Chapitre 5
Son sommeil fut si lourd que même ses cauchemars ne la réveillèrent pas, ni même Winky.
-Laisse-la dormir; intervint Rogue.
L'elfe lui obéit et le laissa à la lecture de son journal. Khorine ne parvint à émerger qu'en fin d'après-midi. Elle se sentait vaseuse et se traîna hors de sa chambre jusqu'à la salle de bain. Elle se fit couler un bain, parce qu'elle en avait envie, et quitta sa robe de soirée, ses chaussures, ses sous-vêtements pour se glisser dans l'eau chaude. Elle plongea la tête sous l'eau. Ses cheveux ondulèrent doucement autour d'elle, lui chatouillant les épaules.
Elle était encore en vie.
Cette vérité fut savourée un long moment.
Elle sortit la tête de l'eau pour respirer et la cala contre un bord de la baignoire. Fermant les yeux, elle se concentra sur son esprit. Ses souvenirs s'étaient refermés d'eux-mêmes durant la nuit, elle ne sentait pas de faiblesse ni de faille en elle. A dire vrai, elle se sentait bien mieux que depuis de nombreux mois. Pourquoi? Parce qu'elle avait fait face à Voldemort, le monstre qui brisait le crâne de son meilleur ami, qui riait devant les corps et le sang et les pierres brisées; elle lui avait fait face, elle l'avait vu, et malgré sa terreur elle lui avait répondu, elle lui avait caché son plan et il n'avait rien vu. Elle pourrait en finir. Même si elle ne savait pas torturer, il ne suffisait que d'un Avada Kedavra. Elle s'immergea de nouveau sous l'eau et savoura la paix qui détendait peu à peu ses muscles. Elle y était presque.
Elle prit son temps pour se laver les cheveux et le corps et réchauffa deux fois l'eau de son bain avant de consentir à en sortir. Elle enfila ses vêtements ordinaires, chemise blanche et pantalon noir puis retourna dans sa chambre. Son cœur était plein d'espoir, un cadeau de Noël qui valait presque le pull de Mme Weasley.
Rogue vint la chercher pour l'amener dans la Grande Salle où seuls quelques professeurs et les élèves prisonniers du château étaient restés. Après le dîner ils rejoignirent le salon, et Rogue s'assit en face d'elle.
-Vous avez fait bonne impression, Lumare; annonça-t-il contre toute attente tandis que les flammes dansaient dans la cheminée.
Khorine ne put empêcher un reniflement sarcastique de lui échapper:
-Lorsque j'ai hurlé de douleur au pied de… du Seigneur des Ténèbres, ou quand j'ai préféré m'enfuir dans le parc, Monsieur?
Rogue haussa un sourcil.
-Lorsque vous avez battu deux mangemorts et retenu l'attention du Seigneur des Ténèbres. Ne prenez pas à la légère les évènements d'hier soir… A ce propos. Vous rappelez-vous de tout ce qu'il s'est passé?
-Oui Monsieur; répondit Khorine et elle savait déjà de quoi il allait être question.
-Vous rappelez-vous ce à quoi vous avez consenti?
-OuiMonsieur; murmura-t-elle.
Elle sentait une peur insidieuse s'insinuer en elle et mettre en pièce sa belle assurance.
-Bien; acquiesça Rogue. Je ne tirerai aucun plaisir à vous violer, mais rappelez-vous que ma patience, ainsi que celle du Seigneur des Ténèbres, sont limitées.
-Très bien; murmura-t-elle la voix nouée. Faîtes-le maintenant... Monsieur.
La sorcière face à Rogue était blême, les mains crispées sur les accoudoirs de son fauteuil, et dans ses yeux se disputaient la peur et la détermination. Un sourire sarcastique échappa au sorcier.
-Vous n'êtes pas prête Lumare.
Contre toute attente la détermination se renforça dans son regard.
-Je suis prête Monsieur, allez-y.
-Vous ne l'êtes pas Lumare, et je peux vous le prouver bien facilement.
Il se leva en un mouvement fluide et l'instant d'après, se tenait au-dessus d'elle, un genou entre ses jambes et l'une de ses longues mains fines lui prenant le menton. Elle se força à ne pas bouger, quand tout ce qu'elle souhaitait était de se débattre, de le repousser et de s'enfuir loin de lui. Rogue le lisait sur son visage et son amusement fondit comme neige au soleil.
-Toujours prête Lumare? Grinça-t-il.
-Allez-yMonsieur; rétorqua-t-elle en serrant les poings.
Il tiqua et ses doigts quittèrent lentement son menton pour s'enrouler autour de son cou. Ils tremblaient. Rogue rapprocha son visage du sien et ses yeux de nuit étaient rivés aux siens. Elle sentait son souffle l'effleurer et ses doigts chauds qui tremblaient, elle voyait de plus près sa peau cireuse, son long nez busqué et ses cheveux gras qui pendaient de part et d'autre de son visage.
Elle avait peur.
Elle eut un mouvement de recul involontaire. Rogue la retint contre son fauteuil, crispa les mâchoires. Il fondit sur ses lèvres. Le choc lui coupa le souffle et elle gémit alors que les lèvres de Rogue s'écrasaient contre les siennes. Elle sentait son nez busqué contre sa joue et la main qui ne serrait pas son cou qui passait dans ses cheveux. Quelque chose de brûlant se répandit dans ses veines. Elle s'agrippa aux accoudoirs de son fauteuil.
-Lumare; lâcha-t-il d'une voix rauque avant de retourner à ses lèvres.
Il les embrassa encore, fort, les pressant contre les siennes, s'agrippant à ses cheveux.
-Touchez-moi; ordonna-t-il dans un souffle.
Le cœur de Khorine tambourinait dans sa poitrine. Ses mains se levèrent et elle les posa à plat contre le torse du sorcier. N'approchez pas plus près. Rogue appuya de tout son corps contre ses mains et bientôt les doigts qui lui enserraient le cou glissèrent le long de ses épaules et de ses bras pour lui enserrer la taille et la forcer à se rapprocher de lui. Elle résista en le repoussant de ses mains mais la poigne de Rogue était de fer et ses bras n'avaient pas assez de force, la distance se resserra petit à petit, jusqu'à ce que sa poitrine soit collée contre le dos de ses mains, son ventre contre le sien et son bas-ventre contre la cuisse de Rogue. Les poings de Khorine se refermèrent sur sa redingote. Elle n'arrivait plus à respirer. Les lèvres de Rogue s'écartèrent un instant et elle avala un goulet d'air avant qu'il ne les happe encore. La tête lui tournait. Elle… Elle sentait son érection contre son ventre. Il relâcha ses lèvres une fois de plus.
-S'il vous plaît Monsieur; murmura-t-elle dans un souffle. Arrêtez…
Rogue l'entendit, et s'écarta un peu. Elle tremblait de tous ses membres, haletant violemment. Il recula alors, et son étreinte se relâcha. Il ne la tenait plus dans ses bras. Khorine baissa la tête, luttant pour respirer.
-Je vous l'avais dit Lumare, vous n'êtes pas prête; entendit-elle par-delà le bourdonnement à ses oreilles.
Une porte claqua. Lorsque Khorine put relever la tête, elle se trouvait seule dans le salon. Rogue était parti. Elle alla aussitôt s'enfermer dans sa chambre, une main sur la bouche, recroquevillée dans son coin. Il l'avait embrassé. Elle avait senti du feu dans toutes ses veines et son cœur battre comme jamais. Sa culotte était trempée.
Elle…
Elle…
Elle avait aimé…
Et s'il n'était pas de leur côté… Si elle ne résistait pas assez… Que penserait-elle d'elle-même? Elle ne pouvait pas se donner à un mangemort. Non? Mais si c'était pour survivre assez longtemps pour tuer Voldemort. Et si elle appréciait, n'était-ce pas mieux?
Des larmes de honte lui montèrent aux yeux.
Elle les essuya d'un geste rageur.
C'était purement physique, elle n'avait rien fait de mal. Personne ne l'avait jamais embrassée comme ça. Son corps avait réagi. Peu importe. C'était une bonne chose. Il fallait qu'elle aime, parce qu'il allait recommencer. Mais le plus important restait la potion.
La potion…
Elle avait cinq chaudrons différents à présent, pour ne pas perdre de temps, qui recevraient cinq quantités différentes d'ambre électrique. D'après ses calculs, seul le dernier risquait d'exploser. Après cela, elle devrait attendre deux semaines et pendant ce temps, devrait trouver comment se procurer le dernier ingrédient: un rameau de sureau sentient. Celui qui était utilisé pour produire les baguettes. Rogue lui avait dit qu'ils pourraient en trouver, des mois plus tôt, mais elle ne savait où.
Elle se réveilla d'un cauchemar vers cinq heures du matin et rejoignit le laboratoire où Rogue travaillait déjà. Son cœur battait violemment. Elle l'ignora et ses mains ne tremblèrent qu'à peine lorsqu'elle mit en place des boucliers autour de ses cinq chaudrons, et ajouta les cristaux d'ambre électrique. Leurs surfaces bouillonnèrent à peine. Elle passa une heure à tourner chaque potion, et puis ce fut fini. Elle se recula. Rogue était toujours là, penché sur son chaudron de Polynectar. Elle devait lui demander pour le sureau. Ses lèvres s'entrouvrirent. Elle se les mordit. Non. Elle avait le temps, elle pouvait trouver seule. Khorine se détourna et quitta le laboratoire.
La sorcière passa sa journée à chercher dans tous les grimoires de Rogue une indication quant à la localisation de ces arbres à baguette. Elle ne trouva rien et referma ses livres avec humeur lorsqu'il fallut aller dîner dans la Grande Salle. Rogue était sombre et silencieux, une grande présence qui l'attirait et l'apeurait. Elle devait lui parler. Ils mangèrent en silence à la table des professeurs, Amycus manquant à l'appel. Elle se força à manger quelques bouts de nourriture. Il y avait si peu d'étudiants, et ils chuchotaient tout bas entre eux sous la lumière grisâtre tombant du plafond magique. Elle suivit Rogue lorsqu'il quitta la Grande Salle, il la ramena jusqu'au salon et allait partir lorsqueKhorine rassembla son courage et se força à demander :
-Où peut-on trouver du sureau sentient, Monsieur? C'est le dernier ingrédient qu'il me faut et je ne trouve nulle part mention de l'endroit où ils poussent et ce n'est pas disponible en apothicairerie et la potion exploserait avec une baguette déjà finie.
Le sorcier se tourna vers elle et ses yeux de nuit percutèrent les siens. Il y eut un silence. La sorcière se tenait face à lui, les poings serrés, les cheveux noirs cascadant sur ses épaules fines, ses yeux d'un bleu océan fixés aux siens avec détermination.
-Je vous y mènerai le soir du nouvel an.
-Mer…
Rogue crispa les mâchoires avant de se détourner d'un mouvement sec et de l'abandonner dans le salon. Khorine se détendit. Le feu crépitait dans la cheminée. A présent, elle n'avait plus qu'à attendre. Elle revérifierait ses calculs et mettrait en place les étapes de tests sur homonculus.
Elle reprit un des grimoires qu'elle avait parcouru dans l'après-midi, il parlait des différentes propriétés des bois utilisés dans la fabrication de baguette. La sienne était en noyer et, juste parce qu'elle était curieuse, elle se laissa tomber dans le canapé en face de la cheminée, se recroquevilla contre un accoudoir, et plongea dans sa lecture.
Les heures passèrent.
Khorine était si bien concentrée sur son grimoire qu'elle n'entendit pas la porte s'ouvrir ni Rogue entrer dans le salon. Son regard tomba sur elle, si paisible, les jambes repliées sous elle, blottie contre le dossier et l'accoudoir du canapé, ses petits doigts refermés autour des coins de son grimoire et ses cheveux noirs capturant l'éclat des flammes. Il s'arrêta. Il aurait dû continuer jusqu'à sa chambre. La jeune femme était inconsciente de sa présence, parfaitement détendue. Son dos s'élevait et s'abaissait doucement. Rogue approcha. Elle était en vie; contrairement à la petite Gryffondor dont le corps venait d'être retrouvé dans un couloir. Deuxième année, cheveux noirs et yeux bleus, Alecto avait vengé son frère; et à présent un petit corps froid reposait sous un drap à l'Infirmerie.
Il avait encore échoué.
Sa main se tendit jusqu'à capturer une boucle de cheveux. Khorine sursauta, surprise dans sa lecture, et se retourna. Rogue mit un genou sur le canapé et se rapprocha et ses bras se refermèrent sur la Gryffondor avant qu'elle n'ait pu réagir, et elle se trouva coincée contre son torse, le nez dans son cou, les bras emprisonnés contre son corps. Rogue soupira, ferma les yeux et lentement son menton reposa sur la tête de la sorcière.
C'était le quatrième élève cette année. Il leur avait failli, à tous ; hormis elle; il sentait son corps chaud et sa respiration accélérée.
Elle était encore en vie, même après la Bataille de Poudlard, même après Amycus et Fenrir, même après le Seigneur des Ténèbres. Rogue resserra son étreinte, la pressant désespérément contre lui.
Khorine commençait à paniquer, elle tenta de dégager ses bras, de relever ses mains pour l'écarter mais ne parvint qu'à le faire resserrer sa prise. Il lui faisait mal. Elle avait du mal à respirer. Et puis, d'un coup, son étreinte se relâcha. Elle haleta, sentit son menton être relevé par ses longs doigts, et les lèvres de Rogue s'écrasèrent contre les siennes. Elle tenta de reculer, il la bloqua contre le canapé, lui maintenant la tête. Son cri se perdit contre la bouche de Rogue. Il sentait ses seins contre sa poitrine, son corps élancé contre le sien, ses lèvres douces pressées contre les siennes. Toutes ses veines étaient en feu, son entrejambe déjà rigide. Elle l'intoxiquait. Il pressa durement ses lèvres contre les siennes, lui happant la bouche et la tête de Khorine ploya vers l'arrière, contre le dossier du canapé, et la main qui lui tenait le menton se referma sur son cou fragile et descendit laissant une empreinte rouge jusqu'au sternum de la sorcière où elle fut arrêtée par les boutons de sa chemise. Rogue défit le premier, le deuxième et ses doigts atteignirent la peau douce et chaude à la naissance de ses seins. Khorine se débattit, elle parvint à libérer sa bouche, le temps d'une respiration, avant qu'il ne la happe de nouveau et que ses lèvres malaxent durement les siennes.
Il était devenu fou. Il lui avait dit qu'il ne la violerait pas, mais… Mais…
Khorine tenta encore une fois de le repousser, mais elle manquait de force, elle manquait d'air. Rogue défit tous les boutons de sa chemise et sa main tremblante vint se poser sur sa hanche.
Sa peau était si douce et chaude et…
Khorine lui mordit violement la lèvre inférieure. Le sang se répandit entre leurs deux bouches et Rogue s'écarta enfin. Ils haletaient tous deux, le sang gouttait sur son menton.
-Pas… comme…ça; cracha Khorine en haletant et la colère brillait dans ses yeux et elle était échevelée, les lèvres meurtries, la chemise ouverte sur son soutien-gorge et son ventre.
Rogue la fixa sans un mot, respirant lourdement, la main pleine de sang.
Que venait-il de faire?
Il était censé la protéger…
La honte lui glaça les entrailles, mais son entrejambe pulsait encore.
Elle était trop désirable.
-Partez; lâcha-t-il dans un grondement rauque.
Elle lui obéit aussitôt, se couvrant de sa chemise, abandonnant son grimoire par terre, pour aller s'enfermer dans sa chambre. Là, elle partit trembler contre son lit, se couvrir de couvertures pour retrouver un semblant de chaleur.
Il…
Il était en train de devenir fou. Qu'il soit du côté de l'Ordre ou de celui de Voldemort. Et il la désirait, c'était indiscutable. Mais il perdait pied. Il ne tiendrait pas jusqu'à ce qu'elle en finisse avec le Seigneur des Ténèbres…
Il fallait…
Il fallait qu'elle essaye de le retenir, de le faire patienter. Dans un mois la potion serait finie. Elle le savait. Elle devait trouver le moyen de le faire attendre un mois.
Khorine resta encore longtemps dans le noir, seulement éclairée par la douce lueur tombant des étoiles. Elle trouvait du courage, et apaisait ses tremblements rémanents.
Quand elle finit par se lever, elle prit son pyjama et sortit de sa chambre pour aller dans la salle de bain. L'eau chaude l'apaisa, coulant le long de son corps enfin détendu. Elle prit de longues minutes pour se laver, puis se sécha, se brossa les dents puis enfila son pyjama à carreaux, aux couleurs de Serpentard. La pointe de ses cheveux gouttait. Elle se sentait mieux et bâilla en ouvrant la porte de la salle de bain.
Elle se figea.
Rogue était à trois pas d'elle, immobile, la main sur la poignée de porte de sa chambre.
Il la criblait de son regard de nuit redevenu neutre, la lèvre encore meurtrie.
Khorine ferma les yeux, puis inspira.
Courage…
Elle combla la distance entre eux deux et Rogue la fixa, choqué. Elle approcha sans rencontrer de résistance, et sa main fine se posa sur le bras de Rogue et ses lèvres douces effleurèrent sa joue. Elle recula et lui sourit alors, de son petit sourire fantôme, et murmura:
-Bonne nuit, Monsieur.
Puis elle se détourna de lui et rentra dans sa chambre. Si Khorine était restée un moment de plus, si elle s'était retournée, elle aurait vu la tristesse apparaître sur les traits de Rogue et elle aurait su, sans l'ombre d'un doute. Cependant, Khorine ne se retourna pas et la porte se referma derrière elle.
Les mains de Rogue tremblaient. Il leva les yeux vers le plafond; les ferma. Il inspira, et plus rien ne fut lisible sur son visage. Son poing se crispa sur la poignée de sa porte et il disparut dans sa chambre.
