Chapitre 3

Ses progrès étaient lents, elle se rendit compte dans les semaines précédant la rentrée que sur ses cinq protocoles restants, trois impliquaient de développer un nouveau mode de traitement des plumes de phénix -ce qui s'avèrerait cher et long-, et un impliquait de rajouter de la dédaline qui était un ingrédient rarissime qu'on ne trouvait que dans un village perdu d'Amérique du Sud. Il ne lui restait plus qu'une seule option, la plus longue et la plus difficile. L'activation de la potion pourrait se jouer à la taille des gouttes ou à la force des flammes.

Rogue avait fini par la laisser seule au laboratoire; ils discutaient de ses progrès durant le déjeuner et le dîner. Le matin, Rogue lisait la Gazette. Khorine avait fini par ne plus rien manger à ces moments-là. Elle voyait les gros titres et ses barrières mentales vacillaient. Les adultes faits prisonniers durant la dernière bataille recevaient le Baiser du Détraqueur, après un semblant de procès devant le Magenmagot. Ils mouraient, un par un. Des lois choquantes apparaissaient, anti-moldus, anti-Sang de Bourbes; il y avait la nomination d'un sorcier à la tête du Parlement anglais moldu; il y avait des cadavres de sorciers retrouvés mais impossibles à identifier; et il y avait les meurtres massifs de moldus. La marque des ténèbres flottait souvent en première page. Voldemort ne se cachait plus, et tous devaient trembler en lisant les journaux.

Rogue, lui, paraissait plus sombre et bilieux.

La rentrée approchait.

Un soir, elle aperçut les centaines de lanternes des écoliers remonter depuis la gare jusqu'au château. Elle ne voyait pas de barque sur le lac, seulement les carrioles tirées par les Sombrals qui montaient la colline.

-Lumare; aboya Rogue.

Elle se détourna aussitôt des fenêtres. Rogue se tenait près de la porte donnant sur son bureau, ses robes de professeur par-dessus sa redingote, il était plus sombre encore que ces dernières semaines.

-A partir de ce soir le dîner s'effectuera dans la Grande Salle. Vous ne parlerez à personne d'autre que moi. Vous me suivrez comme mon ombre. Ne vous écartez jamais de moi, est-ce bien clair?

Elle avait espéré parler aux Gryffondor de son année, s'il en restait. Elle baissa la tête et sentit les liens du serment pulser autour de son avant-bras.

-Oui Monsieur.

Il la fixa un moment supplémentaire, l'œil noir, puis se détourna dans un envol de cape et ouvrit la porte. Elle se dépêcha de le suivre et ne s'éloigna pas de lui de plus de deux pas tandis qu'ils traversaient le bureau et les couloirs pour se rendre jusqu'à la Grande Salle. Ils entrèrent par la porte réservée aux professeurs. Khorine vacilla, elle reconnut Amycus et Alecto Carrow qui chuchotaient avec d'autres sorciers et sorcières, ils avaient tous une aura noirâtre. Rogue s'avança jusqu'à sa chaise de directeur et lui indiqua sans un regard celle à sa gauche. Elle s'approcha, le visage blême, et prit place à ses côtés. Les conversations se turent, se fut alors qu'elle avisa les tables des quatre maisons. Elles étaient toutes au moins à moitié vides, particulièrement celle de Gryffondor. Le désespoir marqua ses traits lorsqu'elle aperçut Parvati, le regard hanté et les joues creuses.

Le ciel de la Grande Salle était vide et terne.

-Severus; siffla Amycus Carrow en s'approchant, enfin décidé à nous rejoindre.

Il tint le dossier du fauteuil à la gauche de Khorine. Rogue lui décocha un regard neutre avant de consentir à répondre:

-Les impondérables de la fonction de directeur empêchent et empêcheront souvent de vous rejoindre.

Le mangemort tira la chaise et s'assit tandis que Khorine crispait les poings sous la table. Rogue se détourna, signifiant que les aménités étaient terminées. Amycus continua tout de même:

-Sans compter les joies d'une compagnie comme celle-là.

Khorine blêmit. Rogue détourna lentement la tête de la Grande Salle pour fixer d'un regard dur le frère Carrow.

-Mesurez très attentivement vos paroles, Amycus. Je ne tolèrerai pas d'irrespect à l'encontre de mon apprentie.

Son aura opalescente vibrait et Khorine sentit malgré elle une vague de reconnaissance à son encontre.

-Il n'y a pas d'irrespect ou que ce soit. Il vous l'a offerte pour en faire ce que vous voulez, je ne vois pas pourquoi vous n'en profiteriez pas.

En disant ces mots, sa grosse main se tendit vers l'épaule de la sorcière. Un éclair de dégoût intense illumina son visage et son corps réagit instinctivement. Elle tira sa baguette et la coinça dans le gros cou du mangemort. Elle ne pouvait lui parler, mais la haine transparaissait sur chacun de ses traits. Toutes les conversations se turent dans la Grande Salle.

-Ne tentez plus jamais de la toucher; siffla Rogue d'un ton venimeux. Quant à vous Lumare, rangez votre baguette. Je m'attendais à ce que vous vous teniez mieux ce soir.

Khorine lança un dernier regard haineux à l'autre mangemort, avant d'obéir, et ranger sa baguette dans sa manche. Amycus se massa le cou:

-Vous lui avez rendu sa baguette? Depuis quand une traîtresse à son sang peut lever la baguette sur un Sang-Pur?

Alecto Carrow approchait.

-Pour votre propre bien, Carrow, restez loin de mon apprentie. Elle est vouée à servir le Seigneur des Ténèbres et à prendre place dans nos rangs. Elle est intouchable.

La sœur Carrow venait de sortir sa baguette.

-Un problème avec la traîtresse à son sang?

Ce fut alors qu'une autre professeure intervint et Khorine sentit son cœur s'emballer. Ses traits étaient inconnus, mais son aura d'un vert étincelant était reconnaissable entre toutes.

-Les premières années vont bientôt entrer; annonça la sorcière. Nous devrions tous prendre place.

-Tu ne perds rien pour attendre; chuchota Alecto à Khorine dans un sifflement.

Khorine ne put rien répondre et tous prirent place à la table des professeurs avant que les portes ne s'ouvrent et qu'une petite dizaine de premières années terrifiés ne fassent leur entrée.

Le Choixpeau ne chanta pas. Il fut placé sur la tête de chaque nouvel élève et les plaça soit à Serpentard, soit à Serdaigle, soit à Poufsouffle. Il n'y eut pas de nouvelle recrue pour les Gryffondor. Les plats apparurent. Khorine se servit après Amycus, dégoûtée par sa présence et son aura. Elle aurait voulu tirer sa chaise vers Rogue. Elle inspira. Elle devait rester de glace. Elle s'appliqua à manger ce qu'il y avait dans son assiette. Ses pensées l'amenèrent malgré elle vers la professeure à l'aura verte. Elle était incomparable. Mais si elle se trompait?

Après tout, elle s'était jurée de ne plus jamais se fier à sa magie.

La grosse main d'Amycus heurta la sienne lorsqu'elle voulut prendre une pomme. Elle tressaillit et un frisson de dégoût remonta le long de son échine.

-Désolé; susurra le frère Carrow.

Elle pria Merlin pour ne pas avoir à endurer ça tous les soirs, et se passa de dessert.

De longues minutes passèrent. Elle ne pouvait plus voir les visages émaciés des élèves, terrifiés.

Enfin, Rogue se leva. Elle le suivit aussitôt et après avoir distribué quelques hochements de tête, Rogue quitta la Grande Salle. Ils s'éloignèrent de cet enfer.

Au détour du couloir, Rogue manqua de percuter quelqu'un. Khorine s'approcha.

-Veuillez m'excuser Monsieur le directeur; disait la sorcière à l'aura vert forêt.

-Ce n'est rien; grommela-t-il avec toutes les intentions de continuer son chemin.

La sorcière se tourna vers elle et la scruta, ses traits se pincèrent.

-Nous n'avons pas encore eu l'occasion de nous présenter, Miss. Je suis le professeur Louise Finch, professeur de vol.

La sorcière tendit la main. Khorine la fixa, et un air de pure adoration passa sur ses traits, avant qu'elle n'incline la tête et prenne cette main tendue. Elle la serra sans un mot.

-Ne parlez-vous plus? Demanda le professeur Finch.

-Elle a ordre de ne parler qu'à moi; grinça Rogue. Et maintenant que les cordialités sont faîtes veuillez nous laisser.

Khorine serra un peu plus la main de son professeur. Elle voulait lui faire comprendre tant de chose par ce geste. Que tout allait bien, qu'elle était de leur côté, que tout n'était pas perdu.

-Quelle étrange manière de traiter son apprentie; remarqua le professeur Finch.

-Je vous conseille fortement, professeur, de ne pas vous occuper de mon apprentie; siffla Rogue avec un regard dangereux. Lumare, suivez-moi.

Il se détourna dans un envol de cape et Khorine lui obéit, lâchant à contre-cœur cette main amie. Ils prirent les mêmes passages secrets qu'à l'aller, sans un mot, passèrent la gargouille, le bureau du directeur et arrivèrent dans les quartiers de Rogue. La porte se referma.

Le sorcier fit volte-face et Khorine s'arrêta net. Il était furieux. Il y eut un silence. Rogue détourna sèchement la tête, comme s'il allait partir sans un mot, mais ses yeux pleins de colère vinrent retrouver les siens:

-Avez-vous la moindre idée de ce que vous avez manqué provoquer, Lumare?

-Je…

-Vous avez sorti votre baguette et l'avez pointée sur un mangemort.

-Il…; tenta-t-elle de se défendre.

-La moitié; la coupa-t-il, des Gryffondor ont mis la main à leur baguette, prêts à vous rejoindre. Pensez-vous qu'un seul d'entre eux ait pu survivre à cette rébellion?

Khorine blêmit.

-Non, n'est-ce pas? Vous n'avez pas pensé.

Il ne lui laissa pas le temps de répondre et se détourna pour quitter ses appartements. La porte claqua sèchement. Khorine resta figée, se remémorant ce moment dans la Grande Salle…

Il allait recommencer. Elle était sûre de cela. Mais elle ne devait plus réagir. Elle revoyait les visages cendreux de ses camarades et son estomac se retourna; nauséeuse, elle vacilla jusqu'à son fauteuil et s'y laissa tomber.

Cela ne devait plus jamais se reproduire.

Elle se prit la tête dans les mains.

Elle devait les protéger.

De longues minutes plus tard elle parvint à se relever et s'enfermer dans sa chambre.

Son cauchemar cette nuit-là fut atroce. Elle se réveilla en hurlant dans sa bulle de Silencio à trois heures du matin. Lorsqu'elle se fut calmée, que ses tremblements cessèrent, elle quitta son lit, s'habilla et quitta sa chambre pour rejoindre le laboratoire. Elle s'arrêta brusquement.

Rogue était là. Il releva la tête de son chaudron et leurs regards se rencontrèrent. Il hocha sèchement la tête, elle inclina la sienne, et elle rejoignit son propre côté de la paillasse.

Les heures passèrent.

Ils prirent le petit-déjeuner dans les quartiers de Rogue, puis elle retourna seule au laboratoire, cherchant une manière de stabiliser la terre de Stonhenge au contact des crins de centaure. Elle tenta six méthodes différentes, pour le moins inefficaces et fit exploser deux chaudrons.

Ils déjeunèrent ensemble dans le salon et Rogue lui laissa entendre qu'un des grimoires de sa bibliothèque pourrait être utile. Elle passa l'après-midi à se documenter et établir des hypothèses et protocoles pour le lendemain.

Et puis Rogue vint la chercher pour le dîner dans la Grande Salle. Khorine crispa les mâchoires, baissa la tête, et le suivit.

Des murmures atténués flottaient au-dessus de la salle, venant principalement des Serpentards, les autres maisons restaient silencieuses. Khorine prit place à la gauche de Rogue, Amycus revint s'asseoir près d'elle. Khorine se força à manger.

Il y avait eu tant de vie, de rires, de brouhaha dans cette salle. A présent, la lumière grise tombant du plafond donnait à tous les élèves un teint lugubre.

-Sers-moi une part de tarte.

Elle était perdue dans ses pensées; soudain on lui saisit le poignet. Khorine tressaillit. Le frère Carrow répéta:

-Sers moi une part de tarte, traîtresse à ton propre sang.

Une rage froide traversa le regard de la Gryffondor. Elle le fixa sans un mot. Amycus commença à lui broyer le poignet.

-Me feras-tu encore répéter? Susurra-t-il en se penchant vers son oreille. Nous pouvons jouer à un petit jeu, toi et moi; pour chacun de tes refus, je torturerai un des Gryffondor devant nous. Par qui vais-je commencer? Un petit deuxième année peut-être?

Le dégoût et la rage la firent trembler.

-Lâchez mon apprentie, Carrow; siffla dangereusement Rogue.

Le mangemort lui broya une dernière fois le poignet, puis la lâcha. Elle prit la pelle à tarte, y mit une généreuse part, et la déposa dans son assiette à elle.

-Sale…

-Carrow; la voix de Rogue claqua.

Il détourna la tête, furieux. Khorine mangea toute sa tarte à la mélasse, jusqu'à la dernière miette. La chaise de Rogue crissa contre les dalles du sol. Khorine se leva aussitôt, le suivant comme son ombre. Ils passèrent derrière les chaises des Carrow, du professeur Finch et puis sortirent de la Grande Salle. Cette fois, Rogue ne dit pas un mot. Cependant, une fois qu'elle fut raccompagnée jusqu'à ses quartiers, il disparut dans son bureau.

Khorine passa quelques heures dans son fauteuil, à lire, et puis elle partit se coucher. Elle prit sa cape sous son bras et sentit, une rigidité inhabituelle. Elle s'enferma dans sa chambre et fouilla les replis de sa cape. Il y avait un parchemin, plié en quatre. Elle l'ouvrit. L'écriture de McGonagall. Elle lui demandait si tout allait bien.

Les mains tremblantes, elle s'assit à son bureau, tira plume, encre et parchemin et… La plume refusait de se poser sur le papier. Elle essaya plus fort, le sang perla aussitôt sur la manche de sa chemise.

Non.

Elle utilisa sa deuxième main et poussa sur la première. La magie pulsait sur son avant-bras. Un grognement sourd lui échappa. Une goutte d'encre s'écrasa sur le parchemin, rejointe par des gouttes de sang. Elles continuèrent à goutter, la plume ne touchait pas le papier. Khorine se leva d'un bond, envoya sa bouteille d'encre se briser contre le mur et hurla de rage.

Des larmes brillaient au coin de ses yeux.

Le lendemain, lorsqu'elle croisa le professeur Finch dans le couloir menant à la Grande Salle elle releva le bout de sa manche. Les boursouflures autour de la marque de son serment étaient clairement visibles. Le professeur s'arrêta. Rogue et Khorine continuèrent leur chemin et firent leur apparition dans la Grande Salle.

Elle dut encore supporter la présence du mangemort à sa gauche. Il susurra des menaces qui n'eurent aucun effet. Khorine continua à manger, elle remercia Merlin de l'avoir mise sur le chemin de Rogue avant celui des Carrow. Puis à la fin du repas, Rogue et son apprentie quittèrent la Grande Salle. Ils rejoignirent ses quartiers et leurs fauteuils face à la cheminée. Elle prit son grimoire. Lorsqu'elle relevait la tête et fixait les flammes, ses pensées revenaient vers la Grande Salle, la lumière terne, les yeux vides, un Gryffondor de deuxième année avait boité jusqu'à sa place et elle avait senti le regard de Carrow peser sur elle.

D'autres cauchemars vinrent la hanter. Au petit matin, elle se retrouva de nouveau au laboratoire, accueillie par un léger signe de tête de Rogue. Elle reprit son travail. Les jours passèrent, identiques. Son seul réconfort elle le trouvait le soir, lorsqu'elle entrait dans la Grande Salle et croisait, pour quelques secondes, le regard du professeur Finch.

Elle ne parvenait toujours pas à stabiliser la terre et les crins de centaure.

Un soir, en pliant sa cape, elle sentit de nouveaux un morceau de parchemin plié en quatre. Elle le sortit aussitôt les mains tremblantes. Il y était écrit qu'elle pourrait peut-être hocher ou secouer la tête la prochaine fois qu'elle se voyait, et on lui demandait si c'était bien elle qui avait contacté l'Ordre par chouette mais également par Gallion, il y avait deux mois de cela, pour les prévenir d'une attaque sur deux aurors qui étaient de leur côté.

Le cœur de Khorine cessa de battre.

Ses barrières mentales se fermèrent violemment.

Non.

Elle partit se rouler en boule dans le coin de sa chambre.

Elle refusait.

Son esprit resta fermé, toute la nuit, et elle ne put fermer l'œil. Elle attendit l'heure du petit-déjeuner; attendit que Rogue ait fini de manger. Il finit pat quitter le salon et Khorine attendit. Elle attendit encore; puis se leva, vacilla, et tomba à genou devant les gazettes des derniers mois que Winky rangeaient en bas de la bibliothèque.

Elle chercha, les mains tremblantes, tous les journaux du mois de juillet.

Elle se trompait.

Ses mains tressautaient. Elle ne se rappelait plus de la date exacte. Mais il avait su. Comment avait-il su? Il s'était arrêté en plein milieu et il… il l'avait froissé. Elle aperçut un journal abîmé, le seul de la pile, et l'ouvrit au milieu.

Elle n'eut à tourner que deux pages. Il y avait un petit article, de quelques lignes, sur la mort mystérieuse de deux aurors.

Rogue avait été fou de rage. Il avait compris qu'elle les avait contactés.

Non.

Il y avait une autre explication. Il avait utilisé cette information pour gagner leur confiance, en se faisant passer pour elle, pour mieux les trahir par la suite.

Mais…

Il y avait l'aura du professeur McGonagall. Elle ne l'avait pas trompée.

Et si…

Non.

Et si Rogue était encore de leur côté.

Elle était figée, à genou.

Elle se sentait nauséeuse.

Soudain il lui fallut se relever, et courir jusqu'aux toilettes pour vomir son petit-déjeuner. Elle vomit encore, de la bile, plusieurs fois.

Elle aurait dû se relever, et repartir travailler sur sa potion. Mais ses forces l'abandonnaient. Elle resta prostrée dans la salle de bain, le front brûlant contre la céramique du mur.

Les heures passèrent. Rogue finit par essayer d'ouvrir la porte, puis y toquer.

-Le déjeuner est prêt, Lumare.

Un frisson la traversa. Sa voix… Ses mains chaudes autour de son cou ne l'avaient pas dégoûtée, son regard dans la Forêt Interdite, son aura opalescente… Mais elle ne pouvait en être sûre. Elle ne pouvait pas lui faire confiance. C'était peut-être une ruse, pour les trahir.

Vacillante, elle se releva, ouvrit la porte et rejoignit Rogue dans le salon. Elle ne le regarda pas et s'assit à sa place. Les odeurs de nourriture lui retournaient l'estomac.

-Êtes-vous malade, Lumare?

-Je vais bien; murmura-t-elle, atone.

Il y eut un silence. Avec des mains tremblantes elle se servit en rôti de porc et pommes de terre.

-Avez-vous avancé sur la stabilisation entre la terre de Stonehenge et les crins de centaure?

-Non; chuchota-t-elle faiblement.

Rogue n'insista pas. Le reste du repas fut silencieux. Après le dessert, Rogue s'absenta quelques minutes avant de poser devant elle deux flacons. Il partit sans un mot. Elle reconnut une potion énergisante et une potion de Nuit-Sans-Rêve. Son visage se crispa. Elle fit appel désespérément à ses barrières mentales, qui retombèrent enfin en place, et la protégèrent. Elle avala la potion énergisante, alla poser le deuxième flacon sur sa table de chevet, puis rejoignit le laboratoire.

Un chaudron propre et vide l'attendait, avec des crins de centaure, de la terre et tout son matériel. En se concentrant, elle voyait une faible lueur ocre autour de la terre; autour des crins de centaure une lueur d'étoile. Elle resta de longues minutes devant le chaudron, puis marcha, faisant le tour du laboratoire, elle alla ensuite dans la réserve, effleurant les bocaux et les fioles. Elle les prit tous, un par un, se concentrant sur chacun. Elle s'arrêta sur un bocal d'élytre de coccinelle. Elles avaient une lueur iridescente. Khorine resta immobile. Puis elle repartit vers le laboratoire avec les élytres.

Ce jour-là, son chaudron n'explosa pas.

Le soleil effleurait l'horizon lorsque Rogue vint la chercher pour dîner. Ce ne fut qu'alors qu'elle repensa au professeur Finch. Rogue lui avait interdit de contacter l'Ordre, et le contrat magique avait reconnu Finch comme un membre de l'Ordre. Mais est-ce qu'il la liait à la définition exacte des mots utilisés ou à l'intention de Rogue? Après tout, elle avait réussi à montrer à Finch son bras strié. C'était une forme de contact, mais pas au sens traditionnel. Alors pourrait-elle ne serait-ce qu'hocher la tête? Et pour dire quoi? Que ce n'était pas elle? Mais si… si Rogue n'était pas un traître, il pourrait avoir besoin de les contacter par Gallion. Mais si elle se trompait? Soudain angoissée, elle suivit Rogue dans les couloirs et ils finirent par atteindre la Grande Salle. Son regard rencontra aussitôt celui du professeur Finch. Elle secoua la tête. Finch se détourna.

Avait-elle fait le bon choix? Au moins à présent avait-elle un moyen de communiquer avec l'Ordre. Mais était-ce une bonne chose?

Ce questionnement sans fin devrait attendre. Elle se barricada derrière ses barrières mentales et s'assit à la gauche de son maître. Le frère Carrow la frôla à dessein, son regard chargé d'une luxure qui la fit frissonner de dégoût. Elle se détourna; et força son esprit à se focaliser sur ce qui avait de l'importance: sa potion.

Au petit matin elle rejoignit Rogue au laboratoire. Elle fit plusieurs tests de stabilité et retint son souffle. La potion resta immuable.

L'ombre d'un sourire lui échappa. Elle leva les yeux vers le ciel; puis se remit au travail.

Le soir venu, tandis qu'ils s'asseyaient dans leurs fauteuils respectifs après dîner, Khorine se pencha vers Rogue et murmura:

-J'ai trouvé.

Rogue l'observa. Elle le regardait droit dans les yeux et, même si elle ne souriait pas, il y avait cette lueur nouvelle qui y scintillait.

-J'ai ajouté huit élytres de coccinelle. La potion est stable depuis hier.

-Surprenant… Bien que cela se puisse peut-être expliquer; répondit Rogue en réfléchissant.

Le sorcier se leva pour rejoindre le coin de sa bibliothèque où était entreposés les Potions Magazine. Il retira un exemplaire de mai 1987 et l'étudia, prit plutôt celui de juin, puis le lui tendit, ouvert sur un article d'un potionniste chinois.

-Il a utilisé des élytres?

-Bien mieux Lumare, il a théorisé les propriétés de plus de centaines d'ingrédients issus d'insectes et a démontré qu'elles se vérifiaient pour quelques exemples singuliers.

Elle feuilleta l'article. Il remplissait presque tout le magazine.

-Wow; murmura-t-elle.

Le fantôme d'un sourire échappa à Rogue. Khorine passa le reste de la soirée plongée dans la lecture de son article. Et le lendemain matin, en rejoignant Rogue au laboratoire, son regard scintillait un peu plus.

Elle avait écouté son instinct, et son instinct ne l'avait pas trompée.

A présent, elle devait recréer la base de la potion et y ajouter le mélange de terre, élytre et crin. Elle s'y attela. Lorsque les deux solutions furent en contact quelques bulles s'élevèrent à la surface du chaudron, et ce fut tout. Elle poursuivit son protocole, réduisant plusieurs cristaux d'ambre jaune en poudre fine qu'elle s'apprêta à ajouter au mélange. Son poignet fut arrêté.

Elle se tourna vers Rogue. La sorcière était surprise, mais il ne lut aucun dégoût dans ses yeux. Pourtant, leurs peaux se touchaient.

-Ajoutez l'ambre en plusieurs fois; commanda-t-il d'une voix rauque. Quatre pour commencer, et attendez plusieurs minutes en mélangeant.

-Pourtant l'ambre n'est pas très réactive, Monsieur.

-Remettriez-vous en doute mes conseils? Susurra-t-il d'un ton qu'elle estimait dangereux.

-Non, Monsieur.

Rogue consentit alors à lâcher son poignet. Il le fit lentement, comme une caresse.

Un halètement manqua d'échapper à la sorcière. Elle releva ses barrières mentales d'un coup.

Elle prit une cuillérée de poudre de la main gauche, tourna dix fois dans le sens anti-horaire et la potion prit une légère teinte solaire. Elle recommença trois fois; puis laissa le mélange chauffer à feu doux.

Ce ne fut qu'ensuite qu'elle se risqua à se tourner vers Rogue. Il étudiait la teinte de la potion, le visage fermé.

-Si vous aviez ajouté la poudre en une seule fois, une partie non négligeable se serait agrégée et aurait précipité au fond de votre chaudron; l'informa-t-il sans la regarder.

Elle ouvrit la bouche pour le remercier mais il se détourna d'elle et revint à son chaudron. Khorine resta interdite et mit quelques secondes avant de revenir à sa propre potion. Ce ne fut qu'après le petit-déjeuner, lorsqu'elle fut seule dans le laboratoire, qu'elle laissa tomber ses barrières mentales. Elle se rendit alors compte avec horreur qu'elle avait frissonné au contact de Rogue, et pas de dégoût. Elle avait réagi à son toucher, à sa peau chaude, à la caresse du bout de ses doigts.

Avait-elle bu quelque chose? Carrow avait peut-être mis quelque chose dans son verre. Ou peut-être était-ce humain, après une réclusion de plusieurs mois.

Peut-être que tout le monde avait ce besoin viscéral de toucher et d'être touchée; même par inadvertance, ou sans y penser, en s'asseyant à côté sur les bancs de la Grande Salle, en recevant une claque dans le dos, en se tapant dans la main, en s'échangeant des livres.

Ce devait être humain. Elle avait aussi ressenti quelque chose en serrant la main de Finch.

La panique qui avait menacé de la submerger s'apaisa. Elle inspira en tremblant, puis expira. C'était humain... Elle retourna à sa potion.