Chapitre 5

-Retenue, Lumare! Ce soir, vingt-et-une heures! Siffla Rogue.

Je tressaillis, et faillis manquer un tour dans le sens des aiguilles d'une montre. Qu... Qu'est-ce que j'avais fait?!

-Et pour quel motif, professeur? Répliquai-je en levant les yeux de ma Régénération sanguine.

Les orbes noirs de Rogue brûlaient, son visage était tordu par un rictus aussi sarcastique que méprisant. Cela me rappela le soir du Nouvel An...

Est-ce qu'il... voulait se venger de cette humiliation? De moi?

-Les déchêts que vous laissez sur votre espace de travail, peut-être; se moqua-t-il d'une voix doucereuse.

Ce n'étaient que quelques plumes cassées de Jobarbille, deux flacons vides et des noyaux d'abricots noirs; comme pour tous les élèves. Ron marmonna quelques insultes en s'en rendant compte, je me contentai de crisper les mâchoires en revenant à ma potion.

Quelque chose me disait que Rogue allait devenir encore plus infect que ce que j'avais cru possible.

Et en effet, le soir de ma retenue, il me retint plus de deux heures pour éviscérer plusieurs seaux de batraciens, tout en me gratifiant de commentaires insultants, en se moquant de chacun de mes gestes. Il finit par enlever cinq points à Gryffondor comme je me trouvais dehors une heure après le couvre-feu. Je... faillis quitter la salle de retenue sans desserrer les dents... faillis...

-Je n'ai pas cherché à vous humilier le soir du Nouvel An, professeur! Sifflai-je en faisant volte-face à deux pas de son bureau.

Rogue releva aussitôt la tête de ses corrections, ses cheveux graisseux retombant de chaque côté de son visage aux traits tirés. Il était pâle et ses yeux brillaient de colère, ou de fièvre.

-Sortez! Eructa-t-il.

Je n'obéis pas.

-Je voulais seulement vous aider, et ne pas laisser Tonks ramener Pattenrond ou...

Je fus coupée net par le sifflement mauvais de mon professeur alors qu'il se levait en faisant grincer sa chaise:

-Si vous ne sortez pas immédiatement, j'enlève cent points à Gryffondor. Est-ce clair?

Je lui retournai un regard océan empli de tempêtes, mais dus partir.

Rogue devint encore plus injuste, cherchant à me blesser, à me rabaisser par tous les moyens. Son humeur globale était tout aussi exécrable, il se vengeait sur tous ses élèves, mais -à moi seule- je reçus six retenues en deux semaines et fis perdre quarante points à notre maison.

Ce n'était pas très important. Je rattrapais tout en Botanique avec Neville, en DCFM, en Métamorphoses et en Sortilèges; et mes amis étaient toujours dans la salle commune lorsque je rentrais de retenue.

Nous avions aussi repris nos recherches avec Neville, comme tout le parc avait dégelé. Nos sortilèges nous avaient permis de trouver des bulbes, que Nev' s'était empressé de planter. Dans quelques semaines ils auraient fleuri! Et nous étions proches d'en voir sortir de terre au centre d'un trio de hêtre qui poussaient sur la berge nord du Lac Noir.

... J'étais un peu fatiguée, quand même. Avec les retenues, les cours, les devoirs, le Quidditch qui avait repris, les recherches sur la cardamine bulbifera.

-Tu as un devoir en retard en Métamorphoses, Khorine! Il est à rendre pour dans deux jours!

-Je sais; marmonnai-je, avant d'étouffer un bâillement.

Hermione se retrouva à grommeler contre le Quidditch et les professeurs qui donnaient trop de retenues, puis me proposa d'aller à la Bibliothèque.

-Il nous reste une heure avant le couvre-feu, tu auras largement le temps de finir; assura ma meilleure amie. Il ne faut que deux pages de parchemin sur la métamorphose d'un fil en aiguille.

-Commutatio in ferrum?

Je me frottai les yeux et ratai le hochement de tête d'Hermione, mais pas son oeillade inquiète. Je tentai aussitôt de la rassurer, elle ne répondit pas, se dépêcha plutôt de ranger son grimoire dans son sac avant de souhaiter la bonne nuit à Ron, Harry, Ginny, et de m'entraîner hors de la salle commune.

-Tu sais, Ron aussi est en retard sur ses devoirs.

Elle grogna, rougit un peu, puis sortit:

-Il ne fait vraiment aucun effort... Mais lui n'a pas de retenue demain!

Je soupirai et la suivis dans les couloirs. Ils étaient déserts à cette heure, tout comme la bibliothèque... excepté pour quelques Serdaigle, et deux Poufsouffle.

Nous nous installâmes dans un coin, je sortis les notes que j'avais prises en cours, reçus d'autorité celles d'Hermione et me fis presque dicter mon essai par elle.

-Merci...

Nous n'y avions passé que trente minutes, malgré mon état semi-comateux et l'impression constante que je rêvais déjà. Mais si j'avais vraiment fait ce que je pensais avoir passé la dernière demi-heure à faire, alors je n'avais plus de devoirs pour le reste de la semaine...

Hermione dût rétorquer quelque chose qui avait beaucoup de sens, je ne compris pas tout, soupirai en cachant ma tête dans mes bras.

J'aurais vraiment apprécié qu'on me laisse là, contre la table de la bibliothèque -que je commençais à trouver très confortable-, entourée des grimoires, de l'odeur apaisante des livres que je pouvais m'imaginer, des étagères en bois, des parchemins neufs et de l'encre, qu'on me laisse fermer les yeux dans mon rêve.

Mais Hermione ne m'en laissa pas le temps. Elle me secoua autant qu'elle le pensa nécessaire, beaucoup, en chuchotant:

-Ne t'endors pas! Oh Merlin, ne t'avise pas de t'endormir!

Cela me réveilla un peu, ou non? J'ouvris difficlement les paupières, bâillai pour toute réponse, et entraînai un soupir de soulagement de la part de Mione.

-Tiens, je vais ranger ces livres avec les autres manuels de septième année, occupe-toi de l'Usage des Métamorphoses au travers des siècles. Il doit aller trois sections plus loin, entre Métamorphoses et Histoire de la Magie.

Même pas le temps de répliquer, elle s'était déjà levée en serrant trois ouvrages contre elle, et était partie... Bon... Je fus tentée, un instant, de ne pas l'écouter. Cependant, en bonne Gryffondor, je trouvai le courage pour un dernier effort. Le grimoire sous le bras, bien décidée à ne pas l'oublier, je me dirigeai vers le rayonnage indiqué par Hermione...

Arrivée là, je trouvai la vieille planche en bois de chêne latérale à ces étagères très, très tentante.

Il n'y avait personne.

Alors je posai mon front brûlant contre le bois froid, et soupirai de soulagement, les yeux fermés...

Ce furent quelques instants paisibles, où mon esprit demeura obstinément muet, où aucun bruit d'aucune sorte ne me perturba... Très paisibles... Jusqu'à:

-Lumare!

Je tressaillis, avant de tourner des yeux brillants de fatigue vers... oui, vers Rogue!

Toujours sombre, toujours malveillant et empli de colère depuis les fêtes de fin d 'année. J'étais fatiguée, pâle, des mèches de cheveux rebiquaient au-dessus de mon front depuis que ma tête s'était appuyée contre les étagères, et je ne parvenais même pas à être gênée de tout ça. Je rêvais?

-Un problème, peut-être, Miss Lumare?

Un sourire mauvais écorchait ses lèvres fines et exsangues. Je les fixai, puis remontai sur son nez busqué, ses orbes noirs. Ils étaient particulièrement magnifiques ce soir, brûlants.

Je devais vraiment être fatiguée, pour penser de telles âneries.

-Au... cun...

Rogue se trouvait à deux pas de moi, j'eus juste assez de place pour me glisser entre lui et l'étagère, comme il ne voulait pas reculer. Puis je m'éloignai. Je partis ranger mon grimoire entre deux tomes concernant les théories de la Métamorphose transsubstantielle.

Je les avais lu, je crois, tous... Est-ce que je venais vraiment de détailler mon professeur de Potions? J'entendis ses pas, cette fois, dans mon dos. Et j'eus juste le temps de me retourner, avant d'être piégée entre Rogue et les étagères regroupant Métamorphoses et Histoire de la Magie. Ses deux mains de chaque côté de ma tête, les boutons de sa robe à quelques centimètres de mon pull d'uniforme, son nez à peine plus loin du mien, ses yeux... nos souffles se mêlaient.

Qu'est-ce qui me prenait de cauchemarder sur des choses aussi improbables?

-Vous en êtes certaine?

-Peut-être le fait que vous m'empêchez de passer; grommelai-je.

J'espérais vraiment que ce ne soit qu'un délire de mon pauvre esprit tourmenté. Parce que je n'avais pas envie d'écoper d'une autre retenue.

Heureusement, comme dans les mondes oniriques tout est possible, Rogue réagit en étirant le coin de ses lèvres vers le haut. Cela ressemblait presque à un sourire, ses paupières se plissaient aussi, un peu, puis sa main droite quitta la planche contre laquelle il s'appuyait, et se dirigea vers mon visage.

J'en fus pétrifiée.

Ses doigts arrivèrent jusqu'à mon front, plus glacés que le bois de chêne, pour passer dans mes mèches rebelles, les recoiffer. Ses yeux emplis de noirceur ne quittaient pas les miens, qui se voilaient. J'étais trop fatiguée, et ça ne pouvait être qu'une hallucination. Rogue me haïssait!

-Je suis désolée, mais Rogue me déteste et je m'attends à ce que mes rêves, ou mes cauchemars, soient un minimum réalistes; baragouinai-je.

Il haussa un sourcil, à la manière du vrai... Là c'était plus réaliste, mais tout de même!

Je ne m'attardai pas, passant sous son bras droit et fuyant enfin vers le centre de la bibliothèque, notre table, Hermione...

-On y va? Demanda-t-elle, nos sacs déjà préparés.

J'hochai la tête, pris mon sac, marchai, puis je me trouvai dans mon dortoir, je m'écroulai sur mon matelas toute habillée, je sombrai dans un profond sommeil.

o oo0oo o

A cause des entraînements et des retenues, des escapades dans le parc et tout le reste, j'avais dû arrêter de lire jusqu'à deux, trois heures du matin. Mes lectures me manquaient, mais je n'avais vraiment pas le choix. La semaine dernière j'avais cru avoir une discussion amicale avec Malefoy, Zabini et Parkinson concernant des cochons volants dans le Sussex. J'avais manqué d'aller à la rencontre d'un Cognard pendant une partie de Quidditch parce qu'il me paraissait doux et inoffensif. Je m'étais mis en tête que Rogue m'avait plaqué contre des étagères de livres tard le soir, au fin fond de la bibliothèque. Et j'avais imaginé que le foramen jugulaire qui se trouve dans la fosse postérieure de la base du crâne ne laissait pas du tout passage au sinus pétreux inférieur et au sinus sigmoïde, alors que tous les Médicomages savaient que c'était vrai.

De toute façon, Hermione m'avait confisqué tous mes livres...

Le mois de janvier s'étira paresseusement, je retrouvai un niveau de sommeil décent et pus profiter comme il se devait, avec mes amis, des premiers rayons de soleil de l'année, réchauffant les gelées, la terre et les végétaux tout autour du Lac Noir. Nous faisions nos devoirs dehors lorsque le vent n'était pas trop froid, les cours étaient passionnants, je commençais à imaginer les expériences que je pourrais tenter avec les extraits de cardamine bulbifera,...

Puis le mois de février, la tension montante, les oeillades très peu discrètes de Ron envers Hermione. J'avais parié cinq gallions à Harry qu'il tenterait quelque chose pour la St Valentin.

-Tenu! Répliqua-t-il, le regard étincelant d'amusement.

Ginny renchérit cinq gallions sur Hermione, arguant que son frère n'aurait jamais le cran de faire le premier pas. C'était vraiment stupide, ils s'aimaient tellement tous les deux!

Nous étions donc plusieurs à attendre le 14 Février avec impatience, d'autant plus que Ron semblait motivé et que je n'étais pas contre gagner dix gallions...

o oo0oo o

Nous deux ensembles formons une flamme infinie, comme une rose qui s'épanouit,

le doux parfum de toute une vie.

Ce que je ressens aujourd'hui, c'est l'amour infini.

Khorine, je t'aime à la folie!

J. Howls

Il y avait une boîte de chocolat qui accompagnait le mot, et j'étais gênée pour lui. Qui que ce soit.

Ron, par-dessus mon épaule, lut la troisième carte que j'avais reçu aujourd'hui, et s'esclaffa:

-Pff, c'est tellement niais que ça ne peut venir que d'un Poufsouffle!

-Ronald! Se récria Hermione.

Ils se regardèrent et puis rougirent, et détournèrent les yeux. Oh Merlin... Un silence étrange tomba sur notre partie de la table, tandis que le reste de la Grande Salle était aussi bruyant et agité que d'habitude. Des hiboux porteurs de paquets zigzaguaient entre les petits coeurs de papier rouges qui voletaient partout, le ciel magique montrait un extraordinaire coucher de soleil rose orangé... Il y avait des montagnes de macarons au chocolat dans les coupelles en verre, et de la glace, et des gâteaux en forme de coeur...

Je me raclai la gorge et rangeai la carte dans la poche de ma cape tout en demandant:

-Quelqu'un connaît un Howls à Poudlard?

Mes amis haussèrent les épaules et je laissai la boîte de côté. Vraiment embarrassée.

Je ne savais pas qui était ce Howls, et je ne connaissais aucun de ceux qui m'avaient offert quelque chose aujourd'hui, à l'exception du batteur de notre équipe de Quidditch. J'espérais que celui-là n'allait pas trop se venger sur le terrain lorsque j'aurais décliné sa proposition.

-Un autre chocolat, Ginny? Murmura Harry à sa petite amie.

Celle-ci lui retourna un regard de braise, et ils manquèrent de s'embrasser juste en face de Ron.

Nul doute qu'il était suffisamment à cran pour faire un scandale, Hermione tenta de sauver la situation d'un coup de coude très subtil dans les côtes de Ginny.

-Avec plaisir; ronronna-t-elle au final. Je trouve ceux que tu m'as achetés délicieux.

Son frère grogna, Hermione soupira en secouant la tête, et Ginny se fit offrir un énième fondant du chaudron. Harry délaissait tous les paquets qui lui avaient été envoyés, Ginny de même. Sur notre table, il y avait aussi le petit paquet qu'Hermione et Ron avaient chacun reçu, qu'ils ne s'étaient pas encore risqués à ouvrir. Pour le moment, ma meilleure amie tentait de l'ignorer en replongeant son nez dans le Daily Prophet, et Ron en se goinfrant de macarons tout en grommelant contre un peu tout le monde.

Je secouai la tête, et puis ouvris mon dernier paquet, enrubanné de bleu.

Moins par moins donne plus,

moins par plus donne moins.

Moi moins toi, je n'existe plus.

Toi pour moi, et rien de plus.

Eddie

Je retins un grognement, tandis que Ron revenait jeter un coup d'oeil. Celle-ci le fit ricaner:

-Serdaigle! Il n'y a qu'un Serdaigle pour faire des maths sur une carte de 14 Février! Et puis on connaît un Eddie Carmichael dans cette maison, hein Harry?

Ce dernier hocha la tête, bien que je ne sois pas sûre qu'il ait vraiment écouté. Il semblait heureux, apaisé et un peu déconnecté de la réalité de la Grande et lui avaient peut-être un peu abusé des fondants fourrés au kirsch...

Je souris un peu, puis rangeai cette dernière carte dans la poche intérieure de ma cape. En public et sans savoir si ceux qui me les avaient envoyés observaient ou non, je préférais les ranger, accepter les cadeaux avec respect. Ensuite il serait temps de les jeter à la poubelle ou d'offrir les chocolats à mes camarades de dortoir.

-Mais dis-moi, tu comptes quand même pas répondre non à tous ceux qui t'ont déclarée leur flamme? Lâcha Ginny, le regard un peu trouble.

Définitivement le kirsch.

-Pourquoi pas? Répondis-je, haussant les épaules, les joues un peu rouges.

Je repris ma fourchette, baissai mon visage vers ma part de gâteau en espérant qu'elle n'insisterait pas. Parce que oui je n'étais jamais sortie avec personne, oui j'avais l'opportunité de le faire, et qu'au pire je pouvais seulement obtenir de l'expérience pour quelqu'un qui me plairait vraiment...

Je l'avais suffisamment entendu me rabâcher les oreilles avec ça. Mais aucune de ces cartes n'avait provoqué quoi que ce soit en moi, je n'avais envie de sortir avec personne, et puis j'étais occupée, moi!

-D'accord, on est au courant que t'as eu une enfance difficile, limite traumatisante. Mais c'est pas une raison pour avoir peur de...

Hermione lui asséna un violent coup de coude absolument mérité tandis que je la foudroyais du regard.

-Ca n'a rien à voir! Feulai-je.

Plusieurs regards se tournèrent vers moi mais je ne pouvais pas endiguer le flot de rage soudain, les tremblements. Elle ne savait rien! Rien!

-Ecoute; lâcha-t-elle malgré les avertissements d'Hermione. C'est évident que ça a tout à voir. Tu te plonges dans tes études et dans tous les grimoires de la bibliothèque que tu trouves parce que tu veux oublier.

-Ginny! Gronda ma meilleure amie, mais la rousse n'avait pas fini, le regard plus clair maintenant et rivé au mien.

-Tu refuses de t'ouvrir, de faire confiance ou attention à d'autres que tes meilleurs amis. Tu es en train de te replier sur toi-même et de laisser toute opportunité d'être heureuse s'envoler parce que tu ne veux pas l'admettre! Tu as peur, Khorine! Finit-elle par articuler. Tu as peur!

Et à ces dernières paroles, je me levai violemment, tremblante de rage, pour exploser mon poing contre la table. Le visage de la rousse se décomposa devant le mien, devant la magie qui grésillait autour de moi. J'étais à deux doigts de... Je crispai les mâchoires, avant de les relâcher et de sortir dans un horrible grondement rauque:

-Je n'ai peur de rien. Je suis une Lumare.

J'hachais chaque mot, de chaque phrase, assez bas pour que seuls quelques Gryffondors puissent entendre dans la salle, silencieuse tout à coup.

-Une Lumare; finis-je par ricaner.

Je me redressai, la magie crépitant encore autour de mon corps, ainsi que toute cette rage! J'avais conscience de tous les regards, du grand silence. Les tremblements à mes mains ne s'estompaient pas. Ginny était blême ainsi que Ron, Hermione et Harry qui ne me regardaient plus dans les yeux.

Je...

Je... Je me détournai, dans un envol de cape, remontai l'allée entre les tables de Gryffondor et de Serdaigle, alors que les premiers chuchotements commençaient à s'élever. Puis les portes, je m'empressai de les passer, et disparus de leur vue à tous.

Pourquoi... Pourquoi est-ce qu'elle l'avait dit?! J'aurais pu la tuer! Je ne contrôlais pas ma magie dans ces moments-là, et elle le savait!

La magie continuait à m'échapper par vagues, des soubresauts m'agitaient.

Je courus dans les couloirs, jusqu'au troisième étage. Ils étaient tous vides et froids. Je passai plusieurs fois devant la toile de Barnabas le Follet et de ses trolls dansants, puis, enfin, la salle sur demande s'ouvrit à moi et je m'y réfugiai.

Assez petite, avec un grand canapé de cuir, une cheminée où ronflait un bon feu, plusieurs fenêtres qui donnaient sur la lune, le ciel étoilé, la Forêt Interdite, le Lac Noir...

Je me roulai en boule entre le dossier et l'accoudoir droit, tout près du feu, me balançai d'avant en arrière les yeux fermés jusqu'à ce que les grésillements s'estompent.

...

Les amis, se protégeaient, veillaient les uns sur les autres. Les vrais. Ginny, même imbibée d'alcool, ne m'aurait jamais rappelé un passé aussi misérable sans de bonnes raisons.

Elle avait dit que je me repliais sur moi, que je ne faisais attention à rien d'autre qu'à mes meilleurs amis. C'était vrai. Elle avait parlé de mes lectures qui m'assomaient, de mes expériences qui me coupaient du reste du monde. Elle avait dit que j'avais peur.

Je me perdis dans de sombres réflexions, le regard rivé au feu. Les minutes passèrent.

J'avais peur? Et je me mentais?

Est-ce qu'il fallait que je fasse un effort, que j'essaye de répondre à l'une de ces cartes de la St Valentin? Que je fasse confiance à quelqu'un d'autre?

Il y avait bien quelqu'un déjà, non? Inconsciemment, je le savais.

Le ronflement des flammes me berçait, la douceur du cuir, l'air ambiant chaud et réconfortant.

Qui comptait pour moi, en dehors de mes amis? En qui avais-je confiance? Quel était l'avis qui comptait à mes yeux? Qui avais-je envie d'approcher? D'enlacer? D'embrasser?

Des claquements secs retentirent contre une fenêtre; je tressaillis. Et puis cillai en direction de cette dernière. Il y avait... un corbeau. Un somptueux corbeau noir qui jouait encore du bec contre la travée. Intriguée, je quittai mon canapé, m'approchai. L'oiseau portait un parchemin entre ses serres.

Je m'empressai d'ouvrir.

C'était un coursier des familles de Sang-pur, seules leur ancienne magie, ou une extraordinaire puissance, pouvaient les enchaîner à leurs services. Ils représentaient leur pouvoir. Et il avait une lettre pour moi.

Le corbeau entra à tire d'aile dans un croassement rauque et fit le tour de la pièce. Son envergure était impressionnante, son plumage sombre parcouru de reflets bleutés magnifique.

Il finit par revenir à moi, sa lettre atterrit au creux de ma main, puis il sautilla sur le rebord de la fenêtre.

-Merci; murmurai-je.

L'oiseau croassa, m'observa un instant, avant de sauter dans le vide, d'étirer ses grandes ailes noires et de disparaître.

Je recoiffai mes longs cheveux sombres ébouriffés, un peu choquée. Des Sangs-Purs? J'étais la dernière Lumare vivante, ça ne pouvait pas être de ma famille. Alors...

Un coup d'oeil à la lettre ne me donna que très peu d'indices. Il n'y avait que mon prénom tracé dessus, par une écriture serrée et anguleuse. Elle me disait quelque chose. Je ne parvenais pas à me souvenir. Et puis c'était mon prénom... sur une lettre envoyée un 14 Février par un Sang-Pur.

Je sortis ma baguette, lançai quelques sortilèges. Mais elle n'était pas piégée...

J'inspirai un grand coup, consciente soudain que mon coeur battait la chamade, et l'ouvris.

Khorine,

Pourrais-tu me laisser compter pour toi?

Je t'attends ce soir, à vingt-et-une heures au sommet de la Tour d'Astronomie.

Donne-moi une chance, si il te plaît.

Je lus ces mots, les relus. Mes mains tremblaient et se glaçaient. Je finis par sortir ma baguette pour murmurer un Tempus. Il était vingt heures quarante.

Je me sentais un peu étourdie, ma respiration, mon coeur, mes jambes qui vacillaient. Je n'étais pas certaine de comprendre encore pourquoi. Pourquoi cette lettre par rapport à toutes les autres?

Et pourquoi est-ce que j'avais envie d'y aller?

Je me mordis la lèvre inférieure. Il me fallait encore réfléchir à tout ce que m'avait dit Ginny et je devrais lui parler, lui faire pardonner mon emportement. Je devais remettre de l'ordre dans mes idées.

Khorine...

Je ne savais pas, j'hésitais. Roulée en boule, la tête dans les mains, je ne la relevais que pour jeter des coups d'oeil à mon sortilège, égrénant les minutes, implacable.

J'avais passé onze années de ma vie enfermée dans un manoir avec deux Mangemorts encore actifs, avides de sang, de pouvoir. Je n'avais jamais rien pu connaître de l'extérieur, n'étais jamais sortie. Des précepteurs pour Sang-purs venaient au manoir, m'enseignaient tout ce qu'il fallait savoir, sur la magie, les potions, la suprematie de ma race, l'écriture et l'arithmétique, que les sangs de bourbes et les moldus étaient la lie de l'humanité et une menace, en rendant compte de chacun de mes échecs à mon oncle et à ma tante. Mais ils ne m'avaient jamais rien appris sur l'amour, sur l'amitié, sur la confiance ou sur la sécurité. Et si j'avais survécu à cela, je n'avais rien à craindre d'un rendez-vous en haut de la tour d'Astronomie de Poudlard.

Vingt heures cinquante trois.

J'avais survécu, j'étais une Lumare et surtout, j'étais une Gryffondor.

Mes yeux bleus scintillèrent d'un éclat déterminé, je me levai. Sans prendre le temps d'y repenser, je sortis de la salle sur demande. Dans les couloirs, je croisai quelques couples qui avaient déjà quitté le banquet. Certains se plaquaient contre des murs pour s'embrasser à pleine bouche.

Je me dépêchai vers la partie Nord du château, courant presque. Vingt heures cinquante huit.

Ma cape flottait derrière moi alors que je courrais dans le dernier corridor, puis dans l'escalier.

Je finis stoppée, par la porte fermée qui menait au dernier étage. Elle était bloquée par une vague mouvante d'un sortilège aux reflets bleutés. Il fallait être puissant pour l'apposer au château, encore plus pour parvenir à lui faire reconnaitre l'aura magique de ceux qui étaient autorisés à le passer.

Je... Hésitai... mais finis par tendre la main vers la poignée...

La magie effleura le bout de mes doigts, elle était tiède, c'était comme passer sa main dans une barrière d'eau en apesanteur. Il y eut un tressaillement à sa surface et l'instant d'après, elle me laissait passer.

J'abaissai la poignée, poussai la porte, avant de traverser la barrière magique. Plus calmement, je montai les dernières marches qui me restaient. Et puis je fus en haut de la Tour d'Astronomie...

Personne ne s'y trouvait.

Mon coeur s'étreignit. Vingt et une heures deux. Je l'avais manqué.

A cause de mon hésitation, je... Mes doutes... Les jambes tremblantes, j'avançai au milieu de la tour et dus m'appuyer contre un des murs, près du balcon donnant sur le lac.

... La lune était magnifique, au trois quart, opalescente jusque dans ses reflets. Les étoiles déchiraient la nuit, l'odeur de la forêt, du lac se mêlaient pour parvenir jusqu'ici.

J'inspirai doucement et laissai mes yeux se fermer. J'étais à Poudlard... Il n'y avait plus ni guerre, ni Voldemort, ni Mangemorts hors d'Azkaban; plus de bataille, de sacrifices ou de morts.

Nous étions libres, ce soir n'était pas ma seule opportunité de retrouver celui qui m'avait envoyée cette lettre si particulière...

Mes paupières se rouvrirent pour me permettre de contempler amoureusement les alentours de Poudlard, les montagnes écossaises presque plongées dans l'obscurité de la nuit. Quelle poésie!

Mais j'étais apaisée, maintenant.

Alors je me détournai, prête à parler à Ginny. Je... stoppai, pétrifiée par l'homme qui se tenait debout, au milieu de la tour, qui me fixait et que je n'avais pas entendu arriver. Ce... c'était...

Mon coeur se contractait douloureusement dans ma poitrine, je n'arrivais pas à bouger, ni à détourner des yeux qui se... qui se... remplissaient de larmes!

-Vous... vous êtes moqué de moi; haletai-je.

Rogue... Rogue était là! Le sortilège qui reconnaissait ma signature magique, le corbeau, la lettre et son écriture que j'avais refusé de reconnaître. C'était lui!

Et le bâtard graisseux restait muet, à m'observer.

Je relevai le menton dans une vaine tentative pour conserver ma dignité. Elle était en lambeaux, je manquais de pleurer devant Rogue. Il fallait... Je retrouvai l'usage de mes jambes et me dirigeai aussitôt vers la porte, la sortie.

Je ne m'attendais pas à ce qu'il m'en empêche, à ce qu'il m'empoigne par le bras et ne me cogne contre le mur que je venais de quitter. J'essayai de me débattre. Rogue serra plus fort, me bloquant de son corps, de ses doigts refermés sur mon épaule gauche, et de sa main droite emmêlée dans mes cheveux, qui les tirait en arrière.

-A votre avis? Susurra-t-il, m'obligeant à lever des yeux humides vers son visage.

Il était éclairé par la lumière de la lune, très pâle, un rictus écorchant le coin de ses lèvres et le regard brûlant de fièvre. Je voulus le repousser, le faire lâcher mais il tira un peu plus sur mes cheveux et me garda contre lui. Je frémissais, haletais, des mèches tombaient en désordre devant mes yeux. Il les rejeta, lui, avant de ramener sa main glacée jusqu'à mon épaule.

-Ce n'est pas un rêve cette fois, Miss Lumare. Ni un cauchemar.

Est-ce qu'il venait... La bibliothèque? Mais je croyais...

Je cessai de me débattre, les poings serrés contre son torse. Ses grands orbes noirs étaient rivés aux miens, me jaugeant d'une manière indescriptible, ils étaient durs, alors que ses doigts tremblaient dans mes cheveux et contre mon uniforme. Le visage de Rogue était très proche du mien, son grand nez busqué juste au-dessus du mien, ses cheveux graisseux frôlant presque ma joue, mon souffle court mêlé au sien.

Khorine...

Qu'est-ce qu'il voulait exactement?

-Vous êtes au courant de ce que vous risquez, si vous ne me lâchez pas? Murmurai-je.

Ses mâchoires se contractèrent, comme le soir de Noël.

-Je sais.

Son sifflement effleura mes lèvres, mon coeur s'emballa, alors qu'il ne desserrait pas sa poigne.

Je l'observai.

... En qui avais-je confiance? Quel était l'avis qui comptait à mes yeux? Qui avais-je toujours eu envie d'impressionner? Qui avais-je envie de toucher? D'enlacer? D'embrasser?

Mon poing contre son torse se desserra, pour agripper son vêtement. Ce fut à Rogue de se figer, de sonder mes yeux océan troublés. Puis je le rapprochai de moi, très lentement, et sentis son coeur chaud battre contre mes doigts.

-Khorine; murmura-t-il alors que nos bouches se frôlaient.

L'instant sembla suspendu, je ne l'attirai pas plus loin, déjà vacillante.

J'avais remarqué qu'il avait retiré sa main de mon épaule, pour se retenir au mur, et que nos souffles qui se mêlaient étaient à eux seuls enivrants...

Je fermai tout doucement les yeux, et sentis Rogue pencher un peu plus la tête, son nez busqué contre ma joue. Il resserra sa prise sur mes cheveux. Puis ses lèvres, contre les miennes, dans un baiser d'un telle délicatesse... Ce moment fut juste, parfait. Il n'y avait que sa bouche posée contre la mienne, la chaleur de son corps surplombant le mien, les battements rapides du coeur de la chauve-souris des cachots me parvenant malgré ses nombreuses couches de vêtements.

Ensuite, un gémissement échappa à l'un de nous, et Rogue lâcha le mur pour serrer ma taille, fort, me retenir contre lui et contre les pierres. Il écarta ses lèvres, murmurant mon prénom, avant de reprendre les miennes. Sa bouche contre ma lèvre inférieure, ses dents, puis ma lèvre supérieure qu'il embrassa plusieurs fois. Je tremblais, affolée par les sensations qui déferlaient en moi.

Un nouveau baiser, plus dur et pressant, et son étreinte devint douloureuse. Mes omoplates cognaient contre le mur, je n'arrivais plus à respirer.

-Prof...

Il martyrisait mes lèvres rouges et brûlantes et je ne pouvais plus parler, ni trouver d'air. Alors je le repoussai, des deux bras. Dès qu'il le sentit, Rogue arrêta, recula, mais je refusai de le lâcher...

Je me tenais à lui, la respiration précipitée, le regard baissé contre son torse, de longues mèches déjà devant mes yeux. Sa poitrine se soulevait aussi rapidement que la mienne. Son souffle saccadé...

Nous dûmes prendre un moment, pour retrouver contenance.

Puis je relevai mon regard océan vers lui, les joues rougies, les lèvres un peu douloureuses entrouvertes. Le sien était aussi sombre que la nuit, il me brûlait.

Il se rapprocha de nouveau, mais pour me faire reculer, pour me piéger contre les pierres du mur, les bras de chaque côté de ma tête. Ils tremblaient encore un peu.

-Que.. comptez-vous faire à présent, Miss Lumare?

... je préférais lorsqu'il m'appelait Khorine. Je préférais aussi quand il ne me soupçonnait pas de vouloir le dénoncer au professeur Dumbledore, de tenter de le renvoyer ou de me venger d'une quelconque manière. Je savais qu'il le pensait, à quelque chose dans son maintien soudain rigide, au voile que je parvenais à détecter devant ses prunelles noires.

-Je ne sais pas; répondis-je avec sincérité.

Est-ce qu'il voulait que je taise ce qui s'était passé ce soir? Est-ce qu'il voulait aller jusqu'à transgresser les règles de Poudlard, et recommencer ce que nous avions fait?

Son regard dériva le long de mon visage, jusqu'à mes lèvres. Il crispa les mâchoires, se força à revenir affronter mon regard.

-Je vous laisse la nuit pour réfléchir, et la journée de demain; murmura-t-il d'une voix rauque. Vous me ferez part de votre décision à votre retenue de vingt heures.

Quelle invitation romantique! Un léger sourire amusé m'échappa, Rogue se détourna crispé et rigide, recula. Ses mains retrouvèrent leurs places dans son dos. J'avais devant moi le bâtard graisseux, celui que je n'aurais jamais consciemment soupçonné d'être aussi... passionné.

Un dernier regard échangé, puis Rogue se détourna, il quitta la tour d'Astronomie.

Je ne tardai pas à m'écrouler contre le mur. Merlin... Rogue... C'était... Rogue!