Chapitre 6

-Khorine! Khorine! Ca va?

Hermione avait surgi d'un couloir du troisième étage, comme un boulet de canon.

Elle m'avait fait peur, en plus de m'avoir tirée de mes pensées.

-Oui, bien, je...

Ma meilleure amie n'attendit pas pour me sauter dessus, et refermer ses bras autour de moi.

Je... Je soupirai, puis enlaçai à mon tour son corps fin, cachai mon visage dans ses cheveux touffus.

-Je t'ai cherchée partout; marmonna-t-elle, dans les serres, le dortoir, les toilettes des filles, la salle sur demande!

-Je suis désolée; répondis-je tout bas. J'avais besoin de réfléchir un peu.

Elle se serra un peu plus contre moi, ce qui m'arracha un sourire. Nous autres Gryffondor étions de grands sentimentaux. Hermione surtout, malgré ses remparts de livres et de grimoires. Elle n'avait jamais supporté que qui ce soit puisse me blesser.

-Elle s'est fait remonter les bretelles, ça je peux te l'assurer! Et la prochaine fois qu'il lui prend l'envie de...; gronda Hermione en s'écartant un peu pour me fixer dans les yeux.

Je l'arrêtai en secouant la tête, en souriant un peu.

-Ca va... Et puis Ginny n'avait pas tort, elle m'a fait réfléchir. Je vais essayer de nous réconcilier.

Ma meilleure amie cilla, plissa les paupières en m'observant attentivement et j'eus un moment de... doute. Ce n'était pas une Miss Je-sais-tout pour rien, si quelque chose la laissait soupçonner... Mais elle ne pouvait pas savoir, non? Que je venais de voir Rogue.

-Il s'est passé quelque chose? Demanda-t-elle d'un ton on ne peut plus suspicieux.

Je rougis, grimaçai, puis marmonnai que oui, mais que je voulais garder ça secret pour l'instant.

Ma meilleure amie, malgré sa curiosité légendaire, n'insista pas.

Nous finîmes par nous séparer, puis nous diriger vers notre salle commune. Hermione et moi parlâmes des cartes, des chocolats que beaucoup d'élèves avaient reçu. La conversation dériva vers les siens, qu'elle n'avait pas encore ouvert.

-Tu sais qui te les a offerts?

Elle rougit, grommela un: "non" significatif. Quelques temps plus tard nous atteignîmes la salle commune de notre maison. Ginny s'empressa de se lever des genoux de Harry en nous voyant revenir, de m'attirer à l'écart pour parler. Elle était trop fière pour s'excuser, il n'y avait de toute façon pas de raison qu'elle le fasse. Je lui dis qu'elle avait eu raison, ne fis pas d'excuse moi-même.

Ginny ne s'y attendait pas. Nous finîmes cette discussion d'un petit sourire entendu.

-Alors? Questionna Harry en nous voyant revenir.

Ginny le rassura et son regard vert absynthe étincela doucement vers moi. Je lui ébouriffai les cheveux, Ginny retrouva sa place sur ses genoux. Et puis nous nous rendîmes compte que Ron était rouge pivoine, qu'il se tenait un peu plus loin avec Hermione, qu'il semblait avoir quelques difficultés d'élocution. Nous l'entendîmes, au final, lui proposer une balade dans les couloirs.

C'était la méthode la plus maladroite possible, mais Hermione accepta, malgré les ricanements peu discrets de certains Gryffondor. Ginny ricanait.

-Tu es témoin bien sûr; plaçai-je mine de rien, que c'est Ron qui lui a proposé cette balade dans les couloirs.

Elle commença à acquiescer... Un sourire carnassier apparut au coin de mes lèvres, et elle comprit aussitôt.

-Fichu pari! Grommela-t-elle.

Je m'esclaffai, quelle agréable soirée!

o oo0oo o

J'avais passé une bonne partie de la nuit à réfléchir, avais préféré me plonger dans mes réflexions tout le lendemain plutôt que de lire le dernier grimoire que j'avais emprunté à la bibliothèque.

Toutes les conséquences potentielles m'étaient apparues, toutes les raisons qui me poussaient à refuser et celles qui pouvaient me faire accepter.

-Est-ce que tu cesseras un jour de te goinffrer à table? Lâcha Hermione, excédée, à son nouveau petit ami.

Ron grommela, en gobant un nouveau profiterole noyé dans le chocolat. Ce qui lui valut un énième regard noir, quelques moqueries de sa soeur cadette. Moi, je dus me lever.

-Tu t'en vas déjà?

-J'ai retenue à vingt heures; acquiesçai-je.

Harry soupira en secouant la tête, puis redressa ses lunettes sur son nez:

-Bonne chance!

-Content de t'avoir connu; lâcha Ronald... avant de me sourire de ses dents recouvertes de chocolat.

Hermione n'appréçia pas du tout, je reçus un petit sourire de Neville, de Ginny, puis partis alors quéclatait à notre table une dispute de couple qui était en passe de devenir mémorable.

Je ne m'inquiétais pas, Ginny me raconterait tout plus tard.

Je sortis de la Grande Salle, marchai dans les couloirs relativement bondés par les élèves, puis m'éloignai de plus en plus, descendis les escaliers hélicoïdaux, arrivai jusqu'aux cachots où ne passaient plus que quelques Serpentard.

Cette partie du château était sombre, humide... Elle me rappelait les oubliettes de notre manoir. Les sanglots, les gémissements qui s'intensifiaient et puis les hurlements... Ils déchiraient le silence, il y avait tant de souffrance dans ces hurlements! Tant de souffrance!

Je toquai à la porte, trois coups.

-Entrez!

La voix de Rogue avait traversé le panneau de bois, toujours sifflante, toujours glacée. Est-ce qu'il pouvait penser que j'allais le dénoncer? Ou me moquer de lui et en parler à mes amis?

J'ouvris doucement la porte. Il avait été terriblement courageux hier, à tout risquer, alors que je n'avais même pas été capable de m'avouer qu'il pouvait me plaire.

-Professeur; saluai-je en refermant la porte, puis m'avançant.

Il se tenait assis à son bureau, devant une multitude de copies, ses cheveux graisseux cachant son visage et brillant à la lueur des quelques chandelles enflammées.

Le reste de la classe était toujours aussi lugubre pendant la nuit, avec tous ces bocaux aux étagères, emplis de batraciens, de serpencendre dans le saumure, de boullus entiers dans d'énormes fioles transparentes... Je me demandai si ses appartements ressemblaient vraiment à ça...

Le silence se prolongea. Rogue n'avait toujours pas relevé le nez de ses corrections, sa plume crissait sur le parchemin...

Je me trouvais à présent à plusieurs pas de son bureau, j'attendais...

-Qu'avez-vous décidé? Lâcha-t-il finalement d'une voix rauque.

Ce n'était pas normal. Rogue n'aurait jamais... C'était un maître de la manipulation, un des rares espions qui avaient survécu à cette guerre, un Occlumens né, un expert Legilimens!

Il releva la tête, laissant ses rideaux de cheveux graisseux révéler son long nez busqué, puis ses joues, son front, son regard fiévreux et sa peau blafarde. Je n'avais jamais remarqué combien il paraissait fatigué et malade. De profonds cernes sombres s'étendaient sous ses yeux.

Je... J'éprouvais une drôle de sensation à cet instant. J'avais envie de briser la distance, de le toucher, de le réconforter, de lui prouver que tous ceux qui l'entouraient ne voulaient pas le repousser ou le détruire. Je voulais juste...

Mon premier pas vers lui entraîna un éclair de panique. Je continuai, Rogue redressa aussitôt ses barrières d'Occlumens, il apparut froid et distant. Et moi je contournai le bureau pour arriver au siège où il se tenait toujours. Rogue ne se levait, ni ne bougeait. Alors je m'agenouillai, la main posée sur son accoudoir, sans le toucher encore. Seuls nos regards se mêlaient. Ses orbes noirs et le bleu océan des miens, dans le silence des cachots.

Je n'avais pas peur.

-J'ai décidé de vous faire confiance et de...; répondis-je.

-Imbécile! Siffla-t-il, comme furieux.

Que...

-Vous croyiez vous jouer du directeur de Serpentard? Cracha-t-il. Que vous pourriez vous servir de moi? Remporter les minables petits paris qu'ont pu lancer vos amis et duper le bâtard graisseux?

Il se leva aussitôt en balançant sa chaise en arrière. Elle partit s'effondrer contre le mur et je dus me relever précipitamment. Rogue tremblait, son teint cadavérique se troublait de rouge, ses yeux de rage. Il tenta un geste vers moi, mais se retint. Ce fut moi qui l'agrippai au col, et qui le plaquai contre son bureau.

-Pensez-vous sincèrement, professeur, que je laisserais n'importe qui me toucher pour gagner un pari? Ou que j'étais allée raconter à toute la tour Gryffondor ce que nous avions fait hier soir?

Ses yeux noirs m'ensorcelaient, j'étais furieuse.

-Pensez-vous que je n'étais pas sincère en vous offrant ma confiance?

Ma main, resserrée sur son vêtement, comme l'autre soir. Nos corps l'un contre l'autre. Je voulais tellement lui montrer qu'il n'était pas seul, que personne ne l'était.

-Vous n'avez aucun raison de le faire; siffla-t-il en me surplombant toujours d'une tête, un rictus déplaisant au coin des lèvres.

Sa réponse amena un nuage de tempête dans mes yeux océan, mon coeur se gonflait de colère. Nous tremblions tous les deux. Lui presque imperceptiblement maintenant... Je finis par le lâcher. Aucune raison de lui faire confiance? Très bien, je n'avais rien à faire ici.

Je voulus m'écarter et partir de ses cachots, cette fois, en claquant la porte. Il me retint par la taille. J'avais envie de rester.

-Et si j'avais parié dix gallions sur la crédulité du directeur des Serpentard? Lâchai-je sans chercher à m'écarter.

Je le défiai du regard. Rogue ne dit rien. Il ne me croyait pas, il ne me pensait pas capable d'être venue pour lui, attirée par lui. Pourtant il me gardait dans ses bras. La lueur froide des bougies nous éclairait tous les deux, enlacés et immobiles dans ses cachots.

Ma main, glacée, se leva jusqu'à son visage. Rogue ne bougea pas. Et nos peaux furent enfin en contact. Je touchai son front, ses tempes, ses cheveux graisseux. Je l'observai, étourdie par mon audace, consciente de tout ce que cela lui coûtait alors qu'il évitait d'ordinaire le moindre contact.

Ses orbes noirs étaient rivés aux miens.

-Vous avez froid, Miss Lumare.

Ce n'était pas une question, mais j'hochai un peu la tête. Les cachots étaient gelés en hiver.

Je retirai mes doigts, les fis agripper sa cape plutôt. Rogue parut encore plus crispé que lorsque j'effleurais son visage. C'était comme s'il se retenait de... s'écarter... ou de m'étreindre plus fort.

-Venez; murmura-t-il en desserrant sa prise, s'éloignant.

Je le suivis sans poser de question. Il ouvrit la porte qui conduisait à la réserve, là où s'entassaient la plupart des ingrédients nécessaires à nos potions. L'espace entre deux étagères étaient étroits mais Rogue passait devant et ne m'accordait plus un regard. Au bout de la pièce, il y avait un portrait.

Un énorme potionniste brassait une mixture de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, en sifflotant comme s'il se contentait de faire cuire un ragoût. Cette potion, et ces verres de lunettes en étoile... je le reconnaissais, c'était Moretro Rolando! Le potionniste qui avait créé la potion anti-nociceptive la plus puissante au monde.

Il ne sembla même pas se rendre compte de notre arrivée, ou du fait que Rogue murmure le mot de passe et que son propre portrait se déverrouille. L'anti-nociceptive... sa potion agissait sur les interneurones des couches II et III de la corne dorsale de la moelle épinière. Elle empêchait la transmission du signal douloureux...

Rogue me conduisit dans un long couloir, assez sombre. Une porte entourée d'un liseré de lumière était fermée tout au bout. Nous finîmes par y arriver, mon professeur de potion l'ouvrit, et m'invita dans ses appartements.

Il y faisait chaud, les flammes de la cheminée crépitaient avec force, iluminaient chaque recoin de la pièce, du salon. Il était spacieux, les murs parcourus d'étagères de grimoires et de fioles, la cheminée entourée d'un grand canapé et de deux fauteuils en cuir, une grande table plus loin où s'entassaient des parchemins, des plumes, deux bouteilles d'encres, trois piles de livres en équilibre précaire. Il y avait deux marches de parquet au fond menant à un espace empli de nouveaux ouvrages et à deux portes. L'endroit était aussi chaleureux et confortable que la salle de classe était sinistre.

Je me retournai vers Rogue, il m'observait depuis le fauteuil dans lequel il avait pris place.

-Asseyez-vous; demanda-t-il.

J'obtempérai, comme le siège qu'il me présentait était près du feu, et que je pouvais toujours admirer les rayonnages croulant sous le poids des grimoires de potionnistes.

-Vous pensiez... que la chauve-souris des cachots vivait dans un sous-sol froid et humide, qu'elle dormait la tête en bas ou dans un cercueil? Grinça-t-il.

Je tressaillis.

-Non.

Ses mâchoires se crispèrent distinctement. Je... Je me demandai pourquoi il m'avait vraiment fait cette proposition la veille. Pourquoi... Je repoussai mes interrogations à plus tard.

-Mais je ne m'imaginais pas; repris-je, que vos appartements étaient gardés par Moretro Rolando.

C'était presque une taquinerie, sachant combien il était connu pour ses "tests" sur toutes les substances psychoactives possibles et imaginables. Un léger sourire m'échappa, Rogue grommela que c'était à cause du directeur. Il y eut un silence, un peu pesant... Et puis je me lançai:

-Pourquoi est-ce que vous ne me mettez plus que des A en potions?

Le feu crépita en ponctuant ma question, puis le silence encore. Rogue agrippa ses longs doigts fins aux accoudoirs de son fauteuil, un masque dur soudain cachant tout ce qu'il pouvait penser.

-Vous n'avez que ce que vous méritez; siffla-t-il.

Cela ne m'empêcha pas de répliquer:

-Je ne vois pas ce que...

-Vos hors-sujets mériteraient plutôt des Trolls, alors estimez-vous heureuse; m'interrompit-il.

Hors-sujets? Mon regard océan étincela et je me penchai en avant dans le canapé, prête à en découdre. Cela faisait tellement longtemps que je travaillais passionnément, je voulais savoir:

-Il n'y a qu'une petite partie de chaque devoir qui peut être qualifiée de hors sujet, et je ne vois pas pourquoi vous ne la barrez pas seulement comme dans les autres copies. Pourquoi vous ne mettez qu'un A sans jamais aucun commentaire?

-Comme si les tissus d'âneries que j'aie bien pu lire sur vos copies méritaient d'être commentés; susurra Rogue d'un ton condescendant.

J'haussai un sourcil et me redressai un peu, surprise. Attendez un peu...

-Vous lisez mes devoirs?

Rogue crispa les mâchoires, mais je ressentais quelque chose de bizarre dans le creux de mon ventre. C'était assez doux, se propageant depuis mon coeur jusqu'aux artères et chaque parcelle de mon être. Je... j'avais menti à Hermione. Je désirais, depuis toujours, la reconnaissance de mon travail. Celle du maître de potion le plus réputé de Grande Bretagne...

-Ce qui est une perte de temps peut-être plus déplorable qu'avec ceux de vos camarades; rétorqua Rogue. Vos parcelles de connaissance sont étalées sans aucune logique pour parvenir jusqu'à des suppositions erronnées affligeantes.

Un sourire frayait son chemin à la courbure de mes lèvres, sans que je puisse m'en empêcher.

-Mais pour la Pimentine...; commençai-je.

Pour être coupée par la voix tranchante de mon professeur:

-Votre raisonnement est incomplet, comme toujours. Vous ignorez près des trois quarts des ingrédients pour ne vous contenter d'étudier que ceux qui vous plaisent. La peau de crapaud cornu, les dards de Billywigs, les pétales de cardamine et les fleurs de soufre ne sont pas les seuls ingrédients d'une Pimentine, Miss Lumare!

-Mais leurs propriétés anti-diurétiques et leurs actions sur la volémie sont indéniables! Répliquai-je, le regard étincelant à la lueur des flammes.

L'expression de Rogue était assez difficile à déchiffrer à présent... Je savais juste qu'il faisait chaud, que j'étais bien, que Rogue était un expert et qu'il comprenait...

-Seulement lorsque vous ne prenez pas en compte le venin d'Acromentule non dilué à action locale sur les osselets de l'oreille moyenne. Le venin entraîne la porosité de ces os et leur engorgement. Il serait beaucoup plus probable que les fleurs de soufre, le Billywigs et le crapaud cornu n'aient qu'une propriété exothermique.

-Mais ce sont toujours eux qui sont responsables de la perte de poids, par élimination de vapeur d'eau!

Rogue croisa ses doigts fins devant lui, me fixant depuis son fauteuil en cuir. Il y avait peut-être... une infime étincelle d'amusement au plus profond de ses orbes sombres, je n'en étais pas certaine.

-Les effets de la Pimentine sont indiscutables, contrairement au mécanisme bancal que vous avez défendu dans votre copie.

-Je n'avais peut-être pas pensé au venin d'Acromentule, mais mon explication tient toujours; contrai-je, parce qu'il y a réaction hypotensive! Et parce que ces propriétés sont retrouvées dans plusieurs potions contenant les mêmes ingrédients. La Poussos, l'Anti-magicis clypeum, le...

Rogue m'interrompit, rétorquant que l'hypotension et la perte de poids associées pouvaient venir de nombreux mécanismes distincts et pas seulement d'une régulation de la natrémie. Il me prouva, propriétés d'ingrédients à l'appui, de part les réactions des potions à différentes étapes également, qu'un potentiel hyponatrémiant était improbable. Rogue détruisit mes arguments un par un, avança une nouvelle théorie incluant le venin d'Acromentule, me subjugua...

Je ne voulais rien lâcher de mon hypothèse principale, trouvant toujours le moyen de contourner les critiques accablantes de Rogue, mais j'étais fascinée... fascinée...

-C'est simple; affirmai-je. Il suffirait de faire des prélèvements de sang pour déterminer si il y a oui ou non une concentration plus élevée de rénine, d'angiotensine I et II ou d'aldosterone.

-Têtue comme une Gryffondor! Grommela Rogue à cela.

Je lui renvoyai un petit sourire qui ne sembla pas l'offenser, m'apprêtais sûrement à répliquer... lorsque la pendule sur le manteau de la cheminée fit grincer ses ressorts, et sonna. Dix coups retentirent un par un. Il était vingt-deux heures. L'heure du couvre-feu.

Le silence retomba dans les appartements du maître des Potions...

-Vous devriez retourner dans votre dortoir.

Je n'avais pas envie de partir, j'étais bien ici. Mais je ne comptais pas non plus risquer d'ennuyer mon professeur ou de faire perdre des points à ma maison. Alors j'hochai la tête simplement, me levai. Rogue quitta son fauteuil pour me raccompagner jusqu'à la porte de ses appartements.

-Revenez demain soir, même heure; lâcha Rogue la main sur la poignée.

Je me tenais dans le renfoncement du mur, très proche de lui qui avait voulu m'ouvrir la porte. Je me sentais, piégée, entre le professeur, les pierres, la porte.

-J'ai... un tournoi d'échecs demain soir, dans la tour Gryffondor. Et après-demain si je gagne les premiers jeux.

Son masque neutre se brisa un instant, il y eut une émotion particulière, comme dans un flash. Puis plus rien. Un rictus apparut au coin de ses lèvres.

-Vous pensez avoir vos chances?

J'acquiesçai... Une sang-pur se devait de jouer aux échecs, d'être la meilleure, seul Ronald me donnait du fil à retordre.

-Et vendredi soir, il y aura notre dernière réunion de Quidditch avant les vacances de février. Je ne crois pas pouvoir me libérer avant le couvre-feu.

Donc je ne le reverrai pas avant samedi, seul à seule s'entend... Sauf s'il me mettait en retenue.

Je l'interrogeai du regard, hésitante, je ne savais pas comment je pouvais réagir s'il m'obligeait à le revoir. Heureusement il n'en fit pas mention. Rogue me demanda seulement si je partais pour les vacances. Je niai comme M. et Mme Weasley avaient été invités, pour les deux semaines, en France dans le manoir des Delacour.

-Venez samedi dans ce cas. A vingt-et-une heures.

Rogue ne dit rien de plus et ne montra rien de ce qu'il pouvait en penser. Il n'actionnait pas encore la poignée et se trouvait si proche de moi, ses onyx troublants, ses lèvres...

-Acceptez-vous? Murmura Rogue, une étincelle étrange au fond de ses yeux sombres et froids.

J'avais relevé les miens pour acquiescer, les forcer à quitter ses lèvres fines. La chaleur de son corps m'appelait dans cet espace étroit, je voulais rapprocher Rogue de moi, je voulais sa bouche contre la mienne comme la veille, qu'il recommence. Je ne pus résister, moi, dus me détacher du mur et agripper mes mains à sa robe de sorcier. Il en lâcha la porte. Et m'enserra fermement la taille de ses deux bras.

J'étais bien tout contre lui, au chaud, en sécurité... Je n'avais jamais ressenti cela avec d'autres qu'Harry ou Hermione, Ronald des fois... Rogue était surprenant.

-S'il vous plaît; demandai-je dans un chuchotement...

... que je n'eus pas le temps de finir comme il m'exauçait et posait enfin ses lèvres contre les miennes. Si douces et froides... que je réchauffai des miennes...

Etre dans les bras de Rogue, enveloppée par sa chaleur, sentir son coeur qui battait et sa bouche doucement lovée contre la mienne; était impossible. Impossible... Pourtant nous finîmes par rompre notre baiser et nos regards se mêlèrent, ses ténèbres, mon océan, apaisés tous deux. C'était Severus Rogue, mon professeur de Potion, un maître respecté dans toute la Grande Bretagne, un combattant pour la Lumière, un ancien Mangemort...

Je revins à sa bouche, l'embrassai encore. Et encore. Et je voulais faire passer tant de sentiments dans ce baiser que quelque chose s'enflamma, il devint plus passionné. Je l'agrippai un peu plus, ses bras se refermèrent trop fort. Nous haletions dès que nos bouches se séparaient, pour se retrouver aussitôt, pour se goûter encore. Il mordit ma lèvre, ce qui m'entraîna à sortir ma langue, lécher mon sang, j'effleurai sa bouche au passage. Cela sembla l'électriser, sa main remonta contre mon omoplate, s'y agrippa. Il tremblait. Un gémissement échappa à la chauve-souris des cachots, de souffrance. Je ne savais pas pourquoi, mais je savais qu'il souffrait. Je voulus...

Il s'écarta.

-Allez; siffla-t-il d'une voix rauque.

Quelque chose me brûlait le coeur. Je voulus m'avancer, retrouver son corps, il recula de deux pas et manqua de heurter le mur de derrière.

-Revenez samedi, vingt-et-une heures.

Je... Je me contins. Il le fallait.

-Bien; murmurai-je.

Et l'instant d'après, j'avais quitté les appartements de Severus Rogue.