Ce matin, bien que les clients aient été rares à la librairie, une bonne journée s'annonce. Il fait beau à Londres et les promeneurs entrent tout de même pour visiter, voire acheter. Les petites matinées comme celles-ci ne menacent pas notre chiffre d'affaires.

On pourrait croire qu'être le concurrent direct de Fleury et Bott pourrait nous mener à la faillite, mais ce qui fait notre succès, c'est qu'Hermione et moi avons réussi le pari fou de vendre des livres moldus à des sorciers. Ces ouvrages rencontrent un grand succès parmi la communauté magique. Nous sommes la seule librairie magique de toute l'Angleterre à proposer ce type de lecture.

Cet après-midi, je travaille en compagnie de notre employée, Wendy. C'est une femme charmante que ma sœur et moi avons embauchée dès l'ouverture du magasin. Nous avons eu la chance de tomber sur quelqu'un de compétent et d'agréable. Assise derrière le comptoir, je suis perdue dans mes commandes lorsque le tintement de la clochette résonne. La porte du magasin vient de s'ouvrir.

— « Madame, tu sais pas où est ma grosse nounou méchante et pas belle ? Je l'ai perdue... », demande un petit blondinet d'environ cinq ans.

Je lui demande où il l'a vue pour la dernière fois, mais sa réponse n'est pas très claire.

— « Écoute, bonhomme, tu vas rester avec moi et si on ne voit pas ta nounou d'ici là, j'enverrai un hibou à tes parents », proposé-je tandis qu'il acquiesce.

Il me demande aussitôt mon prénom avant de me donner le sien : William. N'ayant rien pour occuper un enfant de son âge, je réfléchis à une activité qui le contenterait.

— « Eh bien, William, tu seras mon assistant ! », il me sourit, visiblement heureux de pouvoir se rendre utile.

Je le porte et l'assieds sur le comptoir face à la porte. Dans un premier temps, je le charge de repérer sa nourrice.

L'après-midi passe vite, le petit William est un ange doublé d'un clown. Il nous aura fait beaucoup rire, Wendy et moi. Je le soupçonne même d'avoir vu passer sa nourrice et de ne rien avoir dit afin de pouvoir rester avec nous. Le début de soirée approchant, je récupère un rouleau de parchemin et une plume, que je trempe dans l'encrier face à moi. Je rédige une lettre à l'intention des parents de William, expliquant les circonstances de sa venue à la boutique

Afin d'envoyer la lettre, je vais chercher Rex, mon hibou, dans l'arrière-boutique. Il dort la tête sous son aile, alors je le réveille donc doucement en caressant son plumage. Monsieur se redresse et me tend négligemment la patte à laquelle j'attache mon parchemin. William me rejoint et je le laisse s'occuper du hibou, pendant que je range les étagères.

De mon rayon, j'aperçois Rex qui s'envole par la trappe prévue à cet effet. L'invention moldue qu'est la chatière, conjuguée avec de la magie, donne la « hibouxière », une trappe ne s'ouvrant que lorsqu'un hibou s'en approche selon une trajectoire précise.

William vient me rejoindre pour m'aider à réapprovisionner les étagères en livres. Il en profite pour m'annoncer que son papa va venir le chercher et qu'il n'a pas de maman, « histoire que tu ne dises pas de bêtise ». Je souris face au franc-parler de ce petit bout.

Plusieurs longues minutes plus tard, la clochette de l'entrée retentit, accompagnée d'un « Il y a quelqu'un ? Je viens chercher mon fils. Hé ho ! », très pressé. William se précipite à la rencontre de son père. D'un coup de baguette, je jette un dernier sort de rangement avant de le rejoindre. L'homme blond, est penché vers son fils et semble contrarié. Je constate que William se lance dans de grandes explications, agrémentées d'un « C'est une nounou grosse, méchante et pas belle ! », mais rien n'y fait, son père est fâché.

— « Drago Malefoy ! », m'écrié-je. « Ben ça alors, t'es papa ! ».

L'homme lève la tête vers moi et son visage se ferme.

— « Hermione Granger. Ben ça alors, t'es un rat de bibliothèque ! », répond-il, acerbe.

— « Elle c'est May et c'est pas un rat ! C'est une dame ! », gronde William avant de bouder.

— « C'est exact, William ! Pour ton information, Malefoy, je suis la sœur d'Hermione. »

— « Granger n'a pas de sœur. »

Je pousse un soupir avant de me lancer dans des explications : je détestais ma sœur et détestais lui ressembler. C'est pour ça j'ai fait tout mon possible pour le camoufler, choisissant de corriger mes problèmes de vue avec des grosses lunettes et en portant une frange qui me bouffaient la moitié du visage. Monsieur Drago Malefoy me dévisage, visiblement peu convaincu par mon discours.

— « Je n'étais pas dans la même maison et pour ton information, j'étais à l'infirmerie en même temps que toi quand tu as attaqué Buck et qu'il s'est défendu », déclaré-je, et pour lui remémorer ce souvenir, je l'imite en exagérant ses mouvements : « Aaah, aah, je vais mourir, je vais mourir, aah aah. MON PÈRE EN ENTENDRA PARLER ! »

Drago se braque immédiatement, son visage se tord de colère.

— « Je n'ai pas attaqué l'hippogriffe, sang-de-bourbe. »

Je recule d'un pas, blessée par ses mots, presque comme s'ils m'avaient frappée physiquement. Cela faisait longtemps que je ne les avais plus entendus, deux ans pour être précis, depuis la fin de la guerre. Un silence tendu s'installe.

— « C'est quoi une sang-de-broubre ? », demande innocemment William, piqué par la curiosité.

Je déglutis, essayant de garder mon calme, tout en fixant Drago Malefoy des yeux.

— « C'est un mot méchant qu'on dit aux gens qui ont des parents moldus, comme moi », réponds-je sans lâcher Malfoy des yeux.

William écarquille les yeux, bombe le torse et lève son index avec un air aussi sévère que possible.

— « Papa, on ne dit pas des gros mots aux filles ! Tu es méchant ! », gronde-t-il en essayant d'être convaincant. Il se tourne vers moi et me tend ses petits bras pour un câlin.

Je le prends dans mes bras et lui fais un bisou sur la joue.

— « Il est méchant, papa ! Je l'aime plus ! Je veux un autre papa ! », dit-il en ignorant royalement son père et en enfouissant sa tête dans mes cheveux.

— « Tu ne peux pas mon petit chat », murmuré-je doucement, le berçant contre moi.

— « Zut ! »

Drago Malefoy soupire profondément, et devant son air pincé, je repose William à terre. Il prend son fils boudeur dans ses bras, son expression adoucie par l'épuisement.

— « Je reviens ici demain ! May, c'est ma nounou, gentille et belle. », déclare William.

— « Non, William », tonne Drago.

Le petit garçon change d'attitude aussitôt et supplie son père du regard, avec une moue adorable. Drago inspire profondément et lève les yeux vers moi. J'acquiesce d'un signe de tête, résignée. Même si le père est odieux, le fils est adorable.

— « C'est bien parce que je t'aime, fiston… », soupire-t-il. « Mais s'il y a le moindre problème, Granger, tu auras affaire à moi ! ».

Sur ce, il quitte la boutique et transplane. Au même moment, Rex s'engouffre dans la pièce et hulule, mécontent. Je soupire en caressant doucement le plumage de Rex.

— « Et toi, si tu me fais d'autres misères, tu auras affaire à Rex », murmuré-je pour moi-même. « Hein, mon beau ? ».

L'animal se détend sous mes caresses, et je réfléchis à ce que je viens de faire… Lorsque Hermione saura que je suis la nounou du fils Malefoy, elle va faire une syncope ! Je ris doucement à cette pensée.

Comme prévu, Hermione m'a fait une scène monumentale, mais dès le lendemain, lorsque Malefoy est arrivé avec son fils, elle a rangé sa rancœur. William est un amour et sa bouille d'ange l'a tout de suite fait craquer. Quel tombeur !

Malefoy et moi n'avons que très peu d'échanges, nous nous disons à peine bonjour, bien qu'il m'assaille de consignes pour s'occuper de son fils : « Pas de bonbons, n'oublie pas la sieste, s'il fait une bêtise : gronde-le et préviens-moi… ». Au départ, gérer la librairie et le baby-sitting était assez compliqué, mais nous avons vite réussi à mettre un planning en place. L'avantage, c'est que nous sommes toujours deux dans la boutique et que mon appartement est situé juste au-dessus de la librairie.

Le seul souci, c'est que le petit ne sort pas beaucoup. Il reste enfermé presque toute la journée et ça me désole. J'essaye au maximum de l'emmener en promenades, mais ce n'est pas toujours évident. Son père ne cesse de me rassurer en m'expliquant que ce n'est pas grave parce qu'il a toute la place qu'il veut au manoir, mais cela m'embête tout de même.