Chapitre 9
En quelques jours nous avions repris nos habitudes et le combat était oublié. C'était même encore mieux, après avoir acheté le petit-déjeuner on allait le manger en marchant dans la forêt et Rogue parlait de toutes les plantes qui se trouvaient sur le bas côté. Aspérule; anti-spasmodique, sédative, qui favorise la digestion et est légèrement antiseptique, inclue dans certaines bières, ses petites fleurs blanches étaient magnifiques. Pissenlit; anti-hypertenseur et détoxifiant, bien sûr que je connaissais et ça avait un joli nom latin le "taraxacum officinalis". Sureau; sudorifique, diurétique, anti-inflammatoire, les toutes petites fleurs jaunes en ombrelles étaient magnifiques. Sauge, encore; astringent, antiseptique, tonique; j'aimais bien cette plante et ses feuilles bizarres. Millepertuis, reine des près, aubépine, chardon-marie...
Quand j'osais interrompre le flot passionné d'informations pour poser des questions, Rogue les trouvait stupides mais il y répondait souvent. J'aimais bien les promenades du matin. Il lui arrivait de m'interroger sur des plantes dont il avait déjà parlé et il n'était pas souvent déçu de moi comme je retenais beaucoup de chose. On rentrait souvent vers onze heures, des fois douze, et ne lisions ou ne travaillions pas beaucoup avant de nous occuper du déjeuner.
Comme Rogue ne semblait pas s'en inquiéter ça m'allait. Il travaillait l'après-midi, lorsque moi je repartais explorer la forêt et retrouver toutes les plantes dont il avait parlé. Je ne savais pas si sa potion avançait, moi je m'en fichais un peu, j'étais bien ici.
... Un soir que je revenais de ma promenade, je sentis l'air s'alourdir. Dangereux. J'avais du mal à respirer. Des nuages noirs avaient caché le soleil pendant que j'étais dans la forêt.
Je ne tardai pas à rentrer à la maison et, tandis que Rogue enlevait soigneusement les bandages de mes poignets, il m'avertit qu'il y aurait de l'orage.
J'essayai de ne rien montrer, hormis un sourire reconnaissant quand je pus bouger ma main sans plus avoir mal. Les bleus avaient disparu déjà pour laisser à ma peau une teinte à peu près normale.
Toute mon appréhension fut cachée derrière un visage neutre, j'essayai de faire comme Rogue. Ce fut difficile, je ne souriais pas toujours au bon moment, mes mains tremblaient autour des couverts ou des assiettes lorsque je débarrassai. Lecture dans le salon, je pouvais repasser une vingtaine de fois sur les mêmes phrases ça ne lui donnait toujours aucun sens. Et vers vingt-et-une heure, les premiers éclairs déchirèrent le ciel. Ce fut terrifiant!
Bien sûr je sursautai, blême, m'accrochai de toutes mes forces à mon fauteuil.
Je détestais les orages!
"Exalté par son succès, il la supplia de lui accorder sa main et son coeur et Amata, qui n'était pas moins ravie que lui, comprit qu..." La foudre explosa! Je faillis en perdre mon livre des mains et ne tardai à tourner autour de moi un regard d'animal traqué. Les ombres grandissaient, partout.
-Tout va bien Khorine, ce n'est qu'un orage; murmura la voix rauque de l'adulte un peu plus loin.
Ses yeux noirs brillaient dans l'obscurité, il me fixait. Je voulais Osty!
-Oui Monsieur; couinai-je parce que j'étais indigne.
Les Sang-Purs "n'ont pas peur de choses d'aussi triviales" disait ma tante. Mais mon front commençait à me brûler, je voyais des choses horribles tapies tout près, trop. Les grondements se rapprochaient, j'entendais des cris...
-J'ai fini de lire, Monsieur, s'il vous plaît; haletai-je assourdie par les hurlements.
-Allez-vous coucher.
Je sortis aussitôt de mon fauteuil, pensai juste à saluer, avant de me ruer à l'étage et refermer la porte de ma chambre. Les fenêtres claquaient, parce que j'avais aéré et les avais laissées ouvertes toute la journée. Ça voulait dire que... n'importe qui avait pu... entrer...
Je les fermai vite, et tirai les rideaux, partis sous ma couette prendre mon lion dans mes bras.
"-Vas-y Harry!
-Pas avant toi!"
La foudre explosa toute en lumière, lumière verte.
"-Avada..."
-Non, non, pas ça; gémis-je tressautant sous les couvertures.
Elles s'enroulaient autour de moi, m'étouffaient. Je les éjectai aussitôt mais les ombres revenaient, les meurtriers, le sang, les sifflements et le raclement de ses écailles.
"-Dépêche-toi!
-Non! Khorine!
-Sqaure Grimmault!"
Ses yeux brûlaient, mon meilleur ami et toujours les flammes vertes ou le sortilège? Il était encore en vie, n'est-ce pas? Il devait l'être! Je l'avais protégé! Un grondement violent roula dans le ciel, je dus plaquer mes mains contre ma bouche pour ne pas crier. Le sifflement aigu reprenait, sous mon lit. Je savais... Le basilic aux yeux crevés, je savais qu'il était là. Je venais de voir, le bout de sa queue avait disparu sous le matelas, le sang sur les murs.
"-Faîtes en bon usage."
Un gémissement m'échappa, douleur, des visages me déchiraient la rétine, des voix résonnaient, résonnaient partout, dans ma tête, dans la chambre.
"-Descends nous voir... "
Non.
"-... entends nos paroles... nous ne chantons qu'en-dessous du sol."
Un sirène monstrueuse se jetait sur moi, ses yeux mauvais, branchies, ses dents pointues alors que je sortais Harry de l'eau. Harry! L'ombre du serpent, gauche. Je m'écroulai au pied du lit et bloquai aussitôt mes cris en enfonçant ma peluche dans la bouche. I-il approchait... Le sang gouttait sur le parquet, Ginny allait mourir. Je me traînai sur le sol, m'éloignant du basilic autant que je le pouvais. J'entendais... Le tonnerre éclata partout! Je tressautai jusqu'à me cogner au mur. La douleur s'étendait dans ma tête, mon dos, mon bras droit. Les étincelles, les éclairs, non! Je vous en supplie! J'entendais la porte s'ouvrir, grincer, et je tressautais toujours accrochée au lion, mon dos, ma tête torturée cognant contre le mur.
"-Les traîtres à leur sang comme toi ne mérite que la mort."
-Non, non, non; faisais-je les dents plantées dans le lion, les doigts agrippés aux cheveux, tirant, tirant.
Ma tante allait...
-Khorine!
Je me cognai au mur de frayeur avant de lever des yeux écarquillés vers la porte. Ouverte. L'ombre. Rogue. Il approchait. Je ne savais plus, qui il était, s'il allait attaquer, ou me protéger.
-Khorine; murmura-t-il même si je l'entendais par-dessus les grondements du tonnerre, calmez-vous je suis là. Vous êtes en sécurité, il ne vous arrivera rien...
Rogue avançait lentement, je ne pouvais détourner mon regard. Je le croyais. Il... Un éclair zébra le ciel et je tressautai, foudroyée par la douleur. Trop de sifflements, ma tête allait éclater! J'hurlai! Et l'instant d'après je ressentis un choc violent, ses bras m'encercler, me soulever de terre pour m'écraser contre lui. Sa chaleur m'entourait, je n'arrivais plus à respirer ou retenir mes convulsions. Ses doigts fins étaient plaqués contre ma tête et la retenait sur son torse. J'entendais son coeur battre sous les couches de tissus, très fort et vite! Alors mes mains tremblantes s'agrippèrent à sa cape, et j'étais dans ses bras et il m'arracha à l'horreur de ma chambre.
La fièvre me ravageait.
-U-un basilic, il y avait, sous mon lit. Vous devez me croire; sanglotai-je contre sa robe de sorcier. Avec les yeux crevés! Il y avait du sang sur les murs, partout.
-Chut, Khorine, c'est fini. Je suis là; chuchota Rogue si doucement.
Il continua encore tout en me portant et en traversant le couloir du premier étage. Sa main frottait et refrottait mes cheveux, ça me calmait. C'était la première fois que quelqu'un me le faisait, calme petit à petit, je resserrai un peu ma prise sur mon doudou et sur sa cape, en étant bercée par les mots qu'il murmurait. La douleur refluait, les flammes aussi, je n'entendais presque plus le tonnerre...
L'adulte ouvrit une porte et me dit que je dormirai avec lui cette nuit. Je n'eus même pas assez de force pour protester, frottai juste mon front contre lui. Je l'entendis fermer les rideaux de sa propre chambre et prononcer un sort. Il n'y eut plus aucun bruit dehors. Un nouveau, et une douce lueur se répandit derrière mes paupières fermées.
-Voilà, la porte et les rideaux sont fermés, il y a de la lumière, vous n'entendez plus aucun orage. Vous êtes en sécurité. Maintenant me laisseriez-vous quelques minutes pour me mettre en pyjama? Prononça-t-il d'une voix très soyeuse.
J'écarquillai un peu les yeux et consentis à les relever pour le fixer. Son regard de ténèbres, ses cheveux graisseux et son nez tordu, sa peau cireuse, pourtant ses traits étaient plus détendus que bien des fois. Il semblait apaisé, il était apaisant...
-Les adultes ont des pyjamas? Demandai-je tout bas.
A Rogue cela arracha un rictus, mais plutôt amusé je crois.
-Effectivement.
Puis il haussa un sourcil pour sa réponse. Je déglutis, je ne voulais pas qu'il parte, mais il devait dormir en pyjama. Alors je marmonnai que j'étais d'accord avant de le laisser me déposer sur son lit. Je me forçai à agripper mon Griffy plutôt que lui et à le voir prendre ses affaires avant de refermer la porte, de ce qui devait être sa salle de bain, sans me permettre de bouger.
J'avais les mâchoires crispées et presqu'aucune maîtrise de mon esprit. Les visions pouvaient revenir à n'importe quel moment, j'avais besoin de... La chambre était éclairée, doucement, il y avait le lit au milieu de la pièce, la porte que venait de refermer Rogue au fond, des bibiliothèques remplies de livres, une armoire fermée, un grand bureau plein de parchemins avec des plumes, des bouteilles d'encre, des piles de grimoires de chaque côté et plein de boules de papier dans une corbeille. Les murs étaient lézardés de quelques traces noires et le plancher était en aussi mauvais état que dans ma chambre mais il y avait un grand tapis vert -vert sapin-, les draps et la couette du lit étaient aussi de cette couleur.
Tout le temps que passa Rogue à enlever toutes les attaches de ses vêtements, je le passai à compter les différentes tâches d'humidité sur le vieux tapis. Dès que l'adulte sortit, mon regard se verrouilla aussitôt sur lui. Il n'avait plus sa cape, ni sa robe de sorcier, ni son gilet, ni son pantalon noir, il était pieds nus aussi. Son pyjama était une chemise et un pantalon toujours très sombre, mais le tissu était léger. Il montrait à quel point il était mince.
-Cessez de me fixer de la sorte; gronda Rogue.
Je détournai les yeux, pour quelques secondes, avant de le fixer encore. Il grommela puis me rejoignit dans son énorme lit. Rogue me fit passer sous les couvertures avant de m'ordonner de m'allonger parce qu'il était temps de dormir. Lui aussi le fit, sa tête s'enfonça dans l'oreiller en face de moi, ses cheveux gras s'y déployèrent. Je crois qu'il n'aimait pas que je l'observe comme ça, parce qu'après un petit moment il grogna et nous rapprocha soudain de lui, moi et ma peluche. Un de ses bras se glissa sous ma taille et l'autre se retrouva à l'arrière de ma tête. Il m'obligea à me blottir contre lui et j'obéis, soulagée, je pouvais sentir de nouveau son coeur qui battait. J'entendais mieux sans tous ses vêtements.
Rogue ne tarda pas à éteindre les lumières. Le silence se propagea, la chaleur de l'adulte aussi autour de moi.
-... Monsieur... J'ai vu ma tante...
Je déglutis mais sentis ses doigts fins effleurer doucement mes cheveux, encore, encore.
-Pas celle d'aujourd'hui, ça doit être dans le futur; chuchotai-je. Elle a dit que j'étais un "traître à mon sang", il y avait sa baguette, elle disait que je méritais la mort. J-je crois qu'elle a essayé de me tuer.
Rogue continua de caresser, juste avec le pouce, en agrippant plusieurs de mes mèches et répondit:
-C'est une... possibilité. Vous vous êtes liée d'amitié avec un sang-mêlé et une née-moldue.
J'écarquillai les yeux de stupeur. J'avais osé! Mais une voix murmura en moi que je ne l'avais jamais regretté, que c'était le bon choix... Elle en était sûre, et je la croyais, je me calmai...
Je serrai tout contre mon coeur mon lionceau puis fermai les yeux, bercée par les battements de celui de Rogue. Un... sifflement s'élevait...
-M-monsieur, je n'arrive pas à dormir; lâchai-je effrayée.
-Essayez...; grogna-t-il.
Je recommençais à trembler.
-Vous êtes en sécurité; répéta Rogue. Rien ne peut vous arriver tant que je suis là, est-ce clair?
Oui... J'hochai la tête contre sa poitrine. Rogue avait ma confiance... C'était le seul dans ce monde -avec Osty-, et il me gardait dans ses bras. Je... essayai de faire comme il avait dit, fermai les yeux. Mais à chaque rayonnement trop fort des éclairs, lorsqu'ils perçaient les rideaux, je me réveillais en sursaut. Alors je levais les yeux vers ceux de Rogue, ouverts aussi, toujours, brumeux de sommeil et il me murmurait quelques mots avant de me demander de me rendormir. Cela arriva au moins cinq fois, jusqu'à ce que l'orage cesse. A l'aurore je m'écroulai de fatigue dans son lit pour plonger dans un lourd sommeil sans rêve...
A sept heures comme toujours, je commençai à émerger, la luminosité à travers les rideaux était la même que pour ma chambre. Rogue n'allait pas tarder à entrer pour... Soubresauts, pas les miens.
Aussitôt je pris conscience de la chaleur, des bras, du coeur qui battait, de l'odeur de Rogue. J'ouvris les yeux, les levai juste assez pour les écarquiller face au visage endormi de l'adulte. Visage crispé, c'était lui qui soubresautait, qui murmurait.
-Pas venue... brillant esprit... plus... Plus le faire!
Il souffrait, je ne pouvais pas le laisser.
-Prie; sa gorge se nouait je ne l'avais jamais entendu ainsi. Je vous en prie...
-Professeur; appelai-je dans un murmure, professeur, réveillez-vous!
Je me faufilai entre ses bras pour remonter jusqu'à lui et préférai lâcher Griffy pour lui agripper l'épaule d'une main et une mèche de ses cheveux graisseux de l'autre.
-S'il vous plaît; haletait-il et il y avait quelque chose au coin de ses paupières fermées.
Je crois que c'était...
-Réveillez-vous!
Une longue convulsion, un râle et ses grands yeux noirs s'ouvrirent soudain sur moi. Une larme lui échappa. J'étais catastrophée, lui avait du mal à respirer, il me fixait mes yeux et mon nez et mon menton et mes cheveux, il s'accrochait à mon pyjama.
-Khorine?
Je tressaillis alors qu'il m'avait reconnue, et m'empressai de hocher la tête. Il y avait la trace de sa larme sur sa tempe gauche. Aucun adulte, jamais, n'avait montré qu'il savait pleurer.
Je tendis mes petits doigts vers ça, mal au coeur, et l'effaçai pour lui. Rogue ne bougea pas. Il ne détachait pas son regard du mien, était très pâle, presque cadavérique, comme les fois où on était allé à Poudlard.
-Ça va? Monsieur?
Je m'inquièterai de la punition pour l'avoir vu pleurer plus tard.
Rogue acquiesça..., puis soudain renifla et retrouva son expression habituelle. Neutre, vaguement ennuyé. Il me lâcha avant au final de s'asseoir contre le montant du lit.
-Oubliez ce que vous venez de voir; ordonna-t-il d'un ton sec.
-Oui Monsieur.
-Et dépêchez-vous de vous préparer, nous partons dans dix minutes!
-Oui Monsieur; murmurai-je encore en attrapant mon bébé lion et en sautant au bas du lit.
Je jetai juste un dernier regard hésitant à l'adulte, puis me dépêchai de retourner dans ma chambre. Pas de basilic ici, c'était idiot, bien sûr qu'il n'y en avait pas. Rogue était venu, me protéger. Même ce matin il ne m'avait pas punie. Il ne m'avait pas punie, alors que j'avais vu pleurer le bâtard graisseux...
oooooooooooo oOo oooooooooooo
-Êtes-vous prête?
-Oui Monsieur! Lançai-je vraiment impatiente en lui prenant la main.
C'était presque un sourire qui tordit les lèvres de l'adulte et puis il se concentra. L'instant d'après, nous transplanions. Vraiment horrible, ces couleurs, le froid, les distorsions partout. Au final je perdis l'équilibre dans une ruelle très sombre. Rogue me retint.
-Merci Monsieur; dis-je les yeux étincelants.
J'échappai aussitôt à sa poigne pour courir vers la sortie de l'impasse, me retournai.
-C'est par là?
-Donnez-moi la main; grogna Rogue revêche.
Bon... Je revins à lui et tendis la main pour prendre la sienne. Elle était tiède, pas comme à Poudlard où elle virait au glacé. Rogue nous dirigea dans plusieurs petites ruelles, je n'y fis pas très attention, focalisée sur l'adulte. C'était la première fois qu'il sortait sans sa robe de sorcier, même les remarques de toutes les boulangères moldues ne l'avaient pas fait changé. Mais là, il n'y avait plus que son gilet noir coupé aux épaules, sa chemise, son pantalon sombre et ses bottines en cuir de dragon. Sa baguette se trouvait dans sa manche droite attachée à son avant-bras par un sortilège. Malgré la précaution, Rogue semblait... détendu... Il grimaçait et pouvait grommeler, ce qui ne l'empêchait pas d'être comme apaisé. Je ne savais pas comment expliquer ça.
Nous sortîmes bientôt de l'amas de venelles pour nous aventurer sur une grande place tout aussi déserte, en plein soleil, poursuivie par de vieilles grilles en fer forgé qui s'ouvraient sur un parc magnifique et plus loin un gigantesque bâtiment!
-C'est là? On est arrivé? Demandai-je surexcitée.
-Tenez-vous Lumare! Et mettez-vous bien dans la tête que nous sommes là pour mes recherches et non pour votre petit plaisir de Sang-pur ignorante!
Je grommelai à cela, usant de cette liberté que Rogue m'avait octroyée, allant jusqu'à penser qu'il n'avait pas vraiment besoin d'aller à la plus grande bibliothèque sorcière de Grande Bretagne pour sa potion, puis écoutai attentivement les consignes à suivre. Je n'étais jamais entrée dans un de ces bâtiments comme je n'avais jamais quitté le manoir des Lumare. Mais j'avais vu tellement d'illustrations et lu tellement de livres qui en parlaient! Il fallait rester silencieux, très discret, les livres des hautes étagères étaient accessibles par Accio, on pouvait s'asseoir à des tables de travail mais en prêtant attention aux affaires déjà placées, aux places prises.
-C'est normal qu'il n'y ait presque personne?
-Nous sommes en début d'après-midi, les familles sorcières et les enfants de votre espèce devront arriver dans quelques heures; répondit Rogue en nous faisant passer les grilles et les sortilèges de protection.
Il faisait chaud et il n'y avait que quelques sorciers à déambuler dans le parc. C'est vrai que pour moi ça faisait beaucoup, mais Rogue m'avait dit qu'ils seraient bientôt plus nombreux que l'armée de petits boursoufs qui se baladait sur l'un de mes pyjamas. Nous traversâmes le début du parc, pour aller directement vers la bibliothèque sorcière. Elle n'était pas aussi grande que notre manoir, il devait lui manquer un étage et deux tours, mais tellement plus belle. Les gravures, les statues et les sculptures dans la pierre, les mots latins dorés au soleil, les grandes vitres qui laissaient deviner des étagères croûlant sous le poids de vieux grimoires!
J'étais enthousiaste à tel point que cela se voyait sur mon visage, le bibliothécaire de l'accueil ne me fixa pas d'un bon oeil, mais celui de Rogue était nettement plus effrayant. Nous finîmes par passer, et avoir accès à toute la bibliothèque.
-... Sauf la réserve qui est interdite et dans laquelle vous ne metterez pas les pieds; souffla l'adulte d'une façon très sévère. Avez-vous compris?
-Oui Monsieur; murmurai-je en retour.
Puis je pus lui lâcher la main, et me précipitai entre les rayonnages. C'était incroyable, ils étaient tellement hauts, et toutes ces sorcières et sorciers aux visages sérieux qui y déambulaient, tous ces énormes livres qui pouvaient voler bien au-dessus de ma tête et se ranger tout seul dans les rayons. Je lus que j'étais dans la partie Métamorphoses transsubstantielles et filai vite vers d'autres livres. Rogue était parti au rayon Potion sûrement, je ne le voyais plus. Mais je savais qu'il était là...
Un adulte avec une pile de livres dans les mains manqua de me rentrer dedans et me siffla des reproches. Je ne lui devais rien et faillis lui adresser une grimace ou un sourire très évocateur, au final il repartit trop vite et moi je continuai mon chemin. Il y eut une femme aussi qui approcha sans voir où elle allait à cause de ses grimoires, je l'évitai cette fois, plaquée contre des étagères, le nez coincé entre deux livres de l'Histoire gobeline l'un relatant la période 1382-1385 et l'autre 1385-1386. Elle finit par passer et je continuai, émerveillée par tout ce savoir, toutes ces pages pleines de mots, qui formaient des phrases, qui avaient un sens. Je me risquai à en ouvrir un à ma hauteur, à le feuilleter jusqu'à tomber sur un horrible schéma de deux pages qui associait la "méta-hypnose" par le "flux animal" entre "psyché" au "magnétisme de Mesmer" lui-même... Je reposai le livre. Et puis continuai.
Je ne sais pas combien de temps je pris, mais je dus faire au moins quatre fois le tour du premier étage de la biliothèque. Tellement beau...
A la fin, je me décidai quand même à m'arrêter au rayon des Créatures magiques et hybrides. Je trouvai un énorme bestiaire avec d'énormes dessins colorés et dorés! Je le mis sous mon bras, puis me dépêchai de prendre une dizaine d'autres livres avant de me diriger vers Rogue. Il avait pris place à une table à l'écart, face à des fenêtres à peine ensoleillées mais ouvrant sur le parc et une forêt bien plus loin. Je m'assis en face de lui, dos à l'extérieur, et sans un mot, plaçai les livres en pile tout autour de moi, mon bestiaire au milieu.
-Khorine, qu'est-ce que c'est que ça? Demanda Rogue d'une voix traînante.
Il haussait aussi un sourcil, contrarié.
-Des livres, Monsieur.
-Vous prévoyez bien sûr de tous les lire; lâcha-t-il encore.
Je le regardai bizarrement, comme si je pouvais lire autant en quelques heures! Nous nous observâmes en silence entre deux piles de grimoires. Ma réponse allait être assez insolente, il valait mieux ne pas parler... Ce fut Rogue qui reprit, soudain, après qu'il y ait eu comme de la compréhension dans ses orbes pleines de ténèbres.
-Allez ranger ces livres, personne ne viendra vous attaquer.
Comment est-ce qu'il pouvait le savoir?
-Je ne suis pas sûre. Un sorcier a failli me rentrer dedans tout à l'heure et il avait l'air d'avoir envie d'attaquer, Monsieur; chuchotai-je très grave.
Un instant de silence encore, Rogue m'observait d'une manière un peu bizarre, puis murmura:
-Pensez-vous qu'il pourrait jeter le moindre sortilège alors que je suis près de vous?
Je réfléchis.
-Non, Monsieur.
Un rictus souriant apparut sur ses lèvres et je n'arrivais pas à déterminer particulièrement tout ce que cela pouvait exprimer.
-Exact, ce pourquoi vous allez me reposer tous ces ouvrages.
J'hésitai. Trop l'habitude, c'était rassurant, toutes ces pages qui me cachaient à leur vue. Combien de fois avais-je pu éviter John et ses coups ou les remarques d'Elizabeth et les morsures ou griffures d'Isa alors qu'ils passaient devant mes livres sans me voir?
-Vous viendrez vous placer à ma droite ensuite, dépêchez-vous; intima Rogue après avoir montré la chaise tout près de lui.
Si j'étais près de lui... Je serais dos au danger, mais face au parc, au dehors. Et c'était vrai que personne ne pourrait être assez fou pour lancer un sort au mangemort. Je pris le bestiaire et allai le poser près de Rogue, avant de consentir à agripper tous les autres livres et partir les ranger à leur place.
Je ne mis pas longtemps pour grimper sur ma nouvelle chaise. Rogue était tout près, il y avait la chaleur de son bras droit sur la table près de ma main. Lui avait trois ouvrages, de Potions, posés devant lui et un, sur les distorsions temporelles, qu'il venait d'ouvrir.
Je me plongeai dans ma propre lecture même si chaque passage de sorcier me faisait tressaillir. Un phénix en illustration, magnifique. La chaleur se répandit dans ma poitrine. J'aimais beaucoup.
Quelqu'un passa, je me tendis aussitôt. Il ne s'arrêta pas pourtant. Je repris, lus tous les contes moldus comme sorciers qui circulaient sur l'oiseau. Une femme, son parfum était trop fort, elle marchait lourdement dans mon dos. Rogue soupira soudain, vraiment agacé. Et je ne compris pas lorsqu'il recula soudain sa chaise pour m'agripper sous les épaules et me soulever. Je faillis crier, l'instant d'après j'étais sur ses genoux. Je tremblais et tendais mon cou pour pouvoir le fixer alors que je ne comprenais rien.
-Vous me déconcentrez; grogna-t-il avant de reprendre sa lecture.
Sa tête et ses cheveux graisseux vinrent frôler ma joue droite, mon dos était contre son torse et sa main gauche me maintenait dans cette position alors que sa droite se crispait aux pages de son grimoire. Personne ne pourrait m'attaquer ici.
Je me détendis mais restai un bon moment sans bouger avant de penser à aller récupérer mon grimoire. L'adulte fut un peu gêné mais ne dit rien, je me replaçai contre lui, le livre sur les genoux, qui étaient sur les siens, et finis par reprendre ma lecture en sécurité...
Les dragons et les sirènes ne m'intéressaient pas vraiment, je les passai vite, mais restai longtemps sur les trolls des montagnes, leurs histoires. Un rire étranglé m'échappa lorsque je lus qu'un Barnabas le follet avait essayé de les faire danser avec des tutus. Rogue laissa ses doigts se perdre dans mes cheveux à ce moment-là, avant de m'enserrer de nouveau la taille.
Ce furent les heures de lecture les plus paisibles que j'aie pu vivre, et de loin, malgré tous ces gens qui pouvaient passer près de nous.
Il m'arrivait de relever la tête pour observer par les fenêtres, Rogue avait dit vrai, des familles et des enfants s'y promenaient maintenant. Certains passaient en courant derrière des frisbees à dents de serpent ou des balles Zonko-sauteuses. La forêt bien plus loin vibrait de magie, des créatures de notre monde devaient y vivre, et beaucoup des plantes dont avait parlé mon professeur de Potions.
Je lus plein de choses sur les vampires et leurs calices, sur les veelas, les loup-garous, les anges guerriers...
Quand mon adulte referma son dernier livre, les ombres indiquaient environ dix-sept heures. Je continuai ma page sur les anges, pour en profiter jusqu'au bout... Sa main revint dans mes cheveux, qu'il caressa doucement. Je ne savais pas s'il s'en rendait compte.
-Les anges guerriers? Demanda-t-il à voix basse.
-Séraphins, Monsieur. Ils ont six ailes et ils commandent au feu...
Je lui montrai les vieilles illustrations pleines de dorures et de flammes rouges, puis retournai à ma lecture. J'étais bien ici, je ne voulais pas partir. Rogue renifla, plutôt d'amusement, presque comme s'il avait compris, avant de me chuchoter à l'oreille:
-Il est encore tôt, si vous vous dépêchez nous pourrons peut-être tenter une promenade dans la forêt.
... Je sortis de la plus grande bibliothèque de Grande Bretagne quelques instants plus tard, courant presque. Le soleil brûlait, éclatait de chaleur, tandis qu'une brise fraîche s'enveloppait autour de nous. Si Rogue avait eu sa cape elle aurait claqué dans le vent.
Il descendit les marches bien après moi et emprunta le chemin de sable qui menait vers les allées du parc. J'avais les jambes un peu fatiguées et vacillantes, mais je courus quand même droit devant, pour revenir essoufflée jusqu'à Rogue qui secoua la tête, mais me laissa repartir. Mes mèches s'entortillaient autour de moi, l'air emplissait mes poumons et j'étais apaisée en arrivant jusqu'à l'ombre des arbres. Les familles sorcières dans les allées ne faisaient pas attention à moi, je ne percevais pas de danger. Alors je m'enhardissais à rester à petite distance des passants, pour courir ensuite vers le mangemort. Il était presque arrivé à l'ombre lorsque... je sentis quelque chose foncer sur moi. Je me roulai aussitôt au sol, avant de me relever, le bras crépitant de magie, la violence crevant la surface de mes yeux océan. C'était une balle de chez Zonko. Des gens de mon âge s'approchèrent, Rogue était dos à tout ça, déjà en sécurité sous les arbres.
-Hey, tu peux renvoyer la balle? Hurla un blond ébouriffé au regard chocolat.
Ma magie s'estompa aussitôt et je le fixai stupidement. Il ne me menaçait pas, pas du tout.
-Bon alors! Fit-il encore en s'approchant.
Je tournai la tête vers sa balle de toutes les couleurs, puis vers lui. Ses amis plus loin nous fixaient. Pas d'attaque non plus. J'avançai vers leur jouet, le pris délicatement entre mes mains. Le blond hocha la tête, puis je lançai de toutes mes forces. Il le rattrapa en sautant et puis balança un remerciement avant de courir en soulevant le ballon très haut au dessus de sa tête. Les autres se précipitèrent sur lui.
Je retournai vers Rogue très lentement, les yeux encore arrondis par l'expérience que je venais de vivre.
-On appelle cela des enfants, Khorine. Je conçois que cela puisse faire un choc la première fois que vous en croisez un; se moqua-t-il.
Je cillai puis tournai la tête vers ces enfants. Ils se couraient après, criaient et leur jouet fusait dans tous les sens. Mon cousin ni mes cousines n'avaient jamais fait ça, pas au manoir en tout cas.
-Continuons.
J'hochai la tête, Rogue commença à marcher le long de l'allée, moi à explorer dans son champ de vision, sans oublier de revenir à lui de temps en temps, mais libre d'aller assez loin. Je vis encore des cercles métalliques qui servaient bien de poubelles publiques, des bancs verts comme dans les livres, des énormes poteaux avec des bougies éteintes en haut. Les arbres aux feuilles vertes tout autour étaient appelés des tilleuls. Je le savais parce que Rogue m'en avait montré le long d'une avenue à Roscroggan. Il y avait beaucoup de sorcières, de sorciers, de bébés si petits et fragiles, de jeunes presque comme moi. Certains mangeaient encore à cette heure, des glaces qui changeaient de couleur à chaque coup de langue -combien Isa en mangeait!-, des boules de sucre cotonneuses qui repoussaient encore et encore, des gauffres flottantes au chocolat et aux fraises...
Je poursuivis l'allée jusqu'à ce qu'il n'y ait presque plus personne et parvins à quelques pas de la forêt avant de faire demi-tour et revenir vers mon adulte. Je fus très surprise en le découvrant à faire la queue devant un chariot de quatre-heures.
-Monsieur, vous avez faim? Demandai-je en approchant.
Ça lui arracha un vague sourire mais il ne répondit pas. Il y avait bien cinq familles devant lui et comme je ne voulais pas le laisser seul je restai auprès de lui. J'observais et écoutais avec beaucoup d'attention...
Quand ce fut au tour de mon adulte, il demanda une énorme sucette ronde qui se trouvait sur le présentoir et déboursa plusieurs mornilles. Puis nous nous éloignâmes et Rogue portait cette grosse sucrerie blanche et rouge et bleue et verte et jaune. Toutes ces couleurs alors qu'il n'était jamais vêtu que de blanc et de noir.
J'étais en train d'y penser lorsqu'il la tendit dans mon champ de vision. Je fronçai les sourcils à sa manière.
-Vous voulez que je vous la porte? Me risquai-je alors qu'on s'éloignait vers la forêt.
Ce n'était pas la bonne réaction et Rogue grogna en me la fourrant dans les mains:
-Ai-je une tête à manger ce genre de cochonneries?
Et puis il partit devant, je réalisai que c'était pour moi. J'étais presque horrifiée de tenir quelque chose d'aussi énorme, et d'aussi coloré entre mes mains. Pas censée avoir le droit. Pourtant l'adulte avait fait la queue, il l'avait payée. Je jetai un coup d'oeil autour de moi, à tous ces enfants qui avaient eu la même et qui déchiraient la languette de tête en bulle pour mordre dedans.
Bon, je marchai à petit pas derrière Rogue et enlevai le sortilège qui protégeait mon cadeau. J'hésitai, l'adulte ne se retournait pas vers moi. Je l'avais vexé je crois. Ce que je ne voulais pas.
Ma langue sortit très lentement, puis se posa sur la surface dure. Très sucré, plein de framboises. C'était bon! Je n'avais jamais rien mangé d'aussi bon!
-Monsieur! Monsieur! Vous en voulez? Lançai-je, courant vers lui avec des étoiles plein les yeux.
... Il me gronda parce que j'avais couru avec une sucette dans la main, que c'était dangereux. Et puis il refusa. Mais il tenait à ce que je la mange. Alors je bavai dessus avec application tout en marchant près de lui.
-Est-ce acceptable? M'interrogea Rogue alors que l'on entrait dans le sous-bois, loin de tout le monde.
-Très! Monsieur, merci...
Il hocha la tête et j'étais incapable de déterminer son expression parce qu'il était à deux pas de moi, que ses cheveux graisseux tombaient et cachaient tout.
-Cet arbre est un Lapacho, fongicide, antibiotique, anti-inflammatoire et ou immuno-stimulant selon le moment où vous le cueillez, la partie que vous utilisez et les différents ingrédients que vous liez dans votre potion. Importé d'Amérique du Sud il...
L'arbre aux fleurs roses était magnifique. J'étais bien dans la forêt. Le goût des framboises puis des mûres, des citrons, pétillait sur ma langue. Ma main libre trembla un peu puis se tendit vers la manche de sa chemise. Elle s'y agrippa. Les mots moururent ensuite sur les lèvres de Rogue. Je... Il fit glisser ma main vers la sienne, et l'agrippa fermement, avant de repartir comme si de rien n'était pour m'expliquer ce qui était étrange avec le taraxacum officinalis.
