Chapitre 2
-Vous serez libre de sortir de cette maison dans une semaine, pas avant!
-Bien! Je ne reste que sept jours, alors je ne vois pas pourquoi je devrais vous prendre votre chambre! Protestai-je en croisant les bras à m'en arracher une grimace de douleur.
Rogue s'en aperçut, un sourire narquois lui échappa.
-Je ne vous laisse pas le choix Lumare.
Il s'approcha, je n'en revenais pas qu'il s'occupe des rénovations de sa chambre depuis plusieurs jours, et qu'il veuille m'obliger ensuite à y dormir! J'essayai de le raisonner encore, de lui dire que je me rétablirai, que le canapé était très confortable, que je... Il passa un bras derrière mes épaules, l'autre sous mes genoux et me souleva d'un coup. Je me recroquevillai, et m'accrochai à sa cape. Rogue ne dit rien à cela, mais en passant l'embrasure de la chambre, me susurra:
-Vous pouviez aussi m'avouer que vous n'aviez pas la force de vous déplacer jusqu'à ma chambre.
Il s'était penché vers moi, le murmurant au creux de mon oreille alors que quelques unes de ses mèches graisseuses effleuraient ma joue. J'enfonçai ma tête contre son torse, sans pouvoir m'en empêcher, fermai les yeux. Dans ses bras j'avais l'impression de ne rien peser du tout, comme quand j'avais sept ans, et d'être en sécurité. J'aurais voulu que le temps s'arrête, mais la fièvre me rattrapa, avec une quinte de toux très douloureuse. Je m'agrippai à Rogue, tressautant faiblement. J'avais trop mal, je n'arrivais pas à le lâcher, même une fois qu'il m'eut déposé dans son lit. Sa main finit par dériver jusqu'à mon front, m'apaiser...
Lorsque je pus rouvrir les yeux, j'étais honteuse. Plus encore en percutant le regard de charbon brûlant de mon professeur, il fronçait les sourcils en m'examinant, ne retirait pas ses doigts froids de ma peau.
-Je ne veux pas de votre pitié; crachai-je.
Rogue cilla une fois et puis ce fut comme une muraille de métal qui tomba soudain au coeur de ses yeux.
-Qu'allez-vous chercher, Lumare? La chauve-souris des cachots n'a pitié de personne.
Il ne montrait plus rien, mais ses longs doigts fins descendirent jusqu'à mes lèvres pour effacer le sang qui coulait encore.
-Vous n'êtes pas...; haletai-je.
Rogue me coupa:
-Ne gaspillez pas votre souffle, je sais pertinemment ce que vous et vos petits camarades racontiez dans mon dos.
Je crispai les mâchoires mais finis par retourner percuter son regard. Le mien était empli d'une tempête contrôlée, le sien neutre, vide. Je desserrai les dents, les resserrai, j'hésitai, et puis finis par lâcher avec défi:
-Vous ne l'êtes plus.
Ma tête reposait contre l'oreiller et malgré tout je parvenais à conserver mon air insolent, à garder les yeux fixés aux siens. Il n'eut aucune réaction, à part, ce petit rictus narquois au coin des lèvres.
-M'est avis que vous changerez très vite d'opinion à mon sujet.
J'haussai un sourcil -à sa manière- et cela me vint naturellement. Mais il n'explicita rien, finit par partir après m'avoir observée un bref instant de plus. Merlin, de quoi voulait-il parler?
Le mouchoir plein de sang de Dumbledore reposait sur la table de chevet, je m'en rendis compte en tournant la tête, et tendis le bras pour le récupérer malgré la souffrance, le ramenai contre mon coeur en fermant les yeux. L'angoisse me compressait la poitrine. Qu'avait voulu dire Rogue?
oooooooooooo oOo oooooooooooo
La magie crépitait autour de mon bras droit, violemment, tandis que les vapeurs d'eau s'élevaient autour de moi. J'étais furieuse! Rogue m'avait portée jusqu'à la salle de bain, j'avais dû me tenir à lui ensuite pour ne pas m'écrouler contre le carrelage et j'avais dû le laisser m'aider à me déshabiller! C'était même lui qui avait fait coulé l'eau. J'étais déshonorée! L'essence même de ma puissance grésillait, se propageait sur l'eau brûlante comme une onde avant de revenir vers moi, plus forte, des frissons de grande ampleur me parcouraient et pénétraient ma peau, tempêtaient dans mon coeur et mon sang, chaque partie de mon être se renforçait.
Lui n'avait rien dit, pas une remarque, Rogue n'avait même pas tenté d'être m'avait laissé sifflé ma fureur en restant parfaitement silencieux. Je n'avais pas pu l'empêcher de déboutonner la chemise qu'il m'avait donnée... Mes longs cheveux avaient caché mes seins, mais pas mon ventre plat, mes hanches et mes côtes saillantes. Il avait déboutonné mon pantalon aussi, le sortilège d'épilation définitive m'avait permis de ne pas être trop honteuse mais mes genoux cagneux n'étaient pas du tout agréables à regarder, et il y avait tous ces bleus, toutes ces cicatrices. Il s'était arrêté là, alors que mon avant-bras entièrement brûlé tressautait d'étincelles et que je crachais que je pouvais très bien finir! Rogue était sorti sans un mot. L'atroce souffrance à mes épaules et dans ma colonne vertébrale quand je m'étais baissée pour enlever le boxer noir qu'il m'avait donné me fut bien égale... A présent, j'étais dans ce bain, humiliée, ma magie se déversait en moi et régénérait mes forces. Je pris le savon, m'en frottai avec véhémence puis moins vite, j'avais mal, la colère s'estompait. J'avais eu tort de m'en prendre à Rogue, c'était moi qui étais trop faible, moi la fautive, pas lui. L'eau chaude, la mousse, les vapeurs qui montaient, me détendaient... Cela faisait si longtemps que je n'avais pas pris de bain... les sortilèges de Lavapus n'étaient pas aussi agréables... Il faisait bon dans la salle de bain et j'étais tellement bien, je posai la tête contre le carrelage de la baignoire, fermai les yeux juste un peu. Je m'assoupis...
Lorsque je rouvris les paupières se fut très doucement, malgré la douleur qui pulsait, petit à petit, ma vision était floue, je distinguais seulement mes longues mèches brunes onduler dans l'eau tiède. Je cillai, relevai la tête, pour me figer aussitôt. Des vêtements propres sur le lavabo: chemise, pantalon, chaussettes, boxer. Il y avait un rouleau de bandage par-dessus. Comment était-ce possible? Comment avait-il fait pour entrer sans que je l'entende? Le sang bourdonnait à mes oreilles, ma souffrance s'intensifiait. Il fallait que je sorte, que je prenne de l'extrait de Murlap, vite. Je... m'extirpai du bain, en sortis une jambe faible, l'autre, me séchai d'un sort ce qui me laissa titubante et vaseuse. Les articulations douloureuses et la pulsation violente de mes artères faisaient mal, j'arrivai à enfiler ma chemise, attacher un seul bouton, puis je laissai retomber mes bras. Je ne... Le boxer, je l'enfilai, le pantalon. Je gémis dans l'opération, pus à peine refermer la braguette avant de m'avancer jusqu'à la porte. Je l'ouvris le souffle court, les cheveux encore dégoulinants d'eau, fis un pas dans la chambre. Rogue se leva aussitôt de son fauteuil et abandonna son grimoire pour me rattraper avant que je ne m'effondre. Je tremblais.
-Vous en avez trop fait; gronda-t-il de sa voix traînante particulière.
-Pas assez; sifflai-je difficilement.
Il m'aida à m'asseoir sur le siège le plus proche, son fauteuil, puis sortis de l'extrait de Murlap de sa cape. Rogue déboucha la fiole, je n'avais même plus la force de lever le bras, et ce fut lui qui sans m'attendre posa le goulot contre mes lèvres. J'avalai, renversai la tête pour en boire plus. Sa main vint retenir l'arrière de ma nuque et s'emmêler dans mes cheveux... Pourtant Rogue n'était pas quelqu'un de très tactile... Je m'en voulais de l'obliger à prendre soin de moi. Lorsqu'il éloigna le flacon vide de ma bouche, je lui souris un peu et murmurai:
-Merci.
Il renifla avec dédain pour toute réponse puis me fit me caler contre le dossier du siège. Il détailla ma tenue, le ventre qui se soulevait et s'abaissait entre les deux pans de ma chemise, les marques rouges de l'eau du bain, le pantalon déboutonné.
-Pas même capable de s'habiller correctement à ce que je vois; se moqua-t-il.
J'avais trop mal pour prononcer quoi que ce soit, la potion ne ferait pas effet avant cinq minutes. La langue de Rogue claqua contre son palais... nouveau... puis il s'agenouilla et s'occupa de refermer mon pantalon, ma chemise. Son regard onyx n'était fixé que sur sa tâche, il ne disait pas un mot, j'avais des difficultés à respirer, la tête appuyée contre le tissu moelleux.
-L'angiogénèse se poursuit dans les tissus de votre organisme, vous retrouverez bientôt un réseau sanguin normal, deux jours tout au plus. Vous devrez réhabituer vos muscles à l'exercice, petit à petit, et manger assez pour renouveller l'ensemble de vos tissus adipeux en particulier, au niveau de vos articulations.
J'hochai la tête.
-Vous m'aiderez à préparer les ingrédients de mes potions, les couper, les hacher, les broyer, ce ne devrait pas être trop compliqué, même pour une de Lumare comme vous.
Un faible grognement sortit d'entre mes lèvres ce qui entraîna un rictus narquois sur celles de Rogue. Ses yeux de ténèbres scintillaient d'une manière tout à fait singulière dans la semi-obscurité de la chambre.
-Il est possible que vous crachiez encore un peu de sang mais ce ne serait qu'en cas d'efforts trop intenses, ce que je vous interdis. Vous devrez me signaler l'instant même où vous commencerez à fatiguer, est-ce clair?
Ces règles, elles me rappelaient celles que Rogue m'avaient énoncées sur la plage tout là-bas, je n'avais jamais eu l'intention de les suivre. Aujourd'hui non plus, je souris un peu alors que mon regard plongeait dans le sien.
-Limpide; murmurai-je.
Rogue hocha sèchement la tête, puis se releva, il partit en direction de la salle de bain. Inspiration, expiration, inspiration... La potion commençait à faire effet, la douleur refluait, comme les vagues de l'océan, ou du Lac Noir. Elles effleuraient la berge, pour se retirer, revenir et caresser les galets...
Mon professeur de potion revint avec les chaussettes, laissant les bandages où ils étaient. Il s'agenouilla de nouveau devant moi.
-Tendez le pied; m'ordonna-t-il dans un grognement.
Je ne savais pas qui était le plus humilié par tout cela.
Ma jambe se leva doucement et Rogue me tint le pied droit. Ses doigts étaient tièdes et ça n'avait rien de désagréable. Il m'enfila la chaussette avec délicatesse, son grand nez busqué penché vers ma cheville et un rideau de mèches graisseuses cachant son visage à ma vue, la releva jusqu'à mi-cuisse. Puis il laissa mon pied reposer à terre. Sa main le frôla en s'en détachant. Je fermai les yeux.
-L'autre.
J'obéis. Lorsqu'il eut fini il se releva, je rouvris les paupières. Mes bras étaient chacun posé contre un accoudoir, ma tête contre le haut du fauteuil, le regard toujours embrumé malgré la potion. Rogue se tenait rigide devant moi, les mâchoires crispées, et je n'arrivais pas à déterminer son expression. Je me demandai tout à coup si Voldemort restait sur un trône lorsque ses mangemorts s'agenouillaient pour baiser l'ourlet de sa cape.
-Le petit-déjeuner sera prêt dans dix minutes, en attendant, reposez-vous.
Je n'eus rien à répondre, l'instant suivant il se détournait dans un envol de cape et quittait la chambre.
Lorsqu'il transplana dans la pièce centrale du sous-sol Rogue me trouva dans mon fauteuil du coin salon, un livre entre les mains intitulé "Propriétés des ingrédients sylvestres dans les potions de guérison". J'avais mis un certain temps pour m'y traîner, pour arriver devant la cheminée, les flammes, la petite table basse. Un peu de sang m'avait échappé et je tenais encore le mouchoir de Dumbledore dans mon poing. L'ex-mangemort s'assit dans le plus proche canapé et posa son sac de viennoiseries sur le meuble.
-Croissants et brioches sucrées; grommela-t-il.
Je lui souris et reçus ma brioche bien replète, lui enchanta de loin sa cafetière puis une bouteille de lait et un verre pour moi, une tasse avec sa coupelle pour lui. Ils se posèrent tous sur la table. Rogue prit son croissant habituel également.
-Bon appétit.
Je fus heureuse de pouvoir croquer dans ma brioche sans son aide, de pouvoir me servir du lait et le boire seule. Un silence s'étira entre nous... J'étais occupée à ignorer la souffrance qui pulsait, et plongée dans mes pensées. Le mouchoir aux vifs d'or n'avait pas quitté ma main et je ne pouvais m'empêcher... il y avait cette atmosphère particulière... la présence de son meurtrier. Lui buvait son café, sombre et impassible. Il se tenait aussi rigide et sévère qu'à l'accoutumée, je ne voyais pas le remord, pas la douleur.
Je déglutis.
-Je n'en ai jamais parlé à personne; murmurai-je, mais je...
Je sentis le regard sombre et brûlant se river sur moi, le mien était perdu dans la brume. Ma moitié de brioche reposait sur la table maintenant, pas le mouchoir.
-... Je travaillais sur un devoir de Métamorphoses, à la bibliothèque, seule. Un stupide devoir de Métamorphoses pour savoir comment transformer les piverts en marteau!
Je ricanai, Rogue garda les lèvres scellées.
-J'avais du retard à rattraper, n'avais pas vu Harry, Hermione ou Ron depuis des heures. Et j'étais tellement agacée par mon travail que je n'avais pas fait attention aux modulations des protections de Poudlard, aux intrusions successives. Il n'y avait que ces fichus problèmes de transsubstantiations que je n'arrivais pas à résoudre!
Je cachai ma tête dans une main tremblante. La douleur dans mon corps, mes articulations, était secondaire.
-J'allais finir un paragraphe..., j'avais la plume levée... elle m'a échappée tout à coup. J'avais froid; continuai-je la gorge serrée, il n'y avait que ce vide, cette douleur. Toutes les lampes de la bibliothèque ont explosé autour de moi. Mais je n'ai rien vu. J'avais tellement froid.
Mes doigts tressautaient et agrippaient des mèches de cheveux, mes traits se crispaient sans que je puisse rien y contrôler.
-Il disait qu'il était fatigué... Il mangeait trop de bonbons au citron; murmurai-je alors qu'un sourire mélancolique m'échappait, et lorsque je le lui faisais remarquer il me demandait juste de ne pas priver un vieil homme comme lui d'un de ses derniers plaisirs... Il y avait toujours des malices réglisses sur son bureau et des... des...
-Pingouins au caramel.
Je fermai plus fort les paupières, crispai le poing sur son mouchoir. Une main glacée vint le recouvrir pour l'enserrer doucement.
-J'ai quitté la bibliothèque et j'avais du mal à tenir sur mes jambes. Tout se glaçait. Je suis tombée par terre dans un couloir, à genoux, il y avait des fracas tout près, des ennemis. J'aurais dû... J'étais incapable de bouger, de me battre, de le venger. Je suis restée à terre... et Fumseck est apparu, s'est posé près de moi. Il pleurait. C'était très doux. Il est resté avec moi, jusqu'à ce que je me relève... puis son bec contre mon front, son adieu, il a disparu.
Des larmes, elles apparaissaient, alors que je fermais si fort les yeux. Je ne voulais pas pleurer, pas devant Rogue, mais parler pour la première fois du soir de sa mort était trop... douloureux...
-J'ai marché, continué, jusqu'à la cour et le bas de la tour d'Astronomie.
Deux larmes s'écrasèrent contre l'accoudoir de mon fauteuil. Et je m'agrippai à ses doigts froids autant que Rogue s'agrippait aux miens.
-Il était là, je n'ai rien pu faire! Je me suis traînée jusqu'à son corps et j'ai serré sa main m-même si il était mort! Je n'ai pas bougé après, j'en étais incapable, alors que Harry aurait eu besoin de moi... Je suis restée, des heures, je n'entendais rien, ne voyais rien. Je ne pouvais pas quitter Dumbledore.
Ma voix se brisa sur son nom, ma gorge serrée laissa passer un fin filet de sang. Pas la force de l'essuyer, je le laissai couler, les yeux embrumés.
Les doigts froids de Rogue vinrent chercher mon menton et l'amener à se tourner vers lui. Ils effacèrent doucement les larmes au coin de mes yeux, puis le sang. Son regard empli de ténèbres s'attachait au mien, la brume s'étiolait.
-Vous ne pouviez pas le sauver; susurra le sorcier calmement.
La douleur vrilla mon regard et je l'aurais détourné sans sa main qui me maintenait toujours le menton.
-Mais si j'avais; commençai-je...
-Vous ne deviez pas le sauver; me coupa Rogue.
Je soupirai, me perdant dans l'océan noir devant moi. Il... disait vrai et même si j'avais agis différemment cela n'aurait rien changé à la volonté de Dumbledore. Il avait organisé son propre meurtre... et je ne devais pas m'en vouloir de ne pas l'avoir protégé... tout comme je ne devais en vouloir à celui qu'il avait obligé à le tuer.
-Je suis désolée; murmurai-je.
Les lèvres de Rogue se tordirent vers le bas mais elles restèrent scellées un moment. Sa main dériva dans mes cheveux.
-Pas autant que moi...
L'instant d'après il s'écartait, je pouvais déceler quelque chose de violent et de douloureux dans son regard. Rogue se leva, abandonna son croissant et tout son petit-déjeuner, il avait quelque chose à faire. Je n'eus le temps que de hocher la tête avant que mon professeur de potions ne transplane. Et ce fut tout.
