Chapitre 11

Ils apparurent dans une masure sombre et poussiéreuse.

-Trop risqué; murmura Rogue avant de leur demander de s'accrocher.

Ils transplanèrent plusieurs fois, dans une ruelle déserte et sombre, une plaine glaciale, une cabane délabrée, ils finirent dans une forêt, qui ressemblait étrangement à la forêt de Dean. Là, Severus les lâcha et pointa sa nouvelle baguette vers elles. L'effet de la poudre se dissipa. Winky apparut, les oreilles frétillantes, un grand sourire sur tout le visage. Khorine haletait, pliée en deux, le front en sueur et le visage blême. Elle releva pourtant la tête et lui fit un petit sourire qui illumina un moment l'océan dans ses yeux.

-Winky, feras-tu une dernière chose pour moi?

-Winky vient avec vous, Maître!

Il cligna des yeux, et les baissa sur son elfe.

-Tu es libre à présent.

Les grands yeux de l'elfe se mouillèrent de larmes.

-Maître… Winky veut rester avec le Maître. Winky fera tout ce que le Maître demandera!

Il y eut un moment de silence, où l'elfe levait un regard désespéré vers le sorcier, les mains jointes et où Khorine n'entendait plus rien et finit par s'agenouiller doucement dans l'herbe. Elle n'entendit pas ce qu'ils se dirent, mais finalement l'elfe disparut dans un craquement et elle fut seule avec Severus. Elle le sentit, plus qu'elle ne le vit, s'agenouiller dans l'herbe verte à ses côtés. Il lui releva le visage des deux mains et ses yeux de nuit se rivèrent aux siens. Son cœur battit plus vite. Il lui demanda d'inspirer, lentement, d'expirer, de faire le vide dans son esprit. Elle n'avait plus de force dans ses bras et ne pouvait même pas en lever un jusqu'à lui. Elle tenta de s'expliquer mais il la fit taire, un doigt sur ses lèvres. Ils restèrent ainsi, agenouillés dans la forêt, jusqu'à ce que la respiration de Khorine se fut apaisée. Ses yeux restèrent fermés un long moment. Elle sentait la sueur de Severus, la moisissure des murs suintant de sa prison, et puis son odeur qui s'insinuait dans ses narines.

-Je me suis échappée de Ste Mangouste; murmura-t-elle dans un sourire, George a pris ma place.

Elle rouvrit les yeux. Severus la fixait avec une violence muette. Khorine perdit aussitôt son sourire.

-… Je suis désolée… J'aurais dû te prévenir. Je sais que tu ne me pardonneras… jamais… Severus, je voulais juste en finir. Je n'en pouvais plus. Ils étaient toujours morts, devant mes yeux, et le sang… Il fallait… Je voulais… Je voulais vous protéger, tous ceux encore en vie, et toi. Je suis vraiment désolée; finit-elle et sa voix se brisa.

Le sorcier ne répondit rien, mais son regard quitta brusquement celui de Khorine pour tomber sur son avant-bras gauche. Il lui souleva la manche et ses mâchoires se crispèrent à la vue de la peau souillée. Le silence s'étendit. Khorine pouvait tout juste se concentrer pour maintenir stables les battements de son cœur.

Après de longues minutes, Rogue sortit sa baguette de raffleur et la posa sur la peau de la sorcière. Il ne fallut que quelques mots, quelques secondes, et les deux derniers liens magiques de son serment d'apprentissage se brisèrent. Deux cicatrices nacrées apparurent au milieu de la peau nécrosée. Severus les fixa sans un mot.

-Severus, je suis désolée.

Deux larmes échappèrent à la sorcière et tombèrent sur son avant-bras gauche. Severus se tut.

Khorine n'osa plus rien dire et se concentra pour ravaler ses larmes. Il ne voulait plus lui parler, mais au moins, il était libre, il allait quitter l'Angleterre. Il allait partir… Elle ne le reverrait peut-être plus jamais. Ah, les larmes lui remontaient aux yeux… Un bruit sec la fit tressaillir, Winky était de retour avec une grosse valise. Et, brutalement, les mains de Severus ne lui maintenaient plus le bras, son odeur s'évanouit, et elle avait froid. Il était parti rejoindre son elfe. La douleur de Khorine était telle qu'elle ne parvint qu'à relever les yeux vers lui.

-Où… est-ce que tu iras? Tenta-t-elle d'une voix faible.

-Loin d'ici; fut tout ce que le sorcier lui offrit, avant d'ordonner à son elfe de la raccompagner à Ste Mangouste et de le rejoindre plus tard.

Il transplana l'instant d'après et, juste comme ça, Severus la quitta. Elle sentit son cœur se briser, et ce fut trop, elle perdit connaissance. Winky la ramena à Ste Mangouste. George l'aida à porter la sorcière inconsciente jusqu'à son lit, ils la bordèrent, puis le dernier des jumeaux remercia l'elfe et celle-ci disparut. Il resta dans la chambre, debout, à fixer Khorine, jusqu'à ce que l'effet du Polynectar se dissipe. Alors il soupira, et quitta la chambre.

oOo

Lorsqu'elle se réveilla bien plus tard, elle ne comprit pas tout de suite pourquoi elle se sentait vide. Ensuite les souvenirs lui revinrent, et ce fut pire que tout.

Il était parti, elle ne le reverrait plus jamais… Ils avaient passé une année ensemble, à vivre dans les mêmes appartements, elle avait dormi avec lui, s'était blottie contre son corps chaud, il s'était enfoui en elle et elle s'était sentie entière, elle lui avait fait confiance et son monde s'était mis à tourner autour de lui. Il était là à son réveil, la serrant dans ses bras, là à table, devant son chaudron, dans la Grande Salle, devant la cheminée le soir et toujours là quand elle s'endormait tout contre lui. Ses regards intenses l'avaient brûlée, ses mains chaudes, son aura iridescente, son odeur, ses lèvres, son corps…

Khorine ferma les yeux.

Elle ressentait le manque, comme une partie d'elle qu'on lui aurait arraché.

Pourtant, elle ne l'aimait pas.

Elle en était sûre.

Elle avait voulu le protéger, comme on protège un allié. Elle avait fait ses plans sans lui, elle l'avait utilisé, lui et son corps, pour tromper le froid qui la glaçait. Tout s'était passé si vite, elle était montée dans son lit, il avait été attentionné et ses mains chaudes l'avaient réchauffé; un peu, quelques temps.

Au fond d'elle il n'y avait rien eu qu'un brouillard sans fin. Elle n'aurait pas même été capable de l'aimer…

Lui aussi s'était servi d'elle, pour assouvir ses pulsions, parce qu'il la désirait malgré lui. Oui, elle lui avait caché son plan, mais elle ne lui devait rien. Il avait tiré des bénéfices de leur… association.

Et ce vide qu'elle avait en elle, c'était le manque de l'habitude. Elle s'en remettrait.

Le matin-même, le professeur McGonagall entra en trombe dans sa chambre et lui annonça que Severus s'était évadé. Khorine, le teint gris, eut une ombre de sourire. Minerva écarquilla les yeux. Quelque chose passa sur les traits de la vieille écossaise, puis elle s'approcha et lui serra la main, fort.

-Que diriez-vous d'une tasse de thé?

-Je ne dis pas non; murmura Khorine le regard un peu vide.

Minerva fit apparaître une théière, deux tasses, des tritons au gingembre et un petit pot à lait sur un plateau en argent. Avec effort, Khorine se redressa contre ses oreillers et les deux sorcières savourèrent leur thé. Khorine sentit, par intervalles, un regard doux posé sur elle, qui la réchauffait bien plus que les bras de Rogue.

oOo

Elle resta quelques jours de plus à l'hôpital, puis fut autorisée à sortir à conditions de revenir trois fois par semaine pour sa rééducation. Mme Weasley, avec Ginny et George, étaient là pour la soutenir, faire reculer les journalistes, et l'emmener directement au Terrier.

On lui donna l'ancienne chambre de Ron.

Il y avait au mur des affiches des Canons de Chudley, des Harpies, le fanion de Gryffondor, et sur le bureau un échiquier avec des pièces qui ronflaient, et des chaussettes sales qui semblaient jetées là la veille seulement.

Elle pleura sur son lit, les larmes dévalant le long de ses tempes, s'étouffant dans ses sanglots.

Lorsqu'elle fut appelée pour le déjeuner, elle partit se passer de l'eau sur le visage, mais ses yeux rouges ne trompèrent personne. Après déjeuner, Mme Weasley lui demanda de l'aide avec des pommes de terre, et Khorine se rendit compte qu'elle ne pouvait pas même en éplucher une, ses mains ne lui obéissaient pas; alors George et Ginny proposèrent de voler un peu, elle prit le vieux Nimbus de Ron, parvint à maintenir une poigne suffisante et s'éleva haut dans le ciel. Le vent froid effaça même ses pleurs.

M. Weasley rentra du Ministère tard le soir, l'épuisement usant ses traits. Elle n'avait jamais remarqué les cheveux blancs à ses tempes; et une étincelle avait disparu de ses yeux. Il eut un sourire fatigué pour elle et lui souhaita la bienvenue.

Puis il y eut le dîner, elle ne mangea pas grand-chose, peinant à tenir ses couverts, et s'excusa après le dessert. Elle partit s'enfermer dans la chambre de Ron, se laissa tomber sur son lit et resta ainsi, les yeux ouverts, pleurant ou respirant et elle se sentait faible, et vide, et elle ne voulait inquiéter personne, mais rester dans le salon avait été au-dessus de ses forces, elle aurait dû aider à débarrasser ou à faire la vaisselle, elle aurait dû se comporter comme avant, qu'était-elle en train de faire? Elle était enfin libre, elle était en sécurité, elle était chez la seule famille qui lui restait et elle les aimait tous, elle s'était sacrifiée pour eux!

Khorine se contenta d'expirer et ne trouva pas même la force de se retourner sur le ventre, elle resta là, à fixer l'affiche des Canons et des larmes lui échappèrent encore.

Le lendemain, Ginny la tira du lit et une fois qu'elle fut debout, autant la suivre jusqu'à la cuisine… Elle sursauta violemment quand une chouette s'écrasa contre la fenêtre. La baguette tirée, elle haletait.

-Oh, ce n'est rien Khorine chérie. Juste quelques chouettes autour de la maison.

-Maman! Le jardin est couvert de fientes; l'appela Ginny depuis la porte d'entrée.

Mme Weasley grommela quelque chose de peu flatteur pour Merlin, puis sortit de la cuisine pour inspecter les dégâts. Son cri horrifié laissa peu de doute à George et Khorine. Ce dernier avait le nez dans son bol de lait et mâchonnait une brioche, Khorine tentait juste de retrouver son souffle.

-Pourquoi est-ce qu'il y a autant de chouettes?

George grogna et avala, avant de répondre:

-Ils ont trouvé où tu habites.

-Pardon?

-Mouais… Rapport à Voldemort, tout ça. Tu devrais lire la Gazette. Ils t'appellent «la Survivante».

Le choc fit blêmir la sorcière. Elle s'effondra sur une chaise en face de lui. George lui tapota gentiment la main, avant de se servir une autre petite brioche. La Gazette se trouvait en bout de table, à la place de M. Weasley. Elle la fit léviter jusqu'à elle et l'ouvrit. Un long tissu de mensonge s'étalait sur les premières pages du journal. Elle aurait vaincu Voldemort en combat singulier avant de brûler vivants tous les mangemorts du premier cercle. Il n'était fait mention de Severus nulle part, ni de l'Ordre. Elle fit brûler le journal.

-Hmm… C'est pas faux…

Molly entra en trombe dans la cuisine, baguette au poing et les appela tous les deux. Il fallait réarranger les barrières magiques pour que même ces volatiles ne puissent plus s'approcher. Ils y passèrent la matinée.

-Au fait, George, tu n'es pas au magasin?

Il haussa les épaules:

-J'ai pris des vacances.

Khorine eut un petit sourire pour lui et une étincelle passa brièvement dans son regard.

Dans l'après-midi, elle partit à Ste Mangouste, accompagnée de Mme Weasley, qui avait insisté. Quelques journalistes leur sautèrent dessus.

-Quelques mots pour la Gazette!

-Pouvez-vous nous raconter votre combat contre Vous-Savez-Qui?

-Comment…

Les portes se refermèrent derrière elles. Elles ne se dirent pas un mot et continuèrent jusqu'à la salle de rééducation. Déserte, blanche, lumineuse, l'un des murs entièrement recouvert de miroir, des tables, des instruments et des barres de maintien un peu partout. Un médicomage et une infirmière les accueillirent, ils lui donnèrent différents exercices, étudièrent chaque muscle, nerf, veine, du bout de ses doigts jusqu'à son coude. Le médicomage finit par hocher la tête:

-Après quelques mois d'efforts vous pourriez réussir à retrouver une préhension grossière.

-C'est tout? Demanda la jeune femme d'une petite voix.

-Ce serait déjà impressionnant, considérant les dommages que vous avez subi.

Khorine hocha la tête, puis la détourna le regard flou, avant de murmurer:

-Je suis apprentie potionniste.

Il y eut un silence… Un lourd silence. Molly lui posa une main chaude sur l'épaule:

-Il y a forcément quelque chose à faire!

Il n'y avait rien à faire. Les nerfs qui permettaient de contrôler finement sa main gauche étaient nécrosés. C'était fini.

Elle sortit de l'hôpital le regard vide.

Maintenant qu'elle y pensait… Elle n'était même plus apprentie potionniste, Severus avait brisé leur serment…

Elle entra dans une sorte d'état apathique et la brume qui avait tenu une année dans ses yeux se dissipa, et laissa place au vide. Elle pleurait souvent, n'avait plus de force, plus d'envie, ne dormait plus, se forçait à manger le strict minimum.

Neville et Luna vinrent la visiter au Terrier. Elle eut un sursaut de vie, une lueur lointaine dans les yeux. Ils lui racontèrent ce qu'ils avaient fait l'année dernière. La lueur s'éteignit. Seamus et Hagrid étaient morts ensemble au cours d'une mission. Elle n'avait pas voulu demander, pas voulu savoir, juste pour pouvoir espérer qu'elle les reverrait peut-être un jour.

Luna finit par tapoter le bras de Neville, l'interrompant au milieu d'une phrase.

-Nous devrions revenir plus tard.

-Mais je…

Ils se levèrent tous deux, et Khorine ne le remarqua pas. Elle fixait le vide, qui se reflétait à l'infini dans ses yeux océan.

Les jours passèrent, des montagnes de lettres, de cadeaux et de chocolats s'amoncelaient autour du Terrier et les voisins durent être oubliettés,les exercices de réadaptation ne donnaient rien, les journalistes campaient dans le hall de Ste Mangouste pour une photo, ou une interview qui ne venait jamais, les Weasley s'inquiétaient pour elle, Neville et Luna venaient la voir deux fois par semaine.

-Tu pourrais venir aider à la boutique, je rouvre bientôt.

Khorine leva ses deux mains sans même le regarder:

-Comment pourrais-je t'aider? Murmura-t-elle d'une voix atone. Je ne peux pas tenir quoi que ce soit…

-Tu pourrais…

George s'arrêta à temps, et n'insista pas.

Le temps passa.

Elle regardait souvent ses mains, la gauche qui tremblait, la droite un peu tordue. En perdant le contrôle de ses mains, elle avait perdu les potions, elle avait perdu sa passion, elle avait perdu son futur, elle avait perdu le dernier lien qui la reliait à Severus.

Elle se rappelait bien sûr, le polynectar de leur deuxième année, les premiers caramels vomitifs avec Fred, ses essais pour les nougats néansangs et les berlingots de fièvre, ses tests pour les réglisses aiguise-méninge, ses soirées devant son chaudron et les volutes qui ondulaient devant ses yeux fatigués, ses discussions avec Fred et George, les O sur ses devoirs de Potions, et puis l'année enfermée à Poudlard, à travailler sans relâche, le nez plongé dans des grimoires rares, à parler avec Severus. Tout ça, fini, à jamais.

Elle avait aimé les potions.

Elle avait été douée pour les potions.

Et la guerre était finie.

Elle n'était plus bonne à grand-chose.

Ses meilleurs amis étaient morts.

La plupart de ceux qu'elle avait aimé étaient morts.

Severus était vivant, peut-être, mais elle ne le reverrait jamais. De toutes façons, il ne pourrait jamais plus poser le pied sur le sol anglais, à moins de vouloir retourner à Azkaban pour y être exécuté.

Les semaines passèrent.

Et puis un soir, M. Weasley tendit une lettre à Ginny et trois lettres à Khorine.

-Je fais le postier moldu; se fendit-il d'un demi-sourire.

La première lettre de Khorine, comme celle de Ginny, portait le sceau de Poudlard. Elle était appelée à y retourner pour passer ses ASPICS. Quelque chose de gelé se répandit en elle.

-Je n'irai pas là-bas; lâcha-t-elle d'une voix blanche.

-Lis plus bas; marmonna Ginny, ils proposent, plutôt que de revenir pour une septième ou une huitième année, d'étudier à la maison et de ne venir à Poudlard que pour les exercices pratiques et les potions.

Khorine blêmit un peu plus.

-… Il y aura une première session pour nos ASPICS en décembre, et une session de rattrapage en juin, si besoin. Je pense que je vais opter pour l'étude à la maison. Qu'est-ce que tu en penses?

-Je ne pourrais pas passer les potions.

Ginny lâcha sa lettre des yeux pour regarder droit dans ceux de Khorine. On y voyait une rage froide.

-C'est pas bientôt fini? Essaye, rate, quelle importance? Tant que tu passes. Et même, tu n'as qu'à demander à être exemptée, tu es «la Survivante» après tout.

Khorine reçut ces derniers mots comme des coups de poings dans le ventre. Elle resta immobile et muette, et deux larmes silencieuses lui échappèrent. Ginny se décomposa:

-Ce n'est pas ce que… Je suis désolée, je…

Khorine haussa les épaules et allait se détourner. Ginny la retint.

-Pourquoi est-ce que tu pleures encore? Ils sont morts! Il y a plus d'un an! C'est trop tard…

La voix de Ginny se brisa.

-Arrête avec tes yeux vides, arrête de te retourner comme s'ils allaient entrer dans la pièce, de fixer les endroits où ils avaient l'habitude d'être, de sourire à des blagues que Fred ne fera plus jamais, de relever la tête comme Hermione, d'hausser les épaules comme lui! Arrête!

Elle la tenait trop fort et la secouait, et son visage rouge de colère se mouillait de larmes.

-Ils sont morts… Pourquoi tu as leurs ombres avec toi? Pourquoi j'entends des échos de leurs voix dès que tu ouvres la bouche?

Khorine souriait tristement et finit par se rapprocher, et malgré la poigne de Ginny, elle entoura la sorcière de ses bras, l'amena alors qu'elle criait encore à poser sa tête contre son épaule. Ginny fut parcourue de sanglots incontrôlables et elle finit par s'accrocher à Khorine en pleurant des mots incompréhensibles et hoquetant et gémissant sa douleur. Khorine lui caressait doucement les cheveux.

Elle avait été si égoïste dans sa douleur. Elle n'était pas la seule à souffrir, il y avait des gens qui comptaient sur elle, qu'elle devait protéger.

Ginny finit par s'écarter et s'essuyer les yeux. Elles n'échangèrent plus une parole mais Khorine hocha gentiment la tête et son amie se détourna et quitta le salon. Elle croisa son père dans la cuisine qui lui adressa un petit sourire. De nouvelles larmes menacèrent de lui échapper, Ginny s'empressa de s'enfermer dans sa chambre.

Quant à Khorine, seule dans le salon, elle récupéra les lettres tombées à terre et s'assit face à la cheminée froide. Ses yeux n'étaient plus aussi vides…

En plus des deux lettres de Poudlard pour Ginny et elle, Khorine tenait une lettre faite de papier grossier. Pour Miss Khorine Lumare… Ce style d'écriture lui rappelait quelque chose. Elle la décacheta. Malfoy. Il lui demandait de témoigner à son procès devant le Conseil de la Justice Magique.

Elle ne savait que penser de cette lettre. Alors elle ouvrit la dernière, portant le sceau du Ministère.

Elle était appelée à prendre la chaire de la famille Lumare au Magenmagot.

Toutes les familles de Sang-Purs avaient une chaire au Magenmagot. Elle avait oublié.

Devait-elle accepter? Elle ne ressentait pas grand-chose à cet instant. Les émotions comme des vagues échouaient contre ses barrières mentales. Pourtant, il fallait qu'elle prenne la relève de sa grand-mère; et elle ne pouvait pas laisser Malfoy mourir… Il n'avait rien fait de mal, il était juste né du mauvais côté de la guerre.

Harry l'aurait sauvé. Comme cette fois-là, dans la Salle sur Demande.

Le silence se fit. Elle inspira, expira, ferma les yeux; lorsqu'elle les rouvrit, l'océan de ses prunelles était brûlant de détermination.

oOo

Deux semaines plus tard, le procès des Malfoy eut lieu. La journée commença tôt pour Khorine, qui rencontra leur avocat, Maître Ryles, et répéta plusieurs fois ce qu'elle devrait dire au jury.

L'ensemble des sorciers et sorcières de Grande-Bretagne semblait s'être donné rendez-vous dans l'atrium du Conseil de la Justice Magique. Le brouhaha était intense et les flashs des appareils photos crépitaient. Khorine aperçut le professeur McGonagall dans la foule mais resta sur le banc des témoins. Elle était la seule sur le banc des témoins…

Au centre de la pièce, se dressait une cage sinistre en fer forgé, près de laquelle l'avocat des Malfoy attendait sans bouger, sur les côtés se trouvait le banc des juges, et juste en face le bureau du président de la Cour de Justice magique; M. Richard Staines. Des montagnes de dossiers et de parchemin s'empilaient sur le bureau et tout autour. Plusieurs aurors protégeaient le périmètre central, incluant le bureau, la cage et les bancs, le reste était plein à craquer de spectateurs. Soudain, un mouvement parcourut la foule et des chuchotements s'élevèrent, Staines fit son entrée. Il s'installa à son bureau. Le silence se fit. Ils firent bouger un lourd système de chaînes sous le fond de la cage, et Draco apparut soudain derrière les barreaux. Il était émacié et ses yeux gris étaient aussi impassibles qu'il le pouvait.

Elle aurait pu le sauver, le soir où elle était venue chercher Severus…

Un lourd murmure s'éleva et des flashs crépitèrent encore. Staines frappa de son marteau pour demander le silence.

-Prisonnier 62111, vous vous tenez devant le Conseil de la Justice Magique accusé d'appartenir au groupe terroriste des mangemorts, d'avoir été fidèle à… Vous-Savez-Qui, et d'avoir torturé et tué des moldus et des sorciers. Que plaide l'accusé?

L'avocat s'avança alors, devant le président de la Cour, les juges, le public, et annonça qu'il plaidait non coupable. Il se lança alors dans un plaidoyer plein de verve. Le public suivait le moindre de ses mots. Les Malfoy avaient-ils réussi à se payer le meilleur avocat de la cour? Khorine eut un petit rictus.

-J'appelle à comparaître notre unique témoin, Miss Khorine Lumare.

Les flashs explosèrent. Khorine se tint droite, se concentra sur une respiration lente et profonde.

-Miss Lumare, commençons par le commencement, quelles sont vos relations avec M. Malfoy ici présents?

-Nous étions de la même année à Poudlard, et nous ne nous appréciions pas spécialement.

-Pourtant il vous a demandé de témoigner à son procès.

-Oui.

-Très bien, et il semblerait que malgré votre inimitié vous vous connaissiez bien. Par exemple, savez-vous quand M. Malfoy a pris la marque?

Khorine crispa les mâchoires.

-L'été juste avant notre sixième année à Poudlard.

-Eté 1996, donc. Comment le savez-vous?

-Nous étions… avec mes amis… sur le Chemin de Traverse et nous avons aperçu Malfoy et sa mère au loin. Harry voulait les suivre. Nous les avons espionnés par une fenêtre et, à un moment, Draco a soulevé sa manche et nous avons aperçu le serpent de la marque des ténèbres.

Des murmures agitèrent la foule.

-Pourtant, un étudiant de Poudlard de 16 ans semble bien jeune pour prendre la Marque…

-Je pense, avec le recul, que Voldemort…

La foule réagit violemment à ce nom. Mais Khorine continua sans y prêter attention:

-… avait donné une mission à Draco cet été-là, tuer le professeur Albus Dumbledore.

Il y eut des remous dans la foule qui réagissait comme des vagues dans la tempête.

-Silence dans la salle!

-A-t-il tué le professeur Albus Dumbledore? Reprit l'avocat.

-Non.

Khorine raconta ses différentes tentatives et conclu en disant qu'elles avaient toutes échouées parce qu'il n'avait jamais eu l'intention de tuer le directeur.

-Draco n'est pas un tueur; conclut-elle Je pense qu'il n'a jamais tué qui que ce soit.

-Il semblerait même qu'il ait tenté d'entraver les plans de Vous-Savez-Qui. Qu'en pensez-vous?

-Je pense que n'importe quel enfant né dans la famille Malfoy n'aurait pas eu le choix. Il était voué à prendre la Marque ou mourir. Mais il a refusé de tuer le professeur Dumbledore. Et il a sauvé la vie d'Harry Potter.

La déclaration fit un tel effet qu'il fallut plusieurs minutes pour calmer la foule. L'avocat étudiait les visages tournés vers eux, l'effarement et l'excitation qui parcouraient les bancs. La Survivante était douée pour les révélations choc.

-Pourriez-vous nous en dire plus?

-Nous avions été arrêté par des raffleurs ce jour-là, et avions juste eu le temps de jeter un maléfice de défiguration à H-Harry, avant d'être amenés au manoir des Malfoy. Leur famille était en disgrâce, ils avaient besoin d'apporter une bonne nouvelle à Voldemort. Alors, M. Malfoy a appelé Draco… Il lui a dit que tous leurs problèmes pourraient être résolus, s'ils étaient ceux qui lui remettaient le Survivant. Il lui a demandé de le regarder attentivement… Ils se sont regardés droit dans les yeux. Et les yeux verts de… du Survivant, sont reconnaissables entre tous, même dans un visage déformé. Et ses cheveux, … Pourtant; lança Khorine plus fort en se tournant vers le jury, Malfoy a refusé de l'identifier formellement. Il avait l'air terrifié. Mais il a refusé de le livrer à Voldemort.

Elle haletait à présent, et dû fermer les yeux et inspirer lentement plusieurs fois avant de reprendre:

-De plus, lorsque nous nous sommes échappés, Malfoy nous a laissé reprendre nos baguettes sans rien tenter.

L'excitation gagna la foule et les chuchotis se transformèrent en vacarme et les flashs crépitèrent, et Khorine pâlit mais ne broncha pas, seule sur le banc des témoins, de l'autre côté de la marée humaine. L'avocat se tourna une dernière fois vers la Survivante, hocha légèrement la tête, puis demanda:

-Voudriez-vous ajouter quelque chose, Miss Lumare?

Khorine n'en pouvait plus, mais elle releva la tête, une dernière fois, et haleta:

-Le seul tort de Malfoy… c'est d'être né dans une famille asservie à Voldemort. Si vous le jugez, aujourd'hui, sur ce seul crime, vous ne vaudrez pas mieux… que ceux qui méprisaient des enfants Nés-Moldus… Il n'était pas du côté de Voldemort… Il n'a tué personne… Il a sauvé le Survivant… Il n'a que 18 ans… Il a été enfermé à Azkaban… pendant plusieurs semaines… Regardez-le!

Des centaines de visages se tournèrent vers l'héritier des Malfoy, livide et maigre, les yeux presque vides. Khorine avait la tête qui tournait. Elle se força à inspirer, expirer, inspirer… Expirer… Ses ongles s'enfoncèrent dans le bois du banc. Elle tiendrait, coûte que coûte, jusqu'à la fin du procès… Elle ferma les yeux, n'entendit plus grand-chose, les questions n'étaient plus pour elle… Le jury s'enferma dans une salle attenante pour délibérer. Malfoy fut gracié le jour-même.

Khorine sourit.

Trois jours plus tard, Narcissa Malfoy était relâchée. Deux jours après Lucius Malfoy était condamné à dix ans fermes à la prison d'Azkaban.

Peu de temps après, comme convenu, Khorine était conviée au manoir Malfoy.

Elle fut accueillie par une elfe de maison qui la conduisit jusqu'à une grande pièce où trônait un bureau doré. Malfoy semblait un peu moins pâle et se leva de son siège, imité par son avocat. Khorine s'avança vers eux. Ils prirent place dans leurs fauteuils.

-Lumare.

-Malfoy.

-Miss Lumare.

Khorine hocha la tête. On lui servit un verre de whisky. Elle y trempa ses lèvres, sans se départir d'un tout petit sourire suffisant. Ce qui fit finalement grogner l'héritier des Malfoy:

-Demandez à une Gryffondor de témoigner.

-J'ai été grandiose; rétorqua la sorcière.

-Je t'aurais su gré d'éviter de tomber dans le dramatique.

La sorcière haussa les épaules, un peu à la manière de Potter, avant de lui faire remarquer:

-Je ne vois pas de quoi tu te plains, tu es libre.

L'avocat se racla la gorge avant que Draco ne puisse rétorquer à cela.

-Miss Lumare, nous avions un marché. Vous avez tenu votre part. A présent, peut-être pourriez-vous nous révéler ce que vous souhaitez en échange.

Les yeux de la sorcière prirent une teinte étrange et son visage, narquois un instant plus tôt, laissa entrevoir une profonde tristesse. Elle étira les lèvres, et la tristesse fut masquée par son rictus. Draco, étudiant les traits de la Gryffondor, comprit avant qu'elle n'ouvre les lèvres ce qu'elle allait demander, il détourna les yeux.

-Je veux faire appel, devant le Magenmagot, à un jugement rendu il y a quelques semaines par la Cour de Justice Magique.

-Oui? Quel jugement? Demanda l'avocat Ryles.

-Le jugement du 22 mai, concernant… le prisonnier 62104.

-Le prisonnier 62104? Il s'agit…

-Du professeur Severus Rogue; le coupa Draco. Qu'est-ce que tu as sur lui?

Le regard gris rencontra l'océan de celui de Khorine.

-Je peux prouver que c'était un espion qui a travaillé pour l'Ordre, et pour le professeur Dumbledore, et qu'il m'a aidé à en finir avec Voldemort. Je veux qu'il soit libéré de toutes les charges qui pèsent sur lui, et qu'il soit libre, légalement et à jamais.

Cette déclaration fut suivie d'un lourd silence. Maître Ryles ouvrit la bouche plusieurs fois. Draco inclina la tête:

-Accordé.

La sorcière eut un tout petit sourire, et leva son verre de whisky qui cliqueta contre celui de Malfoy.

-À Severus; lança-t-il.

-À Severus.

Maître Ryles les fixa tour à tour puis avala son whisky cul-sec.

C'était de la folie.

Jamais le Magenmagot ne gracierait un mangemort en cavale, qui plus est le meurtrier d'Albus Dumbledore.

L'avocat se resservit en whisky.