Chapitre 10
Je m'étais trouvée incapable de finir ma sucette en une après-midi, mais avais refusé de la jeter! C'était un caprice vraiment puéril mais au lieu de me punir, Rogue y avait cédé. Il l'avait mise dans un grand verre, sous un sort de tête en bulle, et m'avait interdit d'y toucher à part l'après-midi ou de courir avec, ou simplement de la manger lorsqu'il n'était pas là.
Je mis cinq jours pour réussir à la terminer. Il ne me resta plus que le bâton que j'emmenai avec moi dans la forêt et taillai avec une pierre. Je le rendis plat aux deux bouts et essayai de tracer des feuilles et du lierre dessus. J'aimais bien. Au final, je décidai de l'utiliser comme marque-page! Il fut glisser dans les contes de Beedle le barde à mon retour, Rogue secoua la tête mais ne fit aucune remarque et se replongea dans ses parchemins de calculs.
Les jours passèrent, nous étions dehors de plus en plus souvent, parce qu'il disait que sa potion devait reposer et qu'il ne voulait pas risquer que j'entre dans son laboratoire, que je fasse tout exploser. Mais il ne voulait plus entendre parler de Poudlard, en tout cas je n'avais plus le droit d'y aller. C'était dommage... j'aimais beaucoup le château... vraiment...
Il m'avait emmenée voir un aquarium une après-midi qu'il pleuvait. Et on était resté très longtemps devant un poisson-globe, fugu, qui avait plein, plein de propriétés dans les potions.
On s'était aussi promené dans beaucoup de forêt d'Angleterre, dans des musées et d'autres bibliothèques.
Cette après-midi nous avions fait un parc sauvage sorcier. J'y avais vu des sombrals en vrai pour la première fois, une licorne qui s'était approchée durant notre balade, un dragonceau qui volait dans le ciel, des botrucs, des petits elfes sylvestres et des gnomes sortant de terre. L'un d'eux m'avait poursuivi en grognant, j'avais hurlé et couru pour me cacher derrière Rogue... il s'était plié en deux, étirant ses lèvres, avec la gorge qui se tendait, se relâchait, se tendait... Et pour finir un rire soudain, profond, grave, incontrôlablement amusé, puis éraillé, il avait fini douloureux. Je me rappelais encore l'adulte crisper ses mâchoires, se taire. Le gnome avait filé, nous étions restés à nous observer.
La vision que j'avais eue au milieu des flammes, alors que mon moi de dix-sept ans avait pris le contrôle, celle où Rogue était écrasé par la peine, je l'avais retrouvée devant moi. Dans son regard de ténèbres, sur son visage contracté, ses lèvres étirées vers le bas.
La douleur avait été violente, je l'avais serré très fort contre moi, sans prévenir et étais restée agrippée à lui, les yeux emplis de larmes. Le sorcier avait fini par me soulever dans ses bras et continuer le chemin en me gardant contre sa hanche et son côté gauche.
Je repensais à ça le soir-même, après un dîner assez bon.
Le feu crépitait dans la cheminée, Rogue se trouvait face à moi dans son fauteuil préféré et déchiffrait des lignes sans doute très très compliquées sur les potions ou les voyages temporels. Il avait les sourcils froncés à cause de la concentration et ça faisait pluieurs minutes qu'il était sur la même page.
Moi je venais de finir le conte des trois frères... Je ressentais un drôle de vide. Au niveau du coeur. J'avais envie de tout oublier encore, de retrouver les bras de l'adulte et de me sentir protégée.
-Monsieur...; finis-je par murmurer.
Il abandonna son grimoire du regard pour le plonger dans le mien. Je déglutis. Je me levai après, mon petit livre abîmé dans les mains, et avançai vers l'adulte.
-Je peux avoir une histoire?
Il haussa aussitôt un sourcil, me reprit en signalant qu'il fallait dire "puis-je".
-Puis-je avoir une histoire, s'il vous plaît?
-Et quelle stupidité voulez-vous que je vous raconte? Renifla-t-il en déviant son regard vers les contes de Beedle le barde.
-Le sorcier et la marmite sauteuse!
Rogue grogna que c'était une idiotie, mais quand je lui tendis mon livre, il s'en empara. Ses longs doigts fins se refermèrent sur le vieux cuir puis tournèrent des pages à peine jaunies.
Il eut un bref hochement de tête, l'instant d'après je grimpais sur ses genoux et me pelotonnais contre lui. L'un de ses bras m'encerclait, l'autre tenait les contes, j'avais l'oreille contre son gilet et pouvais entendre des battements sourds, sa voix qui vibrait.
-Ne vous avisez pas d'en parler à qui que ce soit; siffla le mangemort.
Je secouai la tête contre son torse, de toute façon je ne parlais qu'à lui et à Dumbledore. Mais je n'irais pas le raconter à Dumbledore. Je fermai les yeux, apaisée... Les rouvris lorsque Rogue arriva à la première page du conte. Il se racla la gorge.
-Il était une fois un vieux sorcier bienveillant, quelle surprise, qui utilisait sa magie avec sagesse et générosité, Merlin..., pour le plus grand profit de ses voisins. Encore l'histoire d'un vieillard sénile et glucosé; grogna-t-il.Plutôt que de révéler la véritable source de ses pouvoirs, il prétendait que ses potions...
Rogue racontait, sa voix profonde modulait l'histoire ainsi que les expressions du vieux mage et l'agitation de sa marmite, malgré les remarques sarcastiques qu'il rajoutait. Les mots murmurés m'envoûtaient, vibraient dans la poitrine contre ma joue...
-Et il claqua la porte au nez de la vieille femme. Aussitôt, des cliquètements et des martèlements sonores retentirent dans la cuisine.
J'entendais tout cela, le chaudron lourd qui s'agite, et l'adulte sorcier qui se lève, baguette au poing. Rogue ne faisait plus aucun commentaire.
Mes yeux se fermaient, je voyais mieux ainsi. Elle s'agitait, la marmite, il y avait le bruit métallique, les pleurs d'enfant et les gémissements affamés...
-Le sorcier ne put dormir de la nuit à cause du fracas que produisait à côté de son lit la vieille marmité couverte de verrues.
...
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Rogue ne pouvait pas faire passer mon bien-être ou même le sien avant une mission donnée par Dumbledore. C'était impossible. Cette nuit dans la tour d'Astronomie en était la preuve la plus évidente. Alors il n'y avait qu'une seule explication au fait qu'il ne se plonge pas corps et âme dans son travail, qu'une seule. Quelque soit son camp, il voulait se servir de moi. Il voulait atteindre mes amis à travers moi.
-N'importe quoi; murmurai-je le nez contre le ventre de Griffy.
Il accepte de sortir des journées entières, dans les parcs, les musées, dans le Londres moldu ou sorcier. Tu ne penses tout de même pas qu'il le fait par plaisir! Rogue! Ce bâtard graisseux!
-Tu as tort, il est gentil.
Il va se servir de nous. Tu vas risquer la vie de tes amis! Pense à eux, Mione, Harry, Ronald. Tu ne peux pas avoir confiance en lui, rappelle-toi ce qu'il a fait au professeur Dumbledore.
J'en avais assez de cette voix emplie de haine et de douleur. Je voulais qu'elle cesse.
Tu...
-Assez! Crachai-je.
La voix se tut, mais les flammes restaient bourdonner dans mon esprit. La fièvre m'étourdissait. Je finis par perdre conscience.
"-Qui c'est?
-Le professeur R. J. Lupin; annonça-t-elle.
-Elle sait tout! Tu sais tout Hermione!
Ma meilleure amie haussa les épaules, un fin sourire aux lèvres.
-C'est écrit sur sa valise.
Long regard méfiant en direction de l'adulte sous la cape. Il ne bougeait pas mais il était éveillé, alors qu'une partie de lui était endormie. Sa signature magique se brouillait, elle était emplie d'ombre et de clarté; je ne parvenais pas à comprendre.
-Quelque chose ne va pas Khorine?
Je me tournai vers Harry, plongeai au coeur de ses grands yeux verts. Cela m'avait toujours rassurée.
-Lumière et ténèbres; marmonnai-je en désignant l'adulte. Je n'arrive pas à l'expliquer.
-Tu paniques pour rien, c'est juste l'éclairage; ricana Ron en s'écroulant sur la banquette.
Il faisait face à l'inconnu, Hermione et moi le rejoignîmes. Harry s'assit près de Lupin puis demanda soudain grave et sérieux:
-Vous pensez qu'il dort?
Mes trois amis se tournèrent vers moi, j'hochai la tête. L'instant d'après Harry refermait la porte de notre wagon dans un claquement sec."
Toute la nuit des visions de mes amies avaient surgi de mon sommeil. Mon coeur se réchauffait au regard chocolat de Hermione, à leurs rires, leurs remarques bizarres, il se contractait de douleur en entendant leurs cris, leurs sanglots qui résonnaient, résonnaient.
Je fus réveillée le lendemain par la porte de ma chambre qui grinça. Rogue. Je me levai et nous partîmes aller chercher le petit-déjeuner, je les entendais, ils passaient devant mes yeux. J'avais tellement besoin de les revoir!
Nous nous engouffrâmes dans une ruelle peu fréquentée du Londres moldu pour acheter la Gazette. Puis la balade en forêt, je grignotai vaguement mon beignet aux pommes. Rogue parlait de toutes ces plantes, j'entendais Ron se moquer de la chauve-souris des cachots.
Je restai très silencieuse toute la matinée, l'adulte n'y fit pas attention. Et puis au déjeuner, au moment de finir le poisson au citron et alors que Rogue lisait son journal, je murmurai:
-Hermione aimait beaucoup les langues de chat.
La tête du mangemort se releva très lentement de la Gazette du sorcier. Il me cribla d'un regard noir.
-Qu'avez-vous dit? Siffla-t-il.
J'étais triste, apathique, même pas la force de penser à fuir ou esquiver.
-J'ai dit que Hermione aimait beaucoup les langues de chat. C'est des petits biscuits dorés, il y en avait beaucoup aux banquets de Poudlard.
Je crois que ce fut l'instant où il avisa mes cernes, mon teint pâle. Il paraissait contrarié.
-Nous irons au verger tout à l'heure, chercher des pommes pour une tarte.
La logique de la conversation m'échappait. Il voulait que je reste avec lui l'après-midi alors?
-Je pourrais sortir dans la forêt ensuite, Monsieur?
Le regard de Rogue se durcit, il le cacha derrière son journal.
Le débat fut clos, je retournai à mon poisson.
Le reste de la journée je dus accompagner l'adulte chercher les fruits, faire la cuisine avec lui et exécuter chacun de ses ordres aussi vite que possible. Je n'eus pas une seconde pour réfléchir à quoi que soit d'autre que notre tarte aux pommes. Puis, au lieu de me promener, je fus obligée de l'aider à préparer des filets de poulet en croûte au basilic. Rien que la préparation durait une heure!
Ce fut excellent bien sûr mais j'aurais préféré...
Le lendemain je n'eus droit qu'à une heure de sortie. De dix-huit à dix-neuf heures. Je n'avais rien fait de mal pourtant, Rogue refusa de m'accorder plus, il me gronda et m'obligea à rester dans ma chambre jusqu'au dîner. Quelque chose se dégradait. L'adulte souffrait.
Mais il continuait à me lire des histoires chaque soir, sa main s'agrippait à moi et au livre que je lui donnais, sa voix me berçait...
-Là, cependant, enroulé autour du pied de la colline, il y avait un ver, blanc, monstrueux, boursouflé et aveugle. A leur approche, il tourna vers eux une tête affreuse et prononça les paroles suivantes: Payez-moi avec la preuve de votre douleur.
Il s'arrêta un peu pour laisser planer le mystère, pour que ses mots se désagrègent lentement dans l'air.
-Professeur; murmurai-je à moitié endormie.
-Qu'y a-t-il? Chuchota Rogue d'un ton très doux.
-Je sais où est caché le cinquième Horcruxe... Il faut que je leur dise...
Il se crispa, sa poigne convulsa autour de moi. La fièvre disparut quelques secondes plus tard et le silence s'étendit. Ne comprenant pas je finis par demander:
-Vous pouvez continuer l'histoire Monsieur, s'il vous plaît? On était arrivé au ver bousouflé.
Comme il ne disait toujours rien, j'indiquai mollement la ligne où il y avait le monstre d'un doigt. Rogue l'enveloppa d'une main tiède puis le ramena entre nos deux corps. Il inspira, reprit l'histoire.
-Sir Sanchance tira son épée et tenta de tuer la bête mais sa lame cassa net. Puis Altheda jeta des pierres au ver,...
Je fermai les yeux et ne tardai pas à rêver du ver, du chevalier et des sorcières, de la coupe gigantesque, de l'or tout autour, de Gringotts...
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Rogue devenait "aussi volatile que ses potions" expression de mon acien précepteur potionniste. Cela voulait dire qu'il pouvait tenter un rictus souriant avant de sombrer dans le silence puis d'éclater de colère et de me gronder.
J'avais essayé les mûres parce qu'il en restait assez dans les ronces du chemin et m'étais arrangée pour prendre des gants, ne pas me blesser. Rogue avait apprécié, j'en étais sûre, nous en avions mangé le soir-même. Mais le lendemain il était de nouveau d'humeur sombre.
Ça ne pouvait pas être la potion, il ne travaillait presque plus dessus, peut-être ses remords ou alors quelque chose d'horrible se passait et je n'étais pas au courant! En tout cas je voulais savoir! Mais l'adulte n'acceptait plus ni de m'emmener à Poudlard, ni de me révéler quoi que ce soit.
Nous avions passé la journée dans un musée de Botanique extraordinaire puis il m'avait accordé une heure de promenade. J'avais encore une dizaine de minutes pour réfléchir au creux de mon arbre. J'esssayais de me concentrer sur Rogue, mais des rires résonnaient, des appels, j'entrevoyais Poudlard, le phénix, Hermione entortillant une mèche de cheveux, Ron et ses cuisses de poulets... Le professeur Rogue avait besoin de moi.
Je m'extirpai sans problème de ma cachette et retournai à la chaumière. Il y avait du vent ce soir-là, assez puissant pour s'aventurer entre les troncs serrés des arbres et entortiller mes mèches de cheveux. J'arrivais à la maison toute ébouriffée, les yeux brillants... pour retrouver Rogue dans son fauteuil, la tête dans les mains. Il ne la releva même pas lorsque je fermai la porte derrière moi.
Quelque chose n'allait vraiment pas. J'approchai, avec prudence quand même.
-Monsieur?
-Dégagez Lumare! Montez dans votre chambre! Cracha-t-il en crispant ses doigts dans ses mèches grasses.
Cela me fit avancer encore plus. Je continuai jusqu'à être à un demi-pas de son fauteuil, encore assez éloignée pour pouvoir éviter le moindre coup, mais assez proche pour discerner ses mains trembler. Alors je pris une décision, et agrippai les deux poignets de l'adulte pour les écarter et grimper sur son fauteuil. Un genou entre ses deux jambes, l'autre entre l'une d'elles et l'accoudoir. Je m'assis et alors qu'il n'avait même pas essayé de me repousser, le criblai du regard.
Le sien était terne de nouveau, ses traits affaissés, ses joues retombaient sur des lèvres tordues vers le bas. Il n'y avait même pas de masque d'impassibilité pour tout cacher, Rogue était fatigué.
Ses bras vinrent s'enrouler autour de ma taille sans qu'il ne montre rien que de la tristesse, je penchai un peu la tête puis levai mes deux index. Rogue ne bougea pas. Je frôlai les deux coins de ses lèvres et les étirai doucement vers le haut, en un petit sourire. Il était réussi, l'adulte finit même par plisser les yeux d'amusement. Il ne me fit lâcher que pour demander:
-Etait-ce mieux ainsi?
J'hochai la tête, assise sur sa jambe, fermement agrippée à sa chemise. L'océan de mes yeux se perdait dans la noirceur des siens...
-Dîtes-moi Khorine; murmura-t-il encore, préférez-vous votre manoir ou cette maison?
-La maison; répondis-je sans hésiter.
Un de ses sourcils se leva, alors qu'un semblant d'étincelle revenait au coeur de son regard.
-Et pourquoi cela?
Un goéland lança son cri dans le lointain, je formulai ma réponse sans prendre même le temps de bien réfléchir:
-Je n'ai pas à faire les brioches ni les croissants du matin, ni les pains au chocolat. Il n'y a pas de cours à apprendre. Vous ne me frappez pas, il n'y a pas mon cousin et mes cousines. Et je peux me promener dans la forêt... presque à chaque fois.
Ma voix se teinta d'un peu de reproches puis je réfléchis et mon regard scintilla.
-Vous avez accepté que je sorte aussi, dehors. Je veux dire dans des villes moldues, et sorcières! Et puis on est allé dans des bibliothèques, dans des musées, dans un aquarium, j'ai mangé une sucette, on est aussi allé dans un parc sauvage avec des sombrals et une licorne!
Un sourire, je l'apercevais, commençait à étirer les lèvres de mon mangemort.
-Est-ce tout? Murmura-t-il narquois.
Il semblait moins triste et épuisé, c'était bien.
-Euh... hésitai-je incertaine, avant de me décider à le dire en haussant les épaules. Il y a vous.
C'était la vérité, mes yeux qui s'accrochèrent aux siens le prouvaient, je ne mentais pas. C'était grâce à Rogue que la maison était mieux que le manoir.
Il ne répondit rien à cela, ne bougea pas, si ce n'est ses mains qui quittèrent ma taille pour coiffer mes longs cheveux en arrière, dégageant mon visage. Une mèche retomba devant mes yeux. Cela le fit soupirer. L'adulte ne montrait plus sa fatigue, je ne savais pas s'il la cachait, ou si ma réponse l'avait aidé. Je restai face à lui sans savoir quoi faire, lui rejeta ma boucle brune en arrière.
-Vous êtes une gamine très particulière; marmonna-t-il en m'observant... Je ne vous ressemblais pas lorsque j'avais votre âge.
Rogue... à sept ans et trois quarts...
-Vous étiez plus... intelligent et euh,... moins bizarre? Demandai-je en baissant les yeux, les relevant aussitôt au petit rire amer qui lui échappa.
Son regard se voilait.
-Moins courageux.
A cela je fronçai les sourcils et me redressai sur mes genoux. Mon front s'enflammait, la fièvre, le phénix chantait.
-Vous êtes l'adulte le plus courageux que j'aie jamais rencontré; lançai-je alors.
Si ce qu'il avait dit était vrai -et je me rappelais du Serment Inviolable aussi-, si en sixième année il s'était bien passé ce qu'il avait dit, alors Rogue était sans conteste le plus courageux d'entre nous.
-Lumare?
Mon nom de famille... Etais-je... Les flammes s'estompèrent aussitôt. Je fermai les yeux, fort, les rouvris. Rogue avait l'air interdit, il me fixait bizarrement.
-Monsieur?
Il avait vraiment un drôle de nez, fin mais assez grand et tordu. Je l'aimais bien.
Le silence s'étendit et je cessais d'examiner son appendice nasal pour retourner à ses yeux noirs. Ils étaient adoucis.
-Que diriez-vous de faire un gâteau ce soir; murmura-t-il, au chocolat?
Je ne pus retenir mon exclamation ravie et en oubliai tout ce qu'on venait de raconter.
-Oui Monsieur!
-Bien, allez vous doucher. Je commencerai dans quinze minutes, que vous soyez prête ou non; lâcha Rogue dans une grimace en me lâchant.
J'hoquetai un rire avant de bondir de ses genoux, foncer jusqu'à... Je revins en courant vers son fauteuil et le serrai très fort dans mes bras, Rogue n'eut pas le temps de réagir, je repartis tout de suite.
Je ne mis que dix minutes, à peine, pour me doucher, me mettre en pyjama et coiffer ma tignasse. Puis je déboulai dans la cuisine et on commença à préparer le gros gâteau au chocolat.
Ce fut une très bonne soirée, mon professeur était plus calme et apaisé. Tout le salon sentait le chocolat. Je lui racontai le jour où John et Isa s'était procuré de la Tue-Loup, avait voulu me la faire boire en la mélangeant à du citron et à mon jus de citrouille du matin, ce qui avait bien sûr provoqué une énorme explosion! Rogue expliqua le mécanisme d'un ton posé, même si j'eus du mal à tout comprendre, puis parla des cachots, des histoires du Baron Sanglant et des fantômes de Poudlard -je n'avais pas le droit d'y retourner, c'est interdit Lumare!-. Sa voix était grave et pleine de mystères. J'écoutai tout et pus me blottir contre lui après le dessert tandis qu'il continuait à raconter. Sa main passait dans mes cheveux. Je crois que ma tête était un endroit sensible, que cela m'apaisait beaucoup lorsqu'il la frôlait de ses longs doigts froids...
Quelques jours passèrent...
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Je fus réveillée soudain par un brusque afflux de magie. Il explosait en bas, dans le salon, il s'estompa... Je me frottai les yeux, les cheveux rebiquant dans tous les sens, Griffy coincé sous mon bras, puis jetai un coup d'oeil aux rideaux. La lune les éclairait, il devait être une heure ou deux heures du matin.
Quelque chose n'allait pas, je sentais une troisième personne dans la maison, trop puissante..
Je me levai avec Griffy. Mes pieds nus se posèrent sur le plancher froid, sans faire le moindre bruit, avançant jusqu'à la porte de ma chambre pour l'ouvrir avec précaution. Il y avait des murmures en bas. Je sortis dans le couloir... L'escalier qui menait au salon était là, à droite, je descendis les deux premières marches, avant de stopper net. C'était Dumbledore, je savais. Avec Rogue.
-Severus...
-C'est hors de question; cracha le Mangemort dans un souffle. Elle restera avec moi! Ici! Ce n'est pas négociable!
-La poudre de cheminette inverse est dans mon bureau; murmura le vieux sorcier, elle n'aurait qu'à la jeter dans l'âtre pour que vous retourniez à votre époque et qu'elle retrouve son apparence originelle.
-Non!
-Severus; Dumbledore parut plus sévère soudain, je vous ai laissé assez de temps pour l'annoncer à Miss Lumare. Il est temps!
Son grondement ne s'était pas élevé plus haut que le murmure, mais il s'étendit dans toute la maison. Ensuite je perçus les pas d'un des deux adultes contre le parquet, incapable -de là où j'étais- de voir autre chose qu'un des accoudoirs de mon fauteuil et des ombres au sol.
-Ne pensez-vous pas que nous en avons assez fait? Que nous avons assez sacrifié pour la Cause? Siffla Rogue en élevant de nouveau la voix. Cette gamine était terrorisée par tous les adultes qui l'approchait, elle était blessée et instable!
-Par son passé, non votre futur; murmura le directeur.
-Sa magie se réveillait à chaque nouvelle vision, chaque horreur de notre futur. Elle n'y retournera pas! Potter et sa clique n'ont pas besoin d'elle!
Rogue était clairement hostile et impitoyable. Il disait ce qu'il pensait, il pensait qu'il devait me protéger, me laisser rester à la maison.
-Soyez raisonnable; soupira le vieux sorcier alors que j'étais accroupie sur ma marche, accrochée au bas de la rambarde et pétrifiée. Elle détient les secrets de la Victoire, vous le savez. Tout comme vous savez que vous ne devez pas, ni elle, vivre dans un espace-temps qui n'est pas le votre.
-Vous ne traiterez pas cette gamine comme un de vos pions!
Rogue sifflait comme un serpent et c'était lui qui faisait les cent pas, ses chaussures claquant contre le parquet. Je crois qu'il secouait la tête.
-Je lui laisserai le choix, de rester, ou de partir; dit Dumbledore.
-Si vous vous avisez de... ; commença le mangemort d'une voix déformée par la rage.
Le mage blanc trancha en perdant patience:
-Vous ne pouvez choisir à sa place.
-Je sais ce qui est le mieux pour elle! Rétorqua Rogue aussitôt.
Il y eut un silence, romput seulement par le craquement des flammes dans la cheminée du salon. Les deux adultes devaient se faire face...
-Vous êtes trop attaché à cette enfant, mon ami. Il me semble que vous avez plus besoin d'elle qu'elle n'a besoin de vous.
C'était impossible. Cela provoqua chez Rogue une fureur incroyable, il en vint à la baguette, je sentis une puissante magie crépiter dans son bois, violente, noire. Il n'y eut pas de sort, mais il cracha à la tête de Dumbledore toutes les menaces, toute la haine, toute la morbide noirceur qui le dévorait. Il fit reculer le puissant sorcier, encore, jusqu'à la porte. Le mangemort ne parvenait plus à retenir les limbes de ténèbres. Elles commençaient à... Lui sifflait des imprécations, il parlait des morts que lui avait abandonné, qu'il ne lui enlèverait pas ce qui lui revenait...
-Je vous laisse une semaine pour lui parler, ou je le ferai; prononça soudain Dumbledore.
Et l'instant d'après, il disparaissait dans une explosion de lumière aveuglante. Plus rien ne bougea, ni moi, je ne pouvais plus. La baguette de Rogue finit par claquer en tombant à terre, je l'entendis chanceler et s'effondrer dans un fauteuil. Le choc me pétrifiait.
Un gémissement soudain lui échappa, remonta depuis le salon. Mon coeur se déchira.
Puis un halètement sortit d'entre mes lèvres, je pus bouger de nouveau, et m'empressai de me relever en vacillant, de retourner m'enfermer dans ma chambre. Je me roulai en boule sous les draps autour de Griffy et tremblai tout le reste de la nuit.
