Chapitre 2

J'avais l'impression... de m'être fait piétiner par une armée de centaures. Mal aux doigts, aux bras, aux côtes, au bassin, aux jambes. Mon front brûlait. Je n'osais pas encore ouvrir les yeux. Alors, retrouvant peu à peu mes facultés, j'essayai de saisir où ils m'avaient emmenée. Je sentis une surface molle sous moi, matelas, un oreiller pour ma tête, et un drap qui s'arrêtait à hauteur de mes é chemise et un pantalon un peu troués et sales, je le sentais. Lumière vive derrière mes paupières fermées. Fraîcheur, et odeur particulière... comme... comme... Je ne savais pas. Je n'avais jamais senti cette odeur, de toute ma vie. C'était un peu salé.
Je n'aimais pas ce qui était nouveau. Je ne voulais pas ouvrir les yeux.

-Cessez de jouer les endormies, Lumare!

Un sifflement glacial! Je tressautai, les yeux soudain écarquillés, et vis flou. Une ombre, toute en noir, et proche. Mes mains se crispèrent sur les draps, pour m'empêcher de m'écarter. Ne rien montrer. Et l'homme ne bougea pas, tandis que mes yeux faisaient l'appoint. Il était assis sur une chaise en osier, vêtu de vêtements sombres, les cheveux sombres et gras, des yeux sombres, un visage maigre et effrayant, un nez tordu. J'avais senti son haleine aussi, épouvantable.

Il me fixait. Et ne disait rien. J'étais incapable de savoir pourquoi j'étais ici. Et où j'étais. Et qui était cette personne. Je m'empêchai de parler en serrant les dents.

-Savez-vous; reprit-il finalement d'une horrible voix doucereuse, combien de sacrifices ont du être consentis pour conserver ma couverture? Combien en sont morts?

Je ne savais pas de quoi il parlait, mais chacun de ses mots vibraient de rage et de haine, et je savais ce que cela signifiait.

-Evidemment les amis de l'Elu se croient tout permis et passent au-dessus des règlements quelqu'en soit le prix à payer! Vous rendez-vous compte de ce que vous avez provoqué pauvre imbécile?

Je déglutis difficilement, mes yeux bleus agrandis fixés sur l'homme complètement fou.

-... pour nous emmener dans un trou perdu, sans repère, sans contact! Et comment expliquez-vous votre état?!

J'avais peur. Je voulais rentrer au manoir.

-J'attends, Lumare, comment expliquez-vous ce qui vous est arrivé?

Il croisa les bras, revenu au simple sifflement glacial. C'était mauvais signe quand les adultes attendaient une réponse de moi. J'avalai ma salive encore une fois. Sans répondre. L'homme devint furieux, et bondit de sa chaise. Je me roulai aussitôt en boule, bras levés au-dessus de ma tête, le gauche au-dessus du droit bien sûr...

Mais il ne frappa pas.

-Parlez, Lumare! Tonna-t-il plutôt.

Je m'obligeai à ouvrir un oeil, il avait sorti sa baguette. Et j'étais seule contre lui, un adulte que je ne connaissais pas, dans un endroit que je ne connaissais pas. Je ne voyais pas ma tante, mon cousin, ou mes cousines, ou les elfes de maison.

-Je n'ai rien à vous dire, Monsieur; rétorquai-je avec autant d'insolence que je le pouvais.

L'instant d'après, l'adulte balançait mes bras loin de mon visage pour m'agripper violemment au col. Il me souleva, et me secoua en hurlant des phrases qui n'avaient aucun sens. Et je blêmissais un peu plus à chaque secousse tandis que mes articulations craquaient, craquaient, craquaient. Mes épaules et mes hanches faisaient mal, tellement mal. Je sentais mes yeux me picoter, comme si j'allais pleurer. Je n'arrivais même pas à lever les mains vers les siennes pour le faire lâcher. Je n'arrivais pas.

-Aussi arrogante que la clique des Potter! Vous allez me dire tout ce que vous savez immédiatement ou je peux vous certifier qu'à côté de ce que je vous réserve les tortures du Seigneur des Ténèbres vous paraîtront acceptables! Vous m'entendez, sale gamine pourrie gâtée?!

Mon souffle se perdait, je n'arrivais plus à respirer et ma peau virait lentement au cadavérique. Plusieurs convulsions me traversèrent, je... je... Il me rejeta brusquement contre le matelas où je m'écrasai. Mon poignet gauche seul dut amortir ma chute et se briser sous moi dans un craquement sec. Je glapis de douleur, les larmes aux yeux. Je ne comprenais pas. Pourquoi est-ce qu'ils m'avaient abandonnée? Ma tante me supportait presque, alors pourquoi? Je me roulai en boule, mordant les draps pour contenir la douleur. Un soupir dans mon dos.

-Votre poignet j'imagine?

Et puis les longs doigts froids de l'adulte qui revinrent m'agripper l'épaule et me retourner. Je n'avais pas assez de force pour lutter. Il était agenouillé près du lit, et s'empara de mon bras, le leva vers lui. L'os du côté du pouce était bizarrement surélevé, la peau commençait à rougir.

-Ma tante... en entendra parler; lâchai-je en haletant. Elle a dit... que seul un de Lumare pouvait frapper un de Lumare...

-Voyez-vous ça; siffla-t-il.

L'instant d'après, je sentis le bois de sa baguette sur l'os, une chaleur intense, et tout craque encore une fois. Des tremblements violents parcoururent ma main et je n'arrivais pas à les contrôler alors que l'homme la gardait toujours devant ses yeux. Elle était lézardée de plusieurs coupures récentes. Et il les fixait bizarrement.

-Quel âge avez-vous déjà? Lâcha l'adulte soudain.

Je crispai les mâchoires tandis que lui ramenait mon bras jusqu'au lit où j'étais étendue. Puis il se rassit et ses grands yeux noirs percutèrent les miens. Effrayant.

-Sept ans et trois quarts...

Le sorcier marqua un temps d'arrêt, et quelque chose se modifia dans son regard. Un élan de rage. Il allait me frapper. Un geste brusque, et je fermai les yeux. Mais rien ne vint et en fait, il s'avéra qu'il avait juste levé le pouce et l'index pour agripper son nez proéminent. Je n'avais encore jamais vu personne faire ça.

-Pourriez-vous me dire à présent; reprit-il d'une voix plus basse mais retenue, quel est votre dernier souvenir?

Son truc avec les doigts contre l'arête du nez calmait! Ça semblait plutôt bien fonctionner...

-Le dîner au manoir; répondis-je succintement.

Nous l'avions bien réussi d'ailleurs, je ne voyais pas pourquoi ma tante se serait débarrassée de moi. Je voulais poser des questions, mais je savais par expérience qu'aucun adulte n'appréciait. Alors je crispai les mâchoires encore une fois et attendis.
L'homme en noir s'était relevé, et était maintenant occupé à faire les cent pas. Mes réponses banales semblaient provoquer des réactions assez intenses. L'adulte était fou. Il devait m'avoir enlevée. Mais quoi qu'il dise et quelles que soient les précautions qu'il prendrait, je ne le laisserai pas m'emprisonner. Je ne savais pas encore où j'étais, mais à la moindre occasion, je lui fausserai compagnie. Et même si je n'étais pas indispensable, Mme ma tante accepterait sûrement de me reprendre au manoir.

-Lumare; lâcha-t-il soudain en soupirant, vous avez dix-sept ans. Votre incapacité a provoqué au mieux votre rajeunissement, au pire un bond dans le temps de plus de dix ans.

Qu'est-ce que je pensais? "Complètement cinglé", comme disait mon grand cousin!

-Sans compter notre atterrisage dans cette chaumière abandonnée et l'impossibilité de contacter les membres de l'Ordre, ou Dumbledore...

Il ne fallait pas que je le contredise. Alors je le laissai continuer à parler, me contentant de montrer le visage le plus impassible possible, le corps parcouru d'une douleur diffuse mais maîtrisée. Mon poignet ne me faisait presque pas mal.

-Je vous laisse trois jours pour retrouver votre état normal, puis quoi qu'il vous advienne nous irons à Poudlard et je me débarrasserai de vous!

... J'avais trois jours avant qu'il ne me tue... Mes yeux bleus rencontrèrent la noirceur des siens. J'avais compris les règles principales, celles qui me permettraient de survivre au moins trois jours de plus.

-Bien, monsieur. Monsieur... ?

-Rogue. Severus Rogue; siffla-t-il.

Puis il me fixa une dernière fois avant de se détourner en faisant claquer sa cape. D'un geste brusque, il éteignit toutes les lumières et l'instant d'après disparaissait en fermant la porte. J'étais dans le noir... Fatiguée... Et malgré la situation, mes yeux se fermaient, mes membres engourdis se détendaient, et je glissai peu à peu vers un profond sommeil. Le sommeil... Peut-être n'était-ce qu'un cauchemar?