Chapitre 2

Ils étaient attablés devant le petit-déjeuner, Khorine ne pensant rien, ne ressentant rien, avalant ses crumpets avec des morceaux de pommes, Rogue lisant le journal. Soudain, ses poings se refermèrent sur le journal qui se froissa. Khorine releva la tête. Le sorcier le jeta sur la table, blanc de rage, avant de se lever violemment. Il marcha vers la porte; s'arrêta soudain, et se tourna d'un coup vers elle.

-Lumare! Aboya-t-il.

Elle tressaillit.

-Avez-vous eu un contact avec l'extérieur?

Elle pâlit aussitôt et voulut mentir mais il siffla:

-Ne me mentez pas!

-Je…

Le cercle à son poignet saigna aussitôt.

-Oui; murmura-t-elle.

Le doloris la percuta de plein fouet, l'envoyant s'écraser au sol et se tordre de douleur. Elle s'insinuait dans chacun de ses nerfs, les rongeant comme de l'acide; le sortilège fut levé.

-Comment? cracha Rogue.

Khorine tressautait encore au sol. Le doloris l'atteignit en plein cœur.

-Comment? Hurla-t-il.

Une aura menaçante s'échappait du sorcier par vagues angoissantes. Khorine gémit entre ses mâchoires serrées. Le doloris cessa.

-Répondez-moi; lui ordonna-t-il et le sang imbiba la manche de Khorine.

Elle lutta encore, jusqu'à ce que la magie atteigne sa gorge et sa bouche et qu'elle soit obligée de chuchoter:

-Ma chouette.

Elle leva les yeux vers le sorcier. Son visage resta blanc un long moment, puis un rictus mauvais lui déforma les traits. Khorine se redressa aussitôt, tombant à genou devant le mangemort:

-S'il vous plaît, ne lui faîtes pas de mal; murmura-t-elle en tremblant encore. Ce n'est pas de sa faute.

-Appelez-la.

L'ordre claqua sèchement.

Elle refusa et le sang tacha la moitié de sa manche et goutta le long de sa main tandis que la magie la forçait une fois encore à lui obéir.

-Sidus; appela-t-elle.

-Plus fort; siffla Rogue.

-Sidus!

La chouette ne tarda pas à apparaître. Elle était agitée et poussa des cris perçants en se posant sur le balcon. Khorine se releva en se tenant à la rambarde avant de se mettre entre elle et Rogue.

-S'il vous plaît, ne lui faîtes pas de mal.

Elle tremblait de tous ses membres.

Rogue la fixa. Un sourire mauvais s'étendit au coin de ses lèvres et puis il se pencha vers elle. Le souffle de Rogue était chaud contre son oreille:

-Ne vous aventurez plus jamais à contacter l'Ordre, ou à utiliser votre chouette pour envoyer vos petits messages, autrement je la clouerai au mur et la laisserai se vider de son sang avant de l'écarteler lentement. Est-ce bien clair, Lumare?

-Limpide, Monsieur; chuchota-t-elle.

Elle s'écarta ensuite du mangemort en se tenant à la rambarde, et, sur des jambes tremblantes, murmura à Sidus que tout allait bien, qu'elle pouvait partir. La chouette tourna vers elle de grands yeux plein d'angoisse, et puis sauta du balcon pour plonger dans la nuit. Khorine la regarda voler, elle n'allait pas vers la volière…

Une main cruelle l'agrippa soudain par le cou et la retourna avant de la plaquer contre le mur. Un halètement de peur lui échappa et elle tenta par réflexe de libérer sa gorge. Elle n'avait pas assez de force. Il ne semblait pas remarquer qu'elle se débattait. Pourtant Rogue ne la quittait pas de son regard de nuit. Khorine étouffait. Il finit par desserrer légèrement sa poigne. L'air rentra dans ses poumons. Et puis il se rapprocha, et leurs corps se frôlèrent, leurs souffles se mêlèrent. Le regard du mangemort devint effrayant.

-Je ne recommencerai plus; lâcha Khorine.

La poigne de Rogue se desserra mais son autre main s'éleva pour lui enserrer l'arrière de la tête tandis que son pouce se posait contre sa joue. La jeune femme en fut terrifiée. Le mangemort la fixait encore, détaillant les yeux d'un bleu océan, les pommettes saillantes et les joues creuses, les lèvres pâles, les boucles de cheveux autour du visage fin. Ses halètements de peur lui effleuraient la peau.

Ce simple contact lui avait toujours été refusé. D'aussi loin qu'il s'en souvienne.

Son pouce caressa inconsciemment la peau douce de la sorcière. Khorine se collait au mur, une main toujours accrochée aux doigts qu'il gardait serrés autour de son cou. Ses pupilles rétractées par la peur cherchaient une échappatoire.

-Ne recommencez plus; murmura Rogue.

Il ne bougea pas. Elle agrippa plus fort la main autour de sa gorge pour qu'il lâche et, enfin, il recula et ses doigts quittèrent sa peau. Le visage de Rogue n'exprima plus rien. Il s'écarta d'un nouveau pas.

Khorine serait tombée sans l'appui du mur.

-Allez au laboratoire reprendre l'entraînement; ordonna-t-il d'un ton froid.

Elle lui jeta un coup d'œil avant de s'aventurer à le contourner et à se diriger vers le laboratoire. En chemin elle inspira profondément. S'il voulait la torturer encore, ou la violer, il le pouvait, et ça n'avait pas d'importance. Si elle ne ressentait plus la peine, elle ne devait plus ressentir la peur. Elle inspira encore plusieurs fois, puis les barrières de son esprit se refermèrent. Elle arriva dans le laboratoire, enfila un tablier de protection, des gants et des lunettes et attendit ses instructions. Rogue lui ordonna de préparer du Felix Felicis.

Si elle arrivait à en récupérer un peu, elle pourrait peut-être récupérer sa baguette, ou recontacter l'Ordre par Cheminette. Elle se mit au travail. Ce fut alors qu'elle avisa ses mains qui tremblaient. Elles tremblaient violemment. Ses jambes aussi vibraient sans qu'elle puisse les retenir. Khorine se retint à sa paillasse. Les effets du doloris ne faiblissaient pas encore. Ses nerfs étaient touchés et des signaux de magie crépitaient à leurs terminaisons. Elle ne pouvait pas se retenir. Elle décida tout de même de prendre un couteau et commencer la découpe de cheveux de vélane. Sa main tremblait violemment.

-Suffit; aboya Rogue. Vous êtes une incapable, Lumare. Allez étudier le Paramirum pour la journée.

Le couteau qu'elle lâcha s'abattit sur la table dans un claquement sec. Khorine quitta le laboratoire et partit s'agenouiller près de la table basse. Elle ouvrit son grimoire et disposa parchemin, plume et encre devant elle, puis cacha ses mains entre ses cuisses. Les soubresauts étaient encore violents. Elle les ignora du mieux qu'elle put. Rogue quitta ses appartements en claquant les portes.

Le silence.

La peur abjecte refit surface. Comme un monstre hideux sortant la tête d'une eau calme. Elle refusait de la ressentir, mais elle était là, et ses mains tremblaient, et elle se mit à réfléchir à sa situation pour la première fois. Pourquoi l'avait-on laissée en vie?

Une angoisse sourde se répandit dans ses veines.

Elle déjeuna seule, devant les plats que lui apporta Winky.

Le soir venu, Rogue refit surface. Sa chaise racla le sol de l'autre côté de la table. La peur la reprit au ventre. Il ne la regarda pas. Ils commencèrent à manger.

Chaque bouchée de purée se transformait en cendre dans sa bouche. Il fallait qu'elle sache.

-Monsieur?

Rogue ne la regarda pas. Elle inspira puis lâcha d'une voix qu'elle espérait ferme:

-Pourquoi m'a-t-on laissée en vie?

Les yeux sombres percutèrent les siens et un frisson lui échappa. Rogue eut un petit rictus.

-Il était temps de vous poser la question Lumare.

Elle attendit, le poing crispé autour de sa cuillère. Contre toute attente, Rogue lui répondit.

-Vous avez été choisie par le Seigneur des Ténèbres pour le servir, prendre la marque et inspirer les derniers rebelles à le rejoindre.

Rogue ne s'attendait pas à la voir sourire à cela. Ni à déceler du soulagement sur les traits fins. Il l'observa attentivement. Il ne décelait pourtant pas de honte sur son visage. Cela devait signifier qu'elle préparait encore quelque chose. Rogue soupira mentalement.

Khorine fit un effort malgré l'immense vague de soulagement qui l'inondait pour se retrancher derrière ses barrières mentales et ne plus rien montrer. Elle aurait l'occasion d'approcher Voldemort! Et Nagini!

-Je prendrai la Marque? Demanda-t-elle d'une voix pas tout à fait dénuée de joie.

Rogue plissa les yeux.

-La Marque ne s'obtient pas sans preuve d'allégeance.

La sorcière ne cilla pas.

-Quand?

-Eh bien Lumare, je ne m'attendais pas à une telle impatience. Vous serez conduite auprès du Seigneur des Ténèbres lorsque je le jugerai bon. En attendant votre réaction est pour le moins, intrigante.

Khorine sentit le danger de ce regard perçant et paniqua à l'idée qu'il puisse utiliser la Légilimencie contre elle. Elle baissa les yeux.

-Je…

Elle cherchait fébrilement une excuse plausible, une demi-vérité, n'importe quoi.

-Je ne ressens plus rien… Harry est mort, et le dernier espoir de la Lumière avec lui… Je veux empêcher les derniers survivants de se faire tuer pour rien… Et je veux voir ce que l'avenir réserve… Je veux vivre.

Elle releva la tête, et quelque chose de brûlant agitait ses yeux océan, pour la première fois depuis la bataille. Rogue lui jeta un regard dépassionné.

-Gardez vos discours pleurnichards pour le Seigneur des Ténèbres. Vous n'avez pas l'étoffe d'un Mangemort et vous ne l'aurez jamais.

-Je ferai ce qu'il faut pour survivre; répliqua-t-elle.

Un rictus sarcastique découvrit les dents jaunes de Rogue.

-Alors rendez-vous indispensable; lâcha-t-il.

Khorine cligna des yeux.

-Continuez votre repas, Lumare. En silence.

oOo

Le lendemain, il lui redemanda de préparer la Felix Felicis, mais cette fois il questionna chacun de ses gestes. Quel chaudron? Pourquoi? Le chaudron en argent permettait de catalyser les réactions entre l'ambre et les cheveux de vélane et… Quelle température? L'humidité de l'air est-elle à prendre en considération? Et les ustensiles? Pourquoi le couteau en argent excepté pour les poils de griffon? Il la corrigeait lorsqu'elle se trompait, rajoutait des explications qu'elle n'avait encore lues dans aucun livre. Ils s'attaquaient à la théorie de base, il l'interrogeait sur les équations utilisées pour trouver les bonnes quantités, elle refaisait les démonstrations à la craie sur un tableau noir tandis que les chaudrons bouillonnaient. Ils passèrent la journée au laboratoire. Le temps passa comme dans un rêve. Il lui fit découvrir des subtilités de calcul, lui montra des équations plus complexes et les semaines passèrent. Elle se laissait flotter, sans rien ressentir, sans soleil sur sa peau, sans voir d'autre visage que celui du sinistre directeur de Poudlard. Elle avait perdu le compte des jours. Ils étaient déjà fin juillet. Il y eut le 31 juillet, mais Khorine n'en sut rien, et ils arrivèrent début août. Il faisait frais dans les quartiers de Rogue.

Ils dînèrent comme à leur habitude, en silence, dans la salle à manger. Après le dessert Khorine s'apprêtait à rejoindre la table basse et ses derniers Potions Magazine, lorsque Rogue fit un infime signe de tête. Elle s'arrêta.

-Nous allons dans la Forêt Interdite ce soir, tester vos aptitudes en Botanique.

Il avait relevé le coin de ses lèvres sur ses dents jaunes, en semblant de mépris. Pourtant, son regard qui ne la quittait pas était dépourvu de froideur.

-Vous n'avez l'autorisation de sortir qu'en ma compagnie. Est-ce clair? Bien, prenez une cape.

Elle lui obéit, avant d'être forcée à le faire, puis revint dans le salon. Rogue faisait tournoyer lentement entre ses doigts une baguette. Sa baguette!Il la fixait pensivement. Elle réagissait d'une étrange manière à son toucher. C'était comme des langues de feu invisibles qui tour à tour le brûlaient puis le réchauffaient.

Khorine s'approcha, le cœur battant. Rogue maintint la baguette par le bout fin et la lui tendit.

-Seulement pour ce soir. Ne vous en servez qu'en cas d'absolue nécessité.

Elle n'écoutait pas et ses doigts effleurèrent enfin le bois familier. Une vague de flamme lui traversa le bras pour se répandre dans tout son corps. Elle se sentit enfin entière. Un sourire lui échappa. Ses yeux se voilèrent l'espace d'un instant. Lorsqu'elle reprit pied avec la réalité, Rogue la fixait.

-Monsieur?

Il avança d'un pas sur elle. Elle ne bougea pas. La main de Rogue finit par entourer son cou fin. Khorine resta immobile, incertaine. Le visage de Rogue s'approcha du sien, et puis, sans prévenir, il réempoigna le bout de sa baguette. Des vagues de magie chaude vinrent lui effleurer le poignet. Il s'écarta.

-Intéressant; siffla-t-il avant de se détourner dans un envol de cape.

Khorine regarda sa baguette. Que s'était-il passé? Elle n'avait rien senti.

Elle le suivit, passa la porte de ses quartiers, entra dans le bureau directorial où tous les portraits dormaient; où Dumbledore dormait, puis passa une deuxième porte, la gargouille et fut enfin dans les couloirs.

Elle n'était pas sortie depuis la Bataille Finale.

Cela faisait plus de deux mois. Il n'y avait plus trace des combats, elle les cherchait sur tous les murs, les dalles du sol, les armures, les portraits, c'était comme si rien n'était arrivé. Un désarroi et une rage qu'elle n'avait pas ressentie depuis longtemps lui brûlèrent le cœur.

Devant elle, Rogue s'interrogeait, et se souvenait du temps où il était encore professeur de Potions.

oOo

La sonnerie retentit et tous ses élèves se levèrent pour lui rendre leur examen. Potter et Weasley furent parmi les premiers à déposer leur feuille -en partie vide- et quitter la salle, Granger était encore penchée sur son parchemin, grattant un dernier détail.

-Granger! Aboya-t-il.

La Gryffondor sursauta mais eut l'audace d'écrire encore quelques mots avant de se lever et de rejoindre son bureau. Lumare déposa son parchemin sur la pile. Il savait déjà qu'il n'y aurait aucune erreur.

-Miss Lumare, restez un instant.

L'élève tressaillit mais s'immobilisa près de son bureau. Granger déposa sa feuille et adressa un petit signe à son amie avant de ranger ses affaires et refermer la porte derrière elle. Silence. Rogue finit de corriger un devoir de 2ème année de Poufsouffle, composé d'un ramassis d'âneries, et sa plume crissa durant quelques minutes avant qu'il ne daigne relever la tête. Lumare l'observait attentivement et il n'y avait rien de gardé ou de méfiant sur ses traits; ils étaient ouverts, et plein de curiosité.

-Le professeur McGonagall m'a informé de votre désir de devenir Maîtresse des Potions. Êtes-vous certaine de votre choix?

Lumare hocha la tête, les yeux pétillants:

-Oui, Monsieur.

-Dans ce cas, il vous faudra obtenir un apprentissage auprès d'un Maître des Potions, pour une durée de trois à sept ans. Je vous conseille de commencer dès à présent à lire les Potions Magazine de la Bibliothèque afin de prendre connaissance des différents Maîtres et des recherches qu'ils effectuent. Ce sera tout.

La gamine lui sourit et ses yeux scintillèrent encore avant qu'elle hoche la tête et quitte la salle de classe. Il y avait dans ses yeux du respect, ainsi qu'une confiance aveugle et enfantine. Au fil de ses années à Poudlard cette lueur dans les yeux bleus n'avait jamais vacillé, peu importe que la pierre philosophale soit en danger, que la chambre des secrets soit ouverte, que sa Marque ait été dévoilée, que l'Ordre le traite comme un paria et qu'il retourne s'agenouiller auprès du Seigneur des Ténèbres. Et cette manière de le regarder l'avait si bien touché qu'il n'avait pu s'empêcher d'être moins sévère. Il lui avait mis peu de retenue, et lui avait enlevé beaucoup moins de points qu'à n'importe quel autre élève de Gryffondor. Son admiration enfantine l'amusait.

oOo

Bien sûr, après ce qu'il avait fait cette nuit-là, la lueur s'était éteinte. Dans les yeux océan, à présent, n'étaient lisibles que la haine, la peur, la douleur ou ce brouillard insidieux qui recouvrait toute autre émotion.

Ils sortirent par un passage secret et se retrouvèrent dehors. Khorine buta plusieurs fois contre des petits cratères dans le sol. A certains endroits l'herbe ne repousserait jamais. Elle inspira.

Le ciel noir était parsemé d'étoiles; un fin croissant de lune semblait accroché à la tour d'astronomie.

Rogue avançait vite, ombre filante qui disparut bientôt dans les ténèbres de la Forêt Interdite. Elle le suivit. Les arbres se refermèrent sur elle, comme un insondable abysse. Rogue continuait, elle entendait ses pas dans les herbes basses. Elle le suivit. Des grognements résonnaient dans le lointain, rebondissant contre les troncs d'arbres, des hululements, un long hurlement lupin. C'était amusant, il lui rappelait quelque chose… Le souvenir la percuta de plein fouet et elle s'arrêta net. Fenrir avait hurlé à la lune avant de dévorer Lavande encore vivante. Ses cris résonnaient dans sa tête. Les crocs avaient perforé quelque chose, et Lavande avait cessé de bouger d'un coup, son corps était retombé, et le sang, les organes s'étaient répandus. Elle détourna la tête. Elle voyait Colin tomber, le regard vitreux. Elle gémit. Le corps de Remus était flasque entre les mains de Voldemort. Elle tomba à genou, la tête entre les mains. Elle n'arrivait plus à respirer. Le sang giclait. Elle se recroquevilla. Les yeux sans vie la fixaient. Colin, Remus, Lavande; elle revoyait le cerveau de…

-Lumare; appela-t-on. Calmez-vous.

Elle en était incapable. Elle hyperventilait, broyée par les souvenirs. La magie lui brûla le bras, remonta jusque dans sa poitrine et bientôt elle cessait de haleter. Elle resta à genou. Elle tremblait.

-Êtes-vous en état de continuer?

Elle n'entendit pas. Une main au sol la soutenait et ses doigts s'enfonçaient dans la terre trop humide. Elle se demanda si c'était du sang. Sa respiration s'accéléra de nouveau.

-Lumare?

Elle ne l'entendait plus. Elle ne voyait que la substance grisâtre étalée sur les dalles. Des larmes dévalèrent le long de ses joues. Elle haletait.

-Lumare, ce ne sont que des souvenirs.

Un râle déchirant lui échappa. La main de Rogue se posa sur sa joue, la forçant à relever la tête vers lui. Un Lumos l'éclairait. Khorine cilla. Il n'y avait pas que des ténèbres. D'autres larmes lui échappèrent.

-Vous êtes dans la Forêt Interdite. Il n'y a que vous et moi. Nous allons ramasser des belles-de-nuit pour des potions de soin et ensuite nous rentrerons à Poudlard. Vous sentez vous capable de vous relever?

Sa voix était étonnamment douce. Elle ne s'en rendit pas compte, occupée à calmer ses halètements. Il effaça les larmes de sa joue droite du pouce et attendit. Elle sentait la haine sous la surface, contre lui, mais à cet instant précis elle avait désespérément besoin de quelqu'un, n'importe qui, pour la tirer de son enfer. Elle ne pouvait se détourner de Rogue. Alors elle resta à genou, les yeux plongés dans les siens, la respiration de plus en plus lente, jusqu'à finalement murmurer:

-Je peux… me relever.

Rogue retira sa main de sa joue pour lui soutenir le bras. Et elle se rendit compte pour la première fois que ce contact était humain et chaud. Elle s'appuya sur lui et se redressa sur des jambes tremblantes. Rogue la fixa un instant supplémentaire, puis lâcha son bras et se détourna. La perte de chaleur faillit la faire replonger. Elle ferma fort les yeux et se força à refermer ses barrières mentales. Un pas, vers Rogue, puis un autre, elle avança, serrant les poings. Elle se concentra sur le bruit des pas de Rogue et le glissement de sa cape dans les herbes, les seuls signes qu'elle n'était pas seule au monde dans cet abysse sans fin.

Ils rejoignirent une clairière baignée de lumière lunaire et cueillir des belles-de-nuit ainsi que d'autres fleurs que Rogue déposa dans une bourse. Il l'interrogea sur leur nom, leurs propriétés et les potions dans lesquels elles étaient utilisées. Ses tremblements finirent par cesser.

Au retour, ils n'étaient pas éloignés de plus de deux pas. Elle n'eut pas d'autre attaque de panique. Et puis ils atteignirent le château, la lumière, empruntèrent les mêmes passages secrets et furent de retour dans les appartements de Rogue. Il lui fit face. Khorine avait le regard perdu quelque part sur le sol en pierre, elle cligna des yeux. Le silence était inhabituel. Il attendait sûrement quelque chose mais… Elle comprit, et sortit sa baguette de sa manche.

-Gardez-la; ordonna-t-il. Vous en aurez besoin.

Khorine fronça les sourcils et releva finalement le regard vers lui. Il se trouvait en pleine lumière, éclairé par le lustre, les bougies et le feu de cheminée. Ses cheveux noirs étaient gras et lui descendaient à présent jusqu'aux épaules, son visage était plus osseux qu'avant, son teint cireux presque maladif, ses yeux d'un noir d'abysse étaient gardés au-dessus de gros cernes qui lui dévoraient le visage. Comment avait-elle pu le laisser la toucher dans cette forêt? Une grimace de dégoût mêlé à du désespoir tordit ses traits. Elle se détourna; avant d'être violemment plaquée au mur par Rogue. Sa main enserrait la gorge de la sorcière et il cogna sa tête contre le mur.

-Oui Lumare, regardez-moi bien et n'oubliez pas que vous avez devant vous le meurtrier de Dumbledore; cracha-t-il d'une voix déformée par la colère.

Sa tête heurta une nouvelle fois le mur.

-N'oubliez pas; siffla-t-il encore, que c'est avec un mangemort que vous passerez ces prochaines années, que c'est un mangemort qui est votre maître, que c'est à un mangemort que vous avez prêté serment et à qui vous avez magiquement consenti à obéir en tout!

Il n'y avait plus que du désespoir sur les traits de la sorcière. Rogue resserra sa poigne sur sa gorge et… Il s'obligea à la desserrer, puis la lâcher.

-Dans votre chambre, immédiatement! Tonna-t-il.

Elle lui obéit aussitôt et se terra bientôt contre le mur et le lit. Le croissant de lune éclairait la pièce sombre. Elle se recroquevilla, entourant ses genoux de ses bras. Elle finit par se balancer d'avant en arrière.

Il l'avait prise à la gorge, plusieurs fois, il avait touché sa joue et essuyé ses larmes, il l'avait aidé à se relever. Son contact aurait dû la dégoûter. Elle aurait dû le rejeter. C'était un mangemort, c'était un traître! Il les avait abandonnés! Il avait trahi Dumbledore! Pourquoi son corps ne réagissait pas?

Et son aura n'avait pas changé. Elle était toujours d'un gris opalescent et lumineux.

Depuis toute petite, elle s'était toujours basée sur les auras qu'elle voyait pour juger les gens. Sa magie ne l'avait jamais trompée. Celle de Malfoy était fuyante et d'un gris terne, celle de Pettigrow noire et recroquevillée, celle du faux Fol'Œil noirâtre et pulsante, celle du professeur McGonagall d'un vert éclatant, celle de ses amis avaient été lumineuses, sauf celle d'Harry lorsqu'il était vraiment furieux mais ça n'avait pas d'importance. Celle de Rogue avait toujours été opalescente et pleine de lumière; et elle lui avait toujours fait confiance. Jusqu'à ce qu'il tue Dumbledore.

Après cela, elle n'avait plus jamais prêté attention aux auras qu'elle voyait.

Son corps et sa magie se trompaient.

C'était un traître.

Il ne pouvait en être autrement.

Il avait tué Dumbledore.

Ce traître, elle ne lui pardonnerait jamais. Elle se rappelait à présent à quel point elle le haïssait.

Elle finit par monter dans son lit toute habillée et ferma les yeux. Son épuisement était tel, qu'elle s'endormit aussitôt.

Quelques heures plus tard, un violent cauchemar la réveilla en hurlant. Des bouts de cerveau s'étalaient sur les dalles… Elle pleura et ferma les yeux pour ne pas risquer de voir pire. Ses sanglots se tarirent lorsqu'elle n'eut plus de force. Elle ouvrit les yeux. La lune éclairait sa chambre. D'une main tremblante elle chercha sa baguette et jeta un Silencio autour de son lit. Elle comprit pourquoi Rogue la lui avait laissée.

Rogue…

Elle se rendormit, malgré elle, épuisée.

Le même cauchemar la réveilla deux fois de suite. Aux premières lueurs de l'aube elle se tourna vers le soleil et refusa de refermer les yeux; elle ne pouvait plus voir le sol couvert de…

A un moment surgit de son cerveau embrumé une pensée, tenace. Elle devait agir, maintenant. Elle avait sa baguette, et elle ne savait pour combien de temps.

Khorine se leva, la tête lui tournait, et elle se glissa silencieusement hors de sa chambre, dans le couloir, jusqu'au laboratoire. Rogue n'y était pas encore. Elle soupira et vola plusieurs fioles de verre avant de retourner dans sa chambre, fermer la porte, remonter dans son lit et sortir sa baguette. Sans une seconde d'hésitation elle la pointa sur sa tempe et extirpa le premier souvenir. Elle revoyait Harry, en haut de la tour d'Astronomie, leur révéler ce que Dumbledore lui avait appris. Ensuite, méthodiquement, elle passa au crible tous ses souvenirs, cherchant la mention d'Horcruxes. Elle ne pouvait en laisser un seul dans sa tête. Durant plusieurs heures elle continua, se remémorant l'année précédente, leurs sourires, la fatigue et la colère et l'impuissance. Les larmes coulèrent longtemps mais elle finit par s'extirper les souvenirs les plus dangereux. Elle ne garda que le dernier, celui où Harry lui disait qu'elle devait tuer Nagini.

Sa baguette retomba. Elle était exténuée. Dans un dernier effort elle cacha les fioles dans sa table de chevet et y apposa plusieurs charmes de répulsion. Son front brûlant chuta sur son oreiller frais. Ses yeux se fermèrent. Elle s'endormit aussitôt.

Elle fut réveillée par Winky et se changea avant d'entrer dans le salon. Elle était épuisée.

Un silence tendu l'accueillit. Rogue lisait la Gazette.

Khorine avala son porridge les yeux dans le vide, renfermée derrière ses barrières mentales. Elle n'avait plus la force de ressentir. Tout ce qu'elle désirait, était de se replonger dans son travail, de s'enfermer dans ce laboratoire où la réalité s'effaçait et ne restait plus qu'elle, son professeur et un chaudron bouillonnant. Enfin, la chaise de Rogue racla le sol, il la conduisit jusqu'au laboratoire et ils reprirent là où ils s'étaient arrêtés.

Elle apprenait à gérer cinq potions en même temps et à se concentrer sur chacune d'elle, à moduler la température ou agiter avec la force et la vitesse adéquats en fonction des réactions des ingrédients; l'après-midi elle travailla sur un grand tableau noir à reproduire des équations de calcul des concentrations théoriques pour différentes potions basiques. Les heures puis les jours se liquéfiaient en minutes et lui coulaient entre les doigts. Au bout d'une semaine elle appliquait ces formules à des potions plus complexes et Rogue vérifiait ses calculs, lui octroyant un infime hochement de tête lorsqu'ils étaient corrects, avant de lui donner d'autres tâches plus complexes.

Durant la journée elle se terrait derrière ses barrières mentales; cependant, chaque nuit, les cauchemars revenaient et elle hurlait et sanglotait derrière son Silencio. Elle ne dormait plus beaucoup.

A la mi-août, un matin, Rogue referma sa Gazette et la fixa. Le regard embrumé de Khorine rencontra le sien.

-Il est temps de commencer votre premier projet création.

Elle cligna des yeux.

-Avez-vous une idée de potion que vous voudriez développer?

Sa voix était froide. Il la fixait et elle ne voyait dans ses yeux qu'un abysse sans fin; cependant, son aura…

Elle détourna le regard.

Le silence s'étendit.

-Que désirerait le Seigneur des Ténèbres? Murmura-t-elle finalement.

-Que dîtes-vous?

Elle répéta:

-Que désirerait le Seigneur des Ténèbres?

Le regard de Rogue la transperça mais elle continua à fixer le mur. Elle ne voulait plus voir cette aura mensongère.

-Si vous parvenez; répondit finalement Rogue, à créer une potion décuplant la puissance magique d'un sorcier, le Seigneur des Ténèbres sera satisfait.

Khorine ferma les yeux… Si elle s'arrangeait pour être là au moment où Voldemort la testait, et que la potion était assez puissante, il serait distrait quelques secondes, et elle pourrait tuer Nagini. Elle n'aurait qu'à subtiliser le Choixpeau au moment de passer par le bureau directorial. Tout ce qu'elle aurait à faire serait de sortir l'épée de Gryffondor juste après avoir tué Voldemort pour découper Nagini en deux. La détermination et la haine se mêlèrent sur ses traits. Khorine rouvrit les yeux, et hocha la tête.

-Je le ferai.

Rogue l'étudia quelques instants encore, puis sa voix traînante s'éleva:

-Vous avez une semaine pour théoriser les bases de votre potion, ensuite vous commencerez à expérimenter. Vous avez accès aux livres de ma bibliothèque personnelle. Je n'ai pas à vous rappeler ce qui vous attend si vous en abîmez ne serait-ce qu'un seul. Ne m'importunez pas avec vos questions incessantes. Nous verrons dans sept jours ce à quoi vous êtes parvenue.

Sur ce il se leva, le journal sous le bras, et quitta le salon pour le bureau directorial. La porte claqua derrière lui. Winky apparut prestement pour débarrasser. Khorine resta figée. Elle ne savait pas combien de mois ou d'années il faudrait pour la finaliser, mais lorsque ce serait le cas, elle n'aurait que quelques secondes. Et si elle échouait, elle aurait offert à Voldemort sur un plateau le moyen de tous les tuer. Elle devait réussir.

La table devant elle était propre. Elle prit de l'encre, des parchemins et sélectionna une première pile de grimoire, avant de se mettre au travail. Tout d'abord elle sélectionna les ingrédients qui devraient être dans la potion, elle envisagea sept différentes bases et passa la première journée à vérifier dans les livres de Rogue si certaines interactions étaient contre-indiquées, si des exceptions de calcul existaient avec ces synergies. Le lendemain, elle commença ses calculs de concentration. Elle passa des heures à blanchir le tableau noir du laboratoire. Elle ne pensait à rien d'autre. Elle était fatiguée, en permanence, les cauchemars dévoraient ses nuits. Il n'y avait que ce tableau d'ardoise et ces parchemins pour la retenir de sombrer. Elle était seule au monde.

Au bout d'une semaine, Khorine présenta ses sept propositions. Rogue en rejeta deux, corrigea une erreur d'interprétation sur une autre, puis lui ordonna de commencer l'expérimentation. Trois jours plus tard, elle fit exploser son premier chaudron. Rogue, qui s'était tenu non loin de là, vérifia que le sort de protection autour du chaudron avait tenu, puis questionna son échec. Khorine recommença, avec la recette modifiée. Il fallait être concentrée, pleinement, lorsqu'elle était face à son chaudron. Les jours passèrent. Cela n'empêchait pas quelques pensées de s'infiltrer dans le brouillard de son esprit pour la forcer à retourner à la réalité.

Durant un dîner, après une dernière cuillérée de soupe, Khorine se força à murmurer:

-Monsieur?

Rogue ne releva pas la tête de son assiette à peine entamée. La sorcière déglutit avant d'oser demander ce dont elle ne voulait pas connaître la réponse:

-Comment vont Parvati et Padma?

Il y eut un silence. Finalement leurs regards se percutèrent. Les yeux de Rogue étaient si sombres.

-Elles s'apprêtent à recommencer leur septième année à Poudlard.

-Monsieur? Demanda-t-elle le cœur au bord des lèvres.

-A la rentrée, vos amies seront autorisées à quitter les cachots pour retourner dans leurs tours respectives. Elles ont été autorisées à retenter de passer leurs ASPICS cette année, ainsi que le reste des élèves prisonniers.

Un pauvre sourire écorcha les lèvres de Khorine, qui laissa retomber son regard. Elles étaient encore en vie.

Par la suite ils n'échangèrent plus une parole, et après dîner rejoignirent leurs places habituelles devant le feu de cheminée. Rogue dans son fauteuil de gauche, Khorine à droite, chacun lisant un grimoire. Le crépitement des flammes et leur chaleur étaient si réconfortants que Khorine se détendit. Parvati et Padma étaient encore en vie. Elle sourit doucement. Ses paupières se fermèrent. Elle cligna des yeux, tenta de se focaliser sur les mots devant elle. Sa vision se voilait. Elle était si fatiguée…

Khorine s'endormit dans son fauteuil, la tête reposant contre son dossier. Sa respiration devint lente et profonde.

Rogue lui jeta un coup d'œil, puis retourna à sa lecture. Les heures passèrent.

Les mâchoires de Khorine se crispèrent peu à peu, tout son corps se tendit et des larmes commencèrent à rouler silencieusement le long de ses joues. Un premier sanglot étouffé passa la barrière de ses mâchoires fermées. Rogue releva la tête. Les traits de la jeune femme étaient crispés par une douleur intense. Les larmes gouttaient sur sa chemise. Ce corps entier était tendu pour qu'aucun cri ni pleur ne lui échappe. Un râle d'agonie mourut dans sa gorge. Rogue ferma son livre. Il le posa sur la table basse, puis s'approcha de la sorcière.

-Lumare; appela-t-il doucement.

Il n'y eut aucun signe qu'elle l'ait entendu.

-Lumare, ce n'est qu'un cauchemar.

Des sanglots comprimaient sa poitrine et l'empêchaient de respirer. Les larmes gouttaient. Rogue s'approcha encore. Il leva la main, et s'arrêta. Ses longs doigts fins étaient tendus vers les poings crispés de la sorcière.

Il aurait pu lui ordonner de se réveiller.

-Lumare; murmura encore Rogue.

Puis sa main se posa sur celle de la sorcière. L'effet fut immédiat. Le poing de Khorine se desserra. Le désespoir déforma les traits de la sorcière et ses mâchoires s'entrouvrirent sur un halètement douloureux. Elle enfonça son front contre le repose-tête en sanglotant.

-S'il vous plaît… Non…

Les sillons de larmes s'élargissaient.

-Ce n'est qu'un cauchemar Lumare. Vous êtes dans mes appartements. Il ne vous arrivera rien que je n'aie décidé.

Rogue s'approcha encore et se trouva à genou devant la sorcière endormie. Sa main effleura sa joue et il effaça un sillon de larmes. Khorine lâcha un soupir tremblotant. Son corps se détendait peu à peu. Durant plusieurs minutes Rogue resta ainsi à caresser la joue de son apprentie; puis celle-ci bougea la tête et ses yeux papillotèrent. Rogue s'écarta aussitôt. Il reprit place dans son fauteuil. La jeune femme ouvrit des yeux brumeux.

-Allez-vous coucher Lumare; ordonna Rogue d'une voix sèche.

Elle lui obéit par réflexe, perdue dans le brouillard de ses cauchemars. Lorsque sa tête toucha l'oreiller, elle se rendormit.

Rogue se retrouva seul dans son salon. Un soupir lui échappa. Il fixa longtemps ses mains, dont l'une encore mouillée de larmes.