Chapitre 8
Réveil de Rogue dans ses appartements
J'étais furieuse, et terrifiée, terrorisée même. Oh Merlin, le lien était renforcé désormais et éternel. J'avais détruit toutes mes chances de retrouver Lily. Et tout ça à cause d'un serpent à la noix se mêlant de ce qui ne le regardait absolument pas! Comme de ce lien entre nous qui pouvait sauver le monde sorcier! Mais Merlin, pourquoi, pourquoi?! J'aurais pu tenir, j'aurais tenu! Je le haïssais, je me haïssais pour l'avoir laissé faire ou pour l'y avoir forcé. Combien de sacrifices allait-on encore lui demander? Il avait déjà tellement souffert. C'était ma faute, de nouveau. Mais je ne lui avais rien demandé! Je pouvais m'en sortir!
Je faisais les cent pas dans le salon de la chauve-souris des cachots. Cela faisait trois jours qu'il dormait, alors que les transformations n'étaient jamais aussi longues! Mais peut-être que le charme de léthargie que je lui avais apposé retardait le processus. Sûrement cela.
Je lui jetais quelques sortilèges d'hygiène corporelle et lui faisais boire, trois fois par jour, une soupe que les elfes de maison apportaient. Le reste du temps apparaissaient puis s'embrouillaient dans mon esprit tous les souvenirs passés, depuis le moment où le vieux diabétique citronné m'avait fourré la montre aux trente clefs dans la main.
Je faisais face à toutes mes erreurs et le remord et la peine se mêlaient à une colère sans nom. Quoi que je fasse, désormais, j'étais piégée. Piégée…
Je sentis un changement de respiration du côté de Rogue. Il avait assez récupéré pour que mon sort cesse d'agir et ne tarderait pas à se réveiller. Je retournai dans sa chambre et m'assis dans un large fauteuil près de son lit à baldaquin. Les rideaux aux fenêtres étaient fermés pour ne pas l'incommoder… et surtout parce que je ne supportais plus le soleil! Il n'y avait qu'un feu de cheminée d'où les flammes s'élevaient doucement. L'atmosphère était encore sereine, je devais m'efforcer de le rester; parce qu'il n'était pas encore remis, parce qu'il venait de sacrifier sa liberté et son bonheur, parce que j'avais soif, parce qu'il avait pensé faire au mieux, parce que Lily –quoi que je fasse- me serait à jamais inaccessible.
Plusieurs soupirs s'échappèrent de mon calice endormi qui roula sur le côté. Face à moi. Je ne pus m'empêcher de l'observer dormir.
Sa joue reposait sur un oreiller blanc et moelleux que je venais de changer, ses traits étaient nettement plus détendus et ses cheveux graisseux formaient une auréole de ténèbres autour de son visage blafard. Quant à son corps bien trop fin, il reposait sous des draps vert Serpentard et frissonnait parfois. Je refusai de penser que c'était de douleur. Et puis, soudain, deux yeux noirs apparurent. Ils étaient fiévreux, de cette chaleur palpable à travers le lien.
-Professeur Rogue? Appelai-je, veillant bien à rester dans mon fauteuil. De quoi avez-vous besoin?
Calme… Son regard me rappelait bien trop celui qu'il avait eu avant de se trancher la gorge, et de me forcer à le…
-La date; ordonna-t-il dans un grognement.
Oh son sang… calme! Calme-toi… Tu ne lui feras rien.
-Le 18 Mars, monsieur. Vous dormez depuis trois jours.
Il y eut un éclair de douleur stupéfiant. Je dus le fixer les yeux écarquillés, en oublier même ma soif, tant cette émotion avait été vive et soudaine. Et puis brusquement, ses barrières mentales se remirent en place.
-Mes cours?
-Sont annulés, durant encore une semaine. Cela vous laissera le temps de récupérer et de vous faire à…
Je crispai les mâchoires, tentant de refreiner le venin dans ma voix.
-… à votre nouvelle condition.
Mes iris flamboyaient, de soif, de colère. Il fallait absolument que je me contienne, Merlin! Et le fait que Rogue me renvoyait un regard sarcastique, assis sur son lit, ne m'aidait définitivement pas!
-Ma nouvelle condition? Ricana-t-il.
Il n'y avait vraiment pas de quoi?!
-Oui! Sifflai-je les ongles plantés dans les bras du fauteuil. En outre servir de poche de sang à un vampire! Oh, et vivre éternellement aussi! Ne comprenez-vous pas l'horreur de votre situation?
Rogue se referma encore plus, si c'était possible. Mais le regret ne semblait pas faire partie du maelstrom d'émotions sous la surface. Merlin, c'était à n'y rien comprendre! Comment pouvait-il rester si serein devant le massacre de sa vie, de sa liberté, maintenant qu'il était enchaîné à moi?
-C'était nécessaire, Lumare; lâcha-t-il finalement. Nous ne pouvions prendre le risque de vous laisser vous suicider avant la bataille finale.
-Nom de… Explosai-je en me levant.
Je fusai vers lui pour l'agripper par sa chemise noire et siffler de fureur:
-Mais il y a bien plus important que cette putain de bataille finale! Même plus important que cette guerre interminable! Ca n'en vaut pas la peine! Toutes ces vies gâchées! Ca n'en vaut pas la peine! Et Severus le savait, il n'aurait jamais, JAMAIS, accepté de servir de pion à ce vieux timbré de Dumbledore!
A ces mots, Rogue me repoussa brutalement pour se lever et me siffler avec tout le venin qu'avait un jour détenu sa voix:
-Vous êtes pitoyable, Lumare. Buvez le sang qu'il vous faut et dégagez!
Mes yeux brûlaient comme l'enfer.
-Je dégagerais avec plaisir si je n'étais pas obligée de veiller sur mon calice.
Nous nous fîmes face, mais Rogue était encore trop fatigué. Il chancela, je voulus le rattraper mais il me repoussa durement et revint lui-même à son lit. J'étais… aussi fatiguée que lui. Et désolée, ma soif disparaissait peu à peu sous l'effet de la tristesse et de la lassitude. Je crois que je murmurai des excuses avant de refermer la porte de sa chambre. Comment allions-nous supporter cette situation? Comment pouvait tenir Severus?
Je devais veiller sur mon calice ce qui se résumait à me reposer dans le canapé, à commander nos repas et à lire tandis que monsieur s'enfermait dans son laboratoire. Cet arrangement ne nous convenait, ni à l'un ni à l'autre, le lien brûlant d'irritation des deux côtés. Mais l'orgueil et la gêne m'empêchaient de revenir vers lui. Nos seuls contacts étaient ceux qui nécessitaient mes crocs et son sang. Quelle triste relation entre un vampire et son calice.
Appartements de Rogue, début Mars, année *
Je n'avais réussi à cerner l'exacte raison, mais depuis ce matin, Rogue était empli d'une colère noire. Merlin, ses sautes d'humeur commençaient vraiment à m'agacer! Surtout que je ne m'étais pas parfaitement remise des longs jours de "jeun", et qu'il… Je fus interrompue dans mes réflexions par mon cher et tendre calice, sortant de son laboratoire, les mâchoires crispées. Il était furieux. Tellement… J'eus un vertige et m'écroulai contre l'accoudoir de mon fauteuil, du sang plein la bouche.
-Tiens; grinça-t-il, me laissant présager le pire. Une petite rechute?
-On peut… dire ça comme ça.
Je sortis un mouchoir et essuyai rapidement le sang qui me tâchait les lèvres. Seulement, cette opportunité de dispute sembla plaire à Rogue. Il s'approcha, sa cape noire flottant avec grâce derrière lui, s'arrêta à quelques pas du fauteuil où je reposais et lâcha, un rictus au coin des lèvres:
-Vous mentez.
Merlin, j'étais fatiguée.
Ses émotions explosaient avec trop de force, je dus amenuiser le lien pour ne pas risquer de me vider de mon sang.
-A propos de quoi? Fis-je, blasée.
De tous les reproches qu'il pouvait me faire! Pourquoi choisissait-il celui…
-Votre calice aurait dû être Miss Evans
Mon cœur se contracta violemment. Lily…
-Non; fis-je, soudain blême.
Il y eut une lueur terrible dans son regard alors qu'il susurrait:
-Vous étiez attirée par elle Lumare, vous cherchiez sa présence, la protégiez. Vous aviez besoin d'elle. Et vous l'aimiez.
-P… Pas de cette façon. C'était ma première amie!
-Elle était plus que ça; continua-t-il, son regard rivé au mien.
Mais il avait tort! Tort! J'avais toujours considéré Lily comme une sœur! Et le lien qui s'était tissé entre nous n'était dû qu'à cela! Uniquement à cela!
-C'est faux!
Mais rien de ce que je pouvais dire ne semblait l'atteindre. Il semblait trop pris dans ses délires. Etait-ce… de la jalousie? Non! Pourtant je ne comprenais pas pourquoi il y revenait sans cesse. A Lily. A notre lien.
-J'ai raison Lumare. Et vous refusez de l'admettre. Parce que si vous l'aviez compris avant, elle serait encore en vie.
Je pâlis considérablement, les yeux bleus écarquillés. Encore… en vie… Si je l'avais accepté elle… Je… Elle serait venue avec moi. Serait immortelle. Elle aurait été sauvée. J'aurais pu la sauver. Mon regard se voila de remord. Ou de larmes?
-Quelle pitié; ricana-t-il dans l'intention évidente de faire mal.
Pourquoi s'acharnait-il? Pourquoi me la rappelait-il sans cesse? Elle… Il combla la distance entre nous et ses mains se refermèrent sur les accoudoirs de mon fauteuil.
-Quelque chose à dire peut-être, Lumare?
Je fermai les yeux, refusant de laisser les larmes couler. Crispai les mâchoires. Puis affrontai le regard empli de ténèbres de mon calice.
-Elle aimait James.
Il tiqua au prénom mais ne s'écarta pas. Il semblait trop sûr de lui. Pourtant, si Lily aimait quelqu'un d'autre, elle ne pouvait pas raisonnablement être considérée comme un potentiel calice.
-Vous auriez pu le remplacer.
Bien sûr! Et détruire le bonheur d'une des seules personnes ayant compté dans ma vie! Quelle bonne blague! Merlin… je crois qu'il commençait à m'énerver!
-Non! Sifflai-je soudain d'une voix sourde. Je vous l'ai déjà dit, ce n'était pas comme ça. Lily était ma meilleure amie. Ma…
La douleur crispa mes traits. Parler d'elle alors qu'elle… Je l'avais perdu seulement quelques semaines auparavant… Et c'était tout, il n'y avait rien de plus à dire.
Mais Rogue ne quittait pas sa position. Il m'emprisonnait encore contre le dossier de mon fauteuil, l'odeur de son sang nous entourant, ses lèvres à un souffle des miennes.
-Je n'ai jamais désiré son sang; lâchai-je, alors excédée. Et notre relation n'avait rien à voir avec celle d'un vampire et de son calice.
-Tiens donc? Et en quoi consiste une relation vampire-calice? Susurra-t-il en se rapprochant.
C'était terriblement embarrassant. Et en plus je n'en avais aucune idée. Après tout je n'étais qu'un jeune vampire, et je n'avais pas prévu de prendre un calice!
-Je n'en ai aucune idée, parce qu'aux dernières nouvelles j'étais censée m'éteindre dans les sem…
Rogue s'empara de mes lèvres. J'en oubliai toutes mes récriminations, oubliai même de penser je crois, totalement abasourdie par sa bouche contre la mienne. Ses lèvres pâles tout contre les miennes, son nez tout contre le mien, ses yeux fermés… Puis il s'écarta, le teint légèrement rougi. Ses cheveux graisseux effleuraient ses joues moins pâles que d'habitude. J'eus la brusque envie de passer ma main dedans.
-Eh bien, Lumare. Montrez-moi.
Et en quelques secondes, toute émotion disparut de ses traits. Il recula, les bras croisés, me surplombant tandis que je restais immobile. Mes yeux bleu océan le fixaient étrangement... Il dut y lire quelque chose de déplaisant, car une lueur mauvaise et victorieuse apparut dans les siens. Comme si je venais de lui prouver qu'il avait raison une fois de plus! N'importe quoi! Je retrouvai assez de contrôle pour me lever. Son sourire se fissura. Mais il ne recula pas.
J'avançai de quelques pas, jusqu'à être à sa hauteur. Son regard noir charbon était rivé au mien. Hypnotisant. Puis mon attention se reporta sur ses lèvres, de nouveau pâles. C'était à mon tour. J'allais lui prouver qu'il avait tort. Et je me hissai sur la pointe des pieds pour l'embrasser au coin des lèvres.
Il resta figé. Me laissa faire.
Je l'embrassai de l'autre côté. Il soupira. Mon attention retourna à sa bouche fine et je n'hésitai qu'un bref instant avant d'enfermer sa lèvre inférieure entre les miennes. Je la mordillai un peu, Rogue haleta.
Ma langue caressa la légère morsure, avant de se risquer vers celle du haut. Je ne sais comment mais ma main réussit à se trouver emmêlée dans ses cheveux gras. Rien de plus agréable. Aucune comparaison… La deuxième s'agrippa à sa robe de sorcier alors que lui m'emprisonnait les hanches et la nuque. Il entrouvrit sa bouche, nos langues se rencontrèrent, se caressèrent, se séparèrent, pour se retrouver. Encore. Il haletait, je m'agrippais avec plus de force à lui. Toutes ces sensations, venant de lui, de moi. C'était enivrant. Sa fluctuation sanguine augmentait à toute vitesse. Il dut bientôt rompre notre baiser pour pouvoir respirer. Et en bonne vampire, je le laissai retrouver son souffle, le nez dans son cou. Le sang traversait considérablement vite sa carotide. J'embrassai l'artère, la mordillai un peu. Puis Rogue me ramena à ses lèvres. Je soupirai, tout ce qui n'était pas lui m'échappait. La réalité se perdait, le monde disparaissait autour de nous…
Jusqu'à ce que la porte de ses appartements ne claque. Nous nous écartâmes l'un de l'autre. Et fîmes face à Dumbledore qui souriait de toutes les dents qui lui restaient.
-Ah l'amour!
Nous grognâmes de concert. Puis je me rendis compte que nos mains s'étaient enlacées sans que je m'en rende compte, et surtout qu'elles l'étaient encore. C'était embarrassant… Quoique, si Rogue ne l'avait pas senti. Lui avait retrouvé tout son flegme, faisant fi de ses lèvres gonflées et de ses cheveux en bataille, pour demander:
-Qu'y a-t-il, Albus?
Le vieil homme avait encore les yeux brillants de malice et le sourire aux lèvres. Si… moi je trouvais ça embarrassant.
-J'étais simplement venu prendre de vos nouvelles.
Terrible regard de ma part. J'aurais pu l'avadakédavriser sans baguette.
-Et vous annoncer que Messieurs Potter et Weasley, ainsi que Miss Granger, sont parvenus à récupérer la clef de Rowena Serdaigle, celle d'Helga Poufsouffle et celle de Godric Gryffondor.
-Aucun n'est blessé? Demandai-je, les sourcils froncés.
Le directeur secoua la tête. Je soupirai, puis sentis quelque chose du côté de mon calice, comme une pointe d'acide…
-Bien, je m'occuperai de la dernière clef demain… Où est-ce que je peux trouver Potter?
La sensation provenant de Rogue se fit plus forte, l'acide plus douloureux. J'avais déjà ressenti ça… dans le passé peut-être?
-Il vous attend avec ses amis dans la salle sur Demande.
Autant les retrouver tout de suite. Je saluai le directeur, Rogue, puis lui lâchai la main et quittai les cachots. C'était comme une perte de chaleur partant de mes doigts pour me traverser le bras, le buste, tout le corps. J'avais froid.
Salle sur Demande, quelques temps plus tard
-Ah Khorine! Appela Harry à peine avais-je franchi le seuil de la porte.
Je la refermai derrière moi, adressant un hochement de tête aux trois adolescents. Ils étaient assis en cercle autour d'un bon feu de cheminée, dans des fauteuils d'un rougeâtre purement Gryffondoresque. L'atmosphère avait dû être paisible avant mon arrivée. Maintenant, une gêne mêlée de méfiance apparaissait sur deux des trois visages me faisant face. La guerre avait au moins le mérite de rendre ces petits lions un peu plus méfiants. Quoi que Potter faisait toujours exception à la règle. Ses yeux verts me suivaient d'une manière attentive, mais nulle défiance, nul rejet. Aussi stupide que sa mère.
-Eh, pour ton absence; commença Weasley. C'est vrai que tu… étais chez Rogue.
Il eut une grimace de dégoût involontaire qui amena mon regard à une teinte rouge terrible. Personne n'avait le droit… Personne n'avait…
-C'est lui ton calice; laissa entendre Granger.
Ce n'était pas une question, ils savaient, et leurs visages témoignaient une répugnance certaine. Même Potter. Alors que Rogue était…
-Oui, c'est lui.
Je crispai les poings. Puis m'obligeai à les desserrer. Ils ne savaient pas, ils ne savaient rien. Tout comme moi quelques années plus tôt.
-Vous avez les clefs? Demandai-je sèchement, détournant la conversation.
Je ne savais ce que je viendrais à faire s'ils manquaient de respect à mon calice. Ils comprirent parfaitement, abandonnèrent le sujet, pour se concentrer sur le récit de leurs exploits. Weasley, Granger et Potter n'avaient eu aucun mal à récupérer la pierre des Poufsouffle; Granger seule avait pu soutenir la puissance mentale de l'aigle de Serdaigle et récupérer la deuxième clef; et les trois Gryffondor avaient lutté ensemble pour obtenir la clef de leur maison. Comme je m'en doutais, ils avaient aussi essayé d'obtenir celle de Serpentard, d'où le bras bandé sous la cape de Weasley, et quelques griffures au sang séché sur leurs corps. Il était étrange d'être si proche de sang neuf et de ne pas même ressentir l'aiguillon de la soif. Avant, même avec Lily, je devais me forcer à ignorer son doux flot; aujourd'hui j'y étais comme insensible.
-Je vois… Je m'occuperai de la clef de Serpentard demain; assurai-je. Et nous ouvrirons le Nid.
Granger fronça les sourcils.
-Le professeur Dumbledore nous a indiqué qu'il serait absent jusqu'à la fin de la semaine, il faudrait peut-être l'attendre.
Je me hérissai, avant de siffler:
-Certainement pas!
Et l'irritant petit rat de bibliothèque trouva intelligent de rétorquer:
-Ce serait plus prudent. Après tout, il est l'un des plus grands sorciers de notre siècle. Si jamais quelque chose tourne mal dans le Nid...
Weasley hocha la tête, Potter était indécis.
-Dumbledore ne nous sera d'aucune aide; crachai-je. Il ne peut plus entrer dans le Nid.
Etonnement général. Crépitement bref du bois dans la cheminée, étincelles et ombres dansantes.
-Je ne comprends pas! Le directeur…
J'interrompis l'irritante créature:
-La Miss Je-Sais-Tout n'a pas assez bien lu l'histoire de Poudlard à ce que je vois.
Ce qui fit que ce crétin de Weasley sauta sur ses pieds, rouge de colère, pour crier:
-Ne l'appelle pas comme ça!
Je me levai à mon tour, bien énervée.
-Sinon quoi? Mes yeux sanguinolents le pétrifièrent… Vous me faîtes perdre mon temps.
Oui, ils me le faisaient perdre. J'en avais assez! J'étais fatiguée, je voulais retrouver… mon calice. Qu'ils se débrouillent après tout, ils n'avaient qu'à m'appeler au moment de déverrouiller le coffre aux tributs. Je me détournai d'eux d'un mouvement de cape sec, et m'apprêtai à sortir… lorsqu'il m'appela:
-Non! S'il te plaît!
Je me retournai et rencontrai le regard émeraude de Potter. Lily? Je revins à ma place sans un mot. Granger et Weasley me dévisagèrent les yeux écarquillés, Potter et moi nous fixions.
-Pourquoi Dumbledore ne peut plus entrer dans le Niddes fondateurs? Demanda-t-il finalement.
Potter était le portrait craché de son père, sauf en ce qui concernait les yeux. Il avait ceux de sa mère. Deux yeux étincelants d'un vert lagon magnifique. Il y avait cette lueur qui subsistait, celle que je redécouvrais. Elle ressemblait à celle de Lily, mais peut-être une légère ombre… la guerre…
-Il me l'a avoué dans le passé. Etant directeur, il ne pouvait avoir accès qu'une seule fois au Nid. Précaution des fondateurs au cas où le dirigeant de l'école se révélerait être un mage noir.
-Je vois… Et il est déjà entré…
J'hochai la tête, les deux autres restaient comme pétrifiés devant notre échange. Ma différence de comportement devait être flagrante. Mais je ne pouvais m'en empêcher, Harry conservait l'empreinte de sa mère.
-Bien; se rengorgea Granger. Alors, nous nous voyons demain matin, disons onze heures devant le Nid.
-Ouais, et on s'arrangera pour que la bibliothèque reste fermée; compléta le rouquin.
Je donnai mon accord, les deux lions se levèrent. Mais Harry et moi restions assis face à face. Les flammes dessinaient des taches sombres qui dansaient sur sa peau pâle, illuminaient ses prunelles absinthe.
-J'aimerai te parler Potter…
Ses deux compagnons firent mine de se rasseoir.
-… seule à seul.
Je me tus. A présent que j'avais exposé tout haut ce que je désirais, je me sentais exposée. J'offrais à Potter une occasion en or de se moquer, de détruire tout ce que j'avais cru déceler dans son regard…
-D'accord.
Il y avait quelque chose dans sa voix et son regard… Lily, Harry, j'avais envie d…
-T'es sûr vieux?
Harry hocha la tête. Granger eut un drôle de sourire avant de prendre le rouquin par le bras et de sortir de la Salle sur Demande. Cette fille était décidément bien étrange. Non pas que j'en avais douté durant mes années de scolarité à Poudlard.
La porte se referma derrière les deux amis du Survivant et nous restâmes seuls dans la pièce. Le feu ronflait dans la cheminée, plus chaleureusement encore semblait-il, l'atmosphère était rassurante.
-J… Hmm, je suis désolée.
Une légère grimace apparut sur mes traits. La première fois que je le disais, et ce devait bien sûr être devant ce satané Potter qui me regardait présentement avec un air plus stupide qu'à l'accoutumé.
-Pour ce que je t'ai fait; dus-je préciser. Avant… Je ne savais pas que tu étais différent de…
Je m'arrêtai, me renfrognai. Je n'arrivais pas à m'exprimer. C'était pourtant simple par Merlin! Mais Harry renifla, comme amusé et finit par m'offrir:
-C'est oublié.
Mon regard d'un bleu profond se releva vers lui, y cherchant la moquerie. Il n'y avait qu'une sincérité désarmante.
-Je… J'aimerai mieux te comprendre; lâchai-je alors plus doucement. En contrepartie je pourrais te parler d'elle. De Lily.
-Oui; fit-il et à l'étincelle qui embrasait ses prunelles, je compris combien il y attachait de l'importance.
Le souvenir de Lily… C'était son enfant après tout. Et je voulais savoir ce qu'il avait vécu, ce que je n'avais jamais été capable de voir ou de comprendre auparavant. Harry se renfonça dans son fauteuil, je tâchai de paraître plus à l'aise. Et puis, laborieusement, nous commençâmes. Il débuta par sa première année, la pierre philosophale, puis le basilic de deuxième année, sa troisième année et la nuit où il avait retrouvé Lupin et Black. Son regard d'un vert lagon m'attirait, me laissait plonger au cœur de souvenirs mêlant douceur, douleur. Je parlai de Lily, un peu… Elle était brillante, surpassant de loin tous les autres élèves de notre année. Je lui racontai sa hantise des cours de Potion, lui expliquai pourquoi. Je souris avec lui. Harry devait bien être la troisième personne à oublier ma nature monstrueuse près de moi. Je lui dis qu'elle avait de nombreuses amies, qu'elle était un peu trop studieuse pour son bien. Harry me parla d'Hermione Granger, née-moldue et puissante sorcière, véritable bibliothèque sur patte…
Le temps s'écoulait sans marquer notre retraite. Nous parlions, nous taisions, fixions les flammes de la cheminée, reprenions… Des tiraillements du muscle cardiaque m'étaient parvenus plusieurs fois, des vagues de cet acide dérangeant. Cela venait de Rogue, sans doute furieux contre un de ses cornichons d'élève. Je n'y fis pas réellement attention, l'instant présent était trop précieux. Nos réminiscences se dessinaient dans les flammes de la cheminée. Je ne fixais qu'elles désormais, ne voulant relever la tête. Les yeux d'Harry étaient emplis de larmes. Ma faute.
Je ne sais combien de temps nous passâmes dans cette salle, mais soudain, on toqua à la porte.
-C'est l'heure de dîner! Tu viens Harry?
C'était Weasley qui venait, évidemment, pour… le dîner? Merlin, si tard déjà! J'avais retenu Harry si longtemps, lui dont les yeux… Je détournai la tête et lui offris mon mouchoir avant de me lever.
-Bon appétit; fis-je.
Et je fuis sans lui laisser le temps de me répondre.
Retour aux appartements de son calice
La sensation d'acide qui me dévorait était désagréable, fortement désagréable. J'en vins à penser que Rogue devait donner une retenue particulièrement agaçante. Ca me permettrait de rester seule un moment dans ses quartiers. De réfléchir, à ce qui s'était passé. Après tout, nous… nous étions embrassés. Deux fois. Lui avait dû être entraîné par sa mauvaise humeur et avait fini par me narguer de cette façon, et moi avais répondu à son attaque. Pourtant il y avait eu quelque chose de profondément enivrant. Jamais encore je n'avais ressenti ceci. Je descendis les escaliers hélicoïdaux menant aux cachots tout en réfléchissant. Et pourquoi cette obsession pour Lily… et Harry? Et cette histoire de relation entre vampire et calice? Rogue avait toujours été étrange mais ces temps-ci, son comportement et ses pensées me devenaient de plus en plus obscurs. Nous devions juste survivre… Je ne l'avais mordu et il n'avait accepté de l'être que dans un unique but. La survie. Que cherchait-il?
Je murmurai le mot de passe et entrai dans les quartiers, pour sentir aussitôt sa présence. Il était à son bureau, corrigeant des copies, l'acide toujours présent. Le souvenir de notre baiser me sauta aux yeux.
-Hmm; lâchai-je en me raclant la gorge. Bonsoir.
La solitude était donc à bannir, mais je pouvais toujours m'asseoir devant les flammes et me laisser, comme avant, bercer par les grattements de la plume, le froissement des parchemins, les battements d'un cœur gonflé de sang…
-Où étiez-vous? Siffla-t-il brusquement.
J'haussai un sourcil, toujours debout, à plusieurs pas du bureau.
-Pardon?
-Où étiez-vous, Lumare? Fit-il de nouveau d'une voix polaire.
Que lui prenait-il de nouveau? Il devenait de plus en plus lunatique, c'était inquiétant.
-Est-ce que vous allez bien, monsieur? Demandai-je, fronçant les sourcils.
Peut-être cachait-il une maladie sous ses airs revêches? Ou une blessure grave? Il était encore espion à ce que je savais, et Voldemort n'était pas tendre avec ses laquais. Oh Merlin, je me souvenais encore de la première fois que j'avais senti l'étau glacial se refermer sur le lien tandis que Rogue le rejoignait.
-Parfaitement, contrairement à vous qui vous trouvez incapable de répondre à une simple question; cracha-t-il.
-Vous le savez parfaitement, j'étais dans la salle sur demande avec Potter, Granger et Weasley.
Rogue blêmit soudain, puis rougit. L'idée qu'il était effectivement malade me traversa, avant que je ne croise son regard brûlant de rage.
-Granger et Weasley étaient à la bibliothèque dès dix-sept heures.
Ses mâchoires et ses poings se crispaient violemment, comme sous l'emprise d'une rage sourde. Et moi aussi, je commençais à en avoir assez. Comme s'il pouvait dire quoi que ce soit sur les personnes que je fréquentais! Ou sur ce que je faisais en dehors de ses appartements!
-Et alors?
-Vous traîniez avec Potter! Eructa-t-il en se levant d'un coup.
Il s'avança vers moi à grand pas. Je l'attendais fermement bien décidée à lui tenir tête.
-Je ne vois pas où est le problème; lâchai-je alors que Rogue s'arrêtait à quelques centimètres de moi, de nouveau blême de rage. Harry et moi parlions des Horcruxes, du passé. Je ne vois pas pourquoi…
-Parce que c'est Harry maintenant? M'interrompit-t-il, un sourire acide aux lèvres.
Ma patience céda d'un coup.
-Ca suffit! Vous n'avez rien à me dire sur mes relations(mes iris viraient au rouge sanglant)! Je décide qui je fréquente, je décide! Harry est…
Je devais m'arrêter et claquai soudain mes mâchoires, tremblant d'une fureur mal contenue. Le lien brûlait des deux côtés. Et puis Rogue revêtit son masque de morgue doucereuse et me toisa en ricanant. Il semblait une fois de plus trouver dans mon comportement des éléments probants. De quoi? Je ne voulais même pas le savoir. Mes iris vermeil remontèrent jusqu'à lui et l'envie du sang se fit soudain pressante. Cet imbécile jouait avec le feu, comme d'habitude.
-Le moment de nourrir la bête sauvage sans doute; murmura-t-il d'une voix onctueuse.
Je crispai les mâchoires tandis que lui rejoignait le canapé près du feu crépitant. Il semblait satisfait, une satisfaction bien trop amère.
-Faîtes ça rapidement; lâcha Rogue, je n'ai pas de temps à perdre.
Il déboutonna le haut de sa robe de sorcier. Les effluves de sang chaud me firent alors tourner la tête, et voir sa carotide battre au rythme de son flux sanguin… Oh, j'avais soif. Mais dans mon état, je pouvais le blesser. Vraiment.
… J'eus la faiblesse de m'avancer de quelques pas. Tout ce sang… Puis fermai les yeux, bloquai ma respiration. Trop dangereux.
-Non.
Le lien vibra soudain, je rouvris les yeux. Rogue me fixait, plus pâle que d'habitude, la respiration lourde. Son regard -abysse sans fond emplie de ténèbres mouvantes-, m'hypnotisait toujours autant. S'il l'avait su, il aurait pu me demander n'importe quoi…
Je déglutis, puis me détournai dans un envol de cape. Envol de cape qui aurait pu être qualifié de réussi sans la main qui me saisit le poignet.
-Vous ne devriez pas provoquer un vampire; murmurai-je sans me libérer.
Et Rogue de répondre d'une voix traînante:
-Vous ne me ferez rien, Lumare.
J'écarquillai les yeux, Rogue se tint raide dans le fauteuil et resserra ses doigts glacés sur mon poignet. Il me retenait?
-Lumare; appela-t-il.
Et je fus incapable de résister. Je le rejoignis sur le canapé, mes genoux emprisonnant ses jambes, mes mains agrippées au dossier.
Les prunelles abyssales de Rogue étaient rivées aux miennes, sanglantes. M'ensorcelant… Je me penchai avec douceur et effleurai sa gorge. Aucun mortel n'y avait survécu, excepté lui. Ma langue attendrit la peau déjà meurtrie, un frisson le traversa, puis mes canines s'enfoncèrent dans sa chair.
… Tellement bon… Puis je quittai la jugulaire. Mes yeux étaient voilés par un plaisir grisant. Plus rien…
Je vacillai sur le côté, le souffle laborieux et l'esprit plongé dans un délicieux plaisir. Son sang était… sans égal. Et puis, sans aucune retenue, je revins vers lui. Les ténèbres de son regard m'encerclaient. J'avais besoin… Il fallait… plus? Moins? Je fermai les yeux et gémis en m'agrippant à son bras. Je ne comprenais pas. J'avais… besoin… Ce contact… Il me rappelait le parc enneigé… J'étais perdue, le brouillard, la neige, le vent froid et la tristesse… Severus.
-P-promettez-moi…
Serrée dans ses bras… Une main caressait doucement… Et une voix. Sa voix m'apaisait…
-Tout va bien, tout va bien; chuchotait-il à mon oreille.
Son souffle chaud, oui la chaleur m'entourait, le réconfort. Plus aucun contrôle, je ne pouvais pas, tout m'échappait. La neige et le brouillard surgissaient du passé douloureux, après ces vagues de colère.
-Je suis fatiguée; murmurai-je.
Severus dut parler mais ses mots s'entrecroisaient, se disloquaient en cendres grises, tournoyant dans mon esprit brumeux. Fatiguée… J'étais fatiguée…
