Chapitre 11
Je pouvais rester ici, grandir auprès de Rogue et réapprendre avec lui tout ce que je ne savais plus. Nous pourrions nous cacher, délivrer les informations qui restait dans mon esprit à Harry, Hermione et Ronald dans dix ans, obtenir la victoire dans ce monde parallèle. Mais il ne serait pas le mien, seulement parce que Rogue et moi y serions. Et je ne pouvais pas grandir sans mes meilleurs amis. Ils m'appelaient, murmuraient toujours mon nom. Que se passait-il là-bas? Que se passerait-il si je n'arrivais pas à temps? Si des raffleurs les attrapaient? S'ils étaient dénoncés? S'ils attaquaient Voldemort sans avoir détruit la coupe? J'en mourrais, je ne pouvais pas attendre dix ans.
J'étais roulée en boule dans mon arbre creux en fin d'après-midi. Rogue s'était montré assez neutre et agréable, alors que la veille même...
J'avais détruit sa couverture, par ma faute il pourrait être tué à l'instant même où nous retrouverions notre monde. La marque. Voldemort pouvait simplement tuer ses serviteurs en activant la marque.
Il faudrait que personne ne le sache en vie, qu'il reste caché quelques semaines au plus, pendant que j'irais retrouver mes amis et que nous mènerions nos derniers combats. Après, tout serait fini, Rogue réhabilité, mes amis en sécurité.
... C'était trop beau pour être possible. Il suffisait que Rogue se fasse repérer, que Dumbledore n'ait pas fait le nécessaire pour prouver qu'il était innocent, que mes amis se soient faits attrapés, torturés, que l'un d'entre eux soit...
Il fallait partir!
Les mouettes criaient dans le lointain et les cimes des arbres bruissaient sous le vent. J'avais la tête en feu. Mais j'étais bien ici, ce n'était pas comme au manoir. Même Osty n'avait jamais fait tout ça pour moi. Il ne m'avait jamais raconté d'histoire, ou offert une sucette, ou permis de sortir de nos propriétés, ou... simplement regardé de la façon dont Rogue me regardait, grimacé un sourire comme lui le faisait, expliqué pendant des heures les propriétés de tout ce qu'on voyait dans la forêt.
J'avais besoin de rester.
Le soleil s'abaissait lentement, se rapprochant des dix-neuf heures...
Je me laissais une semaine. J'avais encore une semaine, ensuite il faudrait rentrer.
Oui. J'acquiesçai fermement, toute seule au fond de mon arbre. Et quelques temps plus tard je m'en extirpai pour rentrer à la chaumière. La fièvre s'était apaisée, j'étais calme, et souris même en entrant chez nous et en voyant Rogue en cuisine. Il se retourna vers moi presque aussitôt, en grommelant, puis m'ordonna d'éplucher ces satanés pommes de terre. J'accourus, commençai mon travail à ses côtés en me mordant les lèvres pour ne pas trop sourire. Le professeur semblait grognon mais calme, il ne fit pas une seule allusion à Dumbledore, au futur ou à la poudre-inverse. De toute la soirée. A la fin je retrouvai ses genoux et il reprit à la page 80 l'énorme bestiaire que Dumbledore avait laissé, nous en étions au Rokh, partie des contes arabes.
-C'était un oiseau de feu accompagnant l'orage; murmurait Rogue d'une voix sombre et profonde, funeste présage d'une mort imminente surgissant comme la foudre.
Je m'accrochai à sa chemise blanche en fixant l'énorme illustration de l'oiseau, et puis il commença le conte de Sindbad tiré du Livre des mille et une nuits. Il parlait du Rokh, il disait combien il était grand, qu'il pouvait soulever un éléphant!
Je m'endormis contre le torse de Rogue longtemps plus tard et me réveillai comme d'habitude le lendemain parce que la porte de ma chambre s'ouvrait.
-Cinq minutes! Lâcha-t-il avant de descendre dans le salon.
Je m'empressai de me lever. C'était comme si j'avais fait ça toute ma vie.
Rogue ne fit même plus semblant de travailler sur la potion, nous passâmes toutes nos journées dehors dans les parcs, les forêts, à visiter des endroits magnifiques. La semaine passa trop vite.
Ces sept jours qui suivirent la dispute entre Rogue et Dumbledore me filèrent entre les doigts, nous devions être le 29 septembre aujourd'hui.
Juste après le déjeuner que nous prîmes à la maison, Rogue enchanta la vaisselle pour qu'elle se fasse toute seule puis se dirigea vers l'entrée, s'empara de sa cape et l'attacha. Je m'empressai de le suivre, de baisser mes manches et de les boutonner pour sort...
-Vous restez là; lâcha mon professeur.
Je levai un regard angoissé vers lui. Il n'allait pas partir, n'est-ce pas? Pas m'abandonner? Il n'allait pas laisser Dumbledore m'emmener loin de lui?
-Calmez-vous; gronda Rogue en s'apercevant de ça.
Lui était neutre, il s'agenouilla pour être à ma hauteur. Je n'avais jamais détaillé avec autant de ferveur le visage du mangemort, chaque détail.
-Je reviens dans quelques heures, en attendant le professeur Dumbledore va vous rejoindre. Ne paniquez pas, et évitez de lui jeter le moindre sortilège, est-ce clair?
Je déglutis.
-Oui Monsieur.
Rogue hocha la tête sans montrer qu'il puisse en ressentir quoi que ce soit.
-Oh, et avant que j'oublie, voici.
Rogue sortit d'une poche de sa cape ma baguette. Ma baguette en bois d'orme noir, plume de phénix, 19,3cm. Les larmes me vinrent aux yeux, elle m'avait tant manquée. J'avançai une main tremblante vers elle et finis par l'enrouler délicatement autour du bois sombre. J'effleurai celle de Rogue, glacée. Puis il n'y eut plus que le crépitement soudain et la vague de flammes qui me traversa les doigts, qui se répandit dans chaque parcelle de mon corps. Je la ramenai contre mon coeur, haletante, avant de lever mes yeux océan vers le mangemort...
Je fronçai les sourcils.
-Vous auriez pu me la donner plus tôt; lâchai-je.
-Ou ne jamais vous la rendre; siffla-t-il en se relevant.
Ses dernières recommandations furent crachées sèchement dans le salon, sans que j'aie le temps de rien répondre, et puis il quitta la chaumière en claquant la porte.
Le bon vieux professeur Rogue était de retour, aussi mauvais et méprisant que d'habitude.
Je gardai ma baguette en main et entrepris de finir de reboutonner mes manches, me reprochant de les avoir même relevées en présence de quelqu'un! Ensuite je fis les cent pas dans le salon, je réfléchis. La fièvre n'était pas encore trop douloureuse et ma baguette vibrait dans ma main...
Des flammes vertes explosèrent soudain dans la cheminée, laissant bientôt place à la robe couleur épinard du professeur Dumbledore. J'inclinai la tête le regard brillant.
-Professeur; saluai-je.
-Khorine; murmura-t-il en sortant de l'âtre.
Il épousseta ses vêtements d'un geste souple de la baguette puis la rangea dans sa manche.
-Je suis heureuse de vous revoir professeur, vous m'avez manqué.
C'était vrai, même s'il ne me connaissait pas encore, même s'il n'avait pas vécu tout ce dont je pouvais me souvenir.
Ses yeux azur me criblaient comme autrefois, j'étais calme devant lui.
-Vous n'avez pas l'air intriguée par ma visite; dit-il en approchant et penchant la tête en même temps que sa barbe argentée.
-J'ai entendu votre conversation de la semaine dernière, professeur.
-Et vous n'en avez rien dit à Severus; sut Dumbledore en s'installant dans le fauteuil que Rogue préférait.
Je tiquai, le directeur le vit. Son regard électrique s'apaisa mais il ne changea pas de siège, faisant plutôt apparaître son éternel service à thé avec sa coupelle de bonbons au citron.
-Non, j'attendais de pouvoir vous en parler; finis-je par répondre en m'asseyant sur le canapé face à lui.
Le vieux sorcier sourit.
-Je vois que j'avais raison de conseiller à Severus de vous rendre votre baguette, vous êtes capable de rester.
Une tasse de thé dans sa coupelle vola jusqu'à la table basse devant moi, suivie d'une petite sucrerie citronnée. La chaleur dans mon front restait contrôlée, et c'était comme si, même l'enfant pouvait suivre le cours des évènements.
-Pas très longtemps; hésitai-je.
-Alors ne perdons pas ces précieuses minutes, dîtes-moi Khorine, qu'avez-vous décidé?
Je déglutis, détournant le regard de mon directeur pour le poser tout autour de moi, sur cette vieille maison près de la mer. Et puis je marmonnai:
-Vous le savez très bien, mes amis m'attendent et ce que j'ai découvert ici pourrait changer l'issue de la guerre. Mais... je voudrais une chose en échange...
Mon regard océan revint se focaliser sur Dumbledore. Qu'est-ce que le vieil homme m'avait manqué... Il hocha la tête, son aura magique s'étirant en volutes apaisantes autour de lui.
-Donnez-moi le moyen de faire innocenter Rogue, de tous les crimes qu'il a commis et de tous ceux qu'il sera amené à commettre.
-C'est un Mangemort, Khorine; rétorqua le directeur avec cette flamme étrange dans le regard.
-Mais vous lui faîtes confiance; affirmai-je... Et moi aussi, je lui fais confiance.
-Savez-vous l'ampleur de ses crimes? Soupira-t-il en secouant la tête. Avez-vous pensé a ce qu'il a fait pour Lord Voldemort avant même de changer de camp? Et ce qu'il pourra commettre en tant qu'espion une fois celui-ci revenu?
Je crispai les mâchoires. Douleur.
-Il a payé pour tout ça, et son rôle d'espion est vital pour l'Ordre! Vous me l'avez dit vous-même!
... Ses traits sombres s'éclairèrent un peu.
-Il est fort possible... que je vous l'aie dit... Ma mémoire n'est plus ce qu'elle était, pardonnez-moi.
Un petit gloussement m'échappa alors qu'un sourire apparaissait sous la barbe blanche. Après ça il accepta, il me dit que les documents dont j'aurais besoin seraient conserver chez notre futur plus grand ami commun et que je n'aurais qu'à utiliser son nom complet lorsque le moment serait venu.
Il me l'avait légué, le perchoir de notre grand ami commun. Il y eut un silence durant lequel nous savourâmes ensemble le thé vert à la menthe d'Egypte, je sentais la fièvre enfler. Je n'en avais plus pour très longtemps... juste le temps de nous arrêter sur une heure pour notre départ... Je me retirai doucement, laissant la gamine libre de ses mouvements et bien plus consciente de tout ce qui se passait...
-Voulez-vous que je vous raconte l'histoire de votre professeur de Potion, petit phoenix? Demanda Dumbledore doucement...
J'écarquillai les yeux, puis me dépêchai d'avaler le reste de mon thé avant d'acquiescer. Le breuvage qu'il m'avait servi était très très fort, je gobai le bonbon, et puis me renfonçai contre le canapé face au vieux sorcier. Je remontai même mes genoux contre moi, puis les serrai, comme je savais qu'il ne me gronderait pas. Ses yeux électrique scintillèrent devant moi, puis il commença à murmurer:
-C'était il y a seize ans maintenant. La première fois que Severus Rogue a franchi les portes de Poudlard, il faisait partie du groupe de première année, ainsi que James Potter, Remus Lupin, Peter Pettigrew, Sirius Black et... Lily Evans.
Un voile de chagrin recouvrit mon regard, mais je ne savais pas encore. Le professeur Dumbledore continua de sa voix rocailleuse et parcourue par le vent de la vieillesse. Il parla de leurs répartitions à tous, de l'amitié encore solide entre Severus et Lily, de... de tout le reste, puis de ses erreurs, de sa plus grande erreur, la marque qu'il avait prise à sa sortie de Poudlard. Il me révéla que c'était Rogue qui avait fait part à Voldemort de la prédiction de Trelawney, lui toujours qui avait supplié son maître, puis Dumbledore, de sauver Lily, à n'importe quel prix! Et encore lui qui avait juré vengeance et allégeance au mage blanc qui se tenait devant moi...
Il me raconta ensuite comment Rogue était devenu professeur et comment il s'y prenait avec les élèves.
-Généralement quelques minutes après le couvre-feu il entre dans la bibliothèque pour approcher le Serdaigle ou n'importe quel autre élève qui y est encore. Severus arrive par derrière...
La poignée de la porte d'entrée tourna dans mon dos mais Dumbledore ne releva pas la tête. Moi je sentis l'empreinte magique de Rogue.
-... sans faire de bruit... L'élève ne se doute de rien, une pile de livres dans les bras, et c'est là qu'il murmure de la façon la plus effrayante possible: "Mr Murray! N'aurions-nous pas dépassé le couvre-feu depuis trois minutes? Cela fera quinze points en moins pour Serdaigle." Le record du nombre de grimoires qu'il a pu faire tomber ainsi est impressionnant; révéla Dumbledore en souriant d'une manière tout à fait innocente.
J'écarquillai les yeux. Il se moquait de lui et il imitait sa voix alors que Rogue était ici! Je me retournai d'un coup et fis face au professeur de Potions. Il était furieux.
-Que lui avez-vous raconté? Siffla-t-il d'un ton mauvais en fixant le sorcier blanc derrière moi.
Son aura magique vibrait et crépitait très violemment. Je n'aurais jamais cru qu'il puisse un jour avoir si peu de retenue devant le directeur. Je me retournai vers lui.
-Moi? Demanda Dumbledore en souriant un peu et plissant ses yeux azur. Je n'ai fait que raconter à Khorine quelques histoires de Poudlard, vous savez comme elle aime ce vieux château.
Je revins à Rogue qui avançait, avançait, jusqu'à accrocher ses longs doigts froids sur le dossier de mon canapé. Il agrippa une partie de ma chemise en même temps, mais refusa de la lâcher. Je commençais à avoir peur.
-Sortez d'ici; ordonna-t-il glacial.
Pourtant sa magie était de moins en moins contrôlée, et il ne voulait pas desserrer sa prise sur ma chemise.
-Tiens donc, vous ne souhaitez pas raconter à Khorine votre retenue avec Thomas Howls et la caisse de pus de bulbobulb? Ou la fois où vous avez enlevé cent points en une seule fois après l'incident de la bataille de boullus?
-Sortez!
Un vacillement, dans l'étincelle du regard bleu électrique, puis Dumbledore hocha la tête. Il fit disparaître son service à thé et se leva de son fauteuil. Je n'osais bouger, ni ne sentais le moindre mouvement en direction de Rogue. Le vieux mage seul s'avançait, sa robe vert sombre flottant avec délicatesse autour de lui, comme avant. Il nous dépassa tous les deux puis s'arrêta devant la porte.
-Oh Severus, une dernière chose, votre départ est prévu pour demain matin, six heures.
Il avait dit que c'était la meilleure heure pour passer inaperçus, même si on ne savait pas vraiment si les espaces-temps étaient "parallèles". A la nouvelle, Rogue tressaillit. Ses doigts en abandonnèrent le canapé pour se crisper seulement sur ma chemise. Puis la porte fut ouverte, refermée, Dumbledore était parti et transplanait quelques secondes plus tard. Je n'avais pas vu son phénix.
-Ainsi; siffla Rogue juste après, vous souhaitez partir?
C'était froid, comme sa main. Je me rappelais tout ce qu'il avait dit à Dumbledore une semaine plus tôt, que j'avais assez sacrifié pour la Cause, et tout ce que je venais d'apprendre de son passé, tout ce que le directeur m'avait raconté.
-J-je... je dois partir...monsieur; marmonnai-je en regardant partout sauf l'adulte devant moi.
Soudain sa main libre dans mon champ de vision, et puis ses longs doigts glacés autour de mon menton qui me forcent à le regarder dans les yeux. Ses yeux emplis de ténèbres, d'une rage froide, même si sa magie s'est apaisée. J'examinai l'adulte, son nez tordu, sa peau comme de la cire, ses cernes, ses cheveux graisseux qui pendaient, ses lèvres blêmes et les contours osseux de son visage. Il avait tellement souffert, toutes ces années.
-Ne me détestez pas, s'il vous plaît; murmurai-je encore plus bas. Mes meilleurs amis sont là-bas, ils m'attendent... ils ont besoin de moi...
Je les avais vu en rêve, en cauchemar. Je savais qu'il le fallait. Mon moi de dix-sept ans mourrait de ne pas pouvoir les rejoindre.
Rogue soupira.
-Je ne vous déteste pas.
Choquée, je le fixai. Lui en desserra son emprise, et sa main droite quitta mon menton pour remonter caresser ma joue, finir par se perdre dans mes cheveux. Il caressa les longues mèches noires, les traits crispés. Moi aussi, il y avait tellement d'émotions, de messages contradictoires. Pourtant, tout ce que je voulais... Je serrai les doigts autour de sa cape avant de me coller à lui et de le serrer fort dans mes bras. J'avais l'oreille contre son coeur, le front caché au creux de sa robe de sorcier, il y faisait chaud et j'étais en sécurité. L'instant d'après ses propres bras venaient s'enrouler autour de moi. La poigne était t-trop forte, c'était douloureux. Mais je ne fis rien pour m'écarter. Le dossier du canapé était entre nous deux et... Rogue me souleva soudain au-dessus du siège pour m'étreindre enfin tout contre lui. Il alla s'asseoir dans son fauteuil et puis nous ne bougeâmes plus.
