Chapitre 3

Je me réveillai en sursaut, un cri au bord des lèvres, enchevêtrée dans mes draps. Je paniquai, piégée par le tissu, retenant difficilement mes gémissements. Et puis... les ombres s'estompèrent devant mes yeux... ce n'était que des draps, et qu'un cauchemar. Retombant contre l'oreiller, je tâchai de reprendre mon souffle et fermai les paupières pour me calmer... ... Il y avait une odeur, presque salée, et de moisissure aussi par-dessous. Je les rouvris aussitôt, pour m'apercevoir avec frayeur que ce n'était pas ma chambre! De vieux rideaux tachés et presque transparents laissaient passer la lumière du jour, je pouvais voir les murs, le bureau plein d'humidité, la grande armoire de travers et plus près la chaise en osier, la table de chevet. Tout ça était recouvert par la poussière. Et avant d'avoir pu réfléchir plus avant, je me levai du lit, accusai sans bruit les douleurs de mes articulations, et me hissai jusqu'à la fenêtre pour l'ouvrir en grand. Le soleil se levait. J'aurais largement le temps de préparer le petit-déjeuner.
Tout cela était clair, je n'avais pas besoin de réfléchir. Alors je passai une main presque pas nerveuse dans mes longs cheveux noirs ébouriffés, et puis me frottai un peu les yeux. Bref coup d'oeil à mes vêtements et je reniflai. Je ne pouvais pas faire grand chose, le pantalon et les chaussettes étaient presque à ma taille, la culotte aussi, mais la chemise était trop grande et les manches, un peu déchirées, retombaient plus loin que le bout de mes doigts. Mais le bras droit était entièrement recouvert, ça allait. N'empêche, je devais ressembler à un fantôme irlandais. Tout ce que je pus faire fut de les remonter et les attacher par les boutons, puis de rentrer la chemise dans mon pantalon. Je mis les chaussures qui attendaient au pied du lit et qui étaient à ma pointure, puis... ouvris la porte.
Le couloir était vide, sombre, il sentait le moisi. Les lattes grincèrent lorsque je posai le premier pied hors de la chambre. Je grimaçai. Mais continuai pourtant, rasant les murs pour m'appuyer là où cela ferait le moins de bruit. A droite, il y avait plus de lumière, c'est là que je me dirigeai. Et je trouvai un escalier qui m'amena directement au salon. Grande pièce avec des fauteuils, un canapé, une table et des chaises, une bibliothèque, une gigantesque cheminée. Tout était vieux et en mauvais état, les livres sur les étagères suintaient d'humidité.
L'homme en noir ne prenait vraiment pas soin de ses affaires. Il n'y avait qu'une seule autre pièce à ce niveau, la cuisine. J'y entrai, avec soulagement. Le parquet avait cédé la place à du carrelage, qui ne grinçait pas. Beaucoup de petits placards fermés, en hauteur, des plateaux en pierre autour de plaques de gaz et d'un énorme lavabo, un grand espace de rangement tout à gauche et trois petites portes sous la pierre de l'espace de travail. Au centre de la cuisine il y avait aussi une table en bois et malgré son état on voyait encore la marque de nombreux coup de couteaux. Je déglutis. Et puis choisis de me concentrer. Je partis à la recherche de quelque chose de comestible. D'abord les étagères, puis les placards à mon niveau. Il n'y avait rien que de la poussière, quelques assiettes, verres et couverts, des bestioles bizarres grouillant par-dessus et deux boîtes en fer vides. Ensuite je montai sur une chaise et me hissai jusqu'aux placards supérieurs. J'ouvris la deuxième porte du haut et trouvai une nouvelle boîte. Avec un peu de chance... Je tendis le bras en me hissant sur la pointe des pieds...

-Lumare!

Intense terreur. J'hoquetai à en perdre l'équilibre et ne me rattrapai aux planches des étagères que par miracle. L'instant d'après je me retournais, tremblante, les yeux écarquillés à peine cachés derrière mes longues mèches.

-Puis-je savoir ce que vous fabriquez? Siffla l'adulte en avançant vers moi.

Trop exposée en hauteur, je me dépêchai de descendre jusqu'au carrelage du sol. Puis je m'empêchai de reculer et le fixai. Les mêmes vêtements que dans mon cauchemar, les cheveux toujours graisseux, mais plus pâle et il y avait des cernes violets autour de ses yeux. Pas vraiment en colère, plutôt agacé.

-Je cherchais de quoi préparer le petit-déjeuner, monsieur.

Il y avait bien de l'agacement, et du mépris. Mais il ne semblait plus sur le point de me frapper.

-Poussez-vous.

Je m'exécutai aussitôt, en profitant pour bien m'éloigner. L'homme en noir alla jusqu'aux placards, fit ceux du bas après moi, testa les étagères, puis les rangements du haut. J'observai depuis l'autre bout de la cuisine. Au final, il ne trouva qu'une boîte contenant de vieux grains de café. Il grogna puis referma toutes les portes et se tourna vers moi.

-Un seul pas hors de cette maison en mon absence et je peux vous assurer que vous le regretterez.

J'hochai la tête. L'instant d'après il quittait l'endroit et transplanait dans un craquement assourdissant.

... J'avais la possibilité de m'enfuir dès maintenant. Il n'avait pas pris la peine de fermer la porte. Mais je ne savais pas combien de temps cela prendrait d'aller chercher de quoi faire le repas. L'adulte pouvait se contenter de café comme il pouvait vouloir des oeufs et du bacon. Et je ne savais même pas où je me trouvais. Je choisis d'attendre. L'homme en noir réapparut une vingtaine de minutes plus tard. J'aurais eu le temps de m'échapper.

-Venez; tonna-t-il depuis la salle à manger.

J'obtempérai et l'observai lancer plusieurs sorts sur la grande table, les sièges. Puis il déposa une brique de lait et une baguette viennoise enroulée dans du papier. Mes yeux s'écarquillèrent un peu devant cela. L'homme avait vraiment de drôles de goûts. Il fit voler jusqu'à la table deux verres qu'il lava d'un sortilège et puis s'assit sans me regarder. Mais il semblait plus énervé qu'à son départ.

-Qu'est-ce que vous attendez pour vous asseoir, Lumare? Cracha l'homme soudain.

Je me dépêchai d'obéir, sans comprendre, montai sur une chaise. Elle se situait à gauche de la sienne, assez écartée quand même. Il plaça un verre devant moi, le remplit puis me coupa un morceau de la baguette. Je les fixai sans bouger, les mains sur les genoux, mes longs cheveux cachant la faim qui étincelait dans mes prunelles. Il y eut quelques instants de silence, et puis l'adulte explosa:

-Eh bien, quand allez-vous vous décider?!

Je tressaillis et me crispai, trop proche pour éviter le coup... qui ne vint pas. Je relevai la tête.

-Je peux... manger? Me risquai-je, en l'observant de nouveau.

Furieux et à bout de patience. Ses yeux noirs brûlaient et il m'aboya que c'était évident, avant de se servir. Je... n'y croyais pas vraiment. Mais m'emparai quand même de la viennoiserie. Je lui jetai un nouveau coup d'oeil, il ne semblait plus faire attention à moi, crispé et occupé à foudroyer un coin de la pièce du regard. Alors je croquai dedans, mâchonnai. L'homme en noir ne réagit pas. J'en conclus que j'avais le droit de finir ma part, je fis en sorte qu'elle dure le plus longtemps possible, puis bus le lait. Cela se passa dans le plus grand silence. J'étais la seule à manger.

-Vous avez encore faim? Lâcha-t-il soudain.

Je venais de reposer mon verre.

-Non, monsieur; répondis-je le plus naturellement possible.

Mais je fus trahie par mon ventre, il gronda trop fort. Je fus pétrifiée, par la honte et la peur. L'adulte ne fit que renifler, avant de me servir une nouvelle part. Je m'appliquai cette fois encore à remplir mon estomac lentement. Cela sembla tout à fait stupide puisqu'il m'accorda un troisième morceau ensuite. Je le fixai, stupéfaite.

-Mangez!

J'obtempérai, mais cette fois très vite. Je ne comprenais plus. Je voulais sortir de table, m'éloigner. Je pris mon verre et le portai jusqu'à l'évier, mon excuse pour fuir. L'homme en noir m'ordonna simplement de l'y déposer, je fus contrainte de revenir au salon après ça. Il finissait sa part, puis lança un "Stasis" sur le pain et le lait et se leva. Il était toujours aussi agacé.

-Vous ne toucherez ni aux éviers, ni aux toilettes, ni à la baignoire avant que je ne vous en ai donné l'autorisation, est-ce clair?

-Oui, monsieur.

Il s'abîma un instant dans ses réflexions, puis me fixa les paupières plissées. Ses yeux ressemblaient à deux fentes noires.

-Interdiction de quitter le salon de la matinée. Vous vous occupez comme bon vous semble, mais je ne veux pas un bruit, pas un souffle plus haut que l'autre. Faîtes-moi oublier l'aberration même de votre existence.

Il employait des mots d'adultes, mais j'avais compris dans l'ensemble. Et me faire oublier, j'avais l'habitude. J'hochai la tête. Le sorcier finit par s'éloigner dans un claquement de cape.

... J'attendis quelques minutes, le temps d'être sûre qu'il était parti, puis me dirigeai vers la cheminée, les canapés, la bibliothèque. J'ouvris la fenêtre pour aérer et puis m'occupai en fouillant dans les grimoires. Quelques uns étaient lisibles et cela faisait longtemps que je savais déchiffrer les caractères de l'alphabet anglais. Je m'enfonçai alors dans un canapé, avec un énorme livre sur la mythologie plein d'illustrations, et m'occupai comme on me l'avait demandé.
... Il y avait un souffle puissant, tout près, constant, comme si un gigantesque monstre dormait à quelques pas du salon. Plusieurs cris déchirèrent soudain le silence. Je me jetai sur la fenêtre et la fermai, avant de me pelotonner contre le cuir délavé du siège. J'avais peur... Je passai la matinée à chercher dans les pages de mon livre quelle était la bête qui montait la garde devant la maison... Lorsque l'homme en noir réapparut, bien plus tard, j'étais paniquée. Je fis ce que je pus pour ne rien montrer bien sûr. Le sorcier ne sembla de toute façon pas s'en soucier.

-Vous pouvez utiliser les toilettes.

J'hésitai bêtement. Je n'avais plus envie de m'éloigner de l'adulte maintenant.

-Deuxième étage, troisième porte à gauche. Dépêchez-vous, nous sortons dans quelques minutes!

Nous sortons? Je déglutis difficilement, il fallut une nouvelle menace pour que j'obéisse. Lorsque je revins j'étais blême, tremblais de la tête au pied, j'avais du mal à marcher, l'esprit engourdi et l'estomac serré. Le sorcier avait dit trois jours, mais il ouvrait déjà la porte. Je ne voulais pas mourir, moi! Pas maintenant! Je voulais lire tous les livres de la bibliothèque du manoir avant, grimper encore au plus haut chêne de la propriété, recuisinez un dessert avec les elfes de maison qui me vaudrait les compliments de ma tante... Je ne voulais pas...

Le soleil m'éblouit soudain! Et lorsque mes yeux se furent habitués, que je cherchai trace du gigantesque monstre, je ne trouvai qu'une forêt au loin, une longue clairière à droite avec un verger au bout et des dunes de terre brune et jaune à gauche. Le soleil étincelait au-dessus de ces dernières. Ce fut par là que me conduisit le sorcier. Par là que s'élevait le souffle monstrueux. Les reliefs qu'il fallut escalader étaient traîtres, la terre jaune s'effondrait sous les pas et je faillis tomber plusieurs fois. Mes articulations craquaient sèchement et faisaient mal. L'adulte lui s'en sortait parfaitement, avançait d'un pas sûr. Il y avait de longues herbes qui dépassaient du sol, et rien d'autre à voir que cette terre jaune très fine et ces petites tâches vertes. Je peinais à la suite de l'adulte, tremblant, sentant bien que je serais incapable de m'enfuir si on me poursuivait. La respiration... se rapprochait. Et un cri aigu soudain! Je me glaçai d'effroi, quelqu'un se faisait attaquer! Je... je fusai aussitôt, dépassant l'homme en noir pour courir encore plus vite, malgré le sol instable, mes os douloureux et le soleil aveuglant. Il fallait la sauver!
Et je déboulai soudain au sommet de la dernière dune, pour rester pétrifiée. De la terre jaune et de l'eau à perte de vue. Mais pas de monstre et personne en danger. Je tournai la tête à gauche, avançai, puis à droite, je revins en arrière. L'abominable souffle résonnait à mes oreilles... Et le sorcier arrivait.

-Où est-ce qu'elle est? Sifflai-je, et je n'avais jamais entendu ma voix aussi venimeuse qu'à cet instant.

Ca ne me valut qu'un haussement de sourcil méprisant de la part de l'homme, il grimaçait aussi mais ça pouvait être dû au soleil.

-De qui parlez-vous?

Je n'avais plus peur, quelque chose grondait en moi.

-Je l'ai entendu crier, vous ne pouvez pas me mentir!

Un ricanement sec me répondit, puis il me fixa et sembla attendre quelque chose. Ce ne fut pas long, les cris reprirent. Je tournai aussitôt la tête, prête à tout! Mais il n'y avait personne, personne, seulement des oiseaux très loin. Et le grondement de l'eau qui venait s'échouer contre la terre. Alors... la respiration rauque... le monstre...

-Ce sont les cris des goélands leucophées que vous voyez sur la mer, triple buse; gronda le sorcier.

Mais il me dépassa sans rien tenter contre moi. Il descendit la dune jusqu'à l'eau... la mer... Je restai à fixer tout ceci les bras ballants. Quand il disait "goélands", il parlait des oiseaux? J'attendis encore... Un long moment... Et d'autres oiseaux apparurent haut dans le ciel, et crièrent. Des gémissements plaintifs leur répondirent.

J'avais été stupide. J'aurais du m'apercevoir que les voix étaient trop criardes pour être humaines, faire le rapprochement entre la réalité et ce que j'avais lu sur la mer et l'océan, les aventures d'explorateurs sorciers, les contes bretons, anglais, arabes... J'avais mal maintenant, les hanches et les genoux douloureux, les épaules aussi. Je crispai les mâchoires pourtant et descendis la dernière dune. J'approchai de l'homme en noir, pas trop près, concentrée pour ne pas fixer l'extraordinaire masse d'eau mouvante et étincelante devant. Il se tenait debout, droit, baguette en main et fixait un point particulier de la mer, près des... goélands. Sa cape claquait au vent.
Quant à moi, je ne me risquai pas à poser une seule question. Je m'étais assez ridiculisée comme ça. Immobile, j'observai le silence, les vagues bouillonnant... d'écumes? Il y avait l'odeur aussi, tellement puissante, salée. Le soleil qui tapait fort et éblouissait. Mes longs cheveux s'enroulaient autour de moi, portés par le vent, et ma chemise était parcourue par ses bourrasques, je n'avais pas vraiment trop chaud, mais je n'en aurais pas dit autant pour le sorcier. Il portait de nombreuses couches de vêtement noires... Elles le gêneraient aussi, probablement, pour courir.
L'adulte se tendit soudainement en levant sa baguette. Il y avait des éclairs argentés à l'intérieur même de la mer. C'était magnifique. Un sortilège fusa, plongea dans l'eau pour en ressortir l'instant d'après une de ces lumières. Elle se tortillait dans les airs, projetant ses éclats dans toutes les directions, se rapprochant. Ça finit par s'écraser sur le sol jaune. Et je reconnus un poisson! Ses écailles étincelaient, il était magnifique, mais agonisait, se tortillant dans la terre dorée, ouvrant grand la bouche, battant de la queue et des nageoires. L'homme en noir s'était déjà détourné pour fixer de nouveau la mer. Il aurait dû le tuer pour lui éviter toutes ces souffrances!
... Cela me laissait entrevoir comment il s'y prenait pour abattre ses victimes. Je devais m'enfuir. Main dans le dos, rigide, le regard glacé fixé sur l'horizon, je laissai l'animal agoniser à mes pieds. J'avais moi aussi du mal à respirer et souffrais d'un peu partout. Nous passâmes un très long moment là-bas, les poissons s'entassaient près de nous. Il y en avait assez pour trois jours. L'homme ne devait pas avoir beaucoup d'argent pour se contenter de ça. Ma tante, elle, savait varier les plaisirs. Il fallait de nouvelles recettes, de nouveaux plats toutes les semaines. Les elfes ramenaient des poissons très étranges, de toutes les couleurs, qu'il fallait apprendre à préparer, des viandes aux goûts bien particuliers, des légumes, des fruits et des féculents du monde entier.

-Allez me chercher un panier; lança finalement l'adulte à sa septième prise.

-Monsieur?

Comment est-ce que j'étais censée faire pour trouver un panier? Je n'en avais pas vu dans sa chaumière pleine de poussière.

-Débrouillez-vous! Siffla-t-il.

Je m'empressai de reculer et mes hanches se débloquèrent violemment; j'hoquetai. Les yeux fermés, je ne m'aperçus pas que le sorcier s'était tourné vers moi. Puis je me détournai et fis aussi vite que je pouvais pour m'éloigner. J'avais... très... mal.
La montée fut difficile, malgré le vent, j'avais chaud, de la fièvre. Je me sentais blâfarde pourtant et épuisée. Pas la force de m'enfuir... J'avais une nouvelle occasion, l'homme en noir était encore près de la mer, mais je... Je m'effondrai sur le sol, soulevant un nuage de poussière souffrée. Du mal à... respirer... J-je griffai le sol de mes ongles et fis tout ce que je pouvais pour me redresser, un genou quitta terre, puis l'autre. Je me relevai, continuai. L'adulte n'allait pas être content si je ne lui trouvais pas de panier. Il ne fallait pas non plus qu'il prenne conscience de ma faiblesse, ou les trois jours risquaient d'en être fortement réduits. J'enlevai vite les particules jaunes de mes vêtements, puis à force d'effort, je parvins jusqu'à la chaumière. Je me retins au mur de pierres. Pas de panier à ma souvenance, ni dans la cuisine, ni dans le salon... Ou alors, pour le bois? Près de la cheminée, ça ferait l'affaire!
J'eus du mal à ramener le panier, à aider à mettre les poissons dedans. Heureusement, je n'eus pas à le porter plus tard, seulement à suivre l'homme en noir sans tomber. Nous ne sortîmes plus de la journée. J'eus droit à une douche le soir. Ensuite je reçus l'interdiction d'entrer dans la cuisine et dus retourner m'asseoir... lire mon grimoire... Nous mangeâmes en silence, le vent sifflant et s'engouffrant dans les interstices des murs. J'avais froid maintenant, et très chaud. Je ne me rappelais pas avoir déjà ressenti cela. Après, il me renvoya dans ma chambre. J'avais le projet de m'enfuir pendant la nuit, d'attendre que le sorcier soit endormi pour m'enfuir m-mais j'étais trop épuisée. Et je sombrai dans le sommeil sans même m'en rendre compte...

Le lendemain, réveillée aux aurores, je me trouvais à grelotter dans mon lit, le front brûlant. Osty aurait su quoi faire. Mais il n'était pas là. J'eus du mal à me lever, et à ouvrir la fenêtre, il faisait froid, mes articulations grinçaient atrocement. Mon état empirait. Je commençais à croire que c'était à cause du sorcier. Ce devait être pour empêcher ses victimes de s'échapper. Je n'avais plus beaucoup de temps avant d'en être effectivement incapable. Je fis mon lit puis sortis de la chambre et descendis les escaliers. Le petit-déjeuner ne serait composé que du reste de viennoiserie et du lait, je n'avais rien à préparer. Par contre les poissons encore sur la table de bois allaient pourir si je ne faisais rien. Je rejettai mes cheveux ondulés en arrière puis m'emparai d'un couteau de taille acceptable et le lavai bien avant de commencer à les écailler et leur ouvrir le ventre pour enlever les boyaux. Les elfes m'avaient montré comment faire.

-Je croyais vous avoir interdit d'entrer dans cette cuisine; siffla-t-on.

Je tressaillis et faillis me couper. Une fois encore, j'avais été incapable de l'entendre arriver. L'homme en noir s'approcha. J'étais incapable de parler, la gorge sèche, et je ne devais pas reculer. Il haussa un sourcil, la fureur commençant à gronder:

-Et pourrais-je savoir ce que vous étiez en train de faire précisément?

Je déglutis, n'osai pas lâcher le couteau tandis qu'il fixait mon travail.

-Je les écaillais et les... éviscérais, pour ne pas qu'ils pourrissent.

Son regard sombre se riva au mien et ses sourcils se froncèrent très distinctement... Il y avait quelque chose de profondément dérangeant dans ces yeux, de brûlant et d'hypnotique. C'était un puissant sorcier, et je l'avais énervé.

-Quel âge avez-vous, Lumare?

J'avalai ma salive, histoire de calmer ma gorge qui commençait à être douloureuse.

-Sept ans, et trois quarts; répétai-je.

Oui, j'étais certaine qu'il l'avait déjà demandé, et que la réponse ne l'avait pas plus satisfait que cette fois-ci.

-Eh bien vos parents ont une curieuse manière de vous élever; railla-t-il.

Je crispai les mâchoires, mes yeux un peu plus fiévreux et aussi furieuse que je pouvais me le permettre.

-Mes parents sont morts.

Et je n'aimais pas qu'on parle d'eux. Il n'y avait rien que le sang qui me reliait à mes parents, je ne les avais pas connu, et je n'avais pas besoin d'eux.

-Quelle tragédie; ricana le sorcier.

Après cela, il ne me posa plus de questions, m'aboyant seulement quelques ordres lorsqu'il trouvait cela nécessaire. Nous mangeâmes le petit-déjeuner, à la même table et sensiblement la même chose. Puis de nouvelles directives! J'hochai la tête, le sorcier finit par tranplaner et j'en profitai pour reprendre un peu de force... le mal de tête empirait et rester debout était un calvaire. Je me recroquevillai dans le canapé du salon, souffrante, toute la matinée. Lorsque l'homme revint, il balança un journal sur la table d'un air furieux, avant de s'affairer derrière le mur à moitié cassé du coin gauche de la cuisine.

Je sentis que c'était le journal qui l'avait énervé cette fois, mais, après m'être glissée hors de mon siège pour prendre possession de la Gazette du Sorcier je ne vis rien d'horrible... En gros titre la victoire des Canons de Chudley, plusieurs pages sur l'économie et Gringotts, sur la mode estivale, tout cela était daté du 17 juillet 1987 ce qui était parfaitement normal. Je repartis discrètement jusqu'à mon siège et fermai les yeux, après le repas, je devais trouver le moyen de fausser compagnie au cinglé.
Tout au long du déjeuner composé seulement de poisson et d'une pomme qui venait du verger, le sorcier resta renfrogné, comme inquiet aussi. Il ne fit pas du tout attention à moi.

-Ne restez pas traîner dans mes pattes! Lâcha-t-il dès que j'eus débarrassé.

J'hochai la tête, le coeur battant, et partis dehors. L'adulte ne me prêta aucune attention. Je restai un instant à trifouiller dans les pieds de tomates brûlés, les fanes et les tiges qui s'éparpillaient tout au sud de la propriété... Mes muscles étaient bandés, je m'accrochais à mon objectif, la liberté bientôt, ignorant la douleur diffuse... Depuis la fenêtre de la cuisine je pouvais le distinguer, il fixait la première page du journal, la tête dans les mains. Trop préoccupé. C'était maintenant, ou jamais! Et sans plus réfléchir, je fusai en courant droit devant moi, en direction de la clairière, l'intérieur des terres. Le sol était stable là-bas, et puis je trouverai des gens. Il fallait trouver les gens... Je fusai dans les hautes herbes, un vent brûlant m'accompagnant, fouettée par les tiges hautes, mes jambes tremblaient, mon souffle s'épuisait... Zigzagant entre les pommiers je profitai de la fraîcheur de l'ombre, puis les dépassai et ce furent encore des hautes herbes et des buissons épineux, le soleil. L'horizon était recoupé par des arbres. Mais il devait y avoir des gens, dans cette direction! Alors je me forçai à continuer, à courir vite, très vite! J'étais griffée par les branches trop basses, tailladée par les végétaux et ma vision se brouillait, ma poitrine brûlait alors que tout était glacé dans ma gorge.

-Un effort; haletai-je... En-encore un effort...

Je ne pouvais pas m'arrêter, ni me retourner. J'avais peur de me rendre compte qu'il me poursuivait déjà. Alors je courus, courus, toujours plus loin, et c'était comme si les arbres ne se rapprocheraient jamais! Comme si...
Un craquement sec et un grondement terrifiant, avant que tout ne s'effondre sous mes pas. J'hurlai de frayeur, avant d'être avalée par la terre. Ma tête cogna un rocher, et je n'eus plus conscience de rien.