Chapitre 6

Les jours suivants s'écoulèrent lentement. Rogue évita la sorcière et celle-ci ne savait si c'était un bon signe ou non. Elle finit de parfaire ses équations et le planning des tests sur homonculus et passa le reste de son temps à lire près du feu. La neige tourbillonnait par la fenêtre.

Le soir du Nouvel An, Rogue s'absenta avec son masque de Mangemort. Il ne reparut que bien plus tard dans le salon, le visage gris cendre et sinistre.

-Habillez-vous chaudement Lumare.

Elle partit dans sa chambre mettre un pull supplémentaire et trouva une cape chaude avec des gants et des bottes à sa taille dans la penderie. Elle rangea sa baguette dans sa manche puis reparut dans le salon. Rogue l'attendait, les bras croisés, son visage inexpressif tourné vers le feu. La sorcière s'approcha, prudemment, puis posa une main sur son bras. Il tressaillit. Elle le touchait de nouveau de son plein gré.

-Nous y allons? Demanda-t-elle en rencontrant ses yeux d'un noir de nuit.

-Tenez-vous à moi.

Khorine se rapprocha aussitôt et son deuxième bras vint s'enrouler autour de celui de Rogue. Son corps effleurait le sien. Ils transplanèrent dans un craquement sonore.

Khorine sentit ses pieds s'enfoncer profondément dans la neige et le froid lui geler les poumons.

-Merlin! Haleta-t-elle avant de piocher ses gants dans sa poche et de les enfiler.

-N'utilisez pas la magie dans cette zone, et concentrez-vous sur les raisons qui vous mènent ici; lui lança-t-il par-dessus le vent hurlant.

Rogue se tourna vers le Nord et commença à avancer, un pas après l'autre, dans cette poudreuse, et elle le suivit. Il marchait assez lentement, ce qui était inhabituel, et elle se demandait s'il faisait un effort pour elle. Pourtant au bout d'une dizaine de minutes Khorine était essoufflée, en nage et ses muscles la brûlaient.

-Je n'ai… plus d'endurance; lâcha Khorine. Cela fait… trop longtemps… que je ne suis pas sortie.

-Cessez de geindre et concentrez-vous Lumare, il nous reste encore une heure de marche.

La tête lui tourna. C'était une torture. Elle était déjà épuisée, elle ne sentait plus ses pieds, ni ses doigts ou son visage, chaque souffle était comme un coup de poignard dans sa poitrine et elle avait si froid…

Khorine vacilla.

Non…

Elle continuerait.

Pour sa potion, pour atteindre le Seigneur des Ténèbres et son immonde serpent, pour en finir. Leurs corps sans vie s'effondreraient au sol et les amis qui lui restaient seraient sauvés, les Weasley qui lui restaient seraient sauvés et Neville, et Luna. Des larmes lui montèrent aux yeux, qui gelèrent sur ses cils. Elle fit un nouveau pas dans la neige épaisse, le cœur tambourinant, une détermination sans faille figeant chacun de ses traits. Khorine continua dans la neige, luttant contre le vent cinglant, grelottant de froid. Elle fut déportée sur le côté par une bourrasque violente, et se retrouva dans les traces de Rogue. Il avait déjà lutté contre la poudreuse, il était plus facile de marcher derrière lui. Khorine marcha dans ses pas, et Rogue était tout près, sa cape noire flottant à la lisière de son regard baissé. Était-il lent pour elle? Comment faisait-il pour lutter contre le vent, la neige, le froid mordant, sans faiblir?

Sa présence, cette cape noire tourbillonnant devant elle, la rassurait. Elle n'était pas seule. Il était peut-être de leur côté, de son côté. Elle n'était pas seule contre Voldemort, Nagini, ses mangemorts. Elle les détruirait tous!

Khorine redoubla d'ardeur, et continua sa marche. La pente montait, Khorine finit à genou, s'agrippant de ses mains aux traces laissées par Rogue, de la sueur coulant dans le dos et du sang plein les lèvres.

Soudain, ils atteignirent une forêt et l'épaisseur de neige sembla décroître.

Khorine finit par vaciller sur un tapis de neige croustillant. Ses jambes transies n'étaient plus maintenues par la neige alentour. Rogue continuait, sans s'arrêter, le souffle régulier. Khorine dut se retenir à un arbre avant de trouver la force de continuer. Elle poussa contre le tronc et reprit sa marche. Le vent et la neige sifflaient au-dessus de la cime des arbres mais au sol il commençait à faire tiède et la neige n'était plus qu'une fine couche sous la semelle de leurs bottes, qui finit par disparaître totalement, remplacée par de l'herbe et de belles fleurs de printemps. La magie qui vibrait dans cette forêt était indescriptible. On aurait dit qu'une larme de soleil était tombée ici. Elle ne sentait plus le froid, la douleur, la peine. Ses jambes ne tremblaient plus. Les arbres alentours étaient éclairés d'une douce lueur. Rogue continuait à avancer, insensible à la vieille magie autour d'eux. Et puis soudain, au détour d'un bosquet, elle l'aperçut. Le sureau sentient.

Un tronc gigantesque sortait du sol moelleux et pulsait d'une aura solaire, ses larges branches montaient vers le ciel tandis que des racines sinueuses paressaient en surface avant de s'enfoncer dans la terre. Des fleurs blanches en ombelle scintillaient entre les feuilles comme des morceaux de soleil.

-Concentrez-vous sur votre objectif, Lumare; lui murmura Rogue tandis qu'elle arrivait à sa hauteur. Approchez-vous jusqu'aux premières racines, n'allez pas plus loin.

Khorine s'apprêtait à demander pourquoi, mais l'aura de l'arbre pulsa et Khorine se sentit marcher vers lui. Se concentrer… sur son objectif… Elle voulait une branche de sureau sentient… Ses pas la portaient vers l'arbre… Pour sa potion. Pour obtenir… la confiance de Voldemort… Pour pouvoir l'approcher… Pour détruire son dernier morceau d'âme… Le tuer… Pour ses amis… Pour les prisonniers au premier étage du manoir Malfoy, pour les Nés-Moldus déchus et sans baguette, pour les moldus torturés et tués, pour les membres de l'Ordre, pour ceux qui vivaient dans la peur, pour le peu de Lumière qui leur restait, pour le souvenir d'Harry, pour celui de Ron, pour celui d'Hermione.

Elle entendait de très loin une voix qui l'appelait, c'était flou. On appelait… son prénom… Elle cilla. Sa vision redevint claire. Sa main était devant elle, posée sur le tronc du sureau. Il lui avait dit de s'arrêter aux premières racines. Son cœur commença à tambouriner dans sa poitrine. Du sang imbibait la manche qui recouvrait sa marque d'apprentissage. Elle sentait le liquide poisseux. L'aura solaire vibrait violemment autour d'elle.

-Khorine réveillez-vous! Cria Rogue.

Elle tourna la tête vers le sorcier. Il luttait pour se rapprocher, en plein milieu des racines.

-Je vais bien; lui lança-t-elle avant de se retourner vers l'arbre.

Son aura était toujours chaude et douce, presque palpable. Se concentrer… Elle avait besoin d'une branche de 20 centimètres de longueur pour sa potion. Pour vaincre le Seigneur des Ténèbres. Pour mettre fin à la guerre. Il faisait bon près de l'arbre. Elle ne ressentait plus de douleur dans ses jambes, dans ses poumons, à son bras, ses lèvres ne saignaient plus. Elle avait besoin d'une branche de 20 centimètres de longueur. Au sol, elle apercevait des bouts de tissus et des sortes de cailloux blancs et polis à moitié enterrés. Elle était loin de la guerre, en sécurité. Elle pourrait y rester. Quelqu'un trouverait bien le moyen de tuer Voldemort sans elle. Non. Il lui fallait une branche de 20 centimètres. Pour Harry… Pour Ron... Pour Hermione… Pour qu'ils ne soient pas morts en vain! Des larmes lui montèrent aux yeux. Elle n'abandonnerait jamais!

Une branche tomba au sol à ses pieds, ainsi qu'un nœud de bois.

Merci. Khorine se baissa pour ramasser les cadeaux du sureau. C'est là qu'elle s'aperçut que les tissus déchirés dans le sol étaient des morceaux de vêtements, et que les cailloux n'en étaient pas. La peur lui serra le cœur, mais l'aura solaire la caressa et sembla la pousser loin du tronc. Khorine recula, le bois contre sa poitrine, et passa les grosses racines, atteignit l'endroit où Rogue avait été arrêté. Celui-ci la prit durement par le bras avant de la tirer encore plus loin du sureau.

-Vous deviez vous arrêter aux premières racines, Lumare! Siffla-t-il dès qu'ils furent suffisamment éloignés de l'arbre.

-Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, j'étais attirée vers le tronc…

-Et n'avez-vous pas remarqué en chemin les os de tous ceux qui ont également été «attirés vers le tronc»?

-Non; murmura Khorine encore sous le choc en serrant le bois contre elle, je n'ai rien vu. Son aura était pleine de soleil, je me sentais en sécurité… Il m'a laissée partir.

Rogue la tenait encore par le bras et elle s'aperçut que sa poigne tremblait. Avait-il eu peur pour elle? Que se serait-il passé s'il ne l'avait pas réveillée de sa transe? Un fantôme de sourire apparut sur le visage de la sorcière.

-Vous m'avez sauvé la vie; lâcha-t-elle dans un souffle.

Rogue crispa les mâchoires, lui tenant toujours le bras. Elle lisait quelque chose au fond de ses yeux de nuit. Alors elle se rapprocha et laissa son front reposer contre son torse.

-Merci; murmura-t-elle.

Rogue resta figé de longues secondes, avant de refermer violemment ses bras autour d'elle. Il la serra contre lui, une main dans ses cheveux, l'autre autour de son corps. Khorine gardait les morceaux de bois serrés contre elle, entre eux, et tendit sa main libre pour s'agripper à la cape de Rogue. Il faisait si bon contre lui, il faisait chaud, elle se sentait en sécurité.

-Vous donnez l'impression d'avoir eu peur pour moi; murmura-t-elle à peine assez fort pour qu'il l'entende.

-Ne soyez pas ridicule; murmura Rogue dans ses cheveux.

Elle ferma les yeux. Il sentait la transpiration, les parchemins, la forêt après la pluie et quelques vapeurs de potion restaient incrustées dans les fibres de son vêtement, mais par-dessus tout il y avait son odeur propre, masculine, agréable. Elle enfonça un peu plus sa tête contre son vêtement, elle se sentait si bien, elle ne voulait plus partir… Ce n'était pas normal… Ils étaient encore trop près du sureau.

-Nous pouvons partir en transplanant? Murmura-t-elle contre son torse.

-Non.

-Alors il faudra refaire le chemin inverse dans la neige?

-Effectivement, Lumare. Êtes-vous prête?

La jeune femme grogna puis sentit la poigne de Rogue se défaire et put reculer de quelques pas. Leurs regards se rencontrèrent. Ses yeux ressemblaient à une nuit sans étoile, infinie.

-Allons-y; lança Rogue.

Il se détourna dans un envol de cape mouillée, sans hésitation. Khorine jeta un dernier coup d'œil au sureau, resserra sa poigne sur le bois offert, puis courut à la suite du sorcier. Ils traversèrent la forêt et leurs bottes crissèrent bientôt sur un fin tapis de neige qui finit par leur arriver aux genoux. Ils continuèrent encore et la neige scintillait de lumière de lune. Le vent semblait plus doux… Rogue marchait toujours à son rythme, éloigné de quelques pas. Le chemin de retour lui sembla plus rapide et elle ne vacilla pas une fois avant que Rogue ne se tourne vers elle. Il tint son bras devant elle et elle le prit. Ils transplanèrent aussitôt et apparurent dans le salon de Rogue, à Poudlard. Khorine tomba à genou. Rogue la fixa un instant avant de l'aider à se relever et l'amener jusqu'à son fauteuil. Il appela Winky pour qu'elle leur apporte du thé. Pendant ce temp, Khorine avait déposé les morceaux de sureau sur la table, s'était dépêtrée de sa cape trempée, avait enlevé deux pulls, son premier pantalon et ses bottes. Winky emporta le tout et reparut avec une théière fumante et deux tasses. Elle s'inclina et disparut. Rogue utilisa un sortilège de séchage sur eux deux, servit son apprentie. Elle referma rapidement ses doigts gelés autour de sa tasse.

Le feu crépitait dans l'âtre. Khorine avala de longues gorgées de thé chaudes. Son œsophage la brûla mais elle grelottait violemment. Rogue l'observa, elle avait les lèvres bleues. Il lui fit apparaître une épaisse couverture d'un mouvement de baguette et Khorine s'y emmitoufla aussitôt.

-Winky! Appela Rogue, et l'elfe apparut aussitôt. Apporte une tasse de chocolat chaud à mon apprentie, et une autre théière de thé.

-Tout de suite, maître.

La petite elfe ne tarda pas à leur apporter ce qu'il avait demandé. Khorine laissa son thé pour se lover autour de sa tasse de chocolat chaud. Il y avait deux marshmallows qui flottaient à la surface. C'était si chaud, réconfortant. Peu à peu, les tremblements cessèrent et ses lèvres reprirent une couleur normale. Les minutes s'écoulèrent. Elle finit sa tasse et la reposa. Il faisait bon ici…

-Qui aurait pu croire que votre point faible était le froid? Se moqua Rogue.

Il avait un rictus narquois aux lèvres et Khorine répondit sans réfléchir:

-Je serais peut-être plus résistante au froid si vous ne me vidiez pas de mon sang à chaque fois que vous me donnez un ordre.

Et elle sortit de sous la boule de couverture son bras gauche et tira à elle avec un peu de difficulté la manche qui le recouvrait. Il était couvert de sang séché et sa marque d'apprentissage ressortait, rouge vif. Elle sortit sa baguette et s'appliqua à le nettoyer.

-Vous ne vous seriez pas réveillée si je ne vous l'avais pas ordonné; lâcha Rogue.

-Qui sait? Grogna-t-elle en réponse avant de ranger sa baguette.

Il y eut un silence entre eux. Elle ne s'était jamais risquée à lui parler aussi franchement… Sauf cette fois-là, au lendemain d'Halloween. Relevant les yeux vers lui pour le jauger, elle s'aperçut qu'il était tourné vers le feu dans la cheminée et que son expression était illisible.

Venait-elle de se montrer ingrate? Elle se rappelait pourtant son cri et la peur sur son visage. Il l'avait appelée par son prénom… Elle changea de sujet:

-Je me demande pourquoi l'arbre m'a donné du bois en plus. Ca n'a pas de sens de me confier un nœud de bois, je lui avais seulement demandé une branche de 20 centimètres pour nos expériences.

L'attention de Rogue revint sur elle, et le nœud de bois sur la table.

-Puis-je? Demanda-t-il en l'indiquant.

Elle hocha la tête, surprise qu'il demande, et l'observa faire tourner le bois entre ses longs doigts fins.

-Il doit être pour votre usage personnel; réfléchit Rogue.

-Je ne comprends pas… Je devrais l'avaler? Ou faire ma potion avec pour moi?

-Non. Mais vous pourriez le porter.

Le porter? En pendentif?

-Je peux me charger de vous le faire tailler.

-Oh… merci; murmura Khorine.

Il hocha la tête silencieusement et le mit dans la poche de son vêtement. Après cela, le silence se fit et Khorine finit par s'endormir dans son fauteuil, bien au chaud dans sa boule de couverture. Elle avait oublié de lui demander comment il avait fait pour résister à la magie du sureau, et marcher dans la neige sans faiblir, et se détourner de l'arbre sans hésiter… Comment pouvait-il résister à ça et perdre le contrôle quand il la désirait?

Elle se réveilla le lendemain matin dans son lit, emmitouflée sous une couverture supplémentaire. Le soleil était déjà haut dans le ciel. Elle prit des vêtements de rechange et se risqua dehors. Le couloir était froid. Khorine le traversa rapidement pour entrer dans la salle de bain, se déshabiller et entrer sous l'eau chaude. Lorsqu'elle sortit de la salle d'eau, toute habillée, elle avait les joues rouges et se sentait bien. Elle entra dans le salon et eut la surprise de trouver Rogue, encore attablé devant un café, devant sa Gazette.

-Bonjour, Monsieur.

Il grogna vaguement quelque chose et la laissa engloutir son petit-déjeuner avant de refermer son journal et de l'interroger sur sa potion. A la surprise de Khorine ils passèrent la journée ensemble, devant les cinq chaudrons. Et le lendemain aussi. Et Rogue lui expliqua quelle technique il utilisait pour tester ses potions, il vérifia ses calculs, rajouta un test.

Les jours s'écoulèrent. Ils les passèrent tous les deux, à travailler sur la potion. Et elle n'était plus traitée comme un boulet, une prisonnière de guerre, un objet de désir. Il la traitait comme une apprentie, presque une égale. Le désir dans ses yeux ne reparaissait pas et il n'avait plus tenté de la toucher.

Ils testèrent leur potion. Non-toxique à forte dose, non-toxique en absorption chronique, décuplant la puissance magique de tous ceux qui la buvait. Elle avait réussi.

Elle ressentit un grand vide.

Un soir, Rogue fut appelé auprès du Seigneur des Ténèbres. Il prit une fiole de leur potion et la glissa dans sa poche. Au moment de transplaner il jeta un dernier regard à Khorine. Elle avait les mains jointes, le regard vide.

Il hésita mais finit par se détourner, le visage fermé et disparut.

Elle resta là. Debout. A un moment, elle dut se tourner vers le feu puisqu'elle se trouva à le fixer. Elle ne sentait plus rien…

Elle avait créé une potion qui décuplait les pouvoirs d'un monstre; et elle n'avait pas été autorisée à accompagner Rogue, et ne savait même pas si elle pourrait l'approcher un jour, assez près pour le tuer. Au moins la potion permettrait de gagner sa confiance. C'était un sacrifice qu'elle devait faire, elle n'avait pas le choix à présent. Elle y avait réfléchi, peut-être que cela lui vaudrait la Marque. Elle l'appelait de tous ses vœux. Elle suppliait les dieux de le lui accorder, au moins ça, au moins une occasion, une seule, et elle leur promettait de la saisir.

Une douleur sourde tonnait à l'orée de son esprit. Elle n'en voulait pas. Elle préférait le vide. Le néant. Ressentir était atroce. Et vivre aussi… Elle se sentait si fatiguée.

Tournée vers le feu, elle se demanda comment il pouvait brûler si fort. Les flammes étaient si hautes. Et il était toujours allumé le soir, étaient-ce les elfes de maison qui s'en occupaient? Y avait-il un charme apposé à la cheminée? Pourquoi ses barrières mentales ne tenaient plus? Elles avaient tenu devant le Seigneur des Ténèbres.

Elle n'en pouvait plus.

Elle se rappelait la paix qu'elle avait ressentie dans les bras de Rogue. Pas de douleur, pas de pensée, juste sa chaleur et son odeur et ses bras forts qui la protégeaient de tout.

C'était un beau mensonge. Ridicule. Elle n'était en sécurité nulle part; et elle avait déjà tout perdu...

Elle était seule. La douleur lui perforait le cœur.

S'auto-apitoyer sur son sort ne servait à rien, seulement à la rendre un peu plus pathétique. Mais elle avait ce besoin, de quelqu'un, d'une chaleur, d'une présence. Un gémissement douloureux lui échappa. Elle se rendit compte que ses joues étaient mouillées. De grosses gouttes trempaient sa chemise.

-Harry… Hermione… Ron… Je suis toute seule… M-ma potion… Je suis désolée… Tellement désolée…

Un nouveau gémissement sortit d'entre ses lèvres, suivit d'un sanglot lourd et suffoquant.

-Harry…

Les larmes coulaient avec sa morve et son front était en feu et les sanglots la secouaient violemment et elle hurlait.

-Je devais le faire!

Ses cris résonnaient dans les quartiers de Rogue.

-Vous ne comprenez rien! Vous m'avez laissée! Je n'ai plus rien! Je vous hais!

Les sanglots l'étranglèrent et elle finit par se recroqueviller contre le dossier de son fauteuil.

-Je vous hais; murmura-t-elle encore avant de souffler d'une toute petite voix… Ne m'abandonnez pas… Venez dans mes cauchemars, hantez-moi, ne me laissez pas seule. Il fait si froid…

Elle se faisait pitié. Toute cette faiblesse…

Rogue finirait par revenir. Il la trouverait dans son fauteuil, faible, pathétique.

Quelle importance?

La douleur refluait, par vague, le néant la remplaçait. Bientôt elle n'eut plus l'énergie de bouger, ou encore de penser. Elle ferma les yeux, et se laissa engloutir par le sommeil.

Lorsque Rogue revint, il la trouva endormie dans son fauteuil. Il était évident qu'elle avait pleuré. Le sorcier la prit dans ses bras et elle se recroquevilla un peu contre lui alors qu'il la portait vers sa chambre. Il l'étendit dans son lit, hésita, puis partit et referma la porte derrière lui.

Le lendemain Khorine se réveilla tard, le soleil déjà au-dessus des montagnes à l'Est. Il devait être près de 9 heures. Elle fit un tour par la salle de bain puis entra dans le salon. Rogue s'y trouvait encore, attablé devant un café noir et la Gazette du Sorcier.

Elle se servit en pancakes et en miel et en avala de tout petits bouts. Il fallait lui demander. Elle se sentait vide et cela se lisait dans ses yeux.

-Qu'a pensé le Seigneur des Ténèbres de la potion?

-Il en était satisfait; lui parvint la réponse depuis le journal déplié.

-Est-ce qu'il a parlé de mon marquage? Murmura-t-elle le cœur au bord des lèvres.

Le journal se replia et le sorcier lui fit face. Il aperçut l'angoisse dans ses yeux.

-Vous l'avez mérité. Il aura lieu le 5 mai.

La douleur perça à travers la brume de son regard avant qu'elle ne les ferme. Trois mois. Trois longs mois à attendre. Combien mourrait encore en trois mois?

-Si vous ne vous en sentez pas encore capable, le Seigneur des Ténèbres pourrait être amené à reconsidérer son offre.

-Non; lâcha Khorine précipitamment.

Rogue tiqua:

-Vous semblez bien pressée de prendre la marque, Lumare.

-Je… pourrai faire une différence…

Un ricanement sec lui parvint. Elle continua:

-Je pourrais les protéger, si on me laissait parler, si j'obtenais assez de pouvoir.

Rogue en crispa les mâchoires et se leva d'un coup, pour agripper le dossier de Khorine et la bloquer contre sa chaise.

-Laissez-moi vous éclairer sur ce qu'il se passera lorsque vous serez marquée, Lumare. Vous allez vous agenouiller auprès du Seigneur des Ténèbres qui vous demandera des potions de plus en plus complexes. Puis, il vous appellera auprès de lui. Là, vous verrez un moldu et un ancien membre de l'Ordre dans la salle, et il vous demandera de choisir. Vous torturerez et tuerez l'un des deux, pour épargner l'autre qui sera ramené dans sa cellule, et tué un peu plus tard au gré de ses fantaisies. Ensuite, le Seigneur des Ténèbres vous rappellera, encore, et bientôt les frontières entre le Bien et le Mal vont s'effacer et vous serez prête à tuer et torturer pourvu qu'un membre de l'Ordre ou l'un de vos amis soit protégé. Ce qu'il va se passer Lumare, c'est que vous allez vous offrir pieds et poings liés au Seigneur des Ténèbres pour rien. Vous ne sauverez personne. Vous ne serez qu'un jouet de plus entre ses mains et un bel outil de propagande qui durera jusqu'à ce que vos forces vous abandonnent, que votre esprit faiblisse et que vous mettiez vous-même fin à vos jours.

Plutôt que de la peur, ce fut un éclat de colère qui passa dans les yeux océan de la sorcière.

-Alors que proposez-vous? Que je me terre ici, avec vous? Que je reste à votre merci, à obéir au moindre de vos ordres? Que je finisse par me donner à vous et à vous pondre des héritiers au sang des Prince et des Lumare? C'est le choix que vous me donnez? Et mes amis? Et les membres de l'Ordre? Je les laisserai mourir sans même essayer de les protéger?

Il la fixa.

-Vous seriez prête à tout pour les protéger.

-Oui; lâcha Khorine sans réfléchir.

Rogue se pencha alors pour lui susurrer à l'oreille:

-Alors vous devriez me faire confiance, sans laisser le Seigneur des Ténèbres vous contrôler. Le pouvoir que vous cherchez, je le possède déjà. Je pourrais sauver vos amis.

Khorine serra les mâchoires en retenant le frisson qui la parcourait. Les yeux noirs de Rogue brûlaient comme l'enfer.

-Oui; lâcha-t-elle, et tout ce que vous demandez en échange c'est que je me donne à vous.

-Précisément. Alors qu'attendez-vous?

Elle ne comprenait pas. Elle avait déjà accepté de lui appartenir. Pourquoi Rogue était-il si désespéré? Il l'avait prise comme apprentie, l'avait forcée à lui obéir en tout, puis lui avait demandé d'y consentir et à présent il marchandait encore. Khorine le fixa. Rogue ne bougea pas. Il y avait un désir profond et violent qui agitaient la noirceur de ses yeux, mais aussi cette chaleur…

-Je…

Elle pourrait s'y noyer.

C'était trop dangereux.

Sa main se leva d'elle-même pour se poser contre le torse de Rogue. Il lâcha un halètement et Khorine se leva, le poussant lentement vers le canapé. Elle pouvait sentir, malgré toutes les couches de tissu, son cœur battant à tout rompre. Il tomba sur le canapé, et Khorine s'assit à califourchon sur ses genoux. Sa chaleur la faisait frissonner, son souffle lui effleurait la joue. Elle déboutonna le col de sa redingote, puis descendit. Rogue la laissa faire sans un mot.

-Je…; murmura-t-elle d'une toute petite voix, je ne suis pas très expérimentée…

Il ne dit rien et les pans de sa redingote s'ouvrirent. Khorine la lui enleva, puis s'attaqua à sa chemise blanche. Pour chaque bouton détaché elle voyait un peu plus de sa peau blême couverte de cicatrices. Ce fut plus fort qu'elle, elle traça la première du bout des doigts.

-Ne les touch…; commença Rogue.

Khorine se pencha et embrassa la peau meurtrie du bout des lèvres, rendant le sorcier muet. Un nouveau bouton s'ouvrit, d'autres cicatrices apparurent. Elle les avait déjà vues, le soir d'Halloween, mais aujourd'hui était différent. Sa peau était douce et sentait la forêt après la pluie -son savon-. La différence entre les cicatrices et la peau saine se sentait à peine sous sa langue. Il y avait un léger goût de sel. C'était si chaud… La chemise finit par s'ouvrir entièrement et Rogue respirait par à coup. Khorine s'était écartée pour lécher plus bas son aréole gauche, rigide et si douce… Elle releva la tête. Rogue avait la sienne rejetée en arrière, les yeux fermés et ses poings étaient violemment crispés.

-Est-ce que… je vous ai fait mal? Demanda Khorine.

Un grondement rauque lui répondit et Khorine voulut s'écarter mais le sorcier desserra les mâchoires pour lâcher:

-Ne vous… Vous n'êtes pas obligée d'arrêter.

-Si vous n'aimez pas; commença Khorine…

-Oh petite sorcière, tu n'as pas idée de ce que tu me fais; haleta-t-il en ouvrant les yeux.

Ils étaient si plein de chaleur. Khorine sourit malgré elle, un tout petit peu, puis se pencha vers les mâchoires crispées du sorcier et les embrassa. Un grondement sourd échappa à Rogue. Il semblait si tendu. Maintenant qu'elle y pensait, il semblait plutôt se retenir de la toucher. Peut-être pour ne pas l'effrayer. Ses réflexions se dissipèrent dans son esprit embrumé de désir; elle ne voulait plus penser à rien, et Khorine explora le coin de la mâchoire si tendue de Rogue, puis remonta titiller le lobe de son oreille, sa joue, le coin de ses lèvres. Rogue tremblait tout contre elle et, contre son pubis, elle sentait son sexe pulser, dur comme du fer. Il semblait… énorme… Expérimentalement, elle roula des hanches. Rogue en gémit. Il la laissait faire ce qu'elle voulait. C'était… grisant… ce pouvoir qu'elle avait sur lui…

Ses lèvres effleurèrent celles de Rogue, fines et pincées. Elle eut son petit sourire fantôme, puis aspira sa lèvre du bas et s'occupa à la sucer, la lécher, la mordiller, et bientôt Rogue haletait derrière ses mâchoires serrées. Khorine plaqua durement sa bouche contre la sienne et son corps se pressa contre le sien. Un grondement rauque échappa au sorcier. Grisant… Leurs lèvres étaient jointes et la langue de Khorine les lécha, quémandant l'entrée de sa bouche. Il mit plusieurs secondes pour parvenir à desserrer ses mâchoires. Lorsque leurs langues se rencontrèrent ce fut à Khorine de gémir et ses hanches se murent toutes seules contre l'érection du sorcier. Il allait devenir fou. Sa langue s'enroulait autour de celle de la sorcière, goûtant cette bouche interdite, répondant à ses moindres demandes. Ses ongles s'enfonçaient dans le cuir du siège et son corps était tendu à l'extrême vers elle. Elle se frottait contre son sexe pulsant, encore et encore, contre son pantalon déjà souillée. Il se serait damné pour soulever ses hanches vers elle, pour la prendre par la taille, la renverser contre le canapé, la déshabiller et la prendre enfin, la faire sienne.

L'excitation de Khorine montait par vagues, de plus en plus violentes, elle avait le sexe palpitant de Rogue contre son entrejambe et sentait sa culotte trempée frotter contre son clitoris. Elle en voulait plus, ce qu'elle voulait… Elle le voulait… en elle… Elle tendit une main vers le pantalon de Rogue, et la referma sur l'énorme bosse qui le déformait. Ce fut un gémissement qu'elle lui arracha, qui lui fit perdre la tête, ses hanches se frottèrent contre sa main et elle se branla contre elle, en même temps que Rogue. Elle était perdue, les sensations étaient divines, intoxicantes et son plaisir montait, montait, elle ne contrôlait plus rien; et soudain Rogue se tendit et gémit tout contre sa bouche. Son sexe soubresauta violemment dans sa main et Khorine sentit son vagin se contracter en réponse, et l'orgasme la submergea.

Leurs bouches se détachèrent. Elle se sentait au paradis. Sa tête tomba contre l'épaule de Rogue. Ils haletaient tous deux, les pantalons trempés, la main de Khorine encore ancrée autour du sexe du sorcier.

Merlin… Ses pensées flottaient autour de sa tête… Elle se sentait si bien… Ca ne lui était pas arrivé depuis… Depuis… Si longtemps… Elle venait de se masturber contre le directeur de Poudlard… contre Rogue… Oh oui… Elle l'entendit de très loin lancer un Recurvite sur leurs deux pantalons et se sentit… au sec… Elle miaula un: «Merci...» avant d'enfoncer un peu plus sa tête dans le creux de son cou. Il faisait si chaud, et la peau ici était douce. Elle détacha sa main endolorie d'entre leurs deux corps et enroula plutôt ses bras autour du cou du sorcier. Ce dernier, quant à lui, détachait ses ongles du canapé déchiré. L'odeur de la jeune femme et celle du sexe saturaient son odorat. Il…

Khorine souriait, le regard flou. Elle ne pensait plus à rien. Cela faisait si longtemps.

-J'aime bien; avoua-t-elle dans un état second, quand vous m'appelez «petite sorcière».

Cette fois ce fut plus fort que lui, ses bras se refermèrent autour du corps de sa sorcière et il la serra contre lui. Elle se laissa faire, sans résistance, en fermant les yeux.

-Ma petite sorcière; lui murmura-t-il à l'oreille.

Une douce chaleur se répandit en elle. Mais Khorine savait qu'elle le regretterait. Il y avait une toute petite voix dans sa tête qui lui disait que lorsqu'elle rouvrirait les yeux et que la béatitude post-coïtale l'aurait quittée, elle se détesterait. Elle avait laissé son désir du corps de Rogue et de sa chaleur l'asservir. Et à présent, elle en voulait plus.

Cela ne pouvait pas bien se terminer.

C'était un traître.

Mais elle avait trois mois à tenir, elle avait besoin de la chaleur d'un autre être humain. Autrement, elle sombrerait dans la folie avant d'accomplir sa mission.

Est-ce qu'elle se voilait la face? Ce n'était pas n'importe quel être humain. C'était Severus Rogue, celui qui l'avait fait se détourner d'une partie de sa magie, celui qui les avait trahis, le meurtrier d'Albus Dumbledore. Celui qui s'était écroulé en sang dans le salon, qui l'avait relevée dans la forêt Interdite, qui avait tenté de sauver deux Aurors, qui l'avait protégée à la réception des Malfoy, qui s'était retenu de la toucher alors qu'elle les masturbait. C'était son maître d'apprentissage à l'aura iridescente.

Elle était incapable de savoir ce qu'elle éprouvait pour lui. Il y avait… un brouillard dans son esprit… quelque chose qui occultait ses émotions… une douleur qui noyait tout le reste. Tant qu'elle n'aurait pas accompli sa mission, la souffrance ne partirait pas.

Des larmes tombèrent de ses paupières fermées. Khorine s'enfonça un peu plus contre la chaleur de Rogue et s'endormit tout doucement.

Bien plus tard, le sorcier la souleva pour la ramener dans sa chambre. Il ne s'arrêta pas à la contempler dormir, se détournant rapidement. La porte se referma derrière lui.