Chapitre 1
La poussière et les cendres collaient à leurs peaux en sueur. Des éclaboussures de sang marbraient leurs vêtements. Harry tremblait, le poing serré sur sa baguette. Hermione et Ron à sa droite fixaient les mangemorts qui peu à peu s'avançaient pour les encercler. Khorine, à sa gauche, haletait, les deux mains crispées sur l'épée de Gryffondor pleine de sang de troll. Il y avait dans les yeux des Gryffondor un éclat sans âge et un défi inébranlable et farouche. Tant qu'ils se tiendraient ensemble, côte à côte, rien ne les atteindrait. Khorine se retourna, ainsi que Ronald, pour former un cercle, dos à dos, tandis que d'autres mangemorts apparaissaient derrière eux. Cinq mangemorts s'avancèrent jusqu'à Voldemort, ils portaient un corps sans vie qu'il attrapa par le cou et leva à hauteur d'yeux. Khorine et Ronald se retournèrent, et tous tremblèrent d'horreur. Remus.
-Ne le touche pas; hurla Harry en s'avançant.
Un sourire sadique étira le visage reptilien du Seigneur des Ténèbres. Ses yeux rouge écarquillés suivaient les mouvements d'Harry.
-Quel dommage, un loup-garou si affectueux.
Harry brandit sa baguette.
-Harry, non! Cria Hermione.
Un sortilège violet fusa vers Voldemort. Il le dévia sans même y faire attention. Et le sortilège explosa contre un pilier du Hall qui fut coupé en deux. Il s'effondra. Le plafond s'affaissa, avant de céder dans un grondement de tonnerre. Des pierres géantes et des piliers et des arcades s'écrasèrent dans le Hall. Et puis plus rien. La poussière cachait tout. Elle finit par retomber. Voldemort se tenait debout, entouré des restes d'un puissant bouclier. A ses pieds des mangemorts agonisaient, écrasés par les pierres. La moitié du corps de Bellatrix avait été arraché mais elle tenait encore la tunique de son maître. Il ne lui adressa pas un regard, ni à elle, ni à son armée décimée. Il s'approcha de l'endroit où s'était trouvé le Survivant.
Il fit léviter des pierres, une colonne entière, et trouva enfin ce qu'il cherchait. Le corps écrasé d'Harry Potter. Il eut un rire triomphant. Fenris, Lucius, Narcissa et Rogue sortirent des décombres et vinrent le rejoindre.
-Le Survivant vient de nous quitter; siffla-t-il avec un sourire déformé.
Ses mangemorts restèrent silencieux, incertains, il y avait quelque chose qui vrillait dans les yeux reptiliens. Il pointa sa baguette sur le corps sans vie et d'un revers du poignet l'éviscéra. La peau s'écarta et le sang et les viscères du garçon se répandirent doucement sur le sol.
-Maître; tenta Fenris.
Il fut interrompu d'un geste de la main. Voldemort fixait avidement ce sang qui gargouillait hors de la plaie. Il posa la main sur le crâne défoncé et le caressa, avant d'appuyer dessus. Un craquement mouillé résonna dans ce qu'il restait du Hall. Les Malfoy se détournèrent tandis que Fenris fixait son maître en souriant, et que Rogue restait impassible.
-Et les amis de Potter?
Les mangemorts s'éloignèrent pour soulever d'autres pierres. Narcissa trouva le corps d'Hermione Granger, le contenu de son crâne répandu sur les dalles. Fenris trouva Weasley, la cage thoracique écrasé par la tête d'une colonne. Rogue trouva Khorine. Elle gémissait entre ses mâchoires serrées, la jambe gauche broyée par la colonne. Elle posait son front baigné de sueur contre la lame de l'épée de Gryffondor. La douleur l'aveuglait. Mais, lorsque les roches furent soulevées, elle se leva, se retenant à son épée, faisant face à Rogue. Il ne leva pas même sa baguette, et, avec une lenteur désespérée, Khorine tourna la tête. En premier, elle vit le cerveau d'Hermione sur les dalles, puis les jambes de Ronald sous les pierres et Voldemort agenouillé dans une mare de sang.
Un gémissement inhumain lui arracha la gorge. Elle tenta de d'avancer, de s'approcher d'eux en se retenant sur l'épée, mais sa jambe craqua, elle dérapa dans son propre sang et tomba en heurtant sa tête. Elle perdit connaissance. L'épée de Gryffondor disparut.
Voldemort finit par se relever et à détourner les yeux d'Harry pour les poser sur la fille. Au loin, le bruit des derniers combats faiblissaient. Une horreur glacée parcourait les derniers membres de l'Ordre. La rumeur circulait qu'Harry Potter était mort.
-Que faire d'elle? Demanda pensivement Voldemort en faisant tourner la baguette de sureau entre ses doigts.
-Tuons-la maître! Comme exemple; lâcha Fenris.
Lucius blêmit mais ne dit rien, Narcissa intervint:
-Il y a eu assez de mort aujourd'hui, et ce n'est qu'une enfant.
-Une traîtresse à son propre sang!
Voldemort leva la main. Il se tourna ensuite vers Rogue:
-Une suggestion, Severus?
Avec lenteur, sans quitter la fille évanouie des yeux, il proposa:
-Nous pourrions en faire l'image de la rédemption, l'amie du Garçon-Qui-Avait-Survécu, désormais au service du Seigneur des Ténèbres.
Un ricanement échappa à Voldemort, il hocha la tête.
-Bien. Severus, occupe-toi de la rédemption.
Rogue s'inclina. Puis Voldemort obligea Lucius à prendre le cadavre d'Harry Potter dans ses bras et à le suivre, avec Narcissa et Fenris, jusqu'aux grandes portes défoncées, et jusqu'au parc où se déroulaient quelques-uns des derniers combats. Un soleil rouge sang pointait à l'horizon.
-Harry Potter est mort; annonça-t-il. Rendez-vous et Lord Voldemort saura faire preuve de clémence.
Ces mots résonnèrent dans toutes les têtes. Le professeur McGonagall détourna les yeux, pinçant les lèvres du plus fort qu'elle pouvait, Molly tomba à genoux, des larmes échappèrent à Arthur, à George et aux autres survivants. Ils n'étaient plus qu'une poignée. Ils n'étaient pas assez pour affronter le reste de l'armée de Voldemort.
-Repliez…vous; murmura McGonagall d'une voix inaudible.
Voldemort tourna la tête vers elle.
-Repliez-vous! Cria-t-elle. Au quartier général!
Le craquement des transplanages retentit aussitôt. Voldemort lui lança un sortilège d'un vert poison que McGonagall dévia, presque sans le voir, elle cherchait des élèves qui ne connaîtraient pas le QG. Flitwick, Chourave et Septima rassemblèrent un maximum d'étudiants, les protégeant de nuées de sorts tandis qu'ils couraient vers eux. Deux Serdaigle n'allaient pas assez vite, elles se prirent un sortilège dans le dos et tombèrent sans un bruit. Flitwick ferma les yeux, puis le dernier étudiant vivant atteignit leur petit groupe, il inspira, puis transplana.
Neville se tenait près de Seamus, figé, mais le regard plein de colère. McGonagall les rejoignit. Elle dévia plusieurs sortilèges de mort.
-Nous reviendrons Londubat. Allez, accrochez-vous. Finnegan!
Elle dévia un dernier sortilège, puis transplana.
Il y eut un silence de mort.
Des vivats s'élevèrent de la foule de mangemorts. Ce fut ainsi que l'Ordre perdit la Bataille de Poudlard, le 2 mai 1998.
oOo
Quelque chose pulsait, du sang ou bien de la douleur, qui lui parvenait, par vague, de plus en plus fort. Cela finit par devenir insoutenable et Khorine se réveilla en gémissant entre ses dents. Des râles lui échappèrent. Son corps était couvert de sueur, et sa tête brûlait. Sa jambe gauche tressautait. La souffrance lui enserrait la tête comme un étau. Il n'y avait que la souffrance, elle ne pensait pas, elle ne pouvait pas, elle ne voulait pas penser. Elle tenta de rouler sur le côté, la douleur se multiplia et des larmes lui échappèrent. Un autre râle quitta ses mâchoires serrées.
L'instant d'après, un craquement sec retentit. Khorine tressauta violement et sa vue se voila.
-… demande… Miss…
Ses oreilles bourdonnaient. Elle mit du temps à comprendre.
-Winky demande pardon à Miss, Miss doit ouvrir la bouche.
L'elfe prit de la table de chevet deux fioles en cristal remplies de potion.
-W… Winky? Haleta Khorine. Où…
-Miss doit ouvrir la bouche, Miss; la pria l'elfe une fois encore.
Elle comprit, et entrouvrit les lèvres où Winky versa le contenu des fioles. Puis elle garda les mâchoires serrées et le corps figé le temps que la potion fasse effet. Peu à peu, la douleur reflua.
-Où…; tenta-t-elle alors.
Elle entraperçut l'elfe tirer sur ses oreilles et reculer puis avancer. Elle ne comprenait pas.
-Winky ne peut rien dire à Miss, Miss. Miss doit d'abord se reposer.
Son esprit devenait cotonneux. Elle était attirée vers les profondeurs d'un sommeil sans rêve et n'avait pas la force de résister.
-Win…
Ses yeux se fermèrent. Sa tête retomba. Winky s'éloigna en tirant sur ses oreilles, puis transplana. Quelques temps plus tard la porte de la chambre s'ouvrit et une ombre s'approcha du lit. Rogue s'arrêta à quelques pas d'elle. Il la fixa. La respiration de la sorcière était encore irrégulière, il y avait du sang sur les draps et ses membres étaient crispés. Ses longs cheveux noirs sales retombaient en lourdes boucles sur l'oreiller et le matelas. L'odeur du sang et de la sueur prenait à la gorge. De longues minutes passèrent. Rogue ne bougeait toujours pas.
Un son étranglé échappa à la sorcière, des soubresauts lui soulevèrent la poitrine et son visage se crispa. Puis une larme. Elle lui échappa. Une autre. Elles roulaient le long de ses tempes pour se perdre dans les cheveux noirs. Même dans son sommeil la gamine refoulait sa douleur. Typique. Les sanglots étouffés durèrent de longues minutes, avant de s'éteindre parce qu'elle n'avait plus de force.
Rogue porta la main à sa manche pour en sortir sa baguette d'ébène. Il la fit rouler entre ses doigts, la fixant toujours. Mais, finalement, la rangea et après une dernière hésitation ferma la porte et se fondit dans l'ombre.
Lorsque Khorine se réveilla la seconde fois, sa jambe était guérie. La douleur physique avait disparu. Son visage se crispa. Et puis cette émotion passa et plus rien ne fut lisible sur ses traits. Ses yeux gardèrent un instant encore une lueur fugace, qui s'éteignit. Elle resta allongée, sans bouger, sans penser, respirant à peine.
Ne pas penser.
Un gigantesque rempart semblait dressé dans son esprit, la coupant de tout. C'était mieux ainsi.
Elle ne ressentait rien, rien qu'un grand vide qui se creusait dans sa poitrine, s'élargissait. Un grand vide. Un grand rien.
Elle pourrait rester ainsi pour toujours. Sans utilité, à l'abri, loin de tout. Pourquoi faire? Elle ne servait à rien. Voldemort était toujours en vie. Nagini était toujours en vie. Son dernier horcruxe.
À présent, cela n'avait plus d'importance.
Ils avaient été si proches d'en finir.
Quel intérêt à présent?
Winky apparut avec un plateau de soupe et de pain. Elle se laissa faire, ouvrant la bouche lorsque la cuiller forçait ses lèvres, déglutissant par réflexe. Khorine y fit à peine attention, son regard brumeux était perdu bien plus loin. Les jours passèrent.
Il y avait peut-être des survivants de l'Ordre. Elle pensa aux Weasley, à Remus… Son esprit se ferma.
Un autre jour passa. Elle ne bougeait pas.
Pour qui se battrait-elle? Il n'y avait plus personne.
Son esprit replongea dans le néant.
Sans épée… Sans ami… Sans famille… Sans avenir…
Le soleil lui brûla soudain la rétine. Ses paupières tressaillirent. Il y avait une ombre et cette voix qu'elle haïssait autrefois. Elle ne comprenait pas. Elle entendait les mots, mais…
Le crépitement d'un sortilège et puis la douleur, s'insinuant, partout. Elle tressauta. Un sourire sans joie lui échappa. Elle l'avait attendue, cette douleur. Le doloris prit fin. Elle cligna des yeux. Rogue se trouvait dans la chambre, la baguette encore pointée sur elle.
-Levez-vous.
Elle comprit cette fois. Mais elle ne bougea pas. Un nouveau doloris zébra l'espace et la percuta. Elle en perdit le souffle et tressauta violemment contre le matelas. Sa tête cognait contre le bois du lit. Tout son corps se réveillait, et hurlait de douleur.
Elle finit par retomber contre le lit, haletante.
-Vous souffrez, Lumare, n'est-ce pas? S'insinua la voix doucereuse du nouveau directeur de Poudlard. Alors pour le supporter vous vous enfermez dans votre esprit et vous vous laissez mourir en priant pour que la Mort prenne pitié de vous.
Un rictus méprisant apparut sur le visage sec.
-Vous n'y parviendrez pas. Mon elfe vous soigne, vous nourrit et votre corps va vous trahir.
Quelque chose comme de la rage naquit brièvement en elle, puis disparut ; ses yeux redevinrent brumeux.
-Lumare, vous ne pouvez pas mourir, vous m'appartenez. Cependant, d'autres ne sont pas aussi chanceux. J'ai en cet instant dans les cachots quelques élèves qui ont pris part à votre petite révolte, parmi lesquels les soeurs Patil.
Il fit une pause pour laisser l'information pénétrer.
-Vous allez vous lever, vous agenouiller et me prêter serment. Dans le cas contraire, vous aurez à déplorer bien plus que la perte de vos trois amis.
La rage revint, plus forte, et claqua dans l'obscurité de son esprit comme un faisceau électrique.
-Suis-je assez clair? Dans ce cas, pour la dernière fois Lumare, levez-vous.
Khorine crispa les mâchoires, puis rejeta ses draps. La jeune femme était encore dans la chemise blanche qu'elle portait à la guerre, tâchée de sueur et de sang et déchirée, mais Winky avait dû enlever son pantalon pour réparer sa jambe. Elle était en culotte et l'on voyait la grande cicatrice rosée qui courait tout le long de sa jambe gauche et différents hématomes verts et jaunes qui se résorbaient lentement. Khorine poussa sur ses bras faibles et parvint à se relever, ses jambes la soutinrent ensuite, sur quelques pas, avant qu'elle ne s'agenouille devant Rogue.
-Tendez la main gauche.
Elle obéit et sentit bientôt la morsure d'un couteau dans sa paume. Elle ne broncha pas. Ensuite Rogue s'entailla la main droite et sa main fut dans la sienne et un cercle magique les enveloppa.
-Khorine Aster de Lumare, engagez-vous à suivre un apprentissage auprès du Maître Severus Tobias Rogue jusqu'à son terme?
Il y eut un silence. Le cercle tremblotait autour d'eux. La poigne de Rogue se fit plus cruelle.
-Je m'y engage; souffla la sorcière.
-Engagez-vous à lui obéir en tout?
-Je m'y engage.
-Engagez-vous à ne pas attenter ni à votre vie ni à la sienne tant que ce contrat sera en vigueur?
Khorine tressaillit mais baissa les yeux encore une fois.
-Je m'y engage.
Sa voix se brisa sur les derniers mots, alors Rogue relâcha sa main, et le cercle se referma sur leurs deux poignets qui furent marqués d'une fine ligne. Le bras de Khorine retomba.
-Levez-vous; lâcha Rogue.
Elle resta agenouillée, les yeux dans le vague. Et puis elle sentit le cercle à son poignet commencer à la démanger. Elle cligna des yeux. La douleur augmenta rapidement et bientôt de fines gouttes de sang perlait. Un frisson la parcourut et elle accueillit la souffrance comme une vieille amie. Un éclat bleuté se développa autour de son bras et d'un coup, il fut attiré vers le haut et elle fut obligée de se lever. Elle trébucha devant Rogue qui la fixait. Elle releva la tête et rencontra par inadvertance son regard. Il était plein de mépris et pendant un fugace instant elle s'en voulut d'aimer cette douleur. Ensuite son regard se voila et elle ne ressentit plus rien du tout.
-Vous empestez Lumare, allez vous laver.
Elle hocha simplement la tête. Il partit. Elle se sortit dans le couloir et tenta d'ouvrir les portes aux alentours, elle trouva la salle de bain du troisième coup, à gauche de sa chambre. Winky était déjà passée par là, il y avait une serviette éponge et des vêtements propres posés sur le bord de la baignoire. Elle fit couler l'eau, trouva une brosse et du savon.
Elle finit par se glisser dans l'eau brûlante et prit la brosse. Elle se mit à frotter. L'eau prenait une teinte grise. Quelque chose monta en elle, de la colère. Elle ne voulait pas se laver. C'était tout ce qui lui restait d'eux, la poussière et le sang. Elle voulait hurler. Son cœur se déchirait.
Et puis plus rien.
Elle ne ressentait plus et continua à frotter. Sa peau égratignée perlait de sang; il disparaissait ensuite dans l'eau du bain. Elle prit une bouteille de savon au hasard et en versa autour d'elle. Une odeur de forêt après la pluie s'insinua dans ses narines; perçant celle de sa propre puanteur. Elle eut un vague gémissement de douleur. Il passa. Elle s'immergea la tête ensuite, remis du savon et entrepris de démêler ses cheveux avec les doigts. Il y avait des nœuds partout. Elle tirait jusqu'à les arracher. L'opération fut répétée, encore et encore, jusqu'à ce que ses doigts glissent sans plus d'accroc. Elle continua cependant et sa main caressait ses cheveux et le bout de ses ongles effleurait son cou et quelque chose en elle montait. Elle ne put retenir cette vague de douleur qui lui comprima les traits et la plia en deux. Des larmes lui échappèrent. Un râle lui échappa. Elle arrêta de se coiffer. Une dernière larme glissa le long de son nez mais son visage n'exprimait déjà plus rien. Khorine finit par se redresser et sortir de l'eau. Ses cheveux ternes tombaient en gouttant sur ses épaules, son corps sous-alimenté révélait ses côtes et les os de ses hanches, il était couvert d'hématomes. Khorine s'avança, la tête basse, sans un regard au miroir et se sécha le corps avant d'enfiler les vêtements laissés à sa disposition. Il y avait une chemise blanche propre, un pantalon noir, des sous-vêtements blancs simples, des chaussettes. Elle se demanda d'où ils provenaient.
Des malles des élèves morts pendant la bataille?
Elle ne pensa plus à rien.
Elle sécha ses cheveux avec la serviette éponge. Winky apparut dans un craquement sec.
-Miss, Winky est venue prévenir Miss que le déjeuner sera servi dans le salon dans dix minutes, Miss devrait se dépêcher
Khorine acquiesça sans un mot et l'elfe repartit.
Est-ce qu'elle avait faim?
Elle ne savait plus. Elle était devenue habituée aux crampes d'estomac.
Elle s'était engagée à être son apprentie.
Khorine fixa sans le voir son avant-bras marqué par le contrat.
Avant, elle s'en rappelait, elle avait aimé les potions. Dans une autre vie, dans la salle de classe, Rogue à son bureau et en binôme avec…
Son visage se ferma.
Elle finit par sortir de la salle de bain et longea le couloir, passant plusieurs portes, celle du fond mena au salon où Rogue était déjà attablé et lisait la Gazette du sorcier.
Elle crispa les mâchoires, mais s'avança. Il lui fit un vague signe de tête, montrant qu'elle devait s'asseoir à l'autre extrémité de la table, puis ne lui prêta plus attention.
Ils devaient être dans les quartiers directoriaux. Si c'était le cas, plus rien ne rappelait Dumbledore. Les murs étaient en grosses pierres grises, la plupart des meubles -chaises, tables, bibliothèque- en vieux bois de chêne, un canapé et deux fauteuils en cuir faisaient face à la grande cheminée. Il n'y avait aucun objet personnel, aucune photo. Seuls quelques livres et parchemins s'empilaient sur la table basse devant l'âtre. Il y avait une grande fenêtre qui donnait sur le lac et les montagnes au loin, le soleil était à son zénith, et l'eau scintillait.
Ils s'étaient baignés dans ce lac.
Winky apparut avec une soupière remplie, des croûtons, une jatte de riz à l'aneth et un plateau avec un gros pavé de saumon. L'odeur était incroyable. Elle réveilla son ventre qui se contracta violemment, la salive lui emplit la bouche et la tête lui tourna. Winky servit Rogue puis lui emplit son bol de soupe. Elle ne se sentait pas bien. Winky disparut.
Elle prit sa cuiller d'une main tremblante et la remplit avant de porter le tout à ses lèvres. Le liquide était brûlant. Elle avala et la brûlure se propagea dans son œsophage. Elle avait trop faim. Elle recommença.
Elle ne sentait pas le goût de la soupe. Elle ne l'appréciait pas. C'était juste une question de survie. Il fallait qu'elle mange.
-Je n'avais pas l'impression; ronronna Rogue, d'avoir pris un porcelet pour apprentie.
Elle ne répondit pas, trop occupée à fourrer des croutons dans sa bouche, reprendre de la soupe, reprendre des croûtons, reprendre de la soupe. Le silence n'était brisé que par le raclement de sa cuiller.
-Mangez plus lentement, Lumare.
La marque à son avant-bras la tirailla aussitôt et elle se força à ralentir. Elle jeta un coup d'œil au sorcier. Il commença à manger. Le silence s'étendit. Elle revint à son bol. Après sa soupe elle fut autorisée à prendre un peu de riz et de poisson. Elle les avala rapidement. Pour le dessert Winky apporta des bols et de la compote de rhubarbe.
La douleur était passée à présent, et Khorine s'en voulait. Pourquoi avait-elle mangé? Voulait-elle seulement survivre? La compote restait intouchée devant elle.
-Lumare, j'ose espérer que ce qui vous tenait lieu de capacités cognitives n'a pas entièrement disparu. Répondez-moi, quels ingrédients sont utilisés dans la création de la potion de Ratatinage?
La question la surprit. Elle jeta un coup d'œil à Rogue. Il était tourné vers son journal et ne semblait lui prêter aucune attention. Le cercle à son avant-bras commença à la démanger.
-De… des tiges de marguerite, des figues pelées, de la rate de rat, des sangsues et des chenilles coupées.
Elle faillit ajouter: «Monsieur» mais s'en empêcha.
-L'Aiguise-Méninge? Demanda-t-il en tournant une page de journal.
-De la poudre de scarabée, de la bile de tatou, des racines de gingembre, des plumes d'oie et de la pulpe de papyrus.
Elle n'aurait jamais cru avoir encore les réponses. Pensive, elle avala une cuillérée de compote, puis une autre. Après si longtemps. Elle n'avait pas eu d'hésitation ni le moindre doute. Elle se rappelait de ces potions comme si elle avait eu à les faire la veille. Comme si l'année qui venait de s'écouler n'avait jamais existée. Rogue la tira de ses pensées:
-Ma magnanimité a des limites que vous ne voulez pas franchir, Lumare. Vous m'appellerez Maître ou Monsieurdorénavant en vous adressant à moi ; lâcha Rogue sans détacher son regard de son journal.
Khorine crispa les mâchoires.
-L'Elixir d'Euphorie?
-Une figue, des épines de porc-épic, de la menthe poivrée, des fèves sopophoriques et de l'armoise.
Des gouttes de sang perlèrent aussitôt à son bras et la douleur augmenta rapidement.
-… Monsieur; finit-elle par murmurer.
Le sang imprégna la manche de sa chemise. Rogue ne répondit rien, ne lui demanda rien d'autre et elle reprit sa cuiller et finit son bol. Plusieurs minutes passèrent. Elle finit par fixer ses mains encore égratignées et pleines des ampoules laissées par l'épée de Gryffondor. Ses yeux se vidèrent. Son esprit se ferma.
Rogue replia son journal.
-Vous rappelez-vous des étapes de préparation de l'Elixir d'Euphorie?
Elle était très loin d'ici et seule une petite partie de son cerveau comprit la question. Ses lèvres s'entrouvrirent et avec une voix douce, sans même y penser, elle récita les différentes étapes de la recette.
Rogue était retourné à la première page de son journal mais il ne lisait plus. Il était figé sur son siège. Elle ne fit pas une erreur et lorsqu'elle eut fini, il lui en demanda une autre. Sa voix s'éleva de nouveau, et remplit le salon, constante et calme; incongrue dans le salon du meurtrier de Dumbledore.
-Suffit.
La voix de Rogue claqua. Elle cligna des yeux. Rogue se leva et lui ordonna d'étudier en silence la pile de grimoires sur la table basse avant de quitter brusquement le salon.
Khorine obéit sans rien en penser, s'assit dans un des fauteuils et ouvrit le premier livre devant elle.
Il n'y avait pas de bruit.
La magie du serment pulsait à son bras, elle n'avait qu'à se laisser faire, à suivre son ordre. Il n'y avait plus qu'un grand vide en elle, alors elle se laisserait faire, comme une gentille petite marionnette.
Elle finit par s'agenouiller devant la table basse et commença à prendre des notes. En se concentrant un peu, c'était comme travailler à la bibliothèque avec Hermione à sa gauche et Harry et Ron grommelant à sa droite. Si elle relevait la tête, elle les verrait, mais elle ne le fit pas et se sourit à elle-même avant de continuer.
Dans les jours qui suivirent, ils passèrent les matins au laboratoire où il lui ordonnait de faire et refaire des potions de base. Il corrigeait ses techniques de découpe, son maintien, son rythme, ses mouvements, et sa voix claquait comme un fouet. Elle ne pensait à rien devant le chaudron, hormis à la potion.
-Recommencez; crachait-il en lançant un Evanesco au chaudron.
Et elle recommençait.
Après un déjeuner silencieux elle passait à la partie théorique et devait étudier différents grimoires dans le salon. Rogue reparaissait en début de soirée, ils mangeaient de nouveau en silence, et puis elle était renvoyée dans sa chambre. Elle y avait d'autres grimoires de potions et de vieux herbiers qu'elle étudiait jusqu'à tomber de sommeil.
Elle commença à reprendre du poids et du muscle, ses crampes à l'estomac finirent par disparaître, ses jambes ne tremblèrent plus et elle fut capable de tenir plusieurs heures debout à travailler.
Elle ne ressentait plus rien. Il n'y avait pas de peine, pas de colère, pas de haine, juste un grand vide qui s'étendait. Elle savait, au fond d'elle-même, que ce n'était pas sain, mais elle était incapable de briser le mur autour de son cœur. Elle ne voulait plus rien ressentir.
C'était lâche.
Elle les abandonnait. Elle abandonnait ce pourquoi ils s'étaient battus… Et les horcruxes… Il ne restait plus que Nagini.
C'était un miracle que Voldemort n'ait pas fouillé dans son esprit pour découvrir ce qu'ils avaient déjà accomplis.
Elle était encore en vie. Elle était la seule, désormais, à connaître le dernier point faible de Voldemort. Oui… Il y avait encore un espoir d'en finir.
Elle n'avait plus la force de continuer.
Il le fallait.
Elle le ferait pour eux. Pour ceux qui étaient encore en vie. Il y avait forcément des survivants. Il devait y avoir des survivants.
Elle était allongée dans son lit, dans le noir, et se tournait et se retournait.
Comment atteindre Nagini?
Il fallait d'abord qu'elle se retire les souvenirs liés aux Horcruxes, au cas où Rogue aurait l'idée d'utiliser la Légilimencie contre elle. Alors il lui fallait sa baguette.
Et ensuite, il faudrait prévenir l'Ordre.
Et puis, comment atteindre Nagini?
Au petit-déjeuner le jour suivant elle avait de gros cernes sous les yeux, mais la brume semblait s'être dissipée de son regard. Elle étudiait Rogue.
Celui-ci lisait la Gazette du sorcier d'une main, une tasse d'Earl Grey fumante dans l'autre. Il ne semblait pas manger le matin. Elle ne pouvait pas voir son visage, caché derrière le journal. Peut-être que c'était le meilleur moment pour lui demander. Il venait de se réveiller, la théine n'avait pas encore fait effet.
-Monsieur? Osa-t-elle.
Il ne bougea pas de derrière son journal.
-Je me demandais si ma baguette avait été retrouvée. Elle est en bois de noyer, dure, avec des spirales sur le manche.
-Aucune idée; grogna-t-il d'une voix rauque.
-Peut-être que je pourrais sortir d'ici pendant mon temps libre pour aller la chercher.
Le journal se baissa et la figure pâle et furieuse de Rogue apparut.
-Vous ne mettrez pas un pied en dehors de ces appartements; ordonna-t-il sèchement.
-Mais Monsieur…
-Ne discutez pas mes ordres, Lumare.
Le journal se redressa et elle finit son thé en silence. Que faire à présent? Son cerveau tournait au ralenti, l'effort de concentration que cette discussionlui avait demandé l'avait fatiguée. Mais comment récupérer sa baguette?
Le jour-même, Rogue s'absenta de ses quartiers et Khorine releva la tête de ses grimoires. Il lui avait interdit de sortir, mais elle pourrait peut-être trouver un moyen de prévenir l'Ordre. Elle se leva malgré ses jambes engourdies, et fit le tour du salon, fouillant dans les tiroirs, entre les livres, à la recherche de quelque chose, n'importe quoi, qui pourrait l'aider. Ensuite, elle tenta d'ouvrir toutes les portes. La plupart étaient verrouillées. Elle essaya d'utiliser sa magie sans baguette, sans résultat. Khorine revint au salon. Peut-être la cheminée? Elle pouvait être reliée au réseau de Cheminette. Mais l'Ordre ne se trouvait plus au Square Grimmault et elle ne savait pas comment les contacter.
Ses yeux se posèrent alors sur les fenêtres. Elle s'en approcha, tourna le loquet. Elles s'ouvrirent en grand. Le vent lui fouetta aussitôt le visage. Ils étaient terriblement haut. Elle apercevait des silhouettes tout en bas s'activant comme des fourmis. Ils devaient être là pour réparer le château. Khorine s'agrippa au rebord, faisant attention à ne pas être vue et étudia les murs extérieurs. Ils tombaient à pic, les grosses dalles laissant des interstices assez grands pour une main ou un pied. Techniquement, il lui aurait été possible de s'évader par-là. Elle aurait pu le faire le jour-même, si elle n'avait pas eu la bêtise d'ouvrir sa grande bouche. Elle abattit son poing contre le battant de la fenêtre. La douleur la soulagea vaguement.
Et puis une chouette passa. Khorine eut un déclic. Un éclat de joie lui échappa, et puis elle courut chercher une plume, de l'encre et un parchemin et écrivit un mot codé pour McGonagall. Elle devait encore être à la tête de l'Ordre. Elle pria pour qu'elle soit encore en vie, puis retourna à la fenêtre.
-Sidus? Appela-t-elle.
Elle sentait l'excitation parcourir son corps, et aussi la peur. Rogue pouvait revenir n'importe quand. Que se passerait-il s'il la voyait à la fenêtre?
-Sidus; supplia Khorine.
Un claquement d'ailes; et soudain elle fut devant elle, accrochée à la rambarde. Sa chouette hulotte aux yeux de constellation tourna la tête en la regardant, et pinça doucement les phalanges de la sorcière.
-J'ai besoin de toi. C'est très important; balbutia Khorine en jetant un regard vers la porte avant de revenir vers la chouette. Apporte ce message à McGonagall, s'il te plaît. Après ça, si jamais j'obtiens une réponse, tu devras attendre le soir que j'ouvre les fenêtres de ma chambre. Ne m'approche pas pendant la journée, tu te ferais tuer. Entendu?
La chouette hulula doucement puis prit entre ses serres le précieux parchemin et la quitta. Khorine referma précipitamment les fenêtres avant de reprendre sa place devant la cheminée. Ses mains tremblaient.
Et si quelqu'un l'avait vu à la fenêtre? Et si Sidus était interceptée?
Elle se força à faire le vide, à tasser toutes ses émotions derrière les murailles de son esprit. Elle reprit ses grimoires.
Lorsque Rogue reparut quelques heures plus tard Khorine ne montrait plus rien. Les heures passèrent. Le dîner fut silencieux. Des vagues d'appréhension montaient en elle. Rogue la renvoya dans sa chambre sans s'en apercevoir.
Là, elle vit Sidus l'attendre, un parchemin à la patte. Elle avait le cœur au bord des lèvres lorsqu'elle ouvrit sans bruit la fenêtre. Sa chouette la rejoignit et se jucha sur son épaule. Elle lui caressa ses belles plumes blanches et grises et Sidus lui mordilla l'oreille.
Khorine sortit de sa poche un morceau de poulet enroulé dans sa serviette
-C'est tout ce que j'ai pu prendre pour toi. Heureusement que tu sais chasser.
Sidus hulula joyeusement avant de gober la viande qu'elle lui tendait. Khorine ouvrit le parchemin. Il n'y avait qu'une question, dans l'écriture de McGonagall. Qu'est-ce que le courage, Lumare?
Khorine sourit.
C'était la question qu'elle lui avait posé au cours de sa 5ème année, alors qu'elle était perdue et en colère, et l'écossaise lui avait remis un petit livre sans un mot. C'était un livre moldu écorné, taché et jauni et Khorine n'aurait jamais deviné que son strict professeur puisse le garder.
Elle l'avait lu.
Elle avait pleuré. Et elle avait compris.
Elle répondit en griffonnant sur un bout de parchemin:« Atticus». Elle le roula puis le confia à Sidus qui hulula doucement, avant de prendre son envol. Khorine resta longtemps à la fenêtre, bien après que sa chouette eut disparu à l'horizon.
Une réponse lui parvint deux jours plus tard, et elle apprit que Neville, Luna, Ginny, George, Hagrid, Monsieur et Madame Weasley, Seamus et d'autres avaient survécu. Des larmes lui montèrent aux yeux. Elle les effaça bien vite puis éteignit les lumières et ferma les yeux. Ils n'étaient pas tous morts. Un sourire fissura le coin de ses lèvres.
