Chapitre 3

-Arrête! Chuchotai-je aussi fort que possible en lui attrapant le poignet.

Ronald me fixa, les yeux écarquillés d'étonnement, ses longs doigts encore -et heureusement- agrippés aux cinq coquille d'oeufs de Runespoor.

-Bin quoi?

Je me dépêchai d'éloigner sa main de son chaudron et Hermione qui n'avait jusqu'ici pas suivi d'assez près les gestes du rouquin lui frappa l'arrière de la tête, mécontente.

-Tu allais faire exploser la moitié de la classe; gronda-t-elle. Tu ne sais pas lire? Il est écrit une coquille d'oeuf à la fois, chaque ajout séparé de cinq tours dans le sens des aiguilles d'une montre, et trois en sens inverse!

Je soupirai et me résolus enfin à le lâcher. Tout s'était passé dans la plus grande discrétion, Rogue n'avait rien remarqué, Harry et le Serdaigle de notre table n'avaient pas hurlé à tout le monde de se jeter à terre. Bien sûr le sermon que Ron reçut de mon amie fut moins discret... mais comme Rogue était occupé avec un chaudron qui fumait dangereusement au premier rang...

Je retournai au mien.

Les lysozymes contenus dans le blanc d'oeuf de Runespoor que j'avais ajouté il y a trois étapes devaient avoir réagi avec le sclaréol... et à cette étape, en rajoutant les dernières tiges de sauge sclarée, la potion devait devenir ambrée et liquide. Exactement la même réaction que pour la Goutte du Mort vivant et la même alchimie qu'à l'avant-dernière étape du felix felicis.

J'ajoutai les morceaux de drogues végétales, retenant mon souffle, et le filtre vira à la couleur et la texture parfaite!

Je m'emparai aussitôt de ma plume pour y annoter mes résultats. La même réaction les trois fois! Ce qui voulait dire que c'était bien leur mélange qui était responsable de la purification des trois potions. Les lysozymes étaient anti-bactériens et le sclaréol connu pour sa senteur et surtout sa propagation rapide après oxydation. Les deux, parfaitement compatibles, provoquaient une vague magique bactéricide dans l'ensemble du chaudron!

Trois tours dans le sens des aiguilles d'une montre, je ne lâchai pas ma plume, laisser reposer cinq minutes. Je me remis aussitôt à annoter le parchemin près de mon chaudron, oublieuse cette fois du reste de la classe, jusqu'à...

-Qu'avons-nous là, Miss Lumare? Siffla une voix atrocement doucereuse.

Je sursautai, ma plume ripa sur mon parchemin et puis Rogue me l'arracha. Rogue, ses cheveux graisseux, sa peau cireuse, ses yeux noirs et fiévreux, son rictus méprisant toujours en place.

Les autres élèves étaient tous penchés sur leur chaudron, et je repris conscience des potions bouillonnantes, des volutes de fumée, de l'odeur des cachots mêlée à celle de notre potion d'Invisibilité. Je cillai, puis me redressai pour faire face à mon professeur.

-N'avais-je pas interdit de prendre la moindre note pendant mon cours? Et que vois-je?

J'aperçus du coin de l'oeil Harry et Ron relever la tête, le regard noir, Hermione la leur frappa pour qu'ils retournent à leur préparation.

-Des notes, Monsieur; répondis-je.

Mes yeux océan percutèrent alors les siens, recelant un rien d'insolence comme je savais que j'allais me faire punir mais que cela ne m'empêcherait pas de recommencer.

Je soutins son oeillade sombre et méprisante, ne baissai pas le regard lorsque lui le tourna vers ma feuille. Il commença à lire ce que j'avais écrit et le silence s'étendit dans les cachots.

Rogue paraissait fatigué, il y avait des cernes noirs sous ses yeux, sa peau était blafarde et ses traits tirés... Malade aussi, comme ses cheveux graisseux collaient à ses tempes et gouttaient sur le col de sa cape, qu'il tremblait et que ses pupilles sombres s'embrasaient sous la fièvre.

Il semblait en pire état que durant la guerre, lorsqu'il était espion pour le compte de l'Ordre, qu'il risquait sa vie à chaque fois qu'il était appelé par Voldemort.

Rogue finit par s'arrêter sur les dernières lignes de texte... J'attendis...

-Vingt points en moins pour désobéissance; cracha-t-il finalement.

Puis il rejeta mon parchemin sur la paillasse et s'éloigna dans un envol de cape. Le murmure furieux de Ron ne se fit pas attendre:

-Sale chauve-souris, vingt points! On aurait dû le laisser pourir à Azkaban!

-Ron! Siffla Hermione comme avertissement.

J'haussai les épaules à l'adresse de mes deux meilleurs amis tout en revenant vers notre table, rangeai mes notes dans mon sac puis fixai ma montre. Plus que quarante secondes avant l'ajout des ailes de fée...

-Pas grave; murmurai-je, on les rattrapera en Botanique.

-Et dix points pour bavardage, Lumare! Tonna Rogue.

Des chuchotements rageurs s'élevèrent des quelques Gryffondor présents, des ricanements venant des Serpentard.

-Et en Métamorphose; complètai-je alors qu'Hermione me tapait à mon tour, sur le derrière de la tête.

-Silence!

Il se fit aussitôt. J'attrapai les dix-huit ailes de fée devant moi et les fis tomber une par une dans ma potion, tournant délicatement au fur et à mesure. J'étais habituée, au mépris de Rogue.

Ses remarques mesquines et ses punitions ne me faisaient plus rien.

A la fin du cours, une fois que j'eus versée ma potion dans une fiole étiquetée et apportées aussi toutes celles de notre paillasse jusqu'au bureau, nous reçûmes les notes de notre dernier devoir. Celui sur la Pimentine. Les rouleaux de parchemin volèrent en direction de chaque élève; je me tournai vers mes amis.

Hermione s'était empressée de dérouler les siens et de couiner de plaisir devant son éternel EE. Harry et Ron s'en sortirent avec un A. Je ne pris même pas la peine de les ouvrir. Je savais qu'il y aurait un Acceptable, pour moi aussi, comme toujours.

Je fourrai mon devoir dans mon sac, la cloche de la Tour Nord sonna la fin des Potions et nous ne tardâmes pas à nous ruer dehors.

Dernier cours de la semaine!

Neville m'attendait dans le couloir. Je lui adressai un sourire rayonnant.

-On reprend à partir du saule pleureur? Lançai-je.

-C'est parti!

Nous eûmes droit, bien sûr, à quelques recommandations d'Hermione dans les couloirs des cachots, puis nous quittâmes nos amis pour courir dans l'escalier hélicoïdal, dans les corridors et enfin à l'air libre, dans le parc de Poudlard! Le soleil réchauffait la terre malgré le vent froid...

Nous retournâmes exactement sous le saule pleureur près du Lac Noir; et j'eus un vague souvenir d'un rêve, de douceur et de tristesse.

-C'est un sol calcaire, je suis sûr que la cardamine bulbifera n'est pas loin! S'exclama Neville.

J'hochai résolument la tête, avant de sortir ma baguette et de le rejoindre sur la berge. Avec un peu de chance, on la trouverait aujourd'hui!

Nous découvrîmes une cardamine hérissée ce jour-là, ainsi que trois cardamines impatiens -ou herbes du diable-, et deux dentaires palmées d'un violet magnifique... mais pas de cardamine bulbifera.

Et malgré tout notre acharnement, nous ne trouvâmes pas trace de la plante avant les premières neiges. Ce n'était que partie remise bien sûr, dès la fin des vacances d'Hiver nous reprendrions les recherches... j'étais déçue tout de même, de devoir attendre plusieurs mois pour commencer mes expériences.

-On finira bien par la trouver! Mais comme elle est vraiment rare ça peut prendre encore un peu de temps; grimaça Neville.

Nous étions à table pour le dîner avec Harry, Ron, Hermione qui parcourait le Daily Prophet d'aujourd'hui; et tous au dessert. Je mâchonnai mollement ma part de gâteau au chocolat en jouant du bout de la fourchette avec les deux petits sapins en sucre dur.

-Allez, fais pas cette tête! Oh, et j'ai une super nouvelle! S'exclama soudain Ron.

Je la relevai, le coeur battant, pour repousser quelques mèches trop longues de devant mes yeux et le fixer. Si seulement ça pouvait être...

-Mes parents m'ont écrit du Terrier, et vous êtes tous invités à passer Noël avec nous!

Hermione quitta le Daily Prophet du regard pour lui en adresser un chaleureux, celui de Harry et le mien étaient étincelants de joie. Passer un Noël au Terrier, avec mes amis, c'était vraiment une super nouvelle!

-Génial!

-Merci Ron!

Notre rouquin de meilleur ami avait un gigantesque sourire et assez d'enthousiasme pour oublier d'engloutir les trois éclairs au café dans son assiette.

-Nev', tu viendras? Demandai-je alors que Ron racontait toutes les bêtises inventées par Fred et Georges pour les fêtes de fin d'année.

Il... déclina, voulant passer du temps avec sa grand-mère. Je me doutais aussi de combien il aurait été dur pour lui de se laisser aller, de fêter Noël, le Nouvel an, ou quoi que ce soit d'autre.

Il se replongea dans l'étude de son magazine sur les hybrides, et je dus abandonner la partie avec regret, pour être aussitôt happée par l'enthousiasme de mes meilleurs amis.

Ce serait notre premier Noël ensemble depuis la chute de Voldemort et nous comptions bien en profiter! Un Noël tous ensemble! Au Terrier!

Et plus jamais aucun Noël au manoir des Lumare, plus jamais...

Je me couchai cette nuit-là, heureuse de la nouvelle, mais le coeur dévoré par l'ombre noire que mes cogitations avaient réveillée. J'avais repensé à mes Noëls au manoir, toute l'horreur de mes leçons, mon oncle et ma tante qui hurlaient et leurs regards déments, le sang, le sang...

Je ne pouvais pas m'en débarrasser, j'avais beau me retourner dans mon lit, garder une boule de lumière flottante au-dessus de ma tête, je n'étais pas apaisée. Je n'y arrivais pas!

Tous les souvenirs ressurgissaient en torrents violents, je n'arrivais pas à lutter! Pas à les repousser!

J'avais mal! S'il vous plaît!

"Il neigeait dehors, au-delà des fenêtres de la salle d'entraînement. Moi je m'y tenais debout, les mains dans le dos, j'attendais, le regard vide.

-Comment tue-t-on sans baguette, petite Lumare? Questionna mon oncle, en s'avançant.

Squelettique, il approchait comme une araignée. Ma grosse tante, assise dans son fauteuil de velours rouge, près des miroirs, m'observait de ses yeux bovins injectés de sang. Je les haïssais.

-On peut utiliser le poison, la pendaison, mon oncle. La strangulation, la noyade, le démembrement, écraser le corps aussi, le faire brûler...

Mon oncle m'interrompit violemment, sifflant:

-Quel est le moyen le plus rapide?

...

-Le poignard, mon oncle; lâchai-je.

C'était la réponse qu'il attendait, ses joues décharnées se fendirent d'un sourire mauvais, et il sortit sa baguette. Une table apparut à ma droite, une dizaine de poignards au-dessus...

Et puis un chaton à mes pieds. Il était maigre et sale, tremblait, des épis de poils se dressaient un peu partout sur son corps. L'animal ne semblait pas pouvoir bouger autre chose que ses grands yeux verts effarés.

-Le poignard... L'arme la plus sûre après la baguette. Il faudra apprendre à la manier, et à tuer. Tu ne rentreras au service du Seigneur des ténèbres qu'une fois capable de t'en servir, c'est compris?

-Oui, mon oncle.

Puis il me demanda de prendre un couteau, d'agripper le chaton par le cou. J'obéis.

Il se débattait à peine, il était tout chaud, son poil très doux.

-Tue-le.

Je relevai les yeux vers mon oncle crispé au milieu de la pièce, l'attention rivée sur le félin entre mes doigts, puis vers ma tante penchée dans son fauteuil pour mieux voir.

Je revins au chat. Il brassait un peu l'air de ses pattes avant.

-Tue-le!

Cette fois, à cet ordre, la lame siffla et se ficha dans la poitrine du chaton. Ses os se brisèrent et j'enfonçai le poignard encore plus loin, jusqu'au coeur. La boule de poil cracha, se débattit, et tressauta, tressauta... Le sang, le sang... partout... Elle finit par se figer.

Je la laissai s'écraser sur le sol de la salle d'entraînement.

Leurs regards fous, leurs applaudissements, et ce sang, sur mes mains, mon bras, partout sur mes vêtements, partout... S'il vous plaît!"

Je me débattais, et suppliais pour que tout s'arrête. S'il vous plaît... s'il vous plaît... Je ne voulais pas voir ça, pas la suite de l'entraînement, plus tout ce liquide rouge et sombre qui gouttait de mes doigts. S'il vous plaît... Les larmes roulaient sur mes tempes et je me tournais dans mon lit, et j'avais besoin d'aide. S'il vous plaît!

-Chut, Khorine... Tu es en sécurité, calme-toi...

La voix était profonde, calme... calme... calme... Le matelas se creusa sous un poids nouveau et puis je ne sentis plus que la chaleur de ce corps contre le mien, ces bras qui m'enserraient. Le murmure continua, doux. J'en avais tellement besoin! Besoin qu'il continue, qu'il me parle encore, qu'il ne m'abandonne pas.

Ne m'abandonne pas...

Je cachai mon visage contre la chemise sous mes doigts, pour sangloter dans mon sommeil.

L'étreinte se resserra. S'il te plaît...

o oo0oo o

J'observais sans vraiment le faire les lacs d'Ecosse par la fenêtre du Poudlard Express...

Ce serait bientôt Noël, et j'étais invitée au Terrier, mais j'avais du mal à refouler les souvenirs des atrocités de mon enfance. Je... C'était le sang, les meurtres que j'avais commis, les râles d'agonie...

Et puis j'avais reçu ma lettre pour Poudlard. J'avais attendu et attendu tout l'été de mes onze ans que la rentrée ne commence, cette rentrée qui avait tout changé... Ce jour-là, dans ce train, je m'étais enfermée dans un wagon que je croyais libre, en fait déjà occupé par Hermione. Elle lisait un énorme grimoire, et m'avait sauté dessus à peine la porte refermée. J'aimais bien les livres.

Et puis Hermione m'avait parlé des différentes maisons de Poudlard, quand je ne connaissais que Serpentard, raconté toute la magie du château, tenu absolument à me montrer des passages du vieux livre entre ses mains. Nous avions passé presque tout le trajet côte à côte, à tourner ses pages jaunies.

J'étais une enfant désobéissante et Hermione Granger ressemblait fortement à l'amie que je n'avais jamais eue. Alors, le soir de la répartition, je demandai au choixpeau de m'envoyer à Gryffondor. Mon oncle et ma tante m'avaient reniée quelques semaines plus tard par l'intermédiaire d'une Beuglante humiliante... Puis Ron, un peu après, était venue me voir pour me dire qu'il était aussi un traître à son sang. Un Harry chétif l'accompagnait, nous fixant tous les deux de ses deux grands yeux verts.

On s'était connu comme ça.

Et j'avais été recueillie au Terrier dès les premières vacances d'été. J'avais compris ce que voulait dire le mot famille. Les Weasley m'avait sauvée... je pense.

-Hey Khor, t'en fais une tête! Alors que c'est bientôt Noël! S'exclama Ron.

Je tentai mon sourire le plus convainquant alors que la plupart de nos amis levaient les yeux au devait l'avoir rappelé une bonne centaine de fois, rien qu'aujourd'hui, et sachant que la journée était loin d'être terminée... Ginny soupira:

-Je vais voir des amis, je vous laisse avec le Weasley extatique de ce wagon.

Elle embrassa rapidement Harry au coin des lèvres puis se leva pour nous quitter. Le brun lui sourit, puis s'empourpra sous le regard sombre de Ron. Le Weasley extatique s'était changé en Weasley grognon semblait-il.

-Eh bien Ron t'en fais une tête! Alors que c'est bientôt Noël; le taquinai-je.

Il grogna tandis qu'Hermione et Neville souriaient de derrière leurs grimoires.

Le voyage se poursuivit tranquillement et puis nous dîmes au revoir à Neville sur le quai de King's Cross et retrouvâmes M. et Mme Weasley ainsi que les jumeaux. Ils nous mirent dans l'ambiance dès le début en posant d'autorité un bonnet rouge et vert, à grelot, sur la tête.

Les vacances commençaient bien!

Et elles continuèrent tout autant, avec la cuisine de Mme Weasley, les blagues de Fred et Georges, nos jeux, nos achats de Noël sur le chemin de Traverse, les devoirs à faire sous l'autorité d'Hermione. On était sorti aussi choisir un sapin, et puis M. Weasley avait sorti toutes les décorations de Noël du grenier et nous avions passé toute une journée à courir partout pour toutes les accrocher. Il y avait des guirlandes dorées, rouge et or, vert sapin, des cloches, des grelots, un gnome pétrifié et coiffé d'un énorme étoile jaune qu'on avait accroché tout en haut du sapin, des bannières habitées par des rennes de Laponie qui se relevaient parfois sur leurs pattes arrières pour chanter des chansons bizarres... Noël au Terrier, quoi!

Le 24 Décembre, nous descendions tous l'escalier en plaisantant, et déguisés. Même Ginny n'avait pas pu y échapper. Nous portions nos costumes de lutin du Père Noël.

Harry et Ron avaient des vestes à gros boutons dorés, des pantalons rouges et des chaussures à bout recourbé. Pour nous c'étaient des robes qui allaient avec nos bonnets. Celles de Ginny finissant par de nombreux volants, celles d'Hermione par une bordée de grelots et la mienne décorée d'un fin duvet blanc, fendue à mi-cuisse. On avait les longues chaussettes rayées qui allaient avec, des chaussures de lutin, des poches que Mme Weasley avait remplies de cannes sucrées rouges et blanches, et l'obligation -bien sûr- d'en offrir à tous nos visiteurs!

Harry s'était rué sur Remus et Tonks lorsqu'ils avaient passé le pas de la porte. Ils ne faisaient que passer avant de rejoindre la fête organisée par la division d'Aurors de Tonks, mais n'avaient pas manqué de nous féliciter pour nos déguisements et d'accepter toutes nos cannes de sucre.

Shackelbot était venu aussi...

Peu après les jumeaux étaient descendus, déguisés en renne. Ils avaient les bois qui allaient avec bien sûr, ce qui était hilarant à chaque fois qu'ils voulaient passer une porte.

On mangea de bon coeur ce soir-là, Ron particulièrement fit honneur aux petits fours, à la dinde aux marrons, aux pommes de terre, et à la bûche de Noël, et aux bonbons dans les coupelles.

Hermione observait tout cela en secouant la tête, provoquant une nuée de tintements de grelots, Harry et Ginny se tenaient l'un contre l'autre à table, les jumeaux racontaient des bêtises, M. et Mme Weasley déguisés en Père et Mère Noël essayaient de les maintenir en place...

Et puis ce fut l'heure des cadeaux!

Ils étaient arrivés toute la journée par hiboux et il y en avait à présent beaucoup au pied du sapin.

-Les cadeaux! Lança Ron en voulant se ruer de la cuisine au sapin du salon.

-Ronald Weasley, vas-tu attendre un peu que tout le monde ait fini de manger!

Je me dépêchai d'engloutir ma dernière part de bûche.

-Ca y est!

Il n'en fallut pas plus pour qu'il court en direction du sapin, bientôt suivi par Harry, Ginny, Hermione, moi , Fred et Georges.

Le salon était empli de rires, les plaisanteries; Ron qui arrachait l'emballage de son plus gros paquet, M. et Mme Weasley qui nous observaient depuis la cuisine, Fred qui se faisait gratter le dos par un des bois de Georges, Ginny et Hermione qui discutaient un cadeau dans les mains en observant Ron, et Harry qui fixait tous ces cadeaux pour lui et qui en était encore étonné.

Ca sentait la dinde et les pommes de terre, et les bonhommes en pain d'épice encore dans le four. Et j'étais bien, je me sentais à ma place, en sécurité.

J'en avais les larmes aux yeux et le coeur serré. Avant mes onze ans, toutes ces fêtes étaient une torture, devoir manger longtemps à la même table que mon oncle et ma tante, suivre leurs conversations illuminées sur Voldemort, et puis recevoir leurs cadeaux, être obligée de sourire, d'avoir la réponse appropriée alors que je ne voulais rien recevoir d'eux!

Ici, c'était différent. Ici j'étais aimée...

On sonna à la porte, et je revins un peu à la réalité. J'attrapai mon premier cadeau sous le regard machiavélique des jumeaux... pour, en l'ouvrant, ne trouver qu'un adorable petit angelot en céramique.

-Il est tellement mignon! S'exclama Ginny par-dessus mon épaule.

Elle tendit la main pour le toucher mais à peine ses doigts l'eurent-ils effleuré qu'il sembla se réveiller et siffler d'un ton boudeur:

-J'suis pas mignon!

Nous sursautâmes toutes les deux, un rapide coup d'oeil aux jumeaux encornés me fit découvrir leur air diabolique. J'avais un horrible pressentiment.

-J'suis pas mignon, nom d'une boule de neige! Et j'en ai ras le bol de punch, de toutes ces gnomeries de Noël! Tous ces gamins aux sourires niais!

La figurine s'ébrouait dans la boîte, étirant ses ailes.

-Je suis ton cadeau, c'est ça? Me balança-t-il, mauvais.

-J'hésite à te qualifier de cadeau; rétorquai-je, un sourcil relevé.

Ginny gloussa, l'angelot en fut d'autant plus rageux. Il commença à s'élever dans les airs, ses larges ailes battant furieusement dans son dos.

-Pas assez bien pour toi, peut-être? Ou peut-être que tu voulais un paquet plus gros, comme ton imbécile d'ami rouquin?!

Ron protesta, et arrêta même de déballer son cadeau. L'ange lui renvoya un sourire dédaigneux.

-Z'êtes qu'une bande d'imbéciles heureux à ricaner comme des pères Fouettards en vous remplissant la panse! Et si vous pensez que je vais vous laisser ouvrir tranquillement vos énormes paquets sans rien faire, vous vous mettez la baguette dans l'oeil jusqu'au NFCP!

Le noyau fibreux central du périnée? Comme est-ce qu'il savait ça lui?

J'interrogeai du regard les jumeaux Weasley qui jouèrent les perplexes, ça rendait bizarre dans leurs déguisements de rennes.

-Bon ça suffit; lâchai-je en sortant ma baguette. Stupéfix!

Le sortilège fusa dans les airs... et fut évité. Merlin, j'étais mal! Le regard de l'ange vira au noir, noir complet. Et il poussa un rugissement phénoménal avant de voler jusqu'au sapin pour arracher des boules dorées. Il me balança la première en hurlant de terribles imprécations. J'évitai de justesse.

Hermione, Harry et Ginny voulurent l'arrêter, ils se prirent une flopée de cloches, de chocolats, de guirlandes dans la figure.

-Stupefix, par les chaussettes de Merlin! Sifflai-je.

Mais mon sortilège le manqua encore! Et cette fois je fus bonne pour la course.

-Je suis l'ange de Noël! Vous me devez le respect, tous! Ou je lancerai les sept rennes du Père Noël et l'armée des bonhommes de neige de Laponie et les mille neuf cent quatre-vingt-treize lutins de ses ateliers à votre poursuite!

Il délirait complètement en balançant tout ce qui lui tombait sous la main. Je fusai hors du salon, dans la cuisine où il manqua de faire exploser la porte du four avec un petit traîneau en céramique. Les sortilèges que lançaient mes amis étaient inefficaces et peut-être plus dangereux que l'ange lui-même.

-Je vous maudis! Je vous maudis tous!

Un verre siffla près de mon oreille droite, je l'évitai de justesse en roulant sur le côté, puis me relevai dans le couloir de l'entrée. M., Mme Weasley, Dumbledore, les bras chargés de crackers, et Rogue me fixaient depuis son extrémité, les yeux ronds pour la plupart, un rien de malice dans ceux du directeur, et ceux de son professeur de Potions... Je n'eus pas tellement le temps d'y faire attention comme une fourchette sifflait dans les airs. Je me baissai aussitôt, avant de reprendre ma course, droit devant.

-Que Jack Frost et un millier de tempêtes de neige vous ensevelissent tous! Je vous maudis!Waaah!

Je dus aussi me jeter de côté pour éviter un des sortilèges de Ron.

-Tu m'aides pas là, Ron! Hurlai-je par-dessus le boucan que faisait l'angelot.

J'essayai un Petrificus Totalus qu'il évita trop facilement, faillis être touchée par une boule de noël, manquai d'être frappée par plusieurs sortilèges de mes amis et puis... un maléfice d'Hermione s'abattit enfin sur l'ange! Il s'écroula sur le parquet du couloir.

Un silence pesant tomba sur le Terrier... pesant... Avant que Molly Weasley n'explose:

-Qui...a... fait ça?!

Ginny, Harry, Hermione et Ron, tous essoufflés et déguisés en lutins, fixèrent les deux jumeaux diaboliques. Ils passèrent la tête à l'extérieur de la cuisine, une moue contrite sur le visage, toujours coiffés de leurs cornes de rennes. Oh Merlin... Mme Weasley fusa vers eux en balançant des menaces qui ressemblaient étrangement à celles de l'ange, tous mes amis repartirent dans le salon. J'étais à bout de souffle, et retirai mon bonnet qui avait tenu par miracle jusqu'ici, pour tenter de le retrouver, les mains sur les cuisses.

-Quelle soirée mouvementée; lança finalement le professeur Dumbledore tandis que Fred et Georges se faisaient enguirlander dans le salon! Un cracker?

J'inspirai et puis répondis en me redressant un peu que j'avais de bonnes raisons de m'en méfier. Mes cheveux sombres et ondulés étaient en pétard, encore plus que d'habitude, ils cascadaient jusque dans le dos de ma robe de lutin, j'avais les joues rouges et je n'aurais jamais cru que je me présenterais ainsi devant deux professeurs de Poudlard...

-Que d'à priori! Alors que mes crackers de Noël sont tout ce qu'il y a de plus innoffensifs.

Un reniflement sarcastique de Rogue lui répondit et le vieil homme se retrouva à sourire, de la même façon que les jumeaux un peu plus tôt. Innoffensifs, hein?

M. Weasley qui ne voyait pas encore le danger en accepta quelques uns.

-Nous laisserons le reste à la fête que donnent les Aurors au Ministère, Rufus ne prévoit jamais assez de crackers; nous apprit Dumbledore avant que M. Weasley ne partent les déposer dans la salle à manger. Belle robe par ailleurs, Miss Lumare!

Je souris un peu. J'aimais bien, moi aussi, celle que m'avaient choisie les jumeaux. Elle avait de petites épaulettes poursuivies par des manches rouges qui descendaient jusqu'à m'entourer les pouces de tissu, un col à duvet blanc se poursuivant tout le long de la robe sapin jusqu'au bas fendu à mi-cuisse et complétée par les longues chaussettes rayées et les chaussures à bouts recourbés... La tenue de Dumbledore aussi était remarquable.

L'éternel chapeau qu'il portait était orné de plusieurs grelots et représentait un sapin sous la neige tandis que la robe de sorcier montrait une floppée de rennes qui volaient tout le long du tissu au-dessus de plusieurs bonhommes de neige jouant aux cartes.

Je remis mon bonnet de lutin.

-Vous aussi professeur.

Et puis je jetai un coup d'oeil aux vêtements du dernier professeur du couloir. Rogue. Vêtu de son éternelle cape noire, de sa robe noire, de son pantalon et de ses chaussures cirées, noires.

Dumbledore ne tarda pas à faire de même, et Rogue à se renfrogner.

-Quoi? Siffla-t-il, en fusillant son supérieur du regard.

Celui-ci se tourna vers moi, les yeux azurés pétillant de malice.

-Il ne vous resterait pas un dernier costume de lutin à tout hasard?

Rogue siffla une menace particulièrement horrible et j'étais sûre que j'allais le regretter à la rentrée mais répondis avec beaucoup de nonchalance:

-Il doit nous rester un bonnet à grelot... et une paire de chaussures recourbées.

-Hmm, hmm; murmura Dumbledore en retournant son attention sur Rogue.

Ce dernier blêmissait un peu, ses mains tremblaient, et il ne regardait que le directeur de Poudlard. Il n'avait pas l'air très bien, encore un peu plus malade que durant les derniers mois.

Je regrettai de m'être moquée de lui.

Et M. Weasley revint sur ces entrefaits, rayonnant dans sa tenue de Père Noël. Cela semblait le bon moment pour s'éclipser...

-Eh bien Khorine, tu n'as pas encore rempli ton devoir envers nos invités?

De quoi est-ce que... Oh, j'avais failli oublier! Je me dépêchai de fourrer ma main dans la poche de ma robe pour en tirer les deux cannes sucrées restantes et les présenter à Rogue et Dumbledore.

-Hum... Joyeux Noël! Lançai-je, assumant le ridicule jusqu'au bout.

Le directeur s'empara d'un des deux bonbons en s'esclaffant, mais mon professeur de Potion ne fit pas un geste vers le sien. Je l'observai, un peu inquiète, et nos regards se percutèrent.

Le sien était si sombre et profond, abritant comme un trou noir qui s'effondrait sur lui-même. C'était... Rogue finit par me l'arracher des mains.

Je fus un peu déstabilisée; et puis l'appel de Harry éclata au bout du couloir:

-Tu viens, Khor?

Je secouai la tête, choisissant résolument d'ignorer les bizarreries de Rogue, puis me dépêchai de le saluer, de saluer le directeur, avant d'enfin rejoindre mes amis dans le salon. J'avais des cadeaux à ouvrir, moi!