Chapitre 4
Je revins à la réalité en tremblant, couverte de sueur, la respiration rauque et ravagée par la fièvre.
La douleur explosait dans ma cheville que je découvris tordue en un angle bizarre. Puis je vis la terre, les cailloux, les racines pendantes; les parois trop hautes du trou dans lequel j'étais tombée! Paniquée, je griffai la terre, m'agrippai à tout ce qu'il y avait pour essayer de me relever, essayer de sortir de là. Je gémis, la terre s'effondrait entre mes doigts. Je n'y arrivais pas! Je n'y arrivais pas! Je ne pouvais pas sortir! Les larmes me montaient aux yeux et je ne pouvais pas les arrêter, elles coulaient le long de mes joues.
J-je voulais tellement être au manoir.
-Osty; sanglotai-je... O-osty!
Mon front brûlait, je tressautais en hoquetant, déchirée par mes pleurs. Je voulais être chez moi, dans ma chambre avec mes livres, je voulais contempler la lune et les étoiles de ma fenêtre.
Je voulais qu'Osty apparaisse soudain et le prendre dans mes bras et me bercer avec lui en me sentant rassurée. Je voulais rentrer à la maison.
-Osty...
Au loin, très loin, j'entendais le souffle de la mer, le cri des oiseaux. La peur et la panique s'épuisèrent très vite... La fièvre l'emportait, la douleur, je ne parvins bientôt plus à pleurer, ni à prononcer le moindre mot, j'avais du mal à respirer... Il fallait se concentrer, pour rester éveillée, pour inspirer, expirer, inspirer. J'avais eu tort de laisser des larmes couler, les maux de tête étaient plus atroces encore. Tout tournait et brûlait, se tordait atrocement. J'avais envie de vomir, je regardai la lune aux trois quarts et les étoiles scintillantes, mais elles étaient happées par un brouillard opaque, ma vue se voilait... Je devais lutter. Parce que j'étais têtue et puissante! Mais je ne pouvais pas sortir du trou, personne ne viendrait, et j'étais trop loin du manoir... trop loin... Mes oreilles bourdonnaient, difficilement me parvenaient les plaintes des goélands, le soupir des vagues... Je n'avais plus de force... Je voulais le manoir... Osty...
-Lumare! Lumare! Abominable véracrasse aux cornichons! Si je ne vous vois pas dans dix minutes, je vous garantie que vous vous en repentirez! Lumare!
Ses cris explosaient à mes oreilles. Je me recroquevillai, paniquée. Tout crépitait et agonisait en hurlements terrifiants! Je tressautais, consumée par la fièvre, étouffant des deux mains mes gémissements.
-Lumare! Je sais que vous vous terrez tout près, montrez-vous!
Il approchait... I-il approchait... Mes doigts tremblants se levèrent pour me boucher les oreilles plutôt, je tus mes lèvres en les mordant comme je pouvais, très fort, et ne sentis pas le sang couler. Je voulais juste qu'il parte, qu'il parte, et fermai les yeux, et suppliais Merlin que ce ne soit qu'un cauchemar! S'il vous plaît! S'il vous plaît! S'il vous plaît! S'il vous plaît! S'il vous plaît!
La terre trembla et je rouvris les yeux paniquée! L'homme en noir était là! Je reculai aussi loin que je pouvais, poussant sur mes mains, ma seule cheville valide. Il avait sa baguette, il allait me tuer sans attendre la fin des trois jours!
-Tiens, tiens, qu'avons-nous là? Siffla-t-il d'une voix atrocement doucereuse.
Et son regard noir était rivé au mien et son visage blafard distordu à la lumière de la lune. Il avança d'un pas. Je reculai jusqu'à percuter le mur. Le choc se répercuta dans tout mon corps et un râle de douleur faillit échapper de mes lèvres ensanglantées.
-Où êtes-vous blessée, Lumare?
L'adulte se moquait de moi, si près de ma mort! Je lui renvoyai un regard brûlant de fureur et de haine par delà des mèches de cheveux noirs et sales, préférant refermer mes dents sur ma bouche plutôt que de parler. Jamais, je ne me plaindrai! Jamais! Jamais à un adulte! Des filets de sang s'échappaient de ma lèvre inférieure, la fièvre me faisait perdre pied et j'avais les bras, les mains maculés de sang depuis que j'avais gratté les rochers des parois pour sortir, mes habits, ma peau étaient lacérées par les marques des herbes hautes, et ma cheville me faisait souffrir, beaucoup... Je ne l'avouerai jamais! Jamais!
Au travers de mes cheveux et du voile de mes yeux, je le sentais me fixer, évaluer les blessures. Puis il approcha, je ne réfléchissais plus et poussai encore sur mes paumes et ma jambe valide pour m'écarter.
Le sorcier finit par s'agenouiller près de moi, son long nez busqué et ses grands yeux sombres, ses cheveux graisseux pendant de chaque côté de sa tête... Je me crispai par réflexe, crucifiée par la douleur!
-Je me demande bien ce qui vous a pris de vous enfuir, Lumare. Appréciez-vous tellement d'être traîtée comme une elfe de maison par votre tante et sa famille?
Dans le brouillard... un rictus méprisant écorchait ses lèvres... Je pus lui rendre un regard flamboyant. La fièvre détruisait tout et ma voix ne parvint qu'en un grondement rauque et détruit.
-Je s-suis... une... de Lumare! Et jamais... vous débarrasser de moi; crachai-je avec difficulté, au troisième jour!
Le sang encore dans ma bouche venait de dépasser mes lèvres. Je devais être dégoûtante, à le baver. Pitoyable... Ma poitrine se soulevait de moins en moins, tout explosait dans mon crâne. Je ne... tiendrai plus... très longtemps...
Et soudain, je fus soulevée de terre. La panique, je tentai de m'échapper, mais des doigts glacés s'enroulèrent fermement autour de mes épaules et de mes genoux. Il murmura quelque chose... m'empêcha de bouger... Choquée...
Je n'avais jamais été serrée dans les bras d'un autre être humain. Mon regard vacilla un bref instant, vers la lune qui se rapprochait, puis vers le menton relevé du sorcier, son torse. Une vague de fièvre me brûla le cerveau, j'hoquetai, souffrant le martyr... Avant de tomber, dans le néant.
oooooooooooo oOo oooooooooooo
Je pus rouvrir les yeux, encore une fois. J'étais dans le canapé du salon. Il y avait un bon feu dans la cheminée. Une serviette mouillée sur mon front, mes vêtements lavés par un sort, plus propres. Une... ombre qui approchait!
Je tentai aussitôt de me relever, poussant sur mes bras trop faibles, et je m'écroulai contre les coussins. Le tissu tomba sur le parquet.
-Cessez vos gamineries Lumare... Je ne vous ferai aucun mal.
Mon cerveau n'était plus aussi douloureux, plus autant de fièvre. J'étais parfaitement capable de raisonner.
-Vous mentez! Crachai-je. Sinon, vous… m'auriez ramenée à… ma tante!
Il apportait un bol qui contenait quelque chose de brûlant et s'approchait toujours alors même que je criais. Je... criais... sur un adulte. Ecarquillant les yeux, je plaquai mes doigts bandés sur ma bouche.
Il allait me le faire regretter. Je le fixai, pétrifiée. L'adulte déposa très lentement le récipient fumant sur la petite table entre le canapé et la cheminée, se rapprocha... puis d'un mouvement de la main fit voler à lui la serviette tombée, et repartit. Il revint quelques temps plus tard avec le tissu imbibée d'eau. Je m'interdis de bouger. Le sorcier souleva mes mèches de cheveux pour le placer, c'était froid... Cela apaisa mon front brûlant. J'eus du mal à rouvrir les yeux. Rogue me fixait.
-Vous ne reverrez pas votre tante, ni aucun des adorables futurs Mangemorts de votre famille, Lumare.
C'était bien ce que je pensais. L'adulte ne montrait plus rien. Pas de colère, ou de haine. Comme si ses émotions avaient été avalées par le trou noir dans ses yeux. Puis il remit ma cheville et son attelle sur le coussin en bout de canapé. Je ne... comprenais pas. Une question m'échappa malgré moi:
-Pourquoi vous me soignez? Vous avez dit que vous alliez me tuer demain.
... Une émotion menaça de remonter à la surface. Mais il se pinça l'arête du nez avant que j'aie pu la déterminer. Comme la première fois, le résultat fut stupéfiant. L'adulte relâcha son nez et me renvoya un regard très neutre. Je ne savais plus vraiment ce que cela signifiait.
-J'ai dit que je me débarrasserai de vous après notre visite à Poudlard, et non que j'avais l'intention de vous tuer malgré l'immense soulagement que cela m'apporterait; lâcha le sorcier.
Je fronçai les sourcils, un peu à la manière de ma tante quand elle me voyait. Non pas que j'étais contrariée, c'était plutôt que je ne comprenais vraiment pas. Il voulait se débarrasser de moi... mais pas me tuer... Comment?
-En vous laissant au directeur de Poudlard, petite imbécile! Ou à n'importe quel professeur pouvant vous supporter! Répondit Rogue sans que j'aie à poser la moindre question.
Me laisser à Poudlard... l'école des sorciers... Donc il ne voulait pas me tuer, bien qu'il en ait envie. Mais pourquoi avait-il pris la peine de m'enlever du manoir? Parce qu'il pensait que j'avais dix-sept ans? Je n'y comprenais rien.
L'adulte grommela, puis s'empara du bol de soupe et s'assit sur un fauteuil de cuir qui était déposé tout près du canapé. Je l'observai, le regard flou, recommençant à prêter attention à la fièvre et à la douleur. Trop fatiguée... En fait, ses raisons n'avaient pas vraiment d'importance, tant que le danger de mort n'était pas là.
-Asseyez-vous; grogna-t-il.
J'obtempérai aussi bien que je pus, sans réfléchir. J'enlevai la serviette puis utilisai mes bras. Ils faillirent me lâcher, je finis par m'effondrer contre le dossier du canapé, la joue et le front exposés au cuir frais. Mes cheveux cascadaient autour de mon visage, cachant l'éclair de douleur dans mes yeux. J'avais... mal..., serrai de toutes mes forces la serviette qui dégoulina d'eau tiède. Il me l'arracha des mains et la jeta sur la table avant d'attraper la cuiller. J'avais tout suivi de derrière mes mèches, les yeux mi-clos.
-Ouvrez la bouche.
Je me crispai et mes yeux s'écarquillèrent progressivement. Je les fixai sur le visage de l'adulte, la cuiller qu'il tenait, son regard noir, la soupe dans le couvert.
-Ne me forcez pas à me répéter, Lumare! Tout cela est suffisamment humiliant! Siffla l'adulte à mon encontre.
... Je... J'obéis, repoussant mes cheveux de devant mes yeux, ouvrant mes lèvres lacérées, desserrant les dents. La cuiller se rapprocha et ma langue fut bientôt exposée au liquide bouillant. Je me forçai à tout avaler, la gorge en feu, les larmes me montant malgré moi aux yeux.
-Qu'y a-t-il? Demanda-t-il aussitôt.
Et il osait demander? Il me versait un soupe brûlante dans la gorge et voulait me faire croire qu'il ne l'avait pas fait exprès? Je lui renvoyai le regard le plus sombre possible, déglutissant pour apaiser la brûlure. Je ne me plaindrais pas! Ce qui sembla le rendre furieux. Et il était près à cracher une méchanceté lorsque... il fixa son bol. L'instant d'après, son sourcil droit se leva, d'une manière très étrange.
-Merlin; soupira Rogue... Ne pourriez-vous pas me le dire lorsque votre soupe est brûlante?
Je lui renvoyai un regard voilé mais insolent et suintant l'orgueil. Rogue se contenta de renifler de mépris avant de refroidir le liquide d'un sortilège et de replonger sa cuiller dedans. Mes lèvres s'entrouvrirent encore une fois au contact du métal et j'avalai. C'était plus doux et calma un peu la brûlure. Puis il approcha la troisième cuiller... la quatrième... J'avalais sans vraiment réfléchir, un peu déconnectée. Même du plus profond de ma mémoire je ne pouvais trouver un seul moment où quelqu'un s'était occupé de moi. Jamais... personne... ne m'avait fait manger quoi que ce soit... quelque soit mon état... Je subis la nouvelle expérience dans un état d'apathie générale. Rogue avait retrouvé son masque d'impassibilité, ses gestes étaient mécaniques, il crispait juste un peu les mâchoires lorsqu'il fallait qu'il recueille du bout de la cuiller quelques gouttes de potage qui tombaient au coin de mes lèvres. Je notais tout ça, le regard flou... Lorsqu'il eut fini, je pus me recoucher. J'aurais voulu dire quelque chose ou me tenir éveillée encore un peu... Mes yeux se fermèrent dès que ma tête eut effleuré le coussin.
Je m'étais réveillée la vessie douloureuse, deux ou trois heures plus tard, pour trouver l'homme en noir endormi dans son fauteuil. J'avais eu un choc, manqué de m'oublier, et puis m'étais dépêchée de me lever pour monter aux toilettes. Ma cheville m'avait fait tellement mal, que j'avais été incapable de marcher ou même de boîtiller, j'avais dû avancer à cloche-pied et empirer mes maux de tête atroces à chaque saut.
Puis je m'étais recouchée en soupirant, à peine. Ça ne l'avait pas réveillé. Et pendant un instant, à la lueur de la lune et des quelques braises encore rougeoyantes, j'avais examiné Rogue. Il se tenait juste un peu avachi, les bras croisés sur le ventre, la tête reposant contre un prolongement en cuir du fauteuil, la respiration lente et profonde. Le sorcier avait les traits crispés pourtant, fronçait les sourcils, les mâchoires serrées. Quelques mèches graisseuses lui tombaient sur le visage et s'étalaient au coin de son grand nez tordu... La fièvre brouillait peut-être l'ensemble de mes capacités intellectuelles, mais je me pris à éprouver comme de la reconnaissance, et esquisser le début d'un sourire dans le noir. Cet homme m'avait sauvée la vie, et soignée. Le reste était secondaire, pour l'instant. Je me rendormis, apaisée...
Ce furent des odeurs très agréables qui me tirèrent de mon sommeil cette fois. De viennoiseries, croissants et même pains au chocolat... lait chaud... Je me frottai les yeux pour me réveiller autant que pour effacer les larmes qui perlaient, puis tentai, malgré la fièvre qui me brûlait le front et la douleur à ma cheville, de me tirer du canapé. Une jambe au sol, la deuxième... Levant les yeux juste avant de prendre mon élan, je m'aperçus de l'homme en noir qui me fixait par-dessus son journal... et qui n'avait pas l'air très content.
-Restez sur ce canapé ou il vous en cuira!
J'écarquillai les yeux, puis ramenai mes pieds sur les coussins. Je reçus un regard d'avertissement ensuite qui me fit passer l'envie de tout mouvement. Le sorcier par contre se leva pour rejoindre la cuisine...
J'avais un excellent odorat, sans chercher à me vanter, affûté par mes années de travail dans les cuisines et savais reconaître les aliments correspondants aux odeurs qui embaumait tout l'étage. Mais cela amenait une question... l'homme vivait dans une cabane délabrée, avait pêché devant mes yeux et pris des pommes du verger pour nos repas... alors où avait-il trouvé l'argent pour ce petit-déjeuner? Les elfes y faisaient toujours très attention, à l'argent confié par les sorciers. Alors je me demandais...
Rogue revint quelques instants plus tard avec deux plateaux en liège supportant chacun un bol de lait apparemment brûlant. Un sac en papier assez replet et tâché de gras reposait aussi sur le sien, une coupelle de bouillie de pommes chaudes pour le mien. Ca semblait très bon et en fait, la réponse n'avait aucune importance. Il posa les deux plateaux sur la table basse et avant toute chose me fit boire un filtre vert mordoré.
-Pour votre fièvre; avait grogné l'adulte.
J'avais reconnu la potion donnée à Elizabeth lorsqu'elle était tombée malade durant l'avant-dernier hiver.
-Pimentine; me rappelai-je, avant de l'avaler sans avoir à hésiter.
Je ne savais ce qui se serait passé si j'avais eu dans les mains une potion que je ne connaissais pas et que l'adulte me demandait de boire... Je relevai les yeux vers lui, pour apercevoir comme un sourire en coin. Mes muscles se crispèrent.
-Légèrement améliorée... Je ne tenais pas à ce que de la fumée vous sorte des oreilles toute la matinée.
J'avais... avalé... une potion modifiée... Le sorcier ne sembla pas remarquer mon choc, il redressa les coussins dans mon dos par magie et je pus m'asseoir un peu mieux puis il fit léviter le plateau jusqu'à moi. C'était vrai, il n'y avait pas de fumée qui sortait. Furent placés devant moi, d'autorité, un énorme pain au chocolat et un croissant tout aussi gros et on me grogna de tout finir. L'adulte était très, très étrange. Je ne comprenais pas tout.
-Quand est-ce que... nous irons à Poudlard, Monsieur? Me risquai-je à demander.
Je n'avais pas fait un geste en direction de mon plateau, par précaution.
-Mangez; grogna Rogue en mordant dans son croissant.
J'attrapai le pain au chocolat encore chaud et obtempérai... La réponse vint lorsque j'en fus à la moitié.
-Dans une semaine.
Mes sourcils se fronçèrent d'eux-même, n'avait-il pas dit aujourd'hui, lorsque je m'étais réveillée trois jours plus tôt? Je fis face à ses orbes sombres, impénétrables et... il sembla comprendre la question muette.
-Vous avez encore de la fièvre, sans compter votre cheville fracturée; consentit-il à expliquer. Malgré les potions il vous faudra trois jours avant que les os ne se ressoudent et quelques jours supplémentaires pour parvenir à vous déplacer convenablement.
-Je suis capable de me déplacer, Monsieur; répliquai-je avant de mordre dans ma viennoiserie.
Le chocolat qui coulait dans ma bouche était encore chaud, et délicieux. Je n'en oubliais pas pour autant mon insolence et à son haussement de sourcil, je choisis de l'imiter. Cela l'énerva, il eut un regard d'avertissement, je n'en fis aucun cas. J'étais née Lumare et têtue, je voulais comprendre la vraie raison. Mais le sorcier ne me la délivra pas. Nous continuâmes le petit-déjeuner en silence. Une fois fini, il fit léviter les plateaux jusqu'à la cuisine et se rapprocha. Je me crispai. Il s'était agenouillé, et sa main levée, vers moi. Elle s'approchait... et ses doigts glacés finirent par effleurer mes mèches de cheveux, les repousser, pour se poser contre mon front. Il le trouva brûlant évidemment.
Je crois bien que c'était le seul être humain à l'avoir déjà touché. Sa peau froide apaisait beaucoup la douleur, mais je restai crispée. Son contact me calmait, mais m'effrayait en même temps, et c'est comme si je voulais qu'il enlève sa main mais qu'il la garde. Je gardai les yeux fermés, fort, tout du long, et ne pus me détendre que lorsqu'il se fut éloigné.
-Vous ne quitterez pas ce canapé de la journée, compris? Les seules exceptions tolérées seront pour la salle de bain.
Mes paupières se rouvrirent sur des yeux bleus et voilés. J'étais vraiment malade, d'avoir apprécié un quelconque contact. J'hochai la tête et reçus quelques grimoires pour m'occuper. Rogue s'affaira dans la cuisine, puis monta à l'étage. Je récupérai mon vieux livre de mythologie et l'ouvris à la page des vouivres... J'avais été stupide... de croire qu'il y avait un monstre près de la chaumière délabrée... stupide...
Le reste de la journée fut partagé entre ma lecture, mes somnolences, les repas et des moments où je me reposais simplement en contemplant l'immensité d'un ciel bleu limpide par la fenêtre du salon, écoutant les cris des goélands, le souffle des vagues et du vent...
Mes trois jours de convalescence passèrent ainsi... Au calme... J'avais interdiction de me lever, de faire la cuisine, de préparer quoi que ce soit. Si ma tante venait à l'apprendre! Mais... l'homme en noir y tenait absolument.
... Il était toujours aussi étrange, et j'avais toujours autant de mal à le comprendre, ou à déchiffrer ses expressions. Mais je pouvais deviner qu'il était préoccupé, qu'il n'avait plus l'intention de me tuer, qu'il aimait les croissants du matin, qu'il ne dormait pas beaucoup ou pas très bien, qu'il appréciait le silence, qu'il se levait aux aurores parce qu'il aimait contempler le lever du soleil, qu'il éprouvait une peine immense...
Le sorcier enleva mon attelle au matin du quatrième jour, le visage impassible, les yeux sombres rivés à ma blessure, ses doigts délicats oeuvrant comme pour me faire le moins de mal possible.
-L'hématome se résorbera moins vite que votre fracture, la limite des potions je suppose: grogna-t-il en faisant disparaître les bandages d'un coup de baguette.
Je ne pus empêcher une étincelle d'éclairer le fond de mes orbes bleus. D'après ce qu'il avait dit, je pouvais quitter le canapé!
-Je... Puis-je me promener ce matin, monsieur?
Il fronça ses sourcils noirs en se relevant mais ne répondit rien tout de suite. Il partit se laver les mains, et je restai tendue, dans l'attente de sa réponse. J'avais appris à patienter pour les obtenir. Lorsqu'il revint, ce fut les lèvres pincées et le regard sombre.
-Vous n'irez nulle part sans que je ne vous surveille, Lumare; me siffla-t-il.
-Mais...; tentai-je de protester.
L'adulte m'interrompit dans un sifflement presque aussi doucereux que la première fois que je m'étais réveillée à la chaumière:
-Suffit! Je ne vous laisserai pas vous promener à votre gré avec votre cheville encore faible et votre fichu instinct Gryffondorien qui ne vous fera pas rater un seul des trous de terre autour de cette propriété.
Je n'avais compris que la première moitié de la phrase. Mais cela réussit à m'arracher un regard presque aussi sombre que celui de l'adulte.
-Ma cheville n'est pas faible.
Ma réaction ne fit que l'amuser, je suppose, lui arrachant un ricanement:
-Nous verrons cela tout à l'heure, Miss.
Je n'étais pas faible! Il fallait qu'il le sache! J'avais fait tellement d'efforts, et même ma tante ne m'avait jamais critiquée là-dessus. C'était évident, non? Même si j'avais pleuré au fond du trou dans lequel j'étais tombé, et même si je n'avais pas travaillé ces derniers jours... L'adulte me laissa quelques temps seule et je restai à froncer les sourcils, perdue dans mes pensées. Après Poudlard et quoi qu'il se passe, ils me renverraient sûrement chez ma tante, et elle apprendrait tout ce que je n'avais pas fait. Je serais punie... même si je ne faisais que respecter les règles de l'homme en noir.
-Debout Lumare; demanda-t-il.
Je m'exécutai aussitôt, me tins debout, sur mes deux pieds, malgré la douleur qui me lacéra soudain la cheville gauche. Mes yeux se fermèrent sous le choc, je crispai les mâchoires et les poings.
-Êtes-vous certaine de pouvoir marcher? Fit le sorcier d'une voix qui avait perdue une partie de son sarcasme.
J'hochai la tête et me forçai à ouvrir des yeux un peu humides. Mais je n'allais pas pleurer!
L'homme m'examina un moment sans rien dire, puis sortit une fiole de sa poche. Une liquide rougeâtre y clapotait. Je ne connaissais pas cette potion.
-Extrait de Murlap, pour calmer la douleur.
Je ne pouvais pas la prendre et marmonnai, les yeux brillant de défiance:
-Je n'en ai pas besoin, Monsieur.
Je le fixai lui, et sa potion, attendis crispée. Rogue finit par la ranger dans une poche, sans insister. Puis il se détourna dans un envol de cape vers la porte d'entrée, et je le suivis. Ça pouvait aller, j'étais capable de m'appuyer un peu dessus et maintenant que la fièvre était retombée, je pourrais plus facilement sauter à cloche-pied lorsque la douleur serait trop importante. Le sorcier ouvrit la porte et la lumière du soleil m'éclaboussa. Toute cette chaleur! Et le vent frais qui me parvenait déjà, son odeur si particulière.
-Où voulez-vous aller?
-Près de la mer! Lançai-je aussitôt, avant d'écarquiller les yeux, et de refermer ma bouche des deux mains.
J'avais parlé sans réfléchir! J'avais donné mon avis! Mon regard inquiet se tourna vers l'adulte qui observait, un fin sourcil relevé.
-Est-ce interdit de répondre aux questions chez vous, Miss Lumare?
Il n'avait pas l'air particulièrement énervé, mais j'avais du mal à voir avec toute cette lumière. La voix profonde et si particulière de l'homme en noir n'avait pas semblé renfermer de menace ou de colère. Je fus prudente malgré tout, dans le choix de mes mots:
-Je n'ai pas réfléchi avant de répondre, Monsieur.
Ce qui était une nouvelle stupidité; pensai-je en ramenant mes mains dans mon dos, attendant des reproches ou une punition. J'aurais dû me méfier à l'instant même où j'avais senti qu'il me laissait croire que j'avais le choix. Le regard un peu baissé, j'attendis, il y eut un instant de silence. Et puis soudain, une main sur le haut de ma tête. On m'ébouriffait un peu les cheveux. J'accusai le coup en me redressant tout à fait et en fixant l'adulte de derrière mes mèches brunes, les yeux écarquillés. Ses doigts se bloquèrent et il finit par les ramener à lui. J'étais incapable de déterminer ce que cela signifiait.
-Les règles sont différentes avec moi.
... J'écoutai attentivement, il voulait élaborer des règles, ce qui me permettrait de comprendre un peu mieux. Je choisis d'oublier le geste qu'il venait d'avoir à mon encontre. Il y eut un petit temps d'arrêt où l'adulte choisit de refermer la porte de la chaumière, de s'occuper de barrière magiques, et où ses pas le conduisirent vers les premières dunes dorées. Je le suivis en boîtillant.
-Lorsque je pose une question, j'attends une réponse claire, précise et sincère.
Je fronçai les sourcils, d'une manière qui s'était souvent répétée ces derniers jours. Cela voulait dire que je me ferai souvent punir avec cet adulte.
-Je veux que vous me préveniez au moindre problème, au moindre danger...
Cela paraissait évident, je n'allais pas lui cacher une attaque pour le plaisir.
-... à la moindre blessure, dès que vous avez mal quelque part.
Non. Je ne ferai pas ça. Une de Lumare ne se plaignait pas et il était bien entendu que je suivrais les règles de ma famille bien plus que celles édictées par cet homme étrange. Tout en boîtant et malgré le sol instable, je remarquai que nous étions presque côte à côte, comme si l'adulte calquait sa marche sur la mienne. Nous étions plutôt lents. Rogue édicta quelques nouvelles règles, qui ressemblaient, elles, à ce que demandait ma tante, au sujet de la sécurité, de l'attention, du fait de ne pas se promener toute seule en dehors d'un certain périmètre, d'obéir aux ordres. Il annonça même que je pourrais participer à la préparation des repas. J'en fus un peu soulagée. Puis le silence reprit ses droits. Il n'y avait plus que le vent, les oiseaux et la mer. Je réfléchissais et emplissais mes poumons d'air frais et perdais mon regard dans l'immensité de la mer. Nous étions si près des vagues, à peine à quelques pas de nous en faire éclabousser. J'étais habituée à son souffle à présent et appréçiais, appréçiais vraiment l'endroit.
Rogue était plongé dans ses pensées, très sombre, préoccupé.
C'était le premier adulte que je voyais et qui avait l'air... aussi... malheureux. Non pas qu'il ait les larmes aux yeux ou la tête baissée comme mes cousines lorsqu'elles avaient reçu une punition. Plutôt le contraire, même. Il se tenait droit, rigide, sévère, et ses yeux sombres et durs ne semblaient jamais avoir perdu une larme. Mais quelque chose dans sa peau blafarde, ses cernes, les coins de ses lèvres étirés vers le bas d'une manière presque imperceptible, ses cheveux graisseux, ses mains qu'il gardait dans le dos et qui pouvaient trembler, ses habits trop noirs, trop épais pour des jours d'été. Quelque chose trahissait une tristesse infinie.
Et tout au long de la semaine, chaque fois qu'il sombrait dans ses pensées et que je pouvais l'observer, je retrouvais cette douleur latente. Peut-être que lorsque tout serait fini, qu'il se serait débarrassé de moi à Poudlard, il pourrait retrouver la paix.
