Chapitre 9
La douleur… La nausée… Sa chair qui brûle encore et encore. L'air qui lui manque. Elle étouffe.
Khorine ouvrit brusquement les yeux, paniquée, clouée au lit par la douleur. Ses oreilles bourdonnèrent d'une voix familière. Elle sentit sa tête être relevée, une fiole contre ses lèvres. Elle fut replacée contre un oreiller, moelleux, et en quelques minutes la douleur disparut, sa respiration s'apaisa et le voile devant ses yeux se déchira. Face à elle, au pied du lit, se trouvait Molly Weasley. Khorine haleta.
-Miss Lumare?
Elle se fit violence pour arracher son regard de la matriarche Weasley. Il y avait un médicomage à son chevet. Il lui posa des questions, elle était si déroutée, elle ne comprit pas tout. Il lui dit qu'elle était en sécurité… Mme Weasley s'approcha pour être de l'autre côté du lit et lui prit la main droite. Sa peau était chaude et douce… Si chaude…
On lui apprit qu'elle était restée dans le coma durant trois semaines. Qu'elle était arrivée avec plusieurs côtes cassées, tous les doigts de la main droite broyés mais que cela avait été réparé rapidement. Elle garderait peut-être une rigidité dans ses doigts mais rien de plus. On lui apprit aussi qu'elle avait perdu beaucoup de sang, ce qui avait endommagé ses reins dans une moindre mesure mais surtout son cœur, et qu'elle devrait éviter le moindre effort dans les semaines à venir, et s'attendre à souffrir en cas d'efforts trop violents. Enfin, le médicomage indiqua son avant-bras gauche. Elle baissa les yeux dessus. Il y avait deux trous nécrosés, là où Nagini l'avait mordue, et une peau noirâtre s'étendait jusqu'à la moitié de crâne que le Seigneur des Ténèbres lui avait gravé dans les chairs, et plus bas, près du poignet, dépassait de son derme nécrosé la cicatrice et les deux autres cercles de son serment avec Severus. Elle apprit que les nerfs et les muscles de ce bras avaient été endommagé par le venin et qu'elle risquait de ne plus avoir de bon contrôle moteur, qu'elle pouvait tenter une rééducation pour retrouver certaines capacités mais qu'il lui serait impossible de revenir à son niveau de dextérité d'avant.
-Mais je suis… apprentie potionniste; souffla-t-elle entre ses lèvres desséchées.
Il y eut un silence.
-J'ai bien peur, Miss Lumare, qu'il ne vous faille changer de profession.
Il finit par sortir de la chambre d'hôpital. Khorine n'arrivait pas à comprendre ce qu'on venait de lui dire. Elle tourna vaguement son regard vers Mme Weasley. Elle cligna des yeux. Celle-ci lui souriait à travers des larmes silencieuses.
-Khorine; murmura-t-elle d'un ton si maternel qu'il remua les entrailles de la jeune femme.
Elle se retrouva serrée dans une étreinte chaude, dans les bras de Mme Weasley. Elle tenta de lever son avant-bras gauche, sans succès, mais l'enserra avec le droit. Khorine ferma les yeux. Il faisait si bon ici. Elle sentait le fenouil, la savonnette, et l'odeur du Terrier. Un éclair de douleur passa sur ses traits. Elle releva ses barrières mentales en tremblant. Mme Weasley finit par briser l'étreinte et s'éloigner un peu, pas beaucoup, juste pour la regarder dans les yeux, lui prenant le visage entre les mains. Elle se mit à parler du Terrier, des plats qu'elle allait lui préparer, qu'il y avait une chambre pour elle. Khorine n'entendait pas. Un peu déconnectée. Et puis elle murmura:
-Vous êtes en vie.
Un pauvre sourire lui écorcha les lèvres. Mme Weasley se tut brutalement.
-Nous nous sommes relayés à ton chevet, tes amis Neville et Luna, le professeur McGonagall, Arthur et moi, George et Ginny.
-Ils sont vivants? Demanda Khorine d'une toute petite voix, sans y croire.
Des larmes vinrent briller dans les yeux de Molly.
-Ils sont vivants, Khorine.
Un sanglot impromptu monta dans la gorge de Khorine. Elle cligna des yeux et tourna un regard égaré autour d'elle avant de le faire revenir sur Mme Weasley.
-Ils sont vraiment vivants? Vous en êtes sure?
Molly hocha la tête.
-C'est sûr? Chuchota encore Khorine une énorme boule dans la gorge.
Mme Weasley lui prit les deux mains, les serrant gentiment, et répéta:
-Ils sont vivants, Khorine.
Alors, quelque chose se brisa en elle. Un gémissement échappa à Khorine et des larmes violentes lui échappèrent. Elle se cacha tout contre Mme Weasley, le nez dans son gilet, étouffant des cris de douleur dans l'étoffe, s'accrochant à elle, pleurant si fort qu'elle en perdait le souffle, qu'elle n'arrivait plus à respirer, que tout devint blanc devant ses yeux ouverts. Une infirmière apparut aussitôt dans la chambre.
-Eloignez-vous; ordonna l'infirmière. Elle fait une attaque de panique.
Pourtant, c'était déjà fini, le manque d'oxygène, son cœur lent sous potion; elle perdit connaissance.
Mme Weasley resta encore plusieurs heures à son chevet, lui serrant la main, mais elle ne se réveilla pas. Parfois, des larmes glissaient sur ses tempes, des gémissements lui échappaient, puis elle retombait dans le néant.
En début d'après-midi, Minerva vint la remplacer.
Khorine ouvrit les yeux bien plus tard. Elle se sentait faible et nauséeuse, et la douleur commençait à se réveiller dans son avant-bras. Elle cilla. Ses yeux s'ajustèrent à la chaude lumière de fin d'après-midi. Ils tombèrent sur le profil de l'écossaise.
-Professeur!
Elle tenta aussitôt de se relever mais la sorcière l'arrêta d'un geste. Elle la fit rester contre ses oreillers. Khorine sentait son cœur battre plus fort, tonnant à ses oreilles.
-Que s'est-il passé? Comment va Severus?
Le visage ridé de la sorcière laissa apparaître comme de la peine, et Khorine blanchit.
-Severus a choisi de se rendre, et d'être jugé par le Conseil de Justice Magique. Son jugement s'est déroulé durant la vague de procès expéditifs de ces dernières semaines. Il a été condamné à mort. Il n'y a rien que nous ayons pu faire.
-Mais il est de notre côté! Vous devez me croire!
-Je vous crois Miss Lumare; répondit son professeur d'une voix adoucie. Et l'Ordre tente de trouver un moyen de faire appel. Nous n'avons pas perdu espoir.
Les yeux de Khorine se voilèrent, elle finit par les fermer et à se murmurer à elle-même:
-Mais il avait l'épée, j'étais sûre qu'avec l'épée… C'est la preuve. Et il y avait les deux aurors, et son aura… Comment ont-ils pu…
Elle s'étouffait sur ses mots.
-Professeur; lança-t-elle soudain, vous devez savoir, il faut leur dire. Severus a utilisé l'épée de Gryffondor pour tuer Nagini. C'était un horcruxe.
L'écossaise tressaillit.
-Elle portait le dernier fragment d'âme de Voldemort. C'est Severus qui l'a achevé, sans lui, il serait encore en vie…. S'il vous plaît, sauvez-le.
Son professeur se leva de son siège. Elle lui demanda de l'excuser puis sortit de sa chambre.
Khorine sentit des larmes chaudes dévaler le long de ses tempes. Elle garda les yeux fermés.
Le temps s'écoula. Les prochaines personnes qui vinrent la visiter furent George et Ginny. Après les pleurs et les embrassades, Khorine demanda à Ginny un verre d'eau. Dès que la porte se fut refermée derrière elle, Khorine se pencha vers George:
-Est-ce qu'il te reste de la Poudre d'Invisibilité du Pérou?
Le dernier des jumeaux ne fit qu'élever un sourcil, soulignant l'évidence.
-Il me faudrait aussi du Polynectar, et une nouvelle baguette.
-Tu t'adresses à un sorcier possédant la plus belle collection de baguettes de raffleurs du Royaume-Uni.
Cela arracha un faible sourire à Khorine.
-Et j'aurais un service à te demander… Il faudrait que tu prennes ma place… Pour quelques heures…
Une étincelle de malice passa dans les yeux du rouquin.
-Je vois… Il est vraiment de notre côté, hein?
Elle hocha la tête.
-Nomme une heure et tous tes vœux seront exaucés.
-Demain soir, vingt-deux heures.
Ils échangèrent un regard complice, et puis la porte se rouvrit et Ginny revint avec son verre d'eau…
Dès qu'ils furent partis, Khorine sortit de son lit. Elle eut le souffle court rien qu'en se tenant debout contre le mur. Elle ne servirait à rien, elle ne pourrait pas même combattre.
Non. Une colère sourde assombrit son regard, elle fit un pas, puis un deuxième, quitta le soutien du mur et haleta. Elle dut s'arrêter tous les deux pas mais finit par réussir à faire le tour de sa chambre. Elle se reposa, revenant sous les draps, puis après dix minutes de pause, sortit de nouveau, fit le tour de sa chambre, revint au lit, … Cette nuit-là, elle s'endormit rapidement, épuisée.
Le lendemain elle s'entraîna de nouveau, dès qu'elle était seule dans sa chambre. Elle était déjà moins essoufflée, sauf lorsqu'elle devait courir jusqu'à son lit lorsqu'une infirmière ou un médicomage s'approchait de sa porte. Dans l'après-midi, elle tenta de se rappeler de chacun des mots de Shackelbot le jour où il leur avait appris à quel point il était simple de pénétrer dans Azkaban maintenant que les Détraqueurs avaient abandonné la prison… Mais elle était si fatiguée… Elle s'endormit. On la réveilla vers vingt heures pour sa prise d'anti-douleur, son calmant et son dîner. Malgré son angoisse, ses yeux se fermèrent d'eux-même. Ce fut George qui la réveilla. Il alluma la lampe à huile à son chevet. Khorine bondit aussitôt hors de son lit, eut le tournis, puis lui donna ses instructions en récupérant la baguette et la poudre.
-Bon, en gros je fais un petit roupillon à l'hôpital, hein? C'est dans mes cordes.
-Merci George, je ne sais pas comment te…
-Tu pourrais me donner un coup de main à la boutique de temps en temps; la coupa-t-il en haussant ses deux sourcils.
-Tu es rouillé Georges, si c'est ton seul prix pour devenir complice d'une évasion d'Azkaban.
-Et un bisou.
Khorine souffla par le nez et se pencha pour déposer ses lèvres sur la joue de George. Elle était douce et chaude. Le contact lui fit l'effet d'une soirée au Terrier, apaisante et chaleureuse. En s'écartant, elle lui adressa un tout petit sourire.
-Et un de tes cheveux.
-Cela va sans dire; répondit-elle en s'en arrachant un.
Il le fit aussitôt tomber dans sa fiole de polynectar. Le contenu bouillonna gentiment.
-Prête?
Khorine inspira un grand coup.
-J'espère… Winky?
Rien ne se passa. Et le cœur de Khorine se serra douloureusement. Elle allait devoir passer au plan B et… Un craquement sourd résonna dans la chambre. La petite elfe se tint devant elle. Le teint gris, les oreilles pendantes, ses grands yeux exorbités veinés de rouge.
-Que peut faire Winky pour Miss? Marmonna-t-elle d'une voix éteinte.
Khorine s'agenouilla.
-Winky, j'ai un grand service à te demander. Le professeur Rogue a été condamné à mort et sera bientôt exécuté. Je veux l'aider à s'évader, et j'ai besoin de toi. Mais ce sera risqué, si nous nous faisons prendre nous risquons toutes les deux nos vies.
Les oreilles de Winky se mirent à frétiller et un air de pure adoration apparut sur ses traits en entendant ces mots.
-Tout ce que voudra Miss!
-Tu acceptes de tout risquer pour tenter de faire évader Severus?
La petite créature hocha violemment la tête, se tordant les mains.
-Merci Winky; murmura Khorine les larmes aux yeux.
-Allons-y Miss!
Un petit rire brisé s'échappa de la sorcière, avant qu'elle ne se tourne vers George. Il était déjà installé dans le lit, les observant.
-Bon… A la vôtre! Lança-t-il avant d'avaler une grosse gorgée de Polynectar.
Ses traits commencèrent à changer, et ce fut une drôle d'expérience de se voir dans un lit où elle n'était pas; de déceler à la lueur de la lampe de chevet ses joues creuses, sa peau grise, le coin de ses lèvres tourné vers le bas.
-Par les rouflaquettes de Merlin; haleta l'autre Khorine soudain, s'agrippant violemment le bras gauche.
Il lui fallut se servir dans les anti-douleurs sur sa table de chevet… Les médicomages s'en rendraient compte… C'était un risque à prendre.
-Mais comment tu peux supporter ça? Grogna George en commençant à haleter.
-Respire doucement, prend de grandes inspirations. Essaye de dormir. Nous revenons bientôt.
Khorine sortit la poudre d'invisibilité instantanée du Pérou, prit la petite main de Winky et expira, inspira, elle ferma les yeux et attendit que les battements de son cœur ralentissent avant de murmurer:
-Prête Winky?
-Winky est prête, Miss.
Khorine jeta la poudre à terre et elles disparurent de la vue de George.
-Emmène-nous à Azkaban; s'éleva de nulle part la voix de Khorine.
Il y eut un craquement sec, et puis tout devint calme dans la chambre d'hôpital.
-Restez allongé dans un lit d'hôpital, qu'elle disait, c'est dans mes cordes, qu'il disait; grommela George en essayant de calmer les battements affolés de son propre cœur.
