Chapitre 4

Une atmosphère malsaine flottait dans la Grande Salle au soir d'Halloween. Amycus Carrow semblait trépigner d'impatience et le rire du professeur de Rune était si aigu qu'il vrillait les tympans. De plus, le professeur Finch était absente. Quant aux étudiants, ils parlaient peu et très bas, certains étaient entrés dans la salle en boîtant, d'autres avec des contusions sur le visage.

Rogue se leva en raclant sa chaise, la majorité des professeurs l'imita et quitta la Grande Salle. Le sorcier conduisit Khorine jusqu'à ses quartiers, puis il se détourna sans un mot et rejoignit son bureau. Un craquement sec résonna alors, et elle sut qu'il avait transplané.

Elle ne pouvait qu'imaginer ce qui allait se passer ce soir. Il y aurait un rassemblement de Mangemort, et des gens allaient se faire tuer.

Elle fit les cent pas, tournant en rond, s'arrêtant face aux flammes puis reprenant son tour. Lorsqu'elle fut trop épuisée pour continuer elle se laissa tomber dans son fauteuil et rejeta la tête en arrière.

-Merlin… protégez-les; murmura-t-elle avant de fermer les yeux.

Elle était épuisée.

Elle s'endormit comme d'autres s'évanouissent.

Sa respiration était faible et superficielle. Quelques heures plus tard le premier cauchemar l'approcha à pas de loup. Elle hurla au fond de sa gorge, puis retomba dans un sommeil profond.

La nuit finit par pâlir, le soleil effleurant les montagnes à l'horizon.

Un craquement sonore retentit dans le bureau de Rogue.

Khorine fut aussitôt réveillée. Elle se tourna vers la porte, le regard flou, un pied encore dans ses cauchemars. Ce fut alors que Rogue apparut dans le chambranle de la porte. Il se tenait bizarrement, la tête baissée, une main contre le mur, l'autre contre son flanc. Khorine cligna des yeux et le brouillard de sa vision s'évanouit. Les mains de Rogue étaient rouges, rouges de sang.

Un son étranglé lui échappa. Rogue releva la tête et blêmit violemment en la voyant.

-Que faîtes-vous… haleta-t-il avant de se crisper violemment.

Ses genoux lâchèrent et il tomba lourdement au sol.

Khorine le fixait, les yeux agrandis par l'horreur, incapable de respirer. Elle se leva et s'avança vers lui comme dans un cauchemar.

-Harry; murmura-t-elle d'un ton déchirant.

Le sang giclait d'entre ses doigts, il respirait superficiellement. Khorine tomba à genou près de lui.

-Je t'en supplie… Ne meurs pas.

Il ne répondit pas. Sa respiration faiblissait. Les mains de Khorine tremblaient violemment.

Non!

Elle se releva, titubant, partit vers le laboratoire et prit des flacons, de l'essence de dictame, de l'extrait de saule blanc et de lapacho, de la Régénération Sanguine. Elle repartit vers le salon, sans comprendre ce qu'elle faisait et tomba près du corps.

-Je t'en supplie; murmura-t-elle encore avant de déboutonner la cape et la redingote noires, et la chemise d'un rouge écarlate.

Ses mains tremblantes se tâchaient de sang. Et puis elle vit la peau pleine de sueur et de cicatrice, et l'énorme plaie qui découpait son flanc droit. Elle prit l'essence de dictame et l'extrait de saule blanc, les déboucha et les versa sur la plaie, ses mains tremblaient si fort que la moitié se déversa à côté; mais la plaie commença à se résorber. Elle prit un nouveau flacon de dictame et recommença puis se traîna à genou jusqu'à sa tête pour la lui maintenir et forcer entre les mâchoires serrées des gouttes de Régénération Sanguine. Les minutes s'écoulaient, elle faisait tomber de la Régénération Sanguine sur sa langue, encore et encore; elle sentait un liquide chaud imbiber son pantalon. Prise d'un horrible pressentiment elle retourna le sorcier et aperçut trois profondes coupures dégorgeant de sang. Vacillante, elle l'abandonna pour repartir au laboratoire, renversa des fioles qui explosèrent par terre, et trouva de nouveau de l'essence de dictame et de la Régénération Sanguine. Elle s'agenouilla encore et versa le dictame sur les plaies. Elle essuya le sang de son dos de ses mains rouges et frotta encore et encore, pour voir la peau en-dessous, floue. Elle ne voyait rien. Elle s'essuya les yeux et les rouvrit. Les plaies se refermaient. Ses yeux se voilèrent encore. Des larmes lui échappaient sans qu'elle ne les sente. Elle retourna le sorcier. Il respirait encore. Un sanglot lui échappa. Elle prit de la Régénération Sanguine et en versa encore contre ses lèvres, goutte à goutte.

Et puis le flacon fut vide, et elle l'entendait respirer et elle se rendit compte qu'elle se balançait d'avant en arrière. Elle s'arrêta et cligna des yeux, semblant se réveiller d'un long cauchemar. Rogue était allongé sur le sol, le torse nu et couvert de sang, une large plaie à peine refermée sur le flanc droit, sa tête sur ses genoux. Le sang était en train de sécher sur ses mains et ses vêtements; si elle s'arrêtait à y penser, la panique menaçait de la rendre folle. Faiblement, elle ferma les yeux, se concentra sur ses barrières mentales détruites, et les redressa, oblitérant tout le reste. Lorsqu'elle réussit à rouvrir les yeux, son visage était fermé. Elle le tourna vers Rogue. Il était inconscient, il respirait.

Elle venait de sauver la vie du meurtrier de Dumbledore.

Il était peut-être encore de leur côté.

Et même si elle se trompait, même si elle n'avait pas eu cette attaque de panique, aurait-elle pu vivre avec elle-même en l'ayant laissé se vider de son sang dans ses appartements? Est-ce que c'était une faiblesse?

Elle ne savait pas. Lentement, elle retira ses genoux de sous la tête de Rogue et avisa le canapé dans le salon. Elle sortit sa baguette et l'agrandit, puis elle fit voler jusqu'à elle des serviettes éponges depuis la salle de bain et les tendit sur le canapé avant d'y faire léviter Rogue. Il soupira puis se détourna pour enfoncer sa tête contre le dossier. Son dos et ses tissus cicatriciels furent exposés, sous le sang séché. Khorine ferma les yeux, nauséeuse. Est-ce que Voldemort lui avait fait ça? Ou l'Ordre? Est-ce qu'ils avaient sauvé des vies cette nuit? Elle ne se sentait pas bien, la tête lui tournait. Elle tâtonna jusqu'à trouver l'accoudoir de son fauteuil et s'y hissa. Sa tête chuta en arrière, sa respiration haletante. Elle ferma les yeux, puis s'évanouit.

Le sang pulsait sourdement à ses tempes. Sa tête était prise dans un étau. Il tremblait de froid. Rogue finit par ouvrir les yeux. Il n'y avait plus que des braises dans la cheminée et les premiers rayons du soleil effleuraient les montagnes à l'horizon. Khorine était endormie dans son fauteuil, roulée en boule. Il y avait du sang séché sur ses mains, sur sa chemise et sur sa joue sillonnée de larmes.

La colère crispa les traits de Rogue.

Elle n'aurait jamais dû se trouver dans ce salon. Il avait lu tant de panique et de douleur sur son visage; et lui était tombé; lui qui devait protéger ses élèves, qui aurait dû protéger Potter, qui aurait dû la protéger et qui se serait vidé de son sang sans elle.

Son corps frissonnait violemment à présent. Il agrippa le dossier du canapé et se força à se redresser. Le mouvement réveilla aussitôt Khorine.

-M-Monsieur? Murmura-t-elle en le reconnaissant malgré ses yeux embrumés.

Il crispa les mâchoires avant de siffler:

-Vous devriez rejoindre votre chambre Lumare.

Ses tremblements étaient incontrôlables. Elle s'en rendit compte et se leva, tanguant un peu avant de disparaître dans sa chambre, et revenir avec une couverture. Rogue voulut lui siffler quelque chose, elle le coupa:

-Vos lèvres sont bleues. Malheureusement j'ai utilisé tout le stock de Régénération Sanguine. Je vais en préparer un chaudron. En attendant, vous devriez boire. Winky?

L'elfe apparut dans un craquement sonore et s'inclina devant Khorine.

-Pourrais-tu nous apporter du thé s'il te plaît?

-Je peux parfaitement me passer de vos services Lumare; siffla Rogue en tentant de se lever.

Khorine ne se laissa pas fléchir et s'agenouilla aussitôt pour le maintenir contre le canapé. Ce geste était si incongru que Rogue fut stoppé. Elle le touchait volontairement.

-Nous savons tous deux; murmura Khorine en fixant les orbes noirs, que vous auriez pu… perdre la vie, hier soir. Laissez-moi préparer votre potion.

A travers le sang séché il sentait la chaleur de ses mains contre sa peau glacée. Le contact lui coupa le souffle. Il se laissa faire, la laissa le repousser contre le canapé et remonter la couverture sur lui. Mais à l'instant même où ses mains le quittèrent il murmura d'une voix rauque:

-Savez-vous qui je suis, Lumare?

La question la surprit, ses yeux océan rencontrèrent les siens:

-Vous êtes mon maître d'apprentissage.

-Je suis un mangemort.

-Je pense; souffla-t-elle, que vous m'avez sauvé la vie, en devenant mon maître.

Elle le dit avec la lucidité de ceux au bord de la folie, fermement ancrée au sol, sachant tout ce qu'elle avait à perdre au moindre faux pas. Elle lui faisait confiance; pas assez pour lui révéler son plan mais cela viendrait, parce que rien n'avait de sens s'il était un traître, parce que sa magie et son corps lui hurlaient de croire en lui, parce qu'elle avait besoin de croire en lui.

-Considérez votre dette comme payée; grommela-t-il.

Un infime sourire apparut sur les lèvres de Khorine, Rogue le manqua en fixant les braises dans la cheminée. Elle se redressa et le laissa se reposer, se dirigeant vers le laboratoire. Elle entendit vaguement le craquement d'apparition de Winky et referma la porte. Après deux heures de travail elle revenait avec deux fioles de Régénération Sanguine. Elle les déposa sur la table basse et Rogue s'assit, gardant la couverture sur ses épaules, étudia les potions avec attention puis les avala sans un mot. Elle prit cela pour un compliment. Près de son fauteuil reposait une tasse de thé, maintenue chaude par Stasis. Ses mains -qu'elle avait lavées- s'en emparèrent tandis qu'elle se calait dans son fauteuil. Il y eut un silence.

-Vous avez quartier libre aujourd'hui; finit par murmurer Rogue.

Elle cilla en le fixant et répéta, incertaine:

-Quartier libre?

-Vous pouvez faire ce que bon vous semble, dans les limites de ces appartements.

-Ah; murmura Khorine et son regard fut instantanément attiré par les grandes vitres qui donnaient sur le lac et le parc. Très bien.

Il y eut un silence. Elle prit une gorgée de thé noir. La fragrance était indéfinissable, forte et amère, chaude et réconfortante. Sa tête retomba contre le dossier du fauteuil.

-Je…; lâcha-t-elle dans un murmure…

Elle hésita. Les minutes s'écoulèrent et Rogue ne fit pas mine de bouger.

-Hier soir j'ai… J'ai paniqué et…

Elle ne pouvait pas dire son nom.

-J'ai vu… un ami; finit-elle dans un souffle.

-Vous avez vu Potter.

Des brisures apparurent au fond de ses yeux, les ternissant. Il y avait quelque chose de désespéré dans son regard.

-Vous avez choisi de vivre Lumare; lâcha Rogue de sa voix traînante s'appuyant contre son dossier et agrippant l'accoudoir de gauche, et vous ne pouvez vivre dans le passé.

-Je sais; murmura-t-elle d'une toute petite voix.

Sa main s'éleva malgré elle au-dessus de son cœur et se referma sur son vêtement.

-J'ai mal… dès que je pense… à eux… C'est insoutenable.

Des larmes perlèrent au coin de ses yeux. Elle n'osait pas regarder Rogue. Celui-ci la fixait avec intensité, ses yeux noirs brûlaient.

-Vous ferez votre deuil, en temps voulu; répondit Rogue d'une voix un peu plus rauque. La douleur ne partira jamais vraiment mais elle pourra s'atténuer avec les années.

Elle jeta un coup d'œil à Rogue et deux larmes lui échappèrent avant qu'elle ne murmure dans un souffle:

-J'ai peur qu'elle disparaisse, la douleur, et mes souvenirs d'eux, et leurs rires dans ma tête.

Rogue se leva alors, la couverture ancrée sur ses épaules, et s'avança. Khorine le fixa, incertaine. Elle s'était ouverte à lui, sans mettre personne d'autre en danger qu'elle-même, et il lui avait répondu, il l'avait comprise. Il était peut-être de leur côté. Rogue s'agenouilla près d'elle, la fixa encore un instant, puis posa une main sur sa tête. Khorine resta immobile, choquée, avant de se jeter contre lui. Elle enfouit sa tête contre la couverture sur son épaule et entoura Rogue de ses bras et se serra contre lui et éclata en sanglot. Les larmes trempèrent la couverture et glissèrent le long du torse de Rogue qui la serrait maladroitement contre lui. Il ne s'était pas attendu à ça. Il lui tapotait l'épaule de temps en temps et sentait les soubresauts, la fièvre à son front, les mains fines qui s'agrippaient à lui, la douleur qui lui arrachait ses sanglots. Les minutes passèrent.

Rien ne l'empêchait d'être compréhensif. Après tout, il était son maître, et il devrait expliquer en temps voulu pourquoi elle avait choisi de servir le Seigneur des Ténèbres et prendre la Marque. Il n'y avait rien de répréhensible à la tenir contre lui, torse nu.

Lorsque ses sanglots se tarirent, elle mit encore plusieurs minutes avant de réussir à relever la tête. Elle avait les yeux rouges et bouffis, le front en feu, de la morve au nez et des sillons de larme sur les joues. Rogue haussa un sourcil et Khorine eut l'air embarrassé:

-Je suis désolée.

-Allez-vous reposer; fut tout ce qu'il rétorqua et Khorine n'eut pas de mal à obtempérer.

Elle partit s'allonger dans sa chambre et ne reparut qu'en milieu d'après-midi. Elle eut droit à un thé et une part de tarte à la mélasse, qu'elle dégusta tout en lisant un grimoire; Rogue passa la journée dans son bureau. Il vint ensuite la chercher pour la conduire dans la Grande Salle. Elle fut choquée en entrant, le professeur Finch lui adressa un minuscule sourire, et puis elle s'aperçut que près de la moitié des professeurs, dont les Carrow, n'étaient pas à leur place. Ils s'installèrent. Les élèves faisaient plus de bruit que d'habitude. Madame Pomfresh s'installa à la droite de Rogue et lui murmura quelques mots à l'oreille. Khorine crut comprendre que trois professeurs avaient été retrouvés morts dans leurs quartiers et que d'autres étaient encore à l'infirmerie.

Que s'était-il passé?

Elle l'apprit le lendemain, à la une de la Gazette. L'Ordre avait sauvé une centaine de Moldus arrêtés par le Ministère, et elle était prête à parier que le Seigneur des Ténèbres avait eu d'autres projets pour eux, le soir d'Halloween.

Elle travailla à sa potion toute la journée et le soir, après dîner, Rogue la surprit en lui proposant une promenade dans le parc. Sa plus belle ombre de sourire apparut au coin des lèvres de Khorine. Ils sortirent et marchèrent côte à côte. Le vent était glacé, le ciel dégagé et clair encore, parsemé de faibles étoiles; les derniers rayons du soleil se reflétaient à la surface du lac; tout respirait calmement.

Khorine inspira en fermant les paupières, et Rogue l'observa du coin de l'œil. Cette gamine serait sa perte. Il ne pourrait pas la laisser se faire tuer, parce qu'elle était la dernière à connaître les secrets de Potter. Il devrait la protéger. Il était déjà lié à elle, ses prochains mouvements étaient restreints, et il était certain qu'il devrait prendre position devant ses pairs, et devant le Seigneur des Ténèbres. Les risques qu'il prendrait pour cette petite idiote mettraient tout en péril.

Elle expira et son regard brillant se posa sur le lac avant qu'elle ne se tourne vers lui. Ses yeux étaient chaleureux, une lueur déchirait le voile de brume qui les recouvraient depuis plusieurs mois. Elle s'approcha pour lui toucher le bras et murmurer un remerciement. Ce contact, même au travers de tous ses vêtements, le fit frissonner. Il s'était pris à le rechercher, à l'attendre, ce toucher. Depuis près de trente ans personne ne l'avait fait volontairement et il n'avait pas compris à quel point il en avait besoin. Il recula et détourna le regard.

Khorine l'observa un instant. Il devait être gêné. Son regard s'adoucit puis elle le tourna vers le lac.

Rogue cachait le désir violent qui brûlait dans ses yeux, et ses mains qui tremblaient, et ses traits contractés. Il voulait l'immobiliser contre un arbre, la forcer à le toucher, à l'étreindre, à l'embrasser. Il était répugnant. Elle était trop proche. Il leva brusquement ses barrières d'Occlumencie, impénétrables. Le désir s'évanouit, seules ses mains continuèrent à trembler.

Il fallait qu'il s'écarte de la fille.

Il fit volte-face et sans un mot la ramena vers le château. Il disparut dans son bureau dès qu'ils atteignirent ses quartiers. Khorine ne s'en formalisa pas, elle étudia des grimoires, puis alla se doucher et se coucher.

Les semaines passèrent. Rogue était devenu froid, sombre et méprisant. Khorine le supporta sans rien dire. Elle se disait qu'il y avait une bonne raison derrière ce changement.

De gros flocons de neige finirent par tomber et recouvrir les terres de Poudlard. L'atmosphère, cependant, était morose. Elle ne recevrait pas de pull de Mme Weasley cette année.

Sa potion avançait bien. Elle était rendue à l'étape où elle devait réussir à ajouter du sulfate de fer. Malheureusement, la quantité à ajouter était très importante et la potion instable. Elle tenta l'ajout en deux fois, retint son souffle. L'explosion fit trembler les murs du laboratoire. Son Protego autour du chaudron se brisa dans un crissement et malgré le bond qu'elle avait fait pour s'écarter, la potion corrosive atteignit son pied. Un glapissement de douleur échappa à Khorine avant qu'elle coure jusqu'à la bonde d'égout au sol, arrache chaussure et chaussette trouées et se jette un Aguamenti. L'eau fraîche jaillit sur son pied brûlé, lui arrachant des larmes de douleur. La porte s'ouvrit brusquement sur Rogue.

-Ce n'est rien; lança Khorine, tout en continuant son Aguamenti, j'ai ajouté le fer trop vite.

-Êtes-vous seulement blessée au pied? Demanda Rogue en s'avançant.

Elle hocha la tête, et ferma les yeux, prête à entendre des sarcasmes dégradants. Elle entendit le claquement de ses chaussures contre les dalles, puis le froissement de ses robes et sentit sa main retenir son poignet. Khorine rouvrit les yeux, elle arrêta son sortilège. Rogue était agenouillé devant elle et venait de lui prendre le pied pour examiner l'ampleur de sa blessure. Ses mains et son souffle chaud sur sa peau nue lui retournèrent l'estomac, mais pas de dégoût. Rogue fit venir à lui une pommade d'un informulé puis ouvrit le couvercle.

-Je peux…; voulut protester Khorine.

Il l'arrêta d'un geste puis trempa deux doigts dans la pommade et massa tout le dos du pied qui était sérieusement brûlé. Khorine se mordit la lèvre pour ne pas crier; et puis, petit à petit, la douleur s'atténua, et Rogue continua à la masser.

Il était à genou et elle ne voyait que ses cheveux gras et ses grandes mains qui parcouraient son pied avec virtuosité. Un premier frisson lui échappa. C'était totalement déplacé. Elle ne l'aimait même pas. Elle avait juste besoin d'un contact humain, n'importe lequel, et elle se faisait pitié. Le visage de Khorine était dur et fermé lorsque Rogue releva le sien. Il était contracté, et ses yeux brûlaient comme l'enfer. C'était du désir pur, et il lui coupa le souffle. Elle recula.

-Prof… Maître, merci beaucoup pour… pour mon pied… Je vais aller… Je vais le panser.

Il la suivit du regard, sa prunelle si dilatée qu'elle se confondait à l'iris noir de ses yeux.

-Attendez; ordonna-t-il d'une voix rauque.

Elle se figea et l'observa se relever et avancer vers elle en éprouvant quelque chose comme de la peur. Rogue ne cachait pas son désir. Il se détourna pour entrer dans la réserve et revint avec un nouveau pot et un rouleau de bandage. Khorine jetait des coups d'œil désespérés vers la porte. Elle ne voulait pas rester, elle ne voulait pas qu'il la touche encore. Rogue s'arrêta et malgré ce qu'elle lisait dans ses yeux, il lui tendit pommade et bandage et grogna:

-Allez vous soigner.

-Merci; murmura-t-elle en les prenant.

Leurs peaux entrèrent en contact et quelque chose de dangereux apparut dans les yeux de Rogue. Khorine recula aussitôt. Il fit un pas vers elle. La panique lui serra le cœur, et Khorine bondit hors du laboratoire et courut s'enfermer dans sa chambre. Elle tremblait violemment. Elle priait pour qu'il ne la suive pas. Il ne le fit pas. Elle ne se rendit pas tout de suite compte des larmes qui lui échappaient, mais vit les violents tremblements de ses mains qui lui firent lâcher le pot et les bandages. Khorine se roula en boule dans son lit et se berça d'avant en arrière.

Il ne pouvait pas la désirer. Il était de leur côté. Il devait l'être. Son aura n'avait pas changé.

Il ne pouvait pas…

Il y avait une explication. Il devait y en avoir une. Il aurait pu la forcer, il n'avait qu'à le lui ordonner et elle aurait été forcée de lui obéir. Alors, ce désir qu'elle avait lu, peut-être qu'il faisait partie d'un plan, ou peut-être que ses années d'espionnage lui avaient fait perdre pied, ou peut-être…

Rogue ne lui avait rien fait.

Elle devait se reprendre.

Lentement, les tremblements et les larmes s'estompèrent. Elle put alors soigner son pied. Winky apparut dans un craquement sonore pour lui apporter de nouvelles chaussures.

-Merci Winky; murmura Khorine.

-Winky ne fait qu'obéir aux ordres de son maître, Miss.

Elle salua, puis disparut. Khorine mit ses nouvelles chaussures, noires et simples, puis inspira, expira, et sortit de sa chambre. Elle alla dans la salle de bain et se passa de l'eau sur son visage. Elle se l'essuya, et, par inadvertance, s'aperçut dans le miroir. Khorine s'arrêta. Ses yeux étaient encore rouges et fiévreux, son visage pâle et ses traits tirés sauf pour deux tâches rouges sur ses pommettes, mais autrement, son poids était redevenu normal et ses joues n'étaient plus si creuses; et il y avait quelque chose qui brillait dans ses yeux, qui montrait qu'elle n'était pas morte avec eux.

Elle inspira doucement puis reposa la serviette, et sortit de la salle de bain. Elle détacha le lacet de cuir qui maintenait ses longs cheveux et entra dans le salon vide où elle chercha un grimoire qui pourrait lui être utile. Elle se rendit compte après quelques heures que l'ajout de sulfate de fer aurait dû être effectué sur plusieurs heures, en dix fois au moins. Elle grogna.

Rogue ne reparut que pour le dîner. Il était de nouveau froid et morose. Elle trembla, juste un peu, mais le cacha du mieux qu'elle put et le suivit jusqu'à la Grande Salle.

Il manquait toujours cinq professeurs à leur table. Malheureusement, les Carrow étaient revenus.

Rogue la frôla en prenant son verre. Elle faillit renverser les pommes de terre qu'elle se servait, mais Rogue ne lui prêta pas attention. Seule le professeur Finch sembla le remarquer.

Khorine inspira profondément. Il fallait qu'elle se calme. Ses barrières mentales surgirent de nouveau, et les tremblements cessèrent une fois de plus. Lorsqu'ils rejoignirent de nouveau les appartements de Rogue, celui-ci disparut dans son bureau.

Khorine ferma les yeux, soulagée, puis elle reprit sa lecture dans son fauteuil face à la cheminée, et se coucha quelques heures plus tard sans avoir revu Rogue.

Après l'incident au laboratoire, Rogue fut plus distant qu'avant. Il ne vint plus au petit-déjeuner ou au déjeuner, la laissant seule dans le salon. Il n'y avait que pour le dîner qu'il apparaissait, pour la conduire jusque dans la Grande Salle puis la raccompagner dans ses quartiers, il disparaissait ensuite.

Ce devait être une preuve qu'il était de leur côté. Khorine y croyait, fermement.

Elle refit sa potion, étape par étape, pour revenir à l'ajout du fer et, cette fois, son chaudron n'explosa pas. Cependant, l'étape suivante nécessitait de nombreux tests, quelques ajustements en fonction de la réactivité de la potion. Elle pouvait se fier à ses calculs elle n'avait pas besoin de Rogue. Les semaines passèrent.

Un soir, en entrant dans la Grande Salle, elle s'aperçut que la plupart des Serpentard, ainsi que les plus jeunes élèves des autres maisons avaient disparu. Elle mit du temps à comprendre. C'était le premier jour des vacances de Noël.

Mais le ciel de la Grande Salle était lugubre et il n'y avait ni sapin, ni décorations, où que ce soit. Khorine reposa ses couverts, l'estomac noué. Elle n'arrivait plus à se forcer à manger; pas ce soir.

Lorsqu'elle fut de nouveau seule, elle se recroquevilla dans son fauteuil face au feu, et les heures passèrent. Elle finit par se lever, se laver avec des gestes automatiques, se coucher, se lever, travailler sur sa potion, manger -un peu-, revenir à sa potion, dîner, le salon, la salle de bain, le lit, encore, et encore. Elle avait perdu le compte des jours. Cela n'avait pas d'importance. Il n'y aurait pas de cadeau de ses amis cette année, pas de livres, de Chocogrenouille, pas de pull. Son regard était perdu dans les flammes. Elle était encore une fois roulée en boule dans son fauteuil. La porte d'entrée s'ouvrit soudain.

-Lumare.

La sorcière tressaillit et se tourna vers Rogue. Il se tenait près de son fauteuil, une grande boîte noire et plate dans les mains.

-Vous êtes invitée à la réception de Noël des Malfoy.

Elle cligna des yeux.

-Vous mettrez ceci.

La boîte atterrit sur ses genoux et, déphasée, Khorine l'ouvrit sans un mot. Il y avait une robe noire à l'intérieur, pliée, elle ne voyait que le col mandarin brodé. Elle leva des yeux brumeux vers Rogue.

-Je ne comprends pas, Monsieur; murmura la sorcière.

De manière surprenante, Rogue répéta:

-Les Malfoy donnent une réception dans leur manoir pour le réveillon de Noël. La plupart des mangemorts du premier cercle, ainsi que le Seigneur des Ténèbres y feront leur apparition. Vous y êtes conviée, et vous m'accompagnerez.

Son cerveau tournait au ralenti.

-Comprenez-vous ce que cela signifie?

-Cela signifie… que je serai dans la même pièce que le Seigneur des ténèbres, et des mangemorts, qui n'ont pas à cœur mon meilleur intérêt.

Elle avait pris l'habitude de ne plus regarder Rogue dans les yeux, mais elle fit une exception, et les aperçut s'adoucir un bref instant avant qu'il réponde:

-La discrétion n'a jamais été une de vos qualités, mais je vous conseille d'en faire preuve demain. Cependant… vous serez libre de parler à cette soirée, de répondre lorsque l'on vous parle, et d'utiliser la magie si nécessaire.

Elle hocha la tête et l'observa encore. Ses cheveux gras pendaient autour de son visage au teint cireux, il était plus mince que quelques semaines plus tôt et de gros cernes violets pochaient ses yeux froids. Que se passait-il à l'extérieur pour qu'il soit comme ça? Est-ce que l'Ordre allait bien? Est-ce que Finch la préviendrait si ce n'était pas le cas?

-19h, ici-même, ne me faîtes pas attendre; ordonna-t-il et il repartit dans son bureau.

La brume dans le regard de la sorcière s'était dissipée, remplacée par la peur. Elle n'avait aucune idée de ce qu'il se passait à un rassemblement de mangemorts, et n'avait aucune envie de le découvrir. Est-ce qu'ils torturaient des gens en habits de gala? Est-ce qu'ils étaient tous dans un cachot à rire en écartelant des prisonniers? Pourrait-elle rester sans rien faire? Il le fallait. Mais si elle connaissait ceux qui se faisaient tuer?

Elle ne dormit pas de la nuit et fut incapable de travailler sur sa potion. Dans l'après-midi, elle s'endormit sur son grimoire, et fut réveillée par Winky.

-Miss doit commencer à se préparer Miss, Winky peut aider Miss, Winky a apporté des chaussures et des sous-vêtements à Miss, Miss.

-Merci; baragouina Khorine en se levant.

Ses ongles furent coupés et limés, ses cheveux brossés longuement. Ensuite elle enfila ses nouveaux sous-vêtements en dentelle noire, sa robe, passa sa baguette dans sa manche, et Winky releva ses cheveux en un chignon élaboré, retenu par un serpent en argent. Des boucles noires encadraient son visage. Winky s'approcha.

-Pas de maquillage; se rebella Khorine.

-Très bien, Miss. Winky va juste effacer les cernes de Miss.

L'elfe passa son pouce sous les yeux océan de Khorine et un petit courant magique la fit frissonner.

-Winky a fini, Miss.

-Merci Winky.

-Miss a dix minutes avant de retrouver Maître Rogue dans le salon, Miss.

Sur ce elle s'inclina et Khorine ne put rien lui dire de plus avant que l'elfe disparaisse. Elle soupira, l'appréhension lui nouant déjà le ventre, puis se retourna vers le miroir. Ce fut comme recevoir un coup dans le ventre. La robe que Rogue lui avait offerte était noire, tombant doucement jusqu'à ses chevilles, elle moulait ses hanches, son ventre et sa poitrine avec un serpent en argent qui remontait doucement jusqu'à s'enrouler autour de son cou. Le col montant ressemblait à celui des robes de Rogue, les manches longues moulantes qui se terminaient en V sur le dos de la main ressemblaient à celles de Rogue. Cette robe montrait à tous qu'elle lui appartenait; la coupe, la couleur, le serpent qui l'étranglait.

Khorine serra les mâchoires.

Elle était la possession de Rogue. Il n'y avait pas de doute.

La sorcière baissa la tête en fermant les yeux. Si ses amis la voyaient… Ses barrières mentales se relevèrent violemment. Ce n'était pas le moment.

Une fois encore, elle vérifia que sa baguette était bien calée dans sa manche.

Elle mit ses chaussures noires à petit talon. Au moins était-il possible de courir avec. Au dehors la neige se teintait de rouge et le Lac Noir gelé scintillait sous le soleil couchant. Un sentiment de solitude creusa sa poitrine, elle se sentait faible, insignifiante, seule. Elle pouvait être tuée ce soir; son plan partirait en fumée, Nagini et le Seigneur des Ténèbres survivraient et tout serait perdu.

Il fallait qu'elle respire, inspire, expire, inspire. Nauséeuse elle se prit le ventre à deux mains et se recroquevilla près de la fenêtre.

Il fallait qu'elle se ressaisisse.

L'horloge de la Tour Nord sonna le premier coup des dix-neuf heures. Khorine se leva, murmura leurs noms puis enferma tout ce qu'elle était et tout ce qu'elle ressentait derrière de puissantes barrières mentales. Elle sortit de la chambre et referma la porte derrière elle.

Rogue l'attendait près de la cheminée. Il se tourna vers elle lorsqu'elle entra, et se figea.

Khorine s'arrêta également. Il avait fait un effort. Il ne portait pas ses robes de professeur, seulement une redingote noire à col haut qui semblait brodée à la main, son pantalon noir tombait, bien coupé, jusqu'à ses chaussures cirées, ses cheveux étaient lavés et tombaient doucement sur ses épaules. Elle étudia son visage de là où elle était, et remarqua comme la veille la fatigue, les traits crispés, et puis elle tomba sur ses yeux d'un noir de nuit. Ils brûlaient. La sorcière tressaillit violemment. Rogue s'avança. Il la fixait et rien ne le trahissait, hormis ses yeux.

Rogue s'arrêta à deux pas de la sorcière. Elle portait sa robe. Elle lui appartenait, devant lui, plus désirable que jamais. Ses mains tremblaient malgré lui. Il devait s'arrêter. Avec des gestes lents, il lui prit la main droite, et la leva jusqu'à ses lèvres pour la baiser. Rien de plus. Le contact de ses lèvres sur sa peau le foudroya. Il releva la tête. La Gryffondor tremblait un peu et le rouge lui était monté aux joues. Son souffle était court. Ses grands yeux océan étaient plein de peur et de trouble. Rogue se redressa et la domina d'une tête, la brûlure de son regard insoutenable. Khorine voulait s'écarter, respirer, oublier. Elle fit un pas en arrière; se cogna à la porte. Elle était piégée. La main de Rogue se leva, Khorine resta figée, et vint lui enserrer délicatement le cou. Il sentait sa chaleur sous ses doigts et son pouls qui battait violemment. Un râle lui échappa.

-Vous… Cette robe vous va bien; gronda-t-il d'une voix rauque.

-Merci; murmura Khorine dans un souffle.

Rogue semblait lutter contre lui-même. La sorcière ne pouvait pas bouger. Il finit par crisper violemment les mâchoires.

-Vous resterez à mes côtés ce soir, et ne vous éloignerez sous aucun prétexte; est-ce bien compris?

Elle hocha la tête et le vit se redresser lentement et retrouver le contrôle. Ce furent deux yeux froids qui se posèrent sur elle, et l'espace d'un instant Khorine eut peur de comprendre pourquoi il avait été si distant ces derniers mois.

-Prenez mon bras, nous transplanons.

Khorine inspira, puis expira lentement, et ses yeux à elle devinrent neutres. Elle se força à poser sa main sur Rogue. Celui-ci la recouvrit de la sienne; grande, chaude… réconfortante. Khorine ferma les yeux, et pendant un bref instant se laissa rêver qu'il était vraiment de leur côté et qu'il ne laisserait personne lui faire du mal.

Ils transplanèrent.

La salle dans laquelle ils apparurent était vaste, pleine de dorures, de différentes cheminées, de candélabres en or, avec un énorme lustre de cristal au plafond.

Rogue ne perdit pas de temps. Il la lâcha et se positionna un pas devant elle avant de se diriger vers une grande porte blanche et dorée à deux battants. Il l'ouvrit et elle le suivit. Ils arrivèrent dans l'entrée du manoir Malfoy. Le sol de marbre rutilait et renvoyait tout l'éclat des bougies et des lustres, deux gigantesques escaliers se rejoignaient au-dessus d'un balcon qui donnait sur ce qui devait être des appartements privés, au rez-de-chaussée, sous le balcon, de grandes tentures émeraudes laissaient entrevoir une gigantesque salle de bal. Les Malfoy attendaient leurs invités près des tentures.

-Severus; l'accueillit Lucius Malfoy, quel plaisir! C'est bien la première fois que tu nous viens accompagné.

Khorine manqua le regard orageux de Rogue et s'inclina en murmurant:

-Lord Malfoy.

-Miss Lumare; lui adressa Narcissa Malfoy tandis que Rogue et Malfoy continuaient à parler, nous sommes ravis de vous revoir en de meilleures circonstances.

Khorine lui adressa un regard soigneusement neutre, qui ne manqua pas, l'espace d'un instant, l'émotion caché dans celui de son hôtesse.

-C'est un honneur de recevoir une de nos plus vieilles lignées au manoir Malfoy; continua Mme Malfoy. Nos familles étaient proches dans le passé.

-Elles le seront à nouveau Lady Malfoy; répondit Khorine en s'inclinant de nouveau.

La mangemorte acquiesça puis sourit à Draco. Khorine et lui échangèrent un regard, puis courbèrent lentement la tête.

-Un plaisir, Lumare; grinça Draco avec une sorte de gêne bien cachée derrière un masque neutre.

-De même, Malfoy.

Il y eut un petit silence et Khorine étudiait son aura d'un gris métallique terni.

-Comment se passe ton apprentissage avec Severus? Se força à demander le blond.

-Jaloux? Rétorqua Khorine.

Malfoy renifla et un petit sourire joua sur ses lèvres. Il semblait à Khorine qu'il y avait de la pitié au fond de ses yeux. Elle se détourna; et Rogue s'approchait déjà d'elle.

-Suivez-moi Lumare, ne vous écartez pas; lui ordonna-t-il dans un grognement en la dépassant.

Elle lui obéit, ils passèrent les grandes tentures couleur Serpentard, et entrèrent dans la salle de bal.

Il y avait un sapin, aussi gigantesque que ceux de Poudlard des années plus tôt, et des miroirs sur tous les murs qui renvoyaient les éclats des lustres de cristal, des candélabres dorés, des bijoux des femmes et de leurs parures scintillantes.

Une estrade se dressait au fond de la salle, avec un trône doré en son centre. De la musique sortait de sous les planches, provenant de ce qui devait être un orchestre de sorciers ou d'elfes de maison enfermés.

Un grand buffet s'étendait contre le mur de gauche, près de l'énorme sapin recouvert de décorations.

La salle était pleine de mangemorts.

Khorine n'avait pas pensé à sa grand-mère depuis près d'un an. Elle avait refusé d'y penser. Fenicia Lumare s'était éteinte quelques jours après Dumbledore. La perte du chef de l'Ordre du Phénix, de l'espoir du monde sorcier, l'avait violemment touchée et elle ne s'en était jamais relevée.

A présent, Khorine se rappelait de ses leçons dans le salon de leur manoir, elle se rappelait de l'étiquette, et les codes de la bonne société revenaient saturer sa mémoire. Les Malfoy avaient fait beaucoup d'honneur à Rogue en lui adressant, ainsi qu'à celle qui l'accompagnait, plus de quelques mots.

-Rogue; l'apostropha un mangemort qui ignora complètement Khorine, quelles nouvelles de Poudlard?

-Rien de bien passionnant, Greengrass.

-Ce n'est pas ce qu'affirmaient Alecto et Amycus.

Les Carrow approchèrent et Khorine se força à rester immobile malgré la haine et la luxure dirigées vers elle. Ce fut Amycus qui se plaça au plus proche d'elle et ses gros doigts manquèrent d'effleurer les siens, et son odeur l'insupporta, et elle se força à ne pas bouger. La conversation des mangemorts continua. Khorine restait impassible derrière ses barrières mentales, mais elle sentait, sans se retourner, que sa présence ne laissait pas indifférent. De lourds regards pesaient sur elle.

-N'est-ce pas ingrat; grinça Alecto, de s'occuper d'une traîtresse à son sang? Ces bêtes-là sont si convaincues d'être dans le vrai qu'elles ne changeront jamais. Moi je dis qu'il faudrait en finir et les tuer maintenant.

-Permettez-moi de désapprouver; intervint Greengrass, à présent que la guerre est finie les derniers membres de l'Ordre abandonneront, et les traîtres retrouveront le chemin de la raison. Nous sommes trop peu pour nous permettre de perdre d'autres vieilles lignées.

-Tout à fait; répondit onctueusement Amycus. Il faudrait même en profiter pour assurer notre succession.

Le regard bovin se tourna vers elle et la luxure qui transparaissait la dégoûta. Elle lâcha malgré elle:

-Auriez-vous des difficultés avec la gent féminine, Monsieur Carrow, pour être à ce point porté à forcer dans votre lit les traîtresses à leur sang?

La fureur apparut sur les visages des deux Carrow. Rogue intervint:

-Tenez-vous Lumare.

-Pardonnez-moi Maître, je pense seulement que laisser libre cours aux bas instincts de quelques individus douteux porterait atteinte à l'unité d'après-guerre. Pour que les derniers…

-Qui est-ce qu'elle traite d'individus douteux? Glapit Alecto en sortant sa baguette.

Les conversations autour d'eux se turent.

-Par Merlin Lumare; soupira Rogue en ayant l'air un brin ennuyé, si vous ne pouvez rien dire d'intelligent, taisez-vous. Quant à vous Carrow, inutile de réagir violemment, vous devriez être capable de débattre de vos idées sans avoir recours à votre baguette.

La mangemorte semblait pourtant prête à l'utiliser.

-Je rejoins Rogue sur ce point; intervint Greengrass à la surprise de Khorine, le point soulevé par votre… apprentie est valide.

Les Carrow en tremblaient de rage.

-Prenez garde, à prendre le parti d'une traîtresse; siffla finalement Amycus.

-Elle a rejoint nos rangs, et sert le Seigneur des Ténèbres, vous feriez bien de vous en souvenir; rétorqua Rogue avec une pointe d'avertissement.

-La seule personne qu'elle sert ici, c'est toi Rogue. Alors qu'elle aurait dû m'appartenir.

-Si vous avez un problème avec cela, je vous conseille d'en parler directement avec notre Maître; siffla Rogue.

Les traits d'Amycus se crispèrent de rage et il s'apprêtait à rétorquer, lorsque toutes les conversations se turent d'un coup, comme soufflées, et la musique mourut. Tous se tournèrent vers les grandes portes que Voldemort venait de franchir. Nagini ondulait sur le sol de marbre froid à ses côtés. Quelque chose de glacé figea le sang de Khorine dans ses veines. Ils étaient suivis par trois femmes en robes noires minimalistes. De grandes lacérations étaient visibles sur leurs jambes nues, leur dos, leur décolleté profond; et à leurs cous, des colliers noirs étouffant leurs marbraient la peau d'hématomes. Le Seigneur des Ténèbres traversa la salle dans un silence absolu pour rejoindre une estrade où un grand fauteuil l'attendait. Il se tourna vers la foule; Nagini glissant sur le dossier du trône, les esclaves s'agenouillant derrière lui.

-Nous sommes rassemblés aujourd'hui; annonça Voldemort d'une voix à la fois sifflante et doucereuse, pour fêter ma victoire écrasante. Mes ennemis sont morts et enterrés, leur souvenir effacé, leurs alliés exterminés. J'aurai bientôt la tête des derniers membres de leur petite rébellion…

Il fit une pause, un sourire froid aux lèvres, des applaudissements crépitèrent et Khorine entendit au fond de son crâne comme l'écho de craquements d'os mouillés. Voldemort reprit:

-Le Ministère s'est incliné devant moi. En quelques mois, tous les Sang-de-Bourbes ont été marqués et déchus tandis que les Sang-Purs ont repris la place qui leur revient de droit. Le sang noble coule de nouveau, fort et pur, débarrassé de la souillure des Moldus.

De nouveaux applaudissements, une boîte crânienne se brisait à ses oreilles, Khorine se mit à applaudir.

-Mes enfants, notre temps est venu. A présent, il ne vous reste plus qu'à en profiter, amusez-vous.

Ses yeux rouges fixèrent longuement l'assistance qui applaudissait, et puis il fit un geste vers l'orchestre invisible et la musique reprit. Rogue prit congé des trois mangemorts et s'éloigna, Khorine sur les talons.

-Evitez les insolences de ce genre à l'avenir Lumare; siffla Rogue.

-Pardonnez-moi, Maître.

Ils continuèrent leur chemin, jusqu'à être arrêtés par d'autres mangemorts. Les réactions à son encontre étaient soit méprisantes soit haineuses. Khorine se taisait à présent. Il y avait des craquements sonores qui retentissaient par intermittence. Et puis une des esclaves de Voldemort les atteignit. Elle s'inclina et Khorine put détailler de plus près les blessures profondes de son corps et la boursouflure autour de son collier.

-Si vous voulez bien me suivre, Monsieur Rogue, Miss Lumare; souffla-t-elle le regard vide.

Rogue prit congé et s'avança avec elle jusqu'à l'estrade où se tenait Voldemort. Il s'inclina et baisa l'ourlet de sa cape, Khorine baissa la tête.

-Inutile de faire tant de cérémonie Severus; susurra le Seigneur des Ténèbres. Relève-toi.

Khorine ne bougea pas. Elle ne pouvait pas. L'horreur gelait son sang dans ses veines.

-Quels progrès concernant ma potion?

-Mon apprentie devrait parvenir à de bons résultats d'ici quelques mois. Vous ne serez pas déçu Maître.

Il y eut un silence, les craquements à ses oreilles étaient assourdissants.

-Bien; siffla-t-il.

Elle sentit ensuite les yeux rouge sang fixés sur elle. Les écailles de Nagini raclaient le bois du trône, et un rire déformé éclata du fond de ses souvenirs. Elle était pétrifiée.

-Que dirais-tu de la laisser explorer le premier étage? Proposa Voldemort dans un râle étrange.

Il y eut un silence.

-Ne me l'aviez-vous pas offerteMaître ?

Il y eut un ricanement.

-Possessif, Severus? C'est ton droit après tout, oui je te l'ai offerte… Très bien… Va me chercher Draco.

Une esclave dépassa Khorine et il y eut un silence avant que l'héritier des Malfoy ne s'incline près d'elle.

-Maître? Demanda-t-il.

-Fais danser l'apprentie de Severus.

-Bien Maître.

Il se tourna vers Khorine qui avait relevé la tête vers lui, le visage dénué de toute émotion.

-Me feriez-vous l'honneur de cette danse?

-Avec plaisir; chuchota-t-elle dans un souffle.

Ils s'éloignèrent. Son visage ne reflétait rien, ses barrières avaient tenu, mais au fond d'elle une terreur absolue la dominait. C'était une valse. Malfoy posa une main sous son omoplate, l'autre dans la sienne et ils se mêlèrent aux danseurs. Les pas, les mouvements venaient automatiquement. Elle entendait les gouttes tomber dans la flaque de sang.

-Tu ne te débrouilles pas trop mal; lâcha Malfoy.

Khorine cilla, et se rendit compte qu'elle était proche du blond, et qu'ils dansaient au milieu de la piste, entourés de plusieurs couples. Il n'était plus là.

-Malfoy; murmura-t-elle d'une voix étrangement vide comme si elle ne pensait pas vraiment ce qu'elle disait, qu'est-ce qu'il y a au premier étage?

Malfoy blêmit et se tut. Il y eut un long silence entre eux, jusqu'à ce qu'il se décide finalement à répondre:

-Des prisonnières.

Khorine ferma les yeux, et son cerveau absorba la réponse sans qu'elle la comprenne tout à fait, mais ses barrières mentales tenaient encore.

-Je vois.

Ils se turent, se mouvant en rythme avec la musique. La robe de Khorine se déployaient lorsqu'ils tournaient, son corps obéissant sans résistance aux injonctions de son partenaire.

-Dis-moi Lumare, es-tu en termes amicaux avec Amycus Carrow et Fenrir Greyback?

-Je ne dirais pas cela; répondit-elle sans ciller.

-Tu devrais peut-être retourner auprès de mon parrain, avant que l'un des deux t'approche.

Khorine jeta un coup d'œil à Rogue, toujours en discussion avec le Seigneur des Ténèbres. Elle ne pouvait pas retourner par là. Elle prit sa décision.

-Emmène-moi près de la terrasse.

Malfoy hésita clairement et son regard d'un bleu de glace se leva vers son parrain avant de revenir à elle:

-Es-tu sûre de toi, Lumare?

-Certaine.

Il hocha la tête et les fit tournoyer en bord de piste en quelques mesures. Lorsque la note finale de la valse résonna, Khorine et Draco s'inclinèrent.

-Merci; murmura la sorcière avant de se détourner et s'éclipser de la salle de bal.

Draco la suivit du regard sans un mot, alors qu'elle s'aventurait dans le parc du domaine, sur les sentiers déneigés qui s'enfonçaient entre des fontaines gelées et des haies taillées à la perfection.

Des sortilèges maintenaient une température supportable sur les chemins déneigés. Sa peau frissonnait à peine. La lune en fin croissant donnait une lueur bleutée au manteau de neige tout autour, des flambeaux le long du chemin la rougissait.

Khorine s'enfonça, toujours plus loin, entre les haies recouvertes de blanc. L'écho des craquèlements s'estompaient enfin. Elle revenait à elle… Elle entendait des pas lourds loin dans son dos. Marchant toujours elle chercha des yeux un endroit dégagé, qui serait à son avantage. Elle finit par s'arrêter devant une grande fontaine représentant un dragon crachant de l'eau gelée. Un soupir s'échappa d'entre ses lèvres et forma de la buée. Khorine rejoignit le bord de la fontaine, et s'assit sur la pierre. La place où elle se trouvait était ronde, entourée de cinq gros flambeaux, le sol était recouvert de fin gravier, des haies s'en écartaient dans cinq directions différentes. Ses poursuivants arriveraient par le Nord.

En attendant, elle se concentra sur sa respiration, lente, profonde. Elle commençait à comprendre ce qu'elle avait vu et entendu dans la salle de bal; le discours, les esclaves, les prisonnières, les massacres à venir. Et comment pourrait-elle le tuer? La terreur l'avait rendue à moitié folle. Comment pourrait-elle décapiter Nagini et en finir une bonne fois pour toute si elle restait figée devant lui?

Elle n'avait pas compris à quel point elle était faible avant ce soir. En se regardant les mains, elle vit qu'elles tremblaient. Le gravier crissa près du flambeau Nord. Khorine releva la tête.

-Enfin seuls, Lumare; lâcha Amycus bien que Fenrir sorte de l'ombre à sa suite pour s'accouder contre un flambeau et sourire de toutes ses dents.

Khorine ne bougea pas. Elle les fixait.

-Sortir seule, dans le parc, loin de Rogue, cela ressemble à une invitation pour moi. Pas toi Fenrir?

Un ricanement sec lui répondit, dévoilant ses dents.

Il les avait enfoncées dans le corps de Lavande.

Amycus avançait à présent, le regard luisant. Khorine ne réagissait pas. Il n'était plus qu'à une dizaine de pas, lorsqu'elle cligna des yeux. Quelque chose sembla se mettre en place dans sa tête. Sa baguette fut aussitôt dans sa main et elle la pointa droit sur la poitrine du mangemort.

-Incendio.

Un tourbillon de flammes érupta du bout de sa baguette, droit sur le mangemort. Il bondit sur le côté, trop lentement, et se fit brûler le bras droit. Sa manche prit feu et il hurla. Le loup-garou regarda avec intérêt tandis qu'il parvenait à se jeter le contre-sort. L'odeur de la chair brûlée prenait à la gorge.

-Tu vas me le payer; cracha Amycus en pointant sa baguette sur elle.

Un maléfice fusa vers elle. Elle l'évita sans effort. Amycus hurla, lançant plusieurs sorts d'affilés. Elle les dévia, projetant un nouveau jet de flammes en retour. Il le bloqua cette fois, luttant pour maintenir son bouclier malgré la puissance du sortilège. Khorine avait toujours été douée en duel, mais c'était la première fois qu'elle se battait non pas pour se défendre mais pour détruire son adversaire.

-Bombacta; lâcha-t-elle et Amycus fut projetée contre le flambeau qui explosa en morceau.

Fenrir avait sauté sur le côté et observait sans intervenir avec l'avide fixité d'une bête. Le feu mourut dans la neige et Amycus se releva, aveuglé par la rage. Des sortilèges de mort fusèrent vers elle. Elle les para sans effort, le regard étrangement calme. Et puis elle commença à avancer vers lui, parant chaque maléfice. Le mangemort en envoyait de plus en plus, sentant confusément la rage laisser place à la peur. Et Khorine s'arrêta à cinq pas de lui. Son prochain sortilège ébranla les défenses du mangemort, le suivant l'atteignit en pleine poitrine:

-Sectumsempra.

Le sang gicla. Le sorcier tomba en arrière, comme au ralenti, et s'effondra dans la neige blanche qui se teinta de rouge. Khorine resta immobile à fixer cet homme sadique et cruel gémir en se vidant de son sang. Il mourrait sans contre-sort. Un froissement de tissu lui fit relever la tête. Le loup-garou s'avançait.

-Joli; gronda-t-il d'une voix rauque.

Son aura était d'un noir de goudron, visqueuse et épaisse. Son odeur de sang mêlé à de la terre prenait à la gorge. Il était à six pas d'elle. Son sourire révélait des canines luisantes de bave.

Il bondit vers elle sans prévenir.

-Bombacta; lâcha Khorine.

Le loup-garou bondit sur le côté et sauta sur elle. Elle l'évita et roula au sol.

-Incarcerem.

Il l'évita de justesse mais vacilla. Khorine se redressa d'une main et lui jeta plusieurs autres maléfices qui fusèrent vers lui sans lui laisser de répit. Le dernier le toucha au flanc droit, se répandant sur tout son corps; sortilège Assommant. Le loup-garou tituba.

-Incarcerem.

Il tomba à genou, évitant le sortilège, et secoua la tête comme un gros chien. L'instant d'après, ses yeux étaient de nouveau fixés sur elle, et il avait sorti sa baguette. Un sortilège de magie noire fut craché vers elle. Elle l'évita, contra avec une violente colonne de flamme. Des sortilèges de mort fusèrent. Elle les dévia, un par un, renvoya un maléfice de lacération. Les gémissements d'Amycus s'espaçaient.

-Endoloris; aboya Fenrir.

Un puissant bouclier stoppa le sortilège. Elle entendit des graviers crisser dans le lointain et ferma un instant les yeux. Combien viendraient essayer de la violer? Combien étaient déjà au premier étage?

-Endoloris; cracha-t-elle.

Le sortilège interdit fusa violemment hors de sa baguette, prenant le mangemort par surprise. Il se le prit en pleine poitrine et tomba aussitôt à genou. Khorine tressaillit, elle l'avait à sa merci. Son hésitation faillit rompre le sortilège mais elle se reprit. Elle avança d'un pas, le regard de nouveau fixé sur le mangemort. Elle fit appel à toute sa rage, toute sa peine, toute sa haine et les fit passer dans sa baguette pour les transformer en sortilège de torture. Il avait mordu Rémus. Il avait tué Lavande. Il avait plongé la tête dans ses entrailles et était ressorti souriant, rouge de sang. Un râle échappa au loup-garou. Les gémissements d'Amycus faiblissaient. L'Endoloris monta en intensité.

-Lumare; entendit-elle de très loin.

Elle sursauta mais maintint le sortilège; pas Rogue, pas maintenant!

-Vous en avez assez fait, Lumare. Rompez l'Endoloris et rangez votre baguette.

Elle crispa les mâchoires et envoya une dernière salve de douleur au loup-garou avant que son serment ne la force à arrêter et remettre sa baguette dans sa manche. Elle brûlait contre sa peau. Rogue s'agenouilla dans la neige, auprès d'Amycus et entonna un chant latin de guérison. Ils devraient plutôt le laisser se vider de son sang et expirer son dernier souffle seul, dans un enfer gelé. Le loup-garou gronda sourdement face à elle, encore à genou.

-A votre place je ne m'approcherai plus; siffla-t-elle avec une lueur dangereuse dans le regard.

-Tu ne perds rien pour attendre; gronda Greyback.

-On remet ça quand vous voulez.

Il vacilla sur ses jambes, se tenant les côtes d'une main, mais après un dernier grognement se détourna et disparut parmi les ombres. Khorine ne bougea pas, fixant les ténèbres où Greyback avait disparu. Elle l'avait torturé. C'était la première fois.

Elle ne serait plus faible.

Rogue fit boire un flacon de potion au mangemort plein de sang, puis se releva. Il survivrait. Rogue se tourna vers la sorcière et ses yeux de nuit l'enveloppèrent. Elle cilla. Il y avait de la compréhension dans ces yeux d'un noir sans fin. Malgré ce qu'elle avait fait. Venait-elle de teinter son aura? Venait-elle de se pervertir? Pour quoi? Pour se prouver qu'elle pouvait être aussi monstrueuse qu'eux? Des tremblements la prirent malgré elle et ses grands yeux perdus s'accrochèrent à ceux de Rogue.

Les graviers des chemins alentours crissèrent, on s'approchait. Rogue fit plusieurs pas dans sa direction et s'arrêta tout près d'elle. Khorine resta immobile, perdue.

-Carrow et Greyback n'étaient pas les seuls à vous chercher; lui susurra-t-il à l'oreille. Vous êtes cernée.

Les bruits de pas s'intensifiaient. Elle écarquilla les yeux, comprenant. Les haies, cette place, les mangemorts, c'était un piège dont elle ne pouvait s'extirper; comme une grosse toile d'araignée, et elle était l'appât. Il n'y avait pas d'issue. Les pas se rapprochaient. Un soupir lui échappa, aurait-elle eu une chance en restant dans la salle de bal ou l'auraient-ils forcée à monter au premier étage?

-Je peux vous aider; murmura-t-il encore en étant si proche qu'elle sentait son souffle chaud sur sa joue. Le Seigneur des Ténèbres vous a donné à moi. Si vous acceptez de m'appartenir, plus personne ne pourra vous approcher.

Khorine déglutit et ses grands yeux océans se levèrent vers les siens.

-Que voulez-vous dire par «appartenir»?

-Vous savez parfaitement ce que je veux dire; rétorqua-t-il sèchement.

Elle entendit des voix derrière la haie. Son cœur battait violemment. Elle n'aurait aucune chance seule. Préférait-elle se faire violer par plusieurs mangemorts ou par Rogue? N'était-il pas censé être de son côté? Elle hésita, puis baissa la tête et murmura dans un souffle:

-Très bien.

Rogue inclina la tête, puis d'un geste de la baguette nettoya et sécha la robe de Khorine avant de la contourner pour retirer le serpent qui retenait son chignon décoiffé. Ses cheveux cascadèrent en lourde boucle dans son dos et sur ses épaules. Khorine ne broncha pas. De ses longs doigts il retint les mèches à ses tempes et les rejoignit à l'arrière de sa tête, le serpent s'enroula dans ses cheveux. Elle était à nouveau présentable.

-Une fois à l'intérieur, vous devrez m'obéir aveuglément, sans lutter, sans hésitation. Prenez mon bras; murmura Rogue.

Elle obéit, la tête basse; l'instant d'après, trois mangemorts arrivaient par le Sud, baguette au poing. Khorine cilla. Rogue inclina légèrement la tête, un sourire rogue aux lèvres, avant de s'éloigner avec elle. Ils croisèrent d'autres mangemorts, quelques mangemortes qui courraient dans le parc, une lueur dérangeante dans le regard. Khorine voyait la toile d'araignée en pleine lumière.

Ils sortirent ensemble des jardins et montèrent vers la terrasse donnant sur la salle de bal. Draco était accoudé à la balustrade, un verre à la main. Il soupira en les voyant arriver.

-Les jardins étaient à votre convenance, je présume.

-Trop fréquentés à mon goût.

L'héritier des Malfoy leva son verre à cela et risqua un coup d'œil à la Gryffondor. Elle ne montrait plus rien, mais ne semblait pas blessée.

Ils entrèrent ensemble dans la salle de bal et des murmures les reçurent. De lourds regards pesaient sur eux. Khorine était enfermée derrière ses barrières mentales. Qu'allait-il lui faire? Qu'est-ce que cela changeait à sa situation? Elle avait toujours été à sa merci. Elle était obligée de lui obéir. Pourquoi demandait-il maintenant qu'elle l'accepte? Ca n'avait pas de sens.

-Rapprochez-vous; murmura Rogue à son oreille.

Elle lui obéit sans hésitation et se rendit compte qu'ils étaient sur la piste de danse, que sa main était dans celle de Rogue, son bras gauche posé sur le sien et que leurs corps se frôlaient. Levant la tête vers lui, elle tomba sur son regard d'une noirceur sans fond, où perçait un désir brûlant. Le trouble se lut clairement dans les yeux de Khorine, ce qui arracha un petit rictus à son cavalier.

-Détendez-vous.

Elle obéit, inspira pour retrouver son calme et Rogue fit le premier pas d'une valse lente. Elle se laissa guider. Ses grandes mains enfermaient son épaule et ses doigts et la maintenaient contre lui tandis que son corps se mouvait au rythme du sien. Elle devait se concentrer sur ses barrières mentales pour ne plus rien montrer.

-Vous rappelez-vous; susurra-t-il, de la dernière fois que vous avez dansé?

Son souffle chaud lui caressait le lobe de l'oreille.

-Oui… Au bal des Trois Sorciers…

Elle entendit un reniflement venir de son maître.

-Votre choix de cavalier était… surprenant.

Cela lui arracha un petit sourire et ses yeux se perdirent dans de vieilles réminiscences.

-Je m'étais bien amusée; avoua-t-elle.

-Loin de moi l'idée de remettre cela en cause.

Elle se rappelait de cette soirée, avec Fred. Elle n'avait jamais autant ri. Une vision de son corps étendu dans la Grande Salle la fit tressaillir.

-Ces Messieurs Weasley m'ont toujours semblé un peu trop prolifiques en inventions, sortilèges et surtout en potions.

Khorine se concentra.

-Je ne vois pas ce que vous voulez dire.

-Vous étiez chargée de leur créer de nouvelles recettes, n'est-ce pas?

Elle haussa vaguement les épaules, et peut-être que Rogue l'aurait davantage interrogée si un cri déchirant n'avait retenti dans la Grande Salle. La musique, les couples de danseurs et les conversations s'arrêtèrent brutalement. Tous étaient tournés vers l'estrade où Fenrir et Amycus étaient torturés. Leurs hurlements étaient atroces. Elle ne lui avait arraché qu'un râle. Le frère Carrow tomba inerte au bout d'une trentaine de secondes. Greyback tint plus longtemps avant de s'écrouler à son tour. Le Seigneur des Ténèbres eut un infime geste de la main, et la musique reprit, et tous se détournèrent. Khorine aperçut du coin de l'œil les deux mangemorts être déplacés par des elfes de maison. Une esclave quitta l'estrade pour venir à leur rencontre.

-Le Seigneur des Ténèbres vous fait demander.

Son sang était glacé dans ses veines. Elle suivit Rogue, et s'inclina, une fois de plus, devant le Seigneur des Ténèbres.

-Khorine Lumare; l'accueillit-il dans un sifflement. Severus m'a beaucoup parlé de toi.

Des craquements d'os brisés retentissaient à l'infini dans sa tête.

-Il m'a dit que ma potion sera bientôt prête.

-Oui, Seigneur; murmura Khorine en gardant la tête baissée.

-Severus; siffla-t-il encore, s'est porté garant de toi, ce qui est bien inhabituel… Il semble être certain de tes capacités… Sache, que je supporte mal la déception. Elle aurait pour toi des conséquences funestes.

-Je comprends; haleta-t-elle.

Voldemort l'étudia un moment puis un sourire sadique déforma ses traits alors qu'il susurrait:

-Dis-moi, Khorine Lumare, que penses-tu de la mort de Harry Potter?

Elle baissa la tête. Il fallait répondre la vérité, pour faire croire qu'elle n'avait rien à cacher. Alors elle avoua dans un murmure:

-Je suis triste.

-Souhaites-tu te venger?

-Non.

C'était la vérité. Elle voulait protéger ceux qui étaient encore en vie, pas venger les morts.

-Regarde-moi; ordonna le Seigneur des Ténèbres.

Et Khorine obéit. Elle fixa la lourde cape noire et remonta lentement le corps de Voldemort, jusqu'au visage blême et maigre, aux fentes de son nez avant de tomber sur ses yeux rouges aux pupilles verticales. Les craquements s'intensifièrent. Elle le regardait droit dans les yeux.

-Regarde-moi; lâcha-t-il encore avant de pointer sa baguette sur elle.

Elle comprit ce qu'il allait faire instantanément et, au moment même où le sortilège fusait de sa baguette, Khorine relâchait ses barrières autour de son esprit, pour ne protéger qu'un noyau mêlant toute sa rage et son plan pour en finir.

Voldemort pénétra violemment dans son esprit et l'impact la fit hurler. Sa présence noirâtre était atroce, elle lui vrillait la tête, cherchait, retournait, brisait tous les souvenirs qui apparaissaient. Il força l'entrée d'un souvenir avec Harry, en classe, puis un autre. La douleur était atroce. Elle ne voyait plus rien. Excepté… le sang et… les dalles… Elle entendit un rire déformé et des craquements explosèrent à ses oreilles. Elle se revoyait sous les dalles, la jambe broyée, hurlant alors que Voldemort écrasait de ses mains le crâne d'Harry. La présence immonde se délectait de ce qu'elle voyait, puis elle brisa l'entrée d'un autre souvenir, et d'un autre; elle hurlait en se réveillant d'un cauchemar, elle pleurait, elle basculait d'avant en arrière, elle travaillait nuit et jour sur sa potion, Rogue apparaissait, il la désirait, elle avait peur, elle était seule, Rogue venait la chercher dans le parc des Malfoy, elle acceptait de lui appartenir. Il avait gagné.

Voldemort s'extirpa violemment de son esprit et Khorine tomba à genou, du sang coulant de son nez. Les longs doigts froids de Voldemort attrapèrent son menton.

-Pauvre petite sorcière, seule et perdue. Mais ne t'inquiète plus, Severus saura prendre soin de toi.

Deux gouttes de sang tombèrent sur le poignet de Voldemort qui le remonta jusqu'à ses yeux écarlates. Un grand sourire apparut sur sa bouche sans lèvre.

-Combien d'enfants veux-tu, petite Lumare?

Khorine était perdue dans la douleur, le regard voilé, mais ses barrières mentales reprirent leur place autour de l'entièreté de son esprit, et malgré ses souvenirs saccagés, sa raison était intacte.

-D-deux; inventa-t-elle dans un souffle.

-Oui… Des enfants au sang des Prince et des Lumare.

Un ricanement de plaisir lui échappa.

-Tout ceci est très prometteur, Severus; lâcha-t-il en se tournant vers son mangemort.

Celui-ci inclina la tête et ils furent renvoyer peu de temps après. Khorine suivit Rogue jusqu'à un mur près de la terrasse. Le sang gouttait sur sa robe noire, elle avait la tête qui tournait et tout son corps tremblait. Rogue sortit un mouchoir blanc de son veston interne.

-Mer…; murmura Khorine en levant la main pour le prendre.

Il l'écarta et prit plutôt son menton d'une main pour essuyer lui-même le sang sur son visage. Il ne dit rien, et elle était épuisée. Si bien que ses yeux se fermèrent tout seul, et qu'elle le laissa faire ce qu'il voulait d'elle. Le saignement finit par cesser et sa peau fut nettoyée; ses doigts étaient gelés contre son menton.

-Tenez encore un peu Lumare; lui ordonna-t-il à l'oreille.

Elle rouvrit des yeux dans le vague, mais hocha la tête.

Ils restèrent près du mur et furent rejoints par quelques mangemorts. Les minutes s'écoulaient. C'était une torture pour la Gryffondor qui sentait ses genoux prêts à se dérober sous elle. Il y eut d'autres serviteurs de Voldemort qui se firent torturer sur cette estrade, et les valses se succédèrent, jusqu'à ce que finalement, Voldemort quitte son trône, il discourut une dernière fois sur le nouveau monde des Sangs-Purs, puis partit, suivi de Nagini et de ses esclaves.

Rogue lui prit le bras quelques minutes plus tard, ils prirent congé de Lucius, Narcissa et Draco, puis entrèrent dans la salle de translpanage et retournèrent à Poudlard.

Khorine serait tombée sans le soutien de Rogue.

-Allez-vous coucher; ordonna-t-il et elle l'entendit de très loin.

Il la lâcha et elle vacilla dans le salon jusqu'à la porte de sa chambre. Elle n'en pouvait plus, elle abaissa la poignée, se retint au mur, parvint jusqu'à son lit et s'y écroula. Elle s'endormit aussitôt.