourcil, je ne voulais même pas voir le soulagement sur le visage de l'espion, encore moins prêter attention à ce qu'il pouvait ressentir à cet instant.

-Il vous est utile dans cette guerre, et moi je suis un monstre en fin de vie.

-Vous…

J'interrompis le vieux d'un mouvement fatigué.

-S'il faut que je survive encore quelques semaines, soit. J'ai… connaissance d'une potion qui permet de multiplier la concentration massique de n'importe quel liquide. Une goutte de sang par jour sera largement suffisante.

Ma déclaration fut suivie d'un lourd silence. Voila, dans quelques semaines tout serait fini. Peut-être, oui peut-être pourrais-je rejoindre Lily sous le saule pleureur. Je n'aurais plus jamais à tuer d'humain. Ou alors, je serais plongée dans le feu des enfers, condamnée à souffrir sans fin pour tout le mal que j'avais apporté… Peut-être, mais au moins tout serait fini. Plus jamais de meurtre. Je ne serais plus un danger pour ceux que j… ceux qui m'étaient proches. Mes yeux bleu océan contemplèrent, paisibles, le coucher de soleil rosé au-delà des fenêtres de la salle. Je n'avais plus conscience du sang qui quittait mes lèvres, ruisselait sur mon menton et tachait mes vêtements. Plus conscience de rien en fait. Ce serait bientôt fini. La longue agonie du monstre prendrait fin…

Réveil de Khorine, plusieurs heures plus tard

Je n'avais pas perçu mon évanouissement. Mais lorsque je pus reprendre conscience, je me trouvais dans un lieu bien plus apaisant que le bureau directorial. L'obscurité me berçait, tout était sombre, silencieux. Je sentais une douceur toute matérielle aussi, venant du fauteuil en velours. Je tournai la tête et ma joue rencontra le tissu. Calme… Et puis je distinguai une lueur derrière mes paupières fermées, ainsi qu'une présence familière. Un regard profondément sombre. Des émot… Je me crispai, la main sur le cœur, sentant du sang s'écouler déjà de mes lèvres.

-Lumare; voix prudente.

Mais c'était sa voix. Et j'ouvris les yeux. Il se tenait assis à son bureau, à plusieurs pas de moi. Une fiole au contenu vermeil dans la main. Un feu mourait à ma droite, l'éclairant à peine. Le reste était plongé dans les ténèbres.
Je grognai un peu, puis me rassis en essuyant le liquide sur mon menton. Et bizarrement, après cela, je baissai les yeux.

-Vous avez la potion? Fis-je.

Mauvaise idée de s'attarder ici. Encore plus de me demander comment j'étais arrivée dans son bureau ou combien de temps Rogue m'avait observé dormir…

-Depuis quand savez-vous qui est votre calice?

Ca commençait mal. Mais… j'imagine que je lui devais la vérité. Après tout, j'allais bientôt disparaître. Je n'emporterais pas la vérité dans ma tombe. J'eus un sourire sans joie, caché derrière mes longs cheveux ondulés et répondis à la question en me gardant bien de relever la tête:

-Le premier jour.

Je l'avais senti dès le premier jour. Mais me douter que c'était un lien vampire/calice… Quelle idiote! Ca paraissait tellement évident maintenant.

-Dans le passé? Faîtes des réponses complètes, Lumare!

Le liquide vital gouttait de nouveau de mon menton. Il me fallait… son sang. Je sentais ma gorge me brûler, mes pupilles se dilater. Et je n'avais besoin d'aucun miroir pour savoir mes iris rubis. Rogue était là, à quelques mètres. J'avais soif et je savais maintenant.

-Le 23 Septembre 1977, minuit vingt. J'ai dû passer une dizaine de minutes à me tordre de douleur au milieu des escaliers.

Ma voix était plus rauque, un rien amère. Il y eut un silence. Mais je ne relevai pas la tête, je ne pouvais pas.

-Et pour Miss Evans?

Je sifflai de colère. Ou de douleur? Et faillis lever les yeux, pour finalement cracher:

-Ca ne vous regarde pas.

-Vous avez besoin de cette potion; me nargua-t-il, agitant le liquide dans la fiole.

Je l'entendais clapoter contre les parois de verre et nous savions tous deux qu'il avait raison. Que c'était lui, en dépit de tout qui conservait son ascendant sur moi. Rogue… Quelque chose semblait le consumer, et provoquer en lui une émotion qui me dévorait de l'intérieur. C'était terriblement douloureux.

-Etiez-vous liée à elle? Répéta Rogue.

Je crispai mes mâchoires d'où dépassaient déjà mes canines aiguisées. J'aurais dû me douter que Rogue adorerait jouer avec le danger.

-C'était… ma meilleure amie.

Lily… La première amie que j'aie jamais eue. La seule. Et elle était morte à cause de moi. Il y eut un nouveau silence. Je sentais les émotions bouillonner en lui. Puis soudain:

-Regardez-moi!

Un filet de sang plus prononcé quitta la commissure de mes lèvres. A se demander comment je conservais assez de sang pour tenir assise.

-Je ne crois pas, non; lâchai-je. En tout cas, pas avant que vous m'ayez donné la potion.

Mon corps avait beau être plus faible que jamais, il ne fallait pas surestimer les instincts vampires. Je pouvais encore le blesser, ou pire… le mordre.

-Donnez… la fiole…

Mais Rogue n'en avait toujours fait qu'à sa tête. Et ça n'allait pas s'arrêter aujourd'hui, hein?

-Regardez-moi, Lumare.

Serpentard borné! Mais j'avais plus que jamais besoin de cette *Merlin de fiole! Je levai alors un regard mauvais vers lui, bien consciente de son mouvement de recul. Je me trouvais face à lui, le regard brûlant d'envie à peine caché par mes mèches noires. J… J'étais avide de sang, son sang.

-Vous risquez de le regretter; repris-je d'une voix rauque, si vous ne me donnez pas la fiole immédiatement.

Mon regard acéré nota qu'il surmontait plutôt vite sa répulsion et qu'il… se levait! Pour m'approcher!

-Assis! Restez assis! Lâchai-je, paniquée. Ne vous approchez pas de moi!

Un seul pas de plus et j'étais certaine de ne plus pouvoir résister. A son sang. Maintenant que j'étais si faible, et que je savais qu'il était mon calice. Il comprit heureusement et la fiole vola jusqu'à moi quelques instants plus tard. Je m'empressai de la déboucher, de la vider enfin. Puis je fermai les yeux. Sous l'extase.
Son sang… coulait dans ma gorge. Encore chaud, sucré, désaltérant, calmant mon corps en feu. Ma panacée! Il calmait toutes mes douleurs et m'entraînait vers une félicitée encore jamais atteinte. J'étais au paradis… Et revins difficilement à la réalité. Rogue me fixait le visage fermé, ses barrières mentales protégeant de nouveau chaque parcelle de ses émotions. J'inspirai.

-Merci.

Et malgré le dégoût que j'avais dû lui causer cette nuit-là, il me prépara une nouvelle potion le lendemain, puis le surlendemain. Le pire je crois était qu'il me la donnait en main propre, et qu'il voyait l'effet de son sang sur moi. Dès que je l'avais en main, je la débouchais et avalais cul-sec. J-je ne parvenais pas à me contrôler, au fil des jours je faiblissais. Je n'avais plus de crise, j'aurais dû m'éteindre tout doucement, mais il y avait son sang. Il m'enivrait, le voir clapoter dans la fiole me rendait incontrôlable. C'était comme… offrir un échantillon d'ambroisie à une mourante. Sa consommation me plongeait au paradis durant quelques heures. Je ne ressentais plus la douleur, plus la soif. Et lorsque la réalité me rattrapait je ne pouvais m'empêcher de désirer avec plus de force encore la prochaine dose de son sang. Par contre, s'il y avait une chose que je ne ferais jamais, c'était puiser à la source même. L'envie me rendait presque folle, mais il me restait assez de volonté pour résister. Et puis je ne pouvais lui infliger pareille torture, je voulais juste partir. Rejoindre Lily.

Bureau de Rogue, une semaine après le début du traitement, année *

Attendre jusqu'à vingt-et-une heures avait été un supplice. Et il m'en restait un dernier avant d'atteindre la félicité. Affronter Rogue. Je toquai à la porte, fermant les yeux en me concentrant sur ma volonté. Ne pas le mordre, juste prendre la fiole et partir. Ne pas le mordre.

-Entrez!

J'inspirai, crispai les mâchoires, puis entrai. Se souvenir de la fiole, ne pas même le regarder. Comme chaque soir, mon regard rubis fila à la recherche de la potion salvatrice. Mais elle ne se trouvait pas, comme à l'habitude, sur son bureau. Je m'avançai un peu, tête baissée, enregistrant la présence de Rogue derrière son bureau. Il devait sûrement corriger des copies. S'il avait su qu'il devrait corriger des tissus d'inepties lorsqu'il serait plus vieux! La porte se verrouilla derrière moi et je m'arrêtai aussitôt. Je sentais confusément un piège se refermer sur moi. Il n'y avait aucune trace de la potion.

-V-vous n'avez pas eu le temps de la préparer?

Il ne répondit rien. Je commençai à reculer, mon regard rougeoyant caché derrière mes cheveux ondulés.

-Ce n'est pas important. Je repasserai plus tard.

Je ne devais pas rester trop longtemps près de lui, dans une pièce fermée.

-Malgré la potion; sa voix résonna durement dans le bureau, vous vous affaiblissez.

C'était vrai. Mais elle m'aidait à tenir. Après tout, j'étais mourante. A quoi s'attendait-il? Mais si ça ne lui convenait pas à lui et à Dumbledore…

-Vous pouvez doublez la dose si vous pensez que je n'aurais pas la force d'accomplir ma mission.

J'entendis Rogue soupirer, fait extrêmement nouveau. Puis entendis le raclement d'un métal contre du bois, que… Je levai des yeux écarquillés par la terreur, vers lui et le couteau qu'il tenait dans ses mains.

-Qu'est-ce que vous faîtes?!

Il haussa un sourcil clairement moqueur. Mais ce n'était pas le moment de jouer! Sa vie, son existence, son bonheur dépendaient de ces quelques minutes. De même pour moi! Je devais rejoindre Lily.

-J-je vous en supplie! Quadruplez la dose! Donnez-moi deux fioles par jour!

Je fis deux pas vers lui, voulant prendre le couteau, le supplier à genou. Mais reculai, je ne pouvais pas l'approcher. Son sang…

-Ca ne servirait à rien, et vous le savez Lumare.

Le couteau attendait entre ses doigts, captant la lueur des flammes de la cheminée. Et Rogue était serein!

-Pensez à tout ce que vous allez perdre; tentai-je de le raisonner. Tout ce que vous sacrifiez. Je vous en supplie.

Les forces m'abandonnaient trop vite, mon corps entier se glaçait, j'étais terrifiée. Et je tombai à genou. Seuls mes yeux grenat étaient encore levés, vers ceux de Rogue. Ils ne reflétaient aucune terreur, aucun dégout, rien. Il était assis à son bureau, aussi impassible que s'il me parlait d'une thèse de potionniste. Et moi, je tremblais.

-Avez-vous fini votre pitoyable mélodrame? Siffla-t-il finalement d'une voix polaire.

Je le suppliais du regard, à genou. Lily s'échappait de nouveau, le bonheur de Rogue aussi. Pourquoi devais-je briser tous ceux qui m'approchaient? Pourquoi?!

-Je vous croyais plus digne, Lumare. Avoir fréquenté Miss Evans vous a rendu faible.

Je tressaillis en entendant son nom. Et plus encore lorsque le couteau rencontra la gorge de Rogue.

-Non! Hurlai-je, juste avant que la lame n'entame la peau.

Elle fut déchirée et la veine principale sectionnée. Le sang gicla aussitôt sur la lame, les doigts, la gorge, la robe de Rogue. Le parfum du liquide vermeil me gifla de plein fouet. Enivrant, tellement enivrant. Mais il en perdait trop! Trop de sang! D'une veine reliée directement au cerveau. Il pouvait mourir! Oubliant tous les risques, je me précipitai jusqu'à lui et plaquai mes paumes contre la blessure. Il fallait stopper l'écoulement. De son sang. Mes yeux rougeoyaient comme l'enfer et ma gorge me brûlait. La douleur était intolérable. Et Rogue rejetait déjà la tête en arrière, les yeux mi-clos.

-Je… Je n'y arrive pas! Paniquai-je.

Je perdais le contrôle de mon corps et i-il allait mourir! Des sanglots de terreur me parcouraient. Mes mains se tâchaient de rouge.

-S'il te plaît! Severus, je t'en supplie.

Son corps fut parcouru d'un soubresaut. Il ouvrit les yeux. Ses yeux si sombres, si calmes…

-Vous n'avez plus le choix.

Et il osa esquisser un sourire narquois. Je sentais malgré lui qu'il était satisfait, qu'il prenait sa revanche, et que le lien faiblissait! Que le sang sur mes mains me rendait folle. Non! I-il y avait bien une potion… Ou alors utiliser sa baguette...

-Lumare…

Des bulles de sang éclatèrent autour de son entaille, sa gorge tressautait avec difficulté. Il… ne pouvait pas mourir. Je devais le sauver! Former le lien. Il fallait… Je retins autant que je le pouvais ma soif et léchai son sang. Ma poitrine sembla éclater. Il y en avait tant, si délicieux, pris à son cou. Je remontai le long de sa peau jusqu'à sa blessure, le sang coulant encore à flot. Ma langue s'y insinua, puis mes crocs, aussi doucement que je pouvais. Mon calice… Le venin se répandit le long de la plaie, puis dans ses veines. Rogue gémit. Je fermai les yeux, passai mes doigts dans ses cheveux gras.
S'il te plaît…
Le poison descendait vers le cœur, contaminant chaque tissu, chaque cellule qu'il rencontrait. Il lui fallait l'antidote, maintenant! Je m'arrachai à sa gorge, encore assoiffée, et pris le couteau de ses mains. Avec la lame, je marquai profondément la chair de mon poignet, puis le lui présentai.
Mais Rogue ne semblait plus conscient de rien. Peut-être qu'il était trop t… J'appuyai ma blessure contre ses lèvres, le suppliant d'en prendre, de tenir encore, quelques secondes, juste quelques secondes. Et enfin, il but. Mon sang. Avec difficulté.

-Encore un peu, s'il te plaît; murmurai-je sans plus aucune retenue. C'est bientôt fini. Severus. Quelques gouttes, encore…

Je répétai ces mots encore et encore, jusqu'à ne plus avoir la force de les prononcer. Je n'avais plus de force. Mon poignet quitta ses lèvres et chut entre nos deux corps. J'étais trop faible, ma vision trop floue. Mais je sentis ses bras se refermer sur moi. Jamais je n'aurais cru qu'il lui restait assez de force pour… Je m'écroulai tout contre lui et basculai une fois de plus dans le néant.

Il y avait une lueur dans le lointain, douce, chaleureuse, demeurant paisiblement parmi les ténèbres. Je souhaitais m'en rapprocher, marchais aussi vite que je le pouvais, mais la flamme trônait toujours aussi loin. Mes efforts avaient beau redoubler, je n'y parvenais pas… elle s'éloignait même. Elle… Une gigantesque explosion, la flamme se développa. Un brasier maintenant, dévorant les ombres, m'encerclant. Je… Les…
Je tressautai en ouvrant brusquement les yeux. Et mis quelques secondes à me calmer, mon esprit encore encerclé par ce feu. Quelle vision… infernale.
Mais un gémissement douloureux vint me tirer de mes cauchemars. Rogue! J'étais encore sur ses genoux, encore dans ses bras. Je voulus me relever. Seulement il resserra sa prise, gémissant de nouveau dans son sommeil. L'inquiétude me gagna. Il était en train de se transformer, bien sûr qu'il souffrait. Je m'empressai de vérifier l'entaille à sa nuque, boursoufflée et violette encore, mais elle ne saignait plus. Et son rythme cardiaque était régulier. Ses traits contractés, par contre, indiquaient que les changements internes se multipliaient. Tout son corps se pliait aux obligations du calice. Il créerait bientôt deux fois plus de sang qu'un humain ordinaire, aurait des pouvoirs de cicatrisation plus élevé que la normale et serait… immortel. D'après ce que je me rappelais de vagues leçons de DCFM, les souffrances de Rogue ne devraient pas tarder à être insoutenables. Et je ne pouvais pas laisser mon calice ressentir cette douleur. Doucement, je quittai son étreinte et par mes capacités nouvellement retrouvées pus le porter jusqu'à ses appartements, puis jusqu'à son lit. Je me servis de ma baguette pour le plonger dans un coma magique, eus juste la présence d'esprit d'envoyer un message à Dumbledore, avant de m'occuper de lui. Il le fallait, désormais, j'y étais forcée.