Chapitre 7
Le lendemain j'avais caché ma peluche sous mon oreiller et étais descendue presque aussitôt dans la cuisine. Rogue ne se trouvait pas dans le salon, je le suspectais d'être reparti prendre ses viennoiseries. Moi j'aimais bien, ça me dispensait de me lever encore plus tôt pour les cuisiner.
Les barrières magiques autour de la chaumière crépitaient, il les avait renforcées.
Je me sentais presque bien dans le salon avec ces étages de vieux livres, ceux que Dumbledore nous avait offerts, cette cheminée, et ces fauteuils vieillis. Mon préféré faisait dos à la cuisine, très petit et moelleux, assez près du feu mais pas trop. Celui de Rogue était à son opposé, un peu tourné vers la fenêtre et les dunes de sable qui apparaissaient plus loin.
Le ciel d'hier soir était magnifique, les étoiles, le croissant de lune, mais il n'y avait pas fait attention une seule fois tant il semblait plongé dans l'étude de ses grimoires poussiéreux.
L'adulte voulait repartir très vite, et moi aussi tout au fond. Une sorte d'urgence fébrile. Il fallait la faire taire... Se calmer... J'ouvris la petite fenêtre du salon et laissai le vent frais du bord de mer s'engouffrer dans la pièce. Puis direction la bibliothèque, il devait être six heures et demi, sept heures... Je fus attirée malgré moi par un livre, tout petit, que ma tante lisait à mon cousin et mes cousines certains soirs. Ça s'appelait "Les contes de Beedle le barde".
Mes mains l'agrippèrent et je restai un instant devant l'exemplaire tout abîmé, la reliure déchirée par endroit. Il appartenait au directeur Dumbledore. Il était la clef.
Je ne comprenais pas mais acceptai de me placer dans mon fauteuil et de me plonger dans la lecture des contes du barde. Les intonations de ma tante me revenait, elle racontait bien, je voyais la marmite sauteuse se couvrir de verrues, et John faisait l'âne qui brait, Isa le bébé qui pleure...
Le sorcier des ténèbres revint avec le petit-déjeuner et je me levai aussitôt pour mettre la table. Je fus obligée de manger un pain au chocolat et encore un croissant. Pas l'habitude d'engloutir autant.
-Professeur? Me risquai-je après avoir fini.
L'adulte tourna vaguement la tête vers moi, mais toujours son regard fixé à son journal. Je continuai:
-Comme vous êtes occupé avec vos recherches, je pourrais préparer le déjeuner à midi.
Un rictus apparut sur son visage terne et cireux, au milieu de ses cernes et de ses joues creuses. L'idée ne lui plaisait pas.
-Je ne vous laisserai pas seule aux cuisines, Lumare.
-Mais je...
-Fin de la discussion! Aboya Rogue.
L'adulte était dangereux mais il ne tournait pas encore ses yeux noirs et brûlants vers moi. Il se trouvait aussi que j'étais une de Lumare et qu'il ne m'avait encore ni battue ni jeté le moindre sortilège.
-Chez ma tante je cuisinais le matin, le midi et le soir. Je sais le faire! Désobéis-je les poings serrés sur la table.
Le sorcier en quitta son Daily Prophet du regard, pour percuter le mien. Je n'aurais pas dû dire ça.
-Mais ici, Lumare, vous n'êtes qu'une gêne et un poids mort qui devrait préférer se faire oublier!
... Quelque chose crépita en moi. Je voulais voir jusqu'où Rogue pouvait aller. Une énergie inconnue grésilla le long de mon bras droit tandis que je refusais de baisser les yeux.
-Vous me traitez comme un poids mort, mais je cuisine bien mieux que vous et si vous me laissiez une chance...
-Suffit; siffla le mangemort. Vous dépassez les limites.
Sa voix grondait de menaces et il était furieux. Mais il ne bougeait pas, pas un geste pour m'empoigner par la chemise, pour me gifler, me faire tomber de ma chaise, me jeter un sort.
-Et alors, qu'est-ce que vous pouvez me faire de pire? Feulai-je soudain.
J'étais à la limite, le futur me rattrapait et ma magie m'échappait. Elle fusait en étincelles hors de mon bras droit, seulement de mon bras droit. Il tremblait trop et j'avais mal!
Je le cachai sous la table, l'agrippai de toutes mes forces. Perdue et furieuse! Je ne savais plus quoi faire, pourquoi, pourquoi?! Où étaient mes amis? J'aurais dû être avec eux, les protéger, continuer la chasse aux Horcruxes, et pas lutter pour préparer les repas de ce traître!
L'ombre de Rogue s'approcha, ce meurtrier! Je quittai aussitôt ma chaise qui alla s'écrouler plus loin et lui hurlai de ne pas s'approcher!
-N'approchez pas!
Je tenais mon bras, convulsions, arabesques de magie qui lacéraient. J'avais mal! Combien je souffrais! Mon verre sur la table, je le balançai du revers de ma main droite, criai. Il fallait que ça sorte. Je devais expulser la douleur! Je n'en pouvais plus, ça n'avait aucun sens.
-Calmez-vous, calmez-vous Lumare; prononça Rogue levé en s'approchant très lentement de moi.
Je voyais des choses qui n'existaient pas, passer devant mes yeux bleus écarquillés. Une énorme plante tueuse, des pièces d'échec géantes qui faisaient peur, le cadavre d'un grand serpent, un loup-garou qui hurlait, nous fixait. J'étais terrifiée! Mes amis étaient juste à côté, je ne voulais pas...
Un choc violent et des bras et un corps chaud contre le mien. Je paniquai encore plus, me débattis aussi fort que je pouvais mais il ne desserrait pas la poigne. C'était toujours lui, l'adulte, il m'avait serrée contre lui dans le bureau de Dumbledore. Je me rappelais des couleurs jaunes, orangées...
Je convulsai encore dans l'étau de ses bras, puis même la magie disparut... Le silence m'opressa, l'homme qui me piégeait contre lui aussi. Je ne savais pas quoi faire, il se trouvait agenouillé devant moi une main derrière ma tête et l'autre à m'agripper le bras qui soubresautait en pressant ma taille contre son ventre. Ses cheveux graisseux étaient contre ma joue gauche...
L'adulte m'avait calmée et protégée, de nouveau.
-M-merci; prononçai-je difficilement.
Il ne fallait pas le dire, mais il venait de me sauver. Au final sa tête se releva de mon épaule alors qu'il était presque à ma hauteur et son gros nez tordu était presque à effleurer le mien.
Je n'avais jamais été aussi près de qui que ce soit. Donc je me retrouvai à écarquiller mes grands yeux couleur... océan..., à fixer les ténèbres mouvantes des siens.
-Votre bras?
Un éclair de terreur m'échappa, je cachai aussitôt le droit dans mon dos. Je ne voulais pas qu'il le voie.
Le sorcier plissa les yeux un instant, mais n'insista pas, il finit par se relever et me libérer.
-Allez-vous brosser les dents puis rejoignez-moi à la cave. Nous y passerons la matinée; ordonna-t-il sur un ton tout à fait neutre.
Comme s'il ne s'était rien passé, que je n'avais pas fait une crise, que ma magie accidentelle n'avait pas manqué de m'échapper, que je n'avais pas eu ces visions! L'adulte ne semblait même pas vouloir me punir. D'accord, je me détendis et puis obtempérai.
Nous passâmes bien le matin à la cave, lui à griffoner sans cesse au milieu de ses grimoires, ses parchemins, ses encriers et ses plumes, moi à lire mes contes anglais. La lumière de son Lumos était bleutée et très apaisante...
Au moment de préparer le déjeuner j'eus un tout petit peu plus de chose à faire: découper les concombres et les tomates en tranches très fines et régulières, émietter le thon, m'occuper de la sauce vinaigrette. Rogue supervisa tout ça en plus de la cuisson du riz. Il me fit des remarques sur mes découpes, ma manière de tenir mon couteau, sur la façon de tourner la vinaigrette, sur la régularité de mes coups de mortier pour le thon. Au final ce fut un bon repas.
-Si vous voulez, je peux nettoyer; proposai-je en haussant les épaules.
L'adulte renifla de mépris, ce devait être du mépris.
-Je ne laisserai pas une gamine de sept ans s'occuper de ma vaisselle; rétorqua Rogue avant de lancer un sortilège silencieux au-dessus du lavabo.
L'éponge qu'on avait reçu de Dumbledore s'éleva toute seule, l'eau commença à couler, les plats à se laver sans moi. J'écarquillai les yeux, les elfes de maison n'avaient jamais fait ça.
-Venez, nous allons au laboratoire prendre ce dont nous avons besoin avant de remonter au salon; m'annonça le sorcier d'une façon presque impassible.
Il y avait seulement un rictus narquois en plus devant mon étonnement, et c'était tout.
Je le suivis bien sûr à la cave sans poser de questions et repris mes contes de Beedle le barde avant de remonter trouver mon fauteuil préféré face au sien. Le soleil tapait fort derrière les fenêtres et l'air ondulait au-dessus des dunes alors qu'il faisait frais dans la maison. Mais ça ne m'empêchait pas d'y lancer souvent des regards emplis d'envie. Je voulais sortir. Rogue travaillait toujours avec acharnement, consultant plusieurs grimoires à la fois qui s'entassaient sur ses genoux, les accoudoirs de son fauteuil et dans ses bras. Un pile d'ouvrages se trouvait aussi sur la table basse avec des parchemins et le matériel pour écrire. Un nouveau coup d'oeil désespéré vers l'extérieur, puis je revins à ma lecture. J'en étais à un conte s'intitulant La Fontaine de la bonne fortune, au moment où Amata se prend par mégarde dans l'armure du chevalier moldu Sir Sanchance. Asha et Altheda n'allaient pas vraiment apprécier...
-Lumare?
Je relevai aussitôt la tête de ma lecture, repoussai quelques mèches rebelles de devant mes yeux pour mieux voir l'adulte. Il était encore occupé avec un de ses grimoires. C'était étrange d'entendre toujours mon nom de famille prononcé avec dégoût ou mépris. Jamais ma tante ou mes cousins ne l'avaient fait, comme nous avions le même. C'était mon prénom qui entraînaient ces nuances normalement. Le sorcier des ténèbres coula soudain son regard brûlant vers moi...
-Il est seize heures; m'informa-t-il avant de lâcher, vous pouvez sortir mais vous reviendrez impérativement avant dix-neuf heures.
Je restai pétrifiée face à l'adulte, le fixant sans oser y croire. J'avais pensé qu'il ne me laisserait plus jamais sortir!
-C'est bien compris? Siffla Rogue alors qu'il m'offrait la liberté que je désirais depuis des jours!
-Oui Monsieur; répondis-je vibrante de joie. Merci!
Je refermai aussitôt mon livre pour le poser sur la petite table, sauter par-dessus l'accoudoir de mon fauteuil et... je m'arrêtai pour me tourner vers Rogue. Il me fixait sans que je ne puisse distinguer la moindre de ses pensées. J'hésitai...
-Vous êtes sûr?
C'était trop beau, je n'obtenais jamais ce que je voulais aussi facilement.
-On dit "êtes-vous sûr" ou "en êtes-vous sûr" Lumare; me reprit mon professeur. Et vous avez tout intérêt à ce qu'il ne vous arrive rien cette fois-ci, ou je vous interdis toute nouvelle promenade.
Incroyable... Je le fixai encore un instant du haut de mes sept ans avec mes yeux bleu océan, mes longs cheveux ébouriffés, ma chemise blanche aux manches longues et mon pantalon noir. Rogue ne perdit pas plus de temps, il replongea dans l'étude de ses textes anciens. Moi je me passai une main fébrile dans les cheveux, puis fonçai vers la porte. Dehors, le soleil éblouissant, l'air chaud, la brise. J'hoquetai de plaisir, ma cheville ne me faisait presque plus mal et je pus courir -libre- vers la forêt! Je me fondis parmi les ombres, reçu de plein fouet les odeurs familières, humus, terre, écorces humides, fleurs des sous-bois... Mon coeur bondissait dans ma poitrine. J'étais bien ici.
Le lendemain, j'eus le droit d'y retourner mais seulement après seize heures et si je revenais avant dix-neuf heures. J'appréciais vraiment de sortir de la chaumière, de m'éloigner de l'adulte bizarre, de retrouver la verdure de cet endroit moldu. J'aimais beaucoup.
Il se déroula presque sept jours durant lesquels Rogue m'autorisa chaque fois à sortir durant ces trois heures de la fin du jour. Je les attendais avec impatience dès la table du déjeuner débarrassée, pensant déjà aux nouveaux endroits que je pourrais découvrir. Une gigantesque partie sud m'était encore inconnue sans compter tout l'ouest de la forêt qui s'étendait dans le creux des terres.
Je repensais parfois au manoir, à Mme ma tante, à John, Elizabeth et Isabella, à Osty surtout. Et il y avait des images atroces qui explosaient dans ma tête, des éclats de rire, chaleur, froid, douleur... J'avais trouvé un arbre creux près d'une clairière de rochers clairs, je pouvais m'y cacher en entier, roulée en boule. Je m'y sentais en sécurité et les cauchemars finissaient par disparaître.
Pendant cette semaine, je vis l'adulte travailler sans relâche sur sa potion, je vis la souffrance et la tristesse chez lui aussi. C'était difficile à percevoir mais, elle était là, dans ses cernes, dans les coins de ses lèvres abaissés. Je crois qu'il avait des cauchemars, qu'il passait dans les couloirs la nuit juste devant ma chambre. Rogue ne mangeait pas beaucoup non plus, juste ses deux croissants le matin avec un café qui sentait mauvais, du pain, un peu de nos plats et des mûres. On aurait dit qu'il aimait ces petits fruits noirs, en tout cas nous avions fini très vite les barquettes fournies par Dumbledore.
...
C'était la saison, nous étions en août. Elles commençaient à noircir le long des sentiers de ma forêt.
Quelques autres jours s'écoulèrent. Je passais devant les fruits chaque après-midi, Rogue était en train de s'assombrir, les trous noirs dans ses yeux s'agrandissaient pour engloutir tout le reste.
L'adulte m'avait sauvé la vie, il m'avait soignée, protégée plusieurs fois. Il n'avait même pas essayé de savoir ce qui se cachait sous la manche de mon avant-bras droit.
Nous devions être le 8 août lorsque je m'arrêtai devant une épaisse haie de ronce. Elle serpentait jusqu'aux abords de la forêt, en la suivant je pouvais très facilement retrouver la plage et ensuite la chaumière. A en juger par les ombres que les arbres projetaient au sol, il me restait encore une heure de libre... Je déglutis, avançai la main vers une mûre, arrêtai mon geste.
Rogue était un adulte, je ne pouvais pas vouloir l'aider. Au fond de moi, quelque chose tempêtait, grondait. Je ne devais pas faire ça!
-Il m'a sauvé la vie; grognai-je en rapprochant de nouveau ma main des ronces.
Elle tremblait, je ne voulais pas... Agacée j'agrippai mon poignet et le forçai à avancer. Quelque chose se déchira, l'instant d'après plus rien ne m'empêchait de cueillir les mûres. J'en attrapai trois, puis tirai les pans de ma chemise devant moi pour les y glisser. J'aurais de la lessive à faire au retour, ça ne me gênait pas. Quatre autres mûres bien noires plus loin dont je m'emparai sans problème, d'autres encore. Je remplis peu à peu ma chemise, la tâchai de rouge. Quelques coupures à cause des ronces, mais ça ne faisait presque pas mal. Puis je ne pus plus mettre un seul fruit sans faire tomber tout mon tas...
Je repartis vers la maison, manquai de trébucher sur des racines d'arbre, une butte de terre. Ce fut une épreuve, ainsi que de parvenir à tourner la poignée de la porte tout en gardant droite la pile de mûres. Au final, je pus enfin poser un pied chez Rogue et me dépêcher de déposer mon butin dans un panier vide. L'adulte n'avait manqué de tout observer comme il se trouvait face à la porte et à la cuisine. Il se leva.
-Qu'est-ce que vous avez encore inventé Lumare? Siffla-t-il d'une voix très basse.
Son regard était presque vide...
-Vous aimez les mûres Monsieur, non? Rétorquai-je en prenant à deux mains le panier bien rempli pour le porter jusqu'à lui.
J'avais peur de sa réaction maintenant. Un peu de sang s'échappait de mes entailles pour couler sur mes poignets et l'anse que j'agrippais. Il fixa les fruits, puis haussa un sourcil en me fixant. J'attendis crispée.
Il détailla les salissures rouge rosé sur ma chemise.
-Vous nettoierez ces tâches, j'espère pour vous qu'elles partiront.
J'hochai la tête, soulagée qu'il l'ait si bien pris, reposai le panier. Trop tôt, il n'était pas assez loin, pouvait remarquer les coupures sur mes doigts et mes paumes. En m'en apercevant je les rangeai vite dans mon dos, puis osai un coup d'oeil bleu sombre dans sa direction.
Rogue n'avait rien vu, il observait un peu les mûres; puis se détourna dans un claquement de cape. Je m'empressai de monter à l'étage pour me doucher et laver le sang. Mes vêtements furent plongés dans une bassine pleine de savon et laissés s'imbiber du produit toute la soirée.
Ensuite je descendis au salon en pyjama.
Rogue n'y était plus. Ce qui n'était encore jamais arrivé. La porte était fermée, aucune empreinte de magie en dehors des deux nôtres. J'écoutai.
... Un tintement de fioles brisa le silence et je sus que nous étions encore en sécurité, que Rogue était seulement retourné dans son laboratoire. Mes muscles se relâchèrent, je cillai en revenant à moi, puis me dirigeai vers la cave. Le bouillonnement d'un chaudron... le murmure des flammes...
Arrivée au bas des escaliers je distinguai mon professeur de potion avec des bandelettes de tissus à la main, il les faisait tremper délicatement dans le liquide bouillonnant de son chaudron.
Son visage était triste et sévère à la lueur du feu...
-Professeur, je commence à préparer le dîner?
Je venais de quitter la dernière marche, les cheveux un peu mouillés mais toujours en pétard, et bien sûr vêtue de l'ignoble pyjama vert et rouge fraise. Rogue me fixa un instant, puis revint au travail de ses bandages blancs.
-Approchez; ordonna-t-il d'une voix plate et dénuée d'émotions...
Il semblait éteint, comme un feu de bois réduit à quelques braises. J'obtempérai sans poser de questions. Et puis fus prise d'un doute en me rappelant à quoi servait le type de tissu qu'il manipulait. Mes mains furent prudemment rangées dans mon dos et je m'arrêtai à l'autre extrémité de la table.
-Plus près; siffla Rogue en le voyant. Je ne risque plus de vous enlever de points.
Ce devait être un sarcasme, j'avais du mal à comprendre, mais approchai encore un peu plus. Le professeur attendit que j'arrive à deux pas de lui en fixant toujours son attention sur le tissu. Il finit par le maintenir dans les airs d'un informulé, la baguette sortie et à plonger les deux bouts dans sa potion. Pour finir, il se tourna vers moi.
-Tendez-les mains à présent.
Il eut un rictus fatigué à mon air de catastrophe.
-Vous ne pensiez pas avoir été discrète Lumare, n'est-ce pas? Tendez vos mains.
Il paraissait trop triste et morne pour me frapper maintenant, même si j'avais désobéi à ses règles. Ma peur se tut, je lui tendis mes mains pleines de coupures sans un mot. De plusieurs gestes de la baguette, il fit en sorte que ses bandages volent vers mes entailles et les entourent doucement. La potion semblait guérir et non pas brûler ou aggraver les plaies.
J'avais du mal à comprendre, ma tante m'aurait frappé là où j'étais blessée pour punir ma désobéissance. A cet instant c'était comme si l'adulte cherchait à me soigner.
Les bandes s'enroulèrent autour de mes poignets, mes paumes, mes pouces, index et majeur de la main gauche et mes index et annulaire de la main droite.
-J'aurais plus de mal à faire la cuisine; marmonnai-je contrariée.
Je bougeai un peu les doigts, mais c'était difficile et toujours douloureux. Maintenant j'étais incapable de tenir une poêle ou une casserole, de couper correctement des morceaux de viande ou de légume.
-Vous ne ferez pas la cuisine tout court, gamine; répliqua Rogue. Je vous l'interdis tant que les plaies n'auront pas cicatrisé.
Mais je savais cuisiner!
-Ce sera votre punition; reprit-t-il, pour ne pas m'avoir prévenu que vous étiez blessée.
La colère gronda soudain, parce qu'il se moquait de moi!
-C'est pas une punition! Répliquai-je sans réfléchir, furieuse. Les punitions c'est quand je suis privée de nourriture, que je me fais frapper, qu'on me jette un sort ou que je dois faire la vaisselle de tout le dîner! Vous avez pas le droit de me punir en m'empêchant de travailler!
J'étais trop énervée pour me rendre compte que je haussais le ton et que j'étais irrespectueuse. L'adulte lui, resta impassible. Il absorba ces informations sans rien montrer.
-J'ai tous les droits dans cette maison; lâcha-t-il au final. Mais si vous préférez plutôt être privée de sortie nous pouvons nous arranger.
Ne plus aller dans la forêt?
-Non; me dépêchai-je de répondre.
Cela arracha un rictus à Rogue, plus prononcé que le précédent. Puis il m'ordonna de remonter au salon avec lui et de le laisser préparer le repas. Je n'y comprenais rien mais me tus pour pouvoir retourner dans ma forêt l'après-midi suivant.
Au dîner il y eut des pâtes, de la sauce tomate avec du pain, et des mûres en dessert. Assez bonnes pour que le sorcier en remette plusieurs fois dans son assiette.
Malgré mes mains bandées, je m'arrangeai pour ne rien faire tomber du tout, ni couvert ni spaghetti, et le dîner fut "acceptable" comme le dit Rogue. Ensuite je dus rester lire dans le salon et fus envoyée me coucher vers vingt-deux heures.
Fatiguée je retrouvai mon lit et ma peluche, me roulai en boule sous les draps.
-Bonne... nuit...
Je frottai ma tête contre le petit lionceau aux yeux tristes puis fermai les yeux, je m'assoupis...
Il y eut des éclairs de feu, un phénix rayonnant qui volait dans mon rêve, la chaleur de leur amitié qui m'entourait. Je me sentais apaisée...
Bruit! Je m'arrachai aussitôt à mes songes, à mon oreiller, j'étais assise les yeux emplis de brume, les cheveux en pétard, les bras crispés devant moi et les doigts bandés autour de mon lionceau.
Il y avait une ombre.
Elle était dans l'encadrement de la porte, elle ne bougeait pas. Pas encore.
Je paniquai, une vague de fièvre me fit vaciller. Il fallait voir, plus! Je me frottai les paupières avant de les rouvrir, l'ombre avait fini par s'avancer et je la reconnus.
-Rogue!
-Professeur ou Monsieur, jeune fille; me rappela-t-il à l'ordre.
Ce qui me rassura bizarrement, je me détendis et m'assis un peu mieux sur le matelas. Je le regardai approcher, me frottai encore un peu les yeux avec le bandage sur ma main, puis sentis mon lit se creuser. Rogue venait de s'asseoir!
Je l'observai, très pâle, toujours des cernes lui creusant le haut des joues mais son regard n'était plus aussi lointain. Il m'observait, observait un peu partout... comme s'il ne savait pas ce qu'il faisait ici...
-D'où vient cette peluche? Demanda soudain Rogue d'une voix doucereuse.
Je cillai puis baissai les yeux sur mon bébé félin...
-C'est le professeur Dumbledore qui me l'a donnée; répliquai-je en crispant mes doigts abîmés dessus.
Je voulais la garder! Ma main droite inoccupée et nerveuse passa dans mes cheveux complètement ébouriffés. Mes yeux suppliaient, les siens se baissèrent encore vers le lionceau contre mon ventre.
-Tout comme cet atroce petit mouchoir que vous lui avez accroché.
J'haussai les épaules, rigide.
-C'est un cadeau, et... j'aime bien les vifs d'or; répondis-je en caressant malgré moi la fourrure toute chaude.
-Voyez-vous ça; ricana l'adulte avant de tendre la main vers mon félin.
J-je... dus lâcher prise. Il s'en empara, le souleva par la peau du dos jusqu'à son gros nez.
Aucune idée de ce qu'il cherchait mais il examina tout, ses yeux jaunes et noirs, son museau, ses minuscules pattes, son pelage fauve et doux, sa petite queue au bout tout sombre, ses oreilles rondes. A la fin, il haussait un sourcil et semblait avoir des doutes. Je retins mon souffle... et il me le rendit! Je m'empressai de récupérer mon lionceau.
Rictus dédaigneux chez Rogue, j'y étais presque habituée. Et j'avais l'impression que ma peluche ne l'intéressait plus, moins de risque qu'il me la confisque...
A en juger par les raies de lumière qui traversaient les rideaux, sachant que nous étions en août, il devait être près de six heures du matin. Que venait faire Rogue ici?
Je me permis de couler un regard interrogateur vers le sorcier des ténèbres. Il m'en rendit un impénétrable. Mais le silence n'eut pas le temps de s'étendre, Rogue lâcha tout à coup:
-Vous venez avec moi acheter le petit-déjeuner.
J'écarquillai les yeux, hochai la tête. Puis Rogue me laissa cinq minutes et descendis au salon. Je me dépêchai d'ouvrir les fenêtres, m'habiller, me coiffer vaguement, faire mon lit et border mon petit lion, avant de courir dans le couloir et les escaliers, de retrouver l'adulte.
-Je suis prête, Monsieur!
Mon regard étincelait, je n'étais encore jamais sortie où que ce soit. Ce serait la première fois que je verrais à quel endroit on pouvait "acheter le petit-déjeuner".
Rogue me fixa les sourcils froncés mais j'étais habillée correctement, je ne voyais pas ce qu...
-Ôtez-moi d'un doute Lumare, vous êtiez déjà sortie de la propriété de votre tante avant d'atterrir dans cette chaumière, n'est-ce pas? Prononça-t-il d'une manière assez bizarre.
Je sentais un danger, une question piège. Pourquoi? Je ne savais pas ce que je devais répondre, le mensonge, la vérité?
-Non; lâchai-je.
Ce n'était pas si important, non? Je ne parvins pas à décrypter ce qui apparut sur le visage de l'adulte mais au final il ouvrit quand même la porte et je pus sortir de la maison avec lui. J'avais fait le bon choix et nous étions dehors et je pourrais de nouveau marcher au côté de l'adulte, comme quand j'avais encore mal à la cheville! Le vent frais ondulait dans mes cheveux, les rayons du soleil m'effleuraient avec leur douceur du matin. Il y avait le souffle de la mer, les cris des mouettes et les cimes des arbres qui bruissaient dans ma forêt moldue. Les premiers buissons de mûres étaient visibles du pas de notre porte.
Rogue la referma, s'occupa des barrières de protection, de diversion et de repouss'moldu qu'il avait dressées autour de la maison puis s'en détourna et nous partîmes en direction de la plage. Rogue s'obligeait à marcher lentement mais j'avais un peu de mal à le suivre. Il avait de grandes jambes quand même. Le vent soufflait plus fort au fur et à mesure que nous nous rapprochions de la mer. Mes poumons se gonflaient d'air frais, du sel de la mer... Ça faisait tellement de bien!
Notre marche silencieuse continua et c'était comme si Rogue aussi appréciait. Quand je lui jetais de petits coups d'oeil -si j'arrivais à le rattraper bien sûr- je voyais les traits de son visage presque décontractés, un front lisse, son grand nez d'oiseau frémissant à cet air vif et frais.
Nous traversâmes les dunes auxquelles j'étais plus ou moins habituée, mais je ne tombai pas! Puis enfin la plage et son sable, la mer étincelante qui respirait.
J'aurais voulu courir, effleurer les vagues qui s'approchaient, examiner le sable pour y trouver des cailloux et des coquillages comme je le faisais en revenant de mes balades. Mais l'adulte était là. Ce n'était pas qu'il faisait vraiment attention à moi, seulement je n'avais pas compris toutes ses règles et j'étais incapable de déterminer pour quoi il me donnerait ma première vraie punition.
...
Quelques mouettes flottaient déjà sur l'eau à la recherche de leur petit-déjeuner, criaillant. Je les observai... Puis Rogue tendit une main devant moi, je m'arrêtai et l'observai, observai son visage tourné vers le mien.
-Prenez ma main, nous allons transplaner; ordonna-t-il calmement.
Mes doigts bandés se crispèrent. Je fixai Rogue et son visage qui ne reflétait rien, rien du tout. Pas l'habitude de toucher ou d'être touchée par qui que ce soit, encore moins un adulte. Les deux fois où il m'avait serrée contre lui ne comptaient pas, ni les fois où il avait pris ma température, palpé ma cheville, ni celle où il m'avait portée pour sortir du trou.
C'est vrai qu'il ne m'avait encore jamais fait de mal.
Ma main fut forcée à approcher la sienne, elle tremblait un peu. Puis se décida à agripper deux de ses doigts. Nouveau coup d'oeil au sorcier, impassible. Je fus rassurée et lui qui me fixait ne le manqua pas. Il eut un petit hochement de tête, ensuite, nous transplanâmes.
C'était comme la dernière fois, très désagréable. Il y avait un objet en métal qui agrippait le nombril, le glaçait et attirait tout le reste du corps dans des spirales de couleur aveuglantes.
Je retrouvai terre, titubai, éblouie. Je me serai écroulée sans la poigne de Rogue.
Il m'aida, et ce fut pareil que la dernière fois à Poudlard, il garda ses doigts agrippés aux miens comme s'il ne se rappelait pas qu'il les tenait. Nous étions dans une impasse déserte, sombre. Personne ne nous avait vus. Je ne savais pas vraiment ce qu'il fallait faire au sujet des mains. Est-ce que l'enlever était plus dangereux que la laisser là où elle était?
Rogue commença à marcher en direction de la lumière et du bout de la rue, je dus le suivre, je ne retirai pas ma main.
Il y avait des choses en métal tout au long de l'impasse et en levant les yeux j'aperçus de nombreuses fenêtres avec des rideaux différents. Ça ressemblait à deux façades de manoirs un peu trop près. Plus loin il y avait beaucoup de bruits, j'entendais...
Et puis soudain, la fin de la ruelle, le soleil, tous ces gens! Il y en avait au moins dix! Un qui marchait, les autres étaient à des tables dehors autour de tasses de je-ne-sais-quoi. Il y avait un vieux monsieur qui vendait des journaux presque comme ceux de Rogue, sauf que les photos ne bougeaient pas. Il y avait une énorme glace peinte en haut d'une porte vitrée, des endroits grillagés, des portes fermées et d'autres ouvertes, des machines bizarres rouges ou noires ou grises qui ne bougeaient pas, il y avait des arbres emprisonnés dans des cercles de métal, tout le sol qui était pavé, deux hauts cylindres comme dans la ruelle où s'entassaient des sacs de détritus, un autre plus loin comme nous avancions. Il y avait des oiseaux gris et blanc que je n'avais jamais vu et puis comme nous marchions nous arrivâmes à une nouvelle rue et j'aperçus une fontaine, une énorme qui crachait de l'eau par le haut. Il y avait encore plus de personne ici, autour d'elle, toujours assises ou à marcher comme nous. Rogue ne me lâchait pas la main. Je regardais partout, émerveillée. J'aurais eu tellement de questions à poser si j'avais pu! Quelqu'un promenait une bête que j'avais vu dans un vieux livre et qui s'appelait un chien, des odeurs bizarres me parvenaient, mais c'étaient celles des viennoiseries que je percevais par-dessus toutes les autres! L'adulte tira sur ma main et nous entrâmes par une porte vitrée. C'était une grande salle, très éclairée, ce qui m'assaillit tout de suite furent les senteurs, puis je vis tous les croissants, toutes les brioches et les gâteaux magnifiques!
Je crispai ma main sur celle de Rogue qui était tiède.
Une femme ronde, très ronde, séparée de nous par un énorme bloc de marbre nous souhaita le bonjour. Rogue et moi hochâmes la tête, puis il fallut m'avancer en même temps que lui.
-Oh, c'est pour ça toutes ces viennoiseries! Vous avez une fille, qu'est-ce qu'elle est mignonne!
Je tournai un regard interdit vers la dame, vraiment choquée. Pas besoin de tourner la tête pour sentir le rictus dégoûté de Rogue.
-Elle n'est pas ma fille; siffla-t-il.
L'autre adulte hocha la tête, un large sourire coupant le bord de ses grosses joues.
-Vous l'avez adoptée? C'est celle d'une de vos amies? Qu'est-ce c'est que ces bandages? Un accident sans doute, pauvre petite... Vous devriez la nourrir un peu plus elle me paraît beaucoup trop mince! Lâcha-t-elle d'un ton sonore, rapide, mais doux.
C'était incroyable, sa voix était forte mais moelleuse, comme de la crème pâtissière. La femme continuait:
-Et l'habiller un peu mieux, on n'a pas idée de faire porter à des petits bouts de choux comme elles des chemises d'écolière en plein mois d'août!
Rogue n'appréciait pas du tout, moi non plus en fait. Mais c'était la première personne que je rencontrais d'aussi étrange. Une moldue je sentais, mais pas dangereuse...
-Nous prendrons deux croissants; lâcha Rogue avant que l'autre adulte ne reprenne. Et... qu'est-ce que vous voulez, Lumare?
Il se pencha un peu vers moi, les doigts toujours accrochés aux miens, je pus déceler à la lumière crue de la pièce chaque détail de sa peau cireuse, de son visage, de ses rides et ses cernes. Je cillai, me détournai pour regarder tout ce qu'il y avait de proposé. La dame faillit reprendre la conversation, je la stoppai juste à temps:
-Et une brioche à la cannelle, s'il vous plaît madame.
C'état ma spécialité au manoir, je voulais savoir à quoi elles ressemblaient ici.
-Deux; grogna Rogue.
L'adulte hocha la tête, comme si elle pensait aussi que c'était mieux, puis en allant les chercher elle reprit comme si nous voulions qu'elle nous parle:
-Qu'elle est polie votre fille! C'est tellement rare, si vous saviez le nombre de jeunes qui ne savent plus dire merci ou s'il vous plaît de nos jours!
Elle mit une brioche dans son sac en papier, puis fit une pause pour raconter encore malgré l'exaspération du sorcier des ténèbres qui me tenait la main:
-Rien qu'hier je...
-Nous sommes pressés; cracha le professeur de potions!
C'était un mensonge et la dame fut contrariée, elle eut une moue qui modula tous les traits de son épais visage. Puis elle enfourna la deuxième brioche dans son sac, passa aux croissants.
-Vous savez qu'il faut prendre son temps en vacances, et laisser dormir les enfants qui ont besoin de sommeil! J'ai lu dans un journal très important qu'il leur fallait entre dix et douze heures pour avoir une bonne croissance et un esprit éveillé.
Elle finit juste d'enfourner les viennoiseries dans le deuxième sac et se mit à replier le haut tout en souhaitant continuer. Rogue l'interrompit, d'une voix doucereuse:
-Seriez-vous en train de critiquer mes méthodes d'éducation?
-Ce n'est pas...
Le sorcier des ténèbres était largement excédé, elle ne devait pas avoir autant parlé lorsqu'il était venu tout seul. Ou alors il l'avait utilisée pour obtenir les renseignements qui l'intéressaient au sujet de l'année 1987.
Quoi qu'il en soit il finit par lui ordonner de se dépêcher et paya en sortant des pièces d'une bourse en cuir. Je la fixai, soulagée... Il payait bien tout ce qu'il ramenait à la chaumière.
Rogue s'empara des sacs d'une main, reprit la mienne de force puis salua froidement et sortit.
J'avais des doutes sur le fait qu'il m'emmène de nouveau dehors et sur le fait qu'il retourne ici. C'était dommage leurs pains au chocolat étaient très bons!
Le dehors nous accueillit de nouveau et j'ouvris bien mes yeux pour ne rien rater de cet univers tellement étrange. Rogue marcha vite, puis ralentit un peu. Et juste avant de retrouver la ruelle sombre, j'aperçus soudain une machine rouge à quatre roues qui avançait toute seule! Cette ville moldue était incroyable...
L'homme en noir serrait les dents près de moi, contrarié. Je pouvais le distinguer même s'il n'y avait pas beaucoup de lumière là où nous nous trouvions.
-Elle parlait un peu trop; me risquai-je à grogner.
Un reniflement me répondit, amusé peut-être. La main se resserra sur la mienne et je ne comprenais pas pourquoi il me la tenait toujours.
-Professeur; appelai-je, je voudrais vous poser une question.
Nous étions à la moitié de l'impasse, dépassant un gros tube de métal vert sombre. Ma demande était peut-être dangereuse, je pouvais m'attirer sa colère. Mais j'avais besoin de comprendre, Rogue ne m'expliquait jamais rien de lui-même comme le faisait ma tante.
-Faîtes.
J'inspirai, gonflant mes poumons de cet air étrange, puis me lançai:
-Pourquoi est-ce que vous me tenez la main?
Mon regard bleu océan chercha aussitôt le sien, pour mesurer sa réaction. Il ne montra rien. C'était le pire, je ne savais pas ce qu'il pensait de mon insolence, s'il voulait me punir.
Enfin il entrouvrit les lèvres, j'étais crispée.
-Parce que, gamine, les villes aussi bien moldues que sorcières sont très dangereuses. Je ne vous laisserai pas vous éloigner.
Alors en me tenant la main il me protégeait encore?
J'écarquillai les yeux et les siens dévoilèrent quelque chose de doux, un tout petit instant. Puis il se détourna de moi, nous continuâmes à marcher. Me protéger, c'était sûrement un ordre du directeur, Dumbledore, mais Rogue y pensait tout le temps.
-Êtes-vous prête? Demanda-t-il après avoir observé la ruelle et chaque fenêtre qui se trouvait de notre côté.
J'acquiesçai, nous transplanions l'instant d'après. Evidemment il relâcha ma main bandée dès que nous posâmes un pied sur le sable. Je faillis tomber, retrouvai mon équilibre et m'empressai de le suivre comme lui était déjà reparti. Il marchait à grand pas, je retrouvais l'odeur de la mer, de la plage. Notre maison n'était pas loin.
Au petit-déjeuner je fus obligée de manger mes deux brioches à la cannelle, très bonnes, mais c'était en trop les raies de sucre blanc du dessus. Ensuite comme d'habitude nous partîmes lire -travailler- dans le laboratoire de la cave que nous ne quittâmes que pour que Rogue s'occupe du déjeuner. Puis lecture et activité tranquille dans le salon avant qu'il ne soit seize heures et que je puisse enfin retourner dans ma forêt. Après le dîner que je n'avais plus le droit de préparer, lecture au coin du feu, je fus envoyée me coucher un peu plus tard que la veille; mais me réveillai toujours en sursaut lorsqu'il ouvrit la porte de ma chambre le lendemain matin.
-Cinq minutes, Lumare! Grogna-t-il avant de la refermer.
Un sourire joyeux m'échappa, je m'empressai de m'habiller d'une chemise, d'un pantalon, m'occuper de ma chambre et de mon lionceau, me brosser les cheveux avant de courir jusqu'au salon les chaussettes à la main. Rogue grogna mais j'étais tellement heureuse qu'il m'emmène encore!
Le jour d'après aussi il entrouvrit ma porte vers six heures et demie, puis le jour suivant, le suivant du suivant... Tous les matins il jetait un coup d'oeil dans ma chambre et comme cela me réveillait toujours j'avais le droit de sortir avec lui dans les villes moldues. Il m'en fit découvrir beaucoup parce qu'il disait que rester trop longtemps client d'une même boutique était dangereux.
Nous rencontrâmes des "boulangères" grosses, grandes, très maigres, accueillantes ou non, très bavardes ou à peine moins, un "boulanger" une fois. J'eus le droit de tester tout ce que je voulais, la torsade au chocolat, la brioche tressée, le muffin, le scone, le chausson aux pommes, le chausson à la rhubarbe...
Rogue prenait des croissants invariablement.
Au bout d'une semaine il me retira mes bandages, il n'y avait plus rien, aucune cicatrice! Même les plus profondes avaient disparues!
-Merci, professeur; murmurai-je vraiment sincère.
Rogue eut un rictus contrarié à cela et se détourna rapidement de moi et de mon lit pour aller jeter les bandages.
-Nous partons dans cinq minutes! Lança-t-il ensuite.
Je m'entraînai à ouvrir les mains, les refermer, mais parvins quand même à être habillée, coiffée, cinq minutes plus tard.
Après notre petit-déjeuner nous retournâmes au laboratoire. Rogue s'acharnait sur ses grimoires, sur ses parchemins, parfois il restait des heures à examiner la poudre qu'il avait prélevée dans la cheminée. Moi je ne pouvais me détacher de ces contes de Beedle le barde, c'était la quatrième fois que je les relisais. Mon front me brûlait à ces moments-là, mais je savais qu' ici se trouvait... la clef... Je savais...
Je croyais avoir trouvé quelque chose, évident, Hermione aurait dû le voir... Je relisais ce petit livre sans cesse. C'était le deuxième conte le plus important, le deuxième... La Fontaine de la Bonne Fortune. Il s'y trouvait le secret... de...
Mon ventre se rappela à moi tout à coup, grognant, et j'eus beau me recroqueviller dans mon fauteuil au bout du laboratoire Rogue l'entendit. Il finit par ranger ses travaux et m'appeler pour que je l'aide à préparer le repas. Les plats s'amélioraient, je trouvais, avec le temps.
Asha, Altheda, Amata et Sir Sanchance se dissipèrent dans le brouillard de mes pensées, je ne pensais plus qu'à la meilleure manière de ne pas déplaire à l'adulte, ainsi qu'à cet instant parfait de la fin du jour où l'air était encore chaud et où le soleil rougeoyant se dessinait entre les troncs des arbres de ma forêt... J'étais bien ici, un peu trop peut-être?
