Chapitre 9
Cette chaleur nouvelle, coulant entre mes lèvres et mes crocs, dans ma bouche puis ma gorge. Mon regard se voila de bonheur, je sentais sa présence, rassurante. Il restait près de moi…
Je n'émergeai du brouillard que bien après. Les derniers vestiges cauchemardesques perdaient peu à peu de leur emprise, je retrouvais la lumière des flammes de la cheminée, la douceur et le réconfort. Mais il fallait se rappeler, la mission!
-S-sev…
J'essayais de parler, la gorge nouée par une peur indicible. Et si je les avais vraiment blessés, si son sang m'était arrivé par accident, si…
-Je suis là, Lumare; grogna-t-il à ma droite.
Définitivement Severus. J'ouvris difficilement les yeux, pour voir ce que j'avais provoqué, ce qu'il souffrait par ma faute. Je sentais le lien s'étirer douloureusement, il devait…
-Je n'ai rien, cessez de me regarder de la sorte!
J'eus un vague sourire avant de me laisser retomber contre des oreillers. Jamais je n'aurais pu me pardonner si j'avais touché mon calice, ou Harry.
-Et… les autres, Har…
Il m'interrompit, aussi grognon qu'à l'accoutumé, tout en s'avançant:
-Ils sont aussi bien que peuvent l'être trois cornichons comme eux. Vous n'avez tué, ni même touché aucun d'entre nous et vous avez été la seule à recevoir les maléfices des Horcruxes.
Oh… merci Merlin. Je soupirai de soulagement, lui renifla.
-Espèce d'imbécile…
Le reste fut plus ou moins perdu pour moi, il enlevait mes couvertures tout en m'insultant et en glissant parfois des renseignements sur les trois Horcruxes détruits, sur un certain diadème recherché… Il m'informa aussi avec le tact qui le caractérisait que je m'étais griffée profondément, que mes habits étaient imbibés de sang et qu'il allait encore devoir tout nettoyer.
-Tergeo; murmura-t-il.
Et ce fut comme des milliers de gigantesques lames s'enfonçant dans mon corps. J'hurlai de douleur en me recroquevillant, tremblant dans mon propre sang.
-Lumare; appela-t-il.
Plus jamais, plus jamais! J'avais encore mal, pourquoi recommencer une telle torture?! Des doigts froids voulurent me retourner, je me protégeai, agrippant des draps que je déchirais. Je n'avais plus conscience de…
-Lumare, Lumare!
Je rouvris des yeux troubles. Sev?
-Il semblerait que les sortilèges soient inutilisables tant que vous contenez encore des rebuts de magie noire.
Sa voix était plus rauque qu'à l'accoutumée, plus rassurante peut-être… Je me détendis un peu puis me tournai vers un regard de charbon brûlant.
-Lumare… Les cicatrisations ont déjà commencé et le sang retient votre chemise… Devoir vous amener jusqu'à la salle de bain pour… nettoyer…
Je perdis la suite de ses explications, un peu gênée, mais acquiesçai. La situation avait beau être assez… sanglante, ce serait le premier à me voir dénudée. Ca faisait bizarre; pensai-je vaguement alors qu'il me portait jusqu'à la salle de bain.
Même pas capable de marcher toute seule. C'était pitoyable, mais Rogue ne sortit pas un sarcasme, ne renifla pas avec mépris. Je lui en fus gré. Merlin, quand on pensait que j'étais un vampire de 25 ans et que je n'avais jamais… De toute manière nous étions en guerre, et puis ça n'avait aucun intérêt, ça ne m'avait jamais intéressée! Ce qui ne m'empêcha pas de me mordiller la lèvre de gêne tandis que j'enlevais difficilement ma cape. Rogue m'aida pour mon pull, puis pour ma chemise imbibée d'un sang déjà coagulé. Je sifflai de douleur lorsque les croûtes formées furent arrachées, et finis par m'écrouler dans la baignoire.
J'avais croisé mon regard dans la glace, mélange de bleu et de rouge saisissant, c'était la première fois qu'il m'apparaissait violet. Et j'étais incapable de déterminer si cela avait une quelconque importance.
Severus retira avec une douceur inhabituelle mes collants poisseux, puis ma jupe. Il ne disait rien, ses barrières mentales fortement érigées, ce qui se traduisait chez lui par un masque d'impassibilité. J'eus un vague sourire, la tête me tournait… Le Severus de dix-sept ans se superposait à celui qui venait d'ouvrir le jet d'eau chaude.
Severus… Qu'est-ce qu'il avait vécu? Pourquoi avoir rejoint Voldemort puis l'avoir trahi? Un jet d'eau particulièrement fort vint briser une série de coupures profondes. Je gémis.
-Poufsouffle; ricana-t-il.
Et je me renfrognai en serrant les crocs. Ses cheveux graisseux étaient comme un rideau qui recouvrait ses expressions. Il commença par nettoyer mes côtes près de mon soutien-gorge. Elles étaient trop saillantes, se soulevaient avec difficulté à chacune de mes respirations. Est-ce que… je le dégoûtais? Une étrange peine vint voiler mon regard que je fixai sur lui. Peut-être pouvait-il comparer. Après tout, il était bien plus âgé que moi… trente-huit ans si mes calculs étaient exacts. Il avait dû connaître beaucoup de mortelles, non? Plus… moins pâles et maladives… plus humaines… Son regard empli de ténèbres ne quittait pas mon corps, je le savais malgré son rideau de mèches huileuses. Je ne sentais presque plus l'eau chaude qui coulait toujours, nettoyait les plaies, entraînant sang et débris rougeâtres jusqu'à la bonde. On n'entendait que ce bruit dans la salle de bain.
Chaque plaie fut nettoyée, la cicatrisation reprenant sans mal et je soupirai de soulagement –encore une fois- lorsqu'il arrêta le jet d'eau.
-Levez-vous, au lieu de paresser dans ma baignoire; gronda-t-il.
Rabat-joie! Mais effectivement, il fallait bien que je me décide à sortir un jour ou l'autre. Je me mordis les lèvres, me sentant encore trop faible –déshonneur suprême pour un vampire!- mais trop orgueilleuse pour demander de l'aide, et tentai de me relever. Une jambe parvint à sortir du bain vide, alors que Rogue se détournait pour trouver une serviette, l'autre suivit. Puis je voulus faire un pas vers lui, et m'effondrai. Je dus râler un peu en le sentant me rattraper et me ramener contre lui. Rogue dût me répondre avec un mordant renouvelé. Mais à dire vrai, je me sentais enfin en sécurité, bien que salissant ses vêtements.
-Désolée; marmonnai-je, sans même faire mine de partir.
Puis, de mauvaise grâce, je levai un regard –résolument violet- vers lui. Son grand nez se retroussa et ses yeux noirs m'hypnotisèrent. J'étais… bien… Et Rogue eut un étrange sourire qui se propagea à travers le lien. Comme quelque chose de beau et douloureux, la sensation était indescriptible. Et plus encore lorsque sa main me cala la nuque et qu'il… se rapprocha? Ses lèvres fines qui s'arrêtèrent à un souffle des miennes. J'étais pétrifiée, incapable de penser à autre chose que son corps autour du mien, cette plénitude de ne l'avoir que pour moi. Mais il s'écarta. Je revins difficilement à la réalité alors que lui, sans un mot me portait jusqu'à une chaise où il me sécha. Mes cheveux noirs cascadaient sur mon dos et devant mes yeux. Cachant aussi bien que lui mon expression qui était… effarée.
Jamais au grand jamais je n'avais un jour désiré embrasser quelqu'un! Ni désiré un sang en particulier. Mais lui… était différent.
Severus.
-Je serai absent quelques heures, Lumare. En mon absence, je vous interdis de même penser à quitter ce fauteuil; grogna-t-il en m'y déposant.
Nul besoin d'être sorcier pour deviner qu'il irait parler à Dumbledore. J'hochai vaguement la tête, et l'instant d'après, mon calice disparaissait dans les flammes vertes.
oOo
Cette situation était aussi nouvelle que dangereuse. J'étais en territoire inconnu, incapable de savoir quoi dire ou quoi faire. Et j'avais l'horrible impression que malgré tous les sarcasmes et les défis que nous nous lancions, nous étions plus démunis que jamais. C'était comme si j'avais le pouvoir de détruire… que Rogue détenait aussi… oui, le pouvoir de faire souffrir. Tout semblait tellement plus fort, évident. J'étais incapable de me rappeler s'il en était de même dans le passé, mais aujourd'hui j'avais besoin de lui, d'être acceptée, d'être aim… Merlin, je devenais aussi fleur bleue qu'une Poufsouffle! J'allais devoir faire attention, un blaireau face à un serpent ne ferait pas le poids. Il allait falloir se fier à son instinct, ne pas montrer son trouble, ne pas trop espérer, ou le contraire? Oh Merlin!
Scène de dîner et chambre
Lorsqu'il revint, Rogue me trouva recroquevillée dans son fauteuil, le regard perdu dans les flammes. Je l'entendis vaguement commander un dîner aux elfes de maison, puis m'ordonner de le rejoindre à table. Un vampire obéissant à un ordre était chose peu courante, mais je le fis. Je me levai et parvins avec difficulté jusqu'à la place en face de lui.
En entrée, soupe chaude de citrouilles.
-Lumare; appela-t-il.
Je levai un regard désormais violet vers lui, lui accordant une attention qui ne fit que le renfrogner un peu plus.
-Vous êtes autorisée à rester ici pour la nuit.
Je fronçai les sourcils en goûtant la soupe. Pour qui me prenait-il? Une handicapée?
-Je vais parfaitement bien merci; sifflai-je. Je peux retourner dans mon dortoir.
Je pris deux nouvelles cuillerées du potage alors que Rogue ne mangeait rien. Je lui jetai un nouveau coup d'œil, puis suivis son regard jusqu'à l'horloge qui indiquait vingt-deux heures quarante. Eh bien?
-Le couvre-feu est dépassé; fit-il remarquer d'une voix égale. Il serait bien dommage de perdre 20 points pour vous promener la nuit dans les couloirs.
Et cela ressemblait étrangement à un accord de paix alambiqué. Je ne sais d'où me vint cette certitude, mais j'avais résolu de faire confiance à mon instinct. Alors, j'hochai plus ou moins la tête, acceptant de rester. Rogue enregistra le mouvement et commença enfin à manger. Nous finîmes l'entrée en silence, plongés dans nos réflexions.
J'aurais pu partir, ce n'était pas comme après le lien, lorsque j'avais dû rester m'occuper de lui. Ici, Rogue m'avait laissé le choix, et j'avais accepté. Je voulais apprendre, savoir ce qu'il avait vécu, retrouver la trace du Severus de dix-sept ans que j'avais connu. En Serpentard, il me fallut manger la moitié du plat chaud –gratin de carottes accompagné de bœuf- pour trouver le courage de me lancer:
-Je me suis toujours demandée… (ce fut à Rogue de me fixer) qu'est-ce que Dumbledore vous a dit après m'avoir fait disparaître?
-Albus a annoncé que d'importants problèmes vous retiendraient et que vous ne finiriez pas l'année à Poudlard.
Mon regard se voila. D'importants problèmes… Lily avait dû penser à une trahison. Je ne lui avais pas même envoyé une lettre. Et Rogue…
-Est-ce qu'il… vous avez pensé que j'avais rejoint le Seigneur des Ténèbres?
Je le vis distinctement crisper les mâchoires. Il y eut un silence. Puis il releva ses troublants yeux onyx et ricana:
-Je ne suis pas même allé jusque-là, Lumare. Votre sort m'indifférait.
Et puis le mutisme sembla le recouvrir d'une lourde cape. Il ne dit plus un mot, me laissant seule avec mes remords. Si pesants. Les suppositions que je faisais de son passé m'obscurcissaient les pensées peut-être bien plus que les cauchemars auxquels je venais d'échapper. Je voyais Lucius qui avait dû le piéger, ou lui se présentant volontairement devant Voldemort désireux d'être reconnu ou respecté ou une idiotie du même genre. Je le voyais prenant la marque ! Et puis j'imaginais les premières tueries, je l'imaginais après… Terrifié et seul, tellement seul. C'était intolérable!
Tremblante, je me levai avec difficulté. Severus leva la tête vers moi. Moi qui peinais, les jambes flageolantes, m'appuyant sur la table pour m'approcher, pour finalement arriver jusqu'à lui. Et je posai un genou à terre afin de m'incliner devant mon calice, offrant ma dignité de vampire. Comment autrement pouvais-je racheter toutes mes fautes ? Je m'en voulais tant.
-J-je… Pardonnez-moi; murmurai-je, tête baissée.
Le lien avait trahi de la surprise, puis plus rien, et je n'avais pas la force de déceler du mépris sur son visage. Je restai inclinée, de longues mèches brunes cascadant autour de mon visage crispé, attendis en silence.
-Et…; finit-il par murmurer, que devrais-je vous pardonner?
-J'aurais dû vous protéger; fis-je d'une voix étranglée en incluant ma Lily, empêcher l'attaque de Godric's Hollow… E-et rester là-bas. J'aurais dû v-vous empêcher de sacrifier votre liberté, en devenant mon calice. Je suis d… ésolé.
Mon souffle se brisa et je baissai un peu plus la tête. J'avais un genou au sol, un bras plié dans le dos et l'autre devant mon ventre, les poings serrés. La révérence du vampire, celle qu'il n'offrait qu'au chef des clans. Mais je n'avais jamais prêté allégeance. C'était la première fois de ma vie que je m'inclinais, respectant mon calice et implorant son pardon. Je tremblais, de fatigue, de tristesse, sous le poids du lourd silence qui suivit. Son regard brûlant était posé sur moi mais le lien restait muet et je n'avais pas la force de savoir. Pas la force…
-Ceci, je vous l'ai pardonné.
Ceci? Je relevai la tête, mais il ne m'accorda qu'un rictus étrange avant de me renvoyer à ma chaise. J'obtempérai, soulagée, inquiète aussi, de penser que je lui avais fait encore plus de mal que je ne pensais. De nouvelles questions se bousculaient sur mes lèvres. Cependant, à quoi bon les poser, il ne répondrait pas et je ne voulais pas me disputer avec lui ce soir. Il y avait une atmosphère particulière, nous étions tous les deux au calme, il m'avait pardonné, peut-être pouvais-je tout simplement profiter de… de l'instant?
Nous terminâmes le souper en silence, puis partîmes lire au coin du feu. C'était… comme un plongeon en eaux profondes de trente ans. J'entendais les battements de cœur réguliers de Severus, la fluctuation du sang dans ses veines, le froissement des vieilles pages de ses grimoires… Je souris, perdue dans de nombreux souvenirs, puis ouvris le livre que j'avais choisi et me laissai entraîner par ce sentiment de paix, de sécurité.
Il était bien plus de minuit lorsque Rogue finit et referma son grimoire. Il allait se coucher, quitter ce salon chaleureux par son unique présence, je voulais… Qu'est-ce que je voulais?
-Comment vont vos blessures?
Gênée, perdue, je grognai une vague réponse. Puis Rogue me proposa son sang.
-Non merci, vous en avez suffisamment perdu ce matin.
Evidemment une réplique sarcastique fusa, je répondis, lui rétorqua et je finis par plonger mes crocs dans sa gorge. Chaque goulée de ce liquide vermeil était de l'ambroisie, si délectable… La torpeur m'attirait vers des profondeurs oubliées, l'écho d'anciens froissements de pages me revenait, le sang délicieux qui coulait librement dans ses veines, les ténèbres de la nuit, ses râles de douleur… Il parlait d'une ceinture, suppliait son père, suppliait, suppliait… Je revins difficilement à la réalité pour distinguer l'ombre de Severus hésitant vers moi.
-Severus? Marmonnai-je en me redressant un peu.
Il s'arrêta, le lien de nouveau masqué par ses barrières mentales. Et ne dit rien, finit même par se lever. Tristesse, solitude et fatigue, cette fatigue qui effaçait tout orgueil, il n'y avait plus que lui et moi. Je ne pouvais supporter qu'il ait d'autres cauchemars, je voulais l'aider… le protéger. Il se dirigeait vers sa chambre, je voulais…
-Est-ceque… commençai-je et il se tourna vers moi; je peux dormir avec vous?
Même pas le temps d'avoir honte, le lien trahit une explosion de chaleur en lui. Severus… C'était brûlant et j'en avais besoin, tellement besoin. L'horreur de cette dépendance m'aurait probablement frappée si je n'y avais déjà été assujettie.
-Non.
Rogue s'éloigna, reprenant son chemin jusqu'à sa chambre. Sa cape noire flottait autour de lui, de son corps trop maigre. Je le suivis jusqu'au chambranle de la porte qu'il avait oublié de fermer.
-S'il vous plaît, je ne vous dérangerai pas. Je resterai juste dans ce fauteuil.
Je souffrais de ce rejet, étais incapable de comprendre la chaleur qui se déversait à travers le lien. A dire vrai, je n'arrivais presque pas à tenir debout, l'effet de son sang était trop intense, mes pensées encore floues. Il n'y avait que cette nuit, là-bas, ses cauchemars et lui aujourd'hui, pâle, grave, déjà caché par la pénombre de sa chambre.
-Dans mon fauteuil? Grinça-t-il. Et pourquoi faire ?
Ses réactions étaient étranges, en contradiction presque avec le lien. Je ne comprenais pas. Rogue, quant à lui, commença à retirer sa cape noire, puis à déboutonner sa robe de sorcier. Je me tins au mur, de plus en plus faible sur mes jambes.
-Je ne veux pas vous déranger. Seulement…
Vous protéger, veiller à ce qu'il ne vous arrive rien, je vous aime. Je refermai brusquement les mâchoires, reprenant soudain le contrôle. La stupidité de ma demande me sauta à la figure et, les yeux écarquillés, je voulus faire marche arrière.
-Eh bien ?
-Rien; claquai-je. Je revoyais des événements passés, je suis désolée.
Son long nez se retroussa de dédain alors qu'il posait sa robe de sorcier sur son fauteuil. Il ne portait plus qu'une longue chemise blanche cachant à peine sa maigreur, un pantalon noir et des chaussures et chaussettes qu'il ne tarda pas à enlever. Rogue était pied nu, devant moi, c'était saisissant… et sûrement la première fois que je le voyais aussi…dénudé.
-Vous vous excusez trop, Lumare.
Le lien était tendu comme en expectative, moi je me renfrognais. Cet instant était plus que troublant et il trouvait le moyen de se moquer de moi.
-Bien, je vais vous laisser dans ce cas. Bonne… lançai-je en tournant déjà les talons.
Et je fus stupéfaite d'entendre ses pieds nus se mouvoir sur le tapis vert sapin de la chambre. Lentement, je me retournai, lui m'attrapa le poignet. Le toucher de ses longs doigts glacés m'électrisa. J'écarquillai les yeux, lui me conduisit sans un mot jusqu'à son lit.
-Seulement pour cette nuit, ne pensez pas que cela deviendra une habitude.
-Je n'ai jamais demandé à ce que ça le soit; grognai-je d'une voix rauque.
Rogue se détourna pour raviver le feu dans la cheminée de la chambre, moi je me contentai de retirer chaussures et chaussettes avant de m'agripper aux baldaquins pour me glisser sous les draps. Les elfes de maison avaient placé des bouillottes dans ce lit deux places, c'était chaud… Je fermai les yeux en soupirant, puis prêtai attention aux pas de Rogue sur le tapis, le parquet, dans la salle de bain, sur le parquet de nouveau, puis vers le lit. Le matelas s'enfonça sous lui et je rouvris légèrement les yeux. Ses cheveux noirs formaient une auréole sur l'oreiller, son regard charbon m'ensorcelait. J'étais bien, comme à ma place, et intérieurement reconnaissante qu'il m'ait laissée rester à ses côtés.
-Bonne nuit; murmurai-je en agrippant un des oreillers.
Je ne pus m'empêcher de me recroqueviller sous les draps. Lui répondit doucement, la première fois que j'entendais cette voix, celle d'un Rogue de plus de trente-huit ans, aussi calme. J'étais apaisée, les derniers effets de son sang me parvenant encore, et Merlin je pouvais le protéger, il était si près de moi… Un dernier sourire fatigué effleura mes lèvres puis je mordis légèrement l'oreiller et fermai les yeux. Etat de veille.
Je rouvris les yeux pelotonnée tout contre Rogue. Ses bras m'entouraient tandis que je m'agrippais à sa chemise, mes crocs trouant le tissu. C'était gênant… Surtout que je sentais qu'il était réveillé. Je me crispai et voulus m'éloigner. Sa poigne ne se desserra pas. Je me raclai la gorge.
-Navrée… pour la chemise.
Mes canines s'étaient retirées et quatre trous venaient déchirer la blancheur de son vêtement. Je devais avoir tiré dessus, ils étaient assez conséquents. S-sa peau était visible en-dessous. Un torse blafard se soulevait sous mes mains, de longues cicatrices nacrées s'étiraient. Je ne pouvais en détourner le regard et je crois que cela amusa Rogue. Puis il me releva le menton. Je me crispai encore plus.
-N'ayez pas peur; murmura-t-il.
Son regard charbon m'hypnotisa. Je rétorquai tout de même:
-Je n'ai pas peur!
Et l'amusement qu'il trahit me rassura tout à fait. C'était juste nouveau, inconnu… ce désir de chaleur, ce besoin de lui, de lui seulement. Son rejet m'aurait brisé. C'était pitoyable. Pourtant, lorsqu'il m'embrassa, je m'abandonnai au brasier du lien. … Ce que j'avais toujours souhaité, il était ce que j'avais toujours souhaité.
Bataille Finale
-Vous savez ce qu'il vous reste à faire Lumare.
Sa voix résonnait dans le long soupirail, réveillant les pierres sombres du château. Il s'éveillait lentement en prévision de la bataille… La bataille finale.
-Je sais; grognai-je la voix sourde.
L'ennemi se rapprochait, nous sentions sa haine et sa soif de sang à mesure que le soleil mourrait dans une apothéose rougeâtre.
Le cauchemar se rapprochait, celui qu'Harry n'aurait jamais dû affronter, celui qui pouvait coûter la vie du seul être que j'aimais. Il se tenait près de moi raide, les mâchoires crispées mais hautain toujours, et fier. Mon calice avait toujours été fier, il ne m'aurait jamais pardonné de l'avoir enfermé dans ses appartements pour le protéger de cette bataille. Mais oh, j'aurais dû… Je ne pouvais pas le perdre, je ne pouvais pas… Il était ma vie, mon cœur et mon sang. Son… nez aquilin, ses cheveux noirs et graisseux, sa peau cireuse et ses dents jaunies, son corps trop maigre, ses côtes bien trop visibles. J'avais honorée tout ce qui était lui et en étais tombée amoureuse. Son intelligence aiguisée, son humour tranchant, son regard d'un charbon étincelant, sa passion, m'avaient enchaînée à lui. Je mourrais si…
-Oh Severus; gémis-je en le plaquant contre le mur du soupirail.
-Vous…
J'emprisonnai désespérément ses lèvres entre les miennes. Severus, Severus… Je mordis sa bouche avec douleur, la léchai, buvant son souffle qui m'appartenait. Il m'appartenait! Et Severus referma sa prise sur moi. Ses mains glacées enlaçant mes hanches et ma nuque, me retenant férocement. Je l'aimais tellement…
Le phénix enflamma le ciel tandis que les protections magiques de Poudlard se disloquaient. Je ne sentis qu'une vague lueur derrière mes paupières closes, emprisonnant encore et encore sa bouche contre la mienne, mon corps maintenu contre le sien. Il fallait combattre… mais je ne pouvais pas le quitter.
Ce fut Severus qui s'écarta. Et la détermination brûlante que j'entrevis en lui m'obligea à le lâcher. Il allait partir…
-P-promettez-moi de… survivre. Encore une fois… rien qu'une fois; suppliai-je.
Ses yeux charbon étincelèrent d'une telle tendresse… Il inclina la tête et ses cheveux graisseux ondulèrent doucement, avant qu'il ne se retourne et ne quitte le soupirail. Les lueurs rouges incandescentes de cette fin de jour semblèrent l'avaler. Je voulus aussitôt le rattraper. Puis m'arrêtai violemment. Non…
Je ne servirai à rien, éplorée et faible comme j'étais. Ou seulement à le mettre en difficulté. Il fallait… mais comment s'y résoudre? Comment pouvais-je accepter une telle abomination? Comment pouvais-je rechuter dans cet abîme destructeur? Avais-je le choix? Le choix de m'enfuir comme une lâche, comme lors de la première bataille finale. Non, je ne pouvais pas, ne pouvais plus. Mais ce sacrifice, cet ultime sacrifice… Oh et pourquoi encore des tergiversations sans fin?! Harry avait besoin de moi, Severus aussi. Quitte à me perdre, les savoir saufs me suffirait. Oui, cela me suffirait.
J'inspirai profondément, seule encore dans les ombres grandissantes du souterrain. Severus, Harry… Lily; s'effaçaient. S'effaçaient…
Mais pas ces effluves sanglantes, elles giclaient tout près, explosaient sur les murs. Du sang délicieux, bientôt dérobé à la source même. Hmm… et ces corps déchiquetés, disloqués, démembrés à mes pieds, les agonies emplies de convulsions pathétiques. Un gigantesque sourire découvrit mes canines soudain aiguisées, mes iris étaient distordus, plus brûlants que l'enfer, plus sanglants que mes précédents massacres. Mais je pouvais toujours me rattraper!
Je sortis enfin, drapée des ombres de cette nouvelle nuit. Des combats, des hurlements, des plaintes étouffées par des sortilèges verts surpuissants. Il n'y avait qu'une petite délégation d'Aurors ici, contre la moitié des armées de Voldemort. Pions mal placés, ou volonté de Dumbledore de ne pas me laisser bouffer trop de ses soldats. Je ricanai qu'importe, je tuerai tous ceux à ma portée, et finirai par le vieux débris.
Un Auror était déjà au sol, lançant spasmodiquement des sorts d'une faiblesse pitoyable. Première… proie. Je n'attendis qu'une seconde pour l'exploser contre les murs du château, sa boîte crânienne s'ouvrit dans un craquement jouissif, je le vidai de son sang, tandis que le Mangemort qui s'en occupait précédemment ricanait. Il semblait content de lui, par pour longtemps. Je délaissai le cadavre, le Mangemort ouvrit de grands yeux démesurés, se rendant sûrement compte du danger, mais trop tard. Sa gorge était déjà tordue par mes doigts glacés. Mes canines plongèrent trouver dans ses chairs de nouvelles lampées de sang. Puis un autre mortel me frôla, je lui brisai la colonne vertébrale, évitai quelques sortilèges avant d'écraser la tête de deux nouvelles réserves de sang… Oh cette puissance phénoménale, embrasant mes veines. Et ce sang qui m'enivrait… Je ne savais plus où j'étais, ce que je faisais, ni même pourquoi j'avais été mêlée à ce buffet gratuit. Mais je n'allais certes pas m'en plaindre… Il y avait eu un vieillard une fois, une longue barbe blanche étincelante, une robe verte peuplée de vif d'or. Il était tombé, pas même sous mes crocs. Cela avait été étrange, la façon dont les petites boules dorées s'étaient arrêtées et avaient chu avec leur propriétaire. Après il y avait eu des éclairs de magie, de la rage, de la colère, déferlant au-dessus de la masse grouillante de mortels. J'en avais tué d'autres, en avais pourchassé jusque dans la forêt interdite parfois. Pitoyables petits mortels.
Et puis…
Leur nombre s'était affaibli. Il n'en restait presque plus. Je sentais confusément que tout était fini. En voulais-je encore? Mon uniforme, ma cape, mon visage et chaque partie encore nue de ma peau étaient recouverts de ce sang. Ce sang… Pas le sien…
Mon esprit en lambeau convulsa, je grognai, me repliai contre un mur, entourée par mes cadavres. La folie meurtrière avait été d'une jouissance absolue, mais ce liquide avalé n'était pas… bon? Une horrible voix ne cessait de répéter: «Pas le sien, pas le sien, pas le sien». Je ne comprenais plus rien. Ma conscience n'était qu'un faible chuchotis, le vrai, le faux, venaient d'elle, ou non? Pourquoi tout m'échappait? Un brouillard épais encerclait chaque sensation, je fus surprise de me retrouver à vomir tout ce rouge. Mon estomac, ma gorge et ma bouche me brûlaient comme jamais. Et puis toute sensation s'effaça…
Le brouillard…
Puis la douleur, terrible, terrible… De nouveau, l'absence de tout…
Severus?
-Venez Lumare; me parvient ce murmure. Tout est fini…
Les ténèbres, chères ténèbres, m'encerclent et se referment sur moi. Elles m'accueillent comme une amie, m'écrasent de toutes parts.
-…Potter … Par Merlin… vaincu le…
Les mots apparaissent subrepticement, se tordent et disparaissent. Je ne veux plus… Le mortel me parle, je pourrais le faire taire pour toujours. Une dernière victime. Mais il faut bouger, quelque chose me l'interdit.
-Et Lily…
Mes iris vermeil s'illuminent. Je relève la tête. Pour me heurter à un regard onyx, sans fond, d'autres ténèbres… Pourquoi y plonger?
-Lily serait fière de vous.
Menteur.
Cet homme ment.
Ses yeux m'hypnotisent. Je ne peux pas résister à cet appel. J'aime ces yeux, ce visage, ce torse qui se soulève si rapidement, ce corps maigre qui tremble au milieu du champ de bataille en ruine… Il n'est pas blessé.
-Severus? Réussis-je enfin à reconnaître.
Mais je me perçai les lèvres de mes canines en le prononçant. Du sang, encore… Mes iris rougeoyèrent. J'étais perdue, ne parvenais à me raccrocher à rien, ni personne. L'esprit avait toujours été faible, c'était une des forces de la plupart des survivants. Et j'étais condamnée à survivre, seule, si seule. Toujours…
L'ombre d'un mortel se baissa. Quel impudent, j'allais…!
Et toute cette haine sombra dans un néant de pensées. Ses lèvres fines s'étaient posées sur un de mes énormes crocs. La douceur qu'il me témoignait était irréelle.
-Revenez; murmura-t-il avant d'embrasser mon autre canine.
Celles-ci se rétractaient, progressivement, le calme revenait. Mais je ne me faisais toujours pas confiance. Ce fut avec d'infinies précautions que j'osai poser mes mains sur lui, le serrer dans mes bras, savourer sa chaleur, le réconfort que lui seul pouvait m'offrir.
-Revenez L…
Je le fis taire d'un baiser avide et nos bouches se réapprirent, nos langues se caressèrent. Les vestiges d'un passé commun se matérialisaient derrière mes paupières closes. A cela, je pouvais me raccrocher.
Fin
