Chapitre 4

Je portais encore des vêtements de Rogue, chemise blanche, pantalon noir. C'était agaçant. Mais bien moins que le fait d'être coincée ici. Je refermai mon grimoire de Potions dans un claquement sec.

-Ça fait des mois que je ne les ai pas vus! Et puis communiquer ces informations par Patronus peut-être dangereux! Laissez-moi y aller, s'il vous plaît!

Les expressions de Rogue demeurèrent cachées derrière sa Gazette du sorcier, il n'y eut que sa voix froide et doucereuse qui me parvint:

-Trop dangereux.

Non, il ne pouvait pas refuser aussi facilement!

-Je vous en prie, professeur, ouvrez une brèche dans les défenses du laboratoire. Je... je vous promets de revenir.

-Evidemment; ricana-t-il soudain en faisant tomber le haut de son journal et percutant mes yeux océan. Vous ne pouvez pas faire autrement si vous voulez votre Polynectar.

-Alors qu'est-ce que vous craignez? Sifflai-je de plus en plus énervée. Je suis capable de me défendre, je l'ai très bien fait par le passé et...

-Vous n'êtes pas même capable de transplaner Lumare, vous ne tiendriez pas vingt secondes contre un mangemort.

Je crispai les poings contre mes accoudoirs, le bras droit traversé par un afflux de magie qui crépitait...

... Le salon était toujours éclairé par le feu de cheminée à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit comme nous étions en sous-sol, de grosses flammes ronronnaient dans l'âtre, les bûches craquaient. Il y avait des bougies aussi, des chandeliers. Tout cela laissait apparaître des tâches de lumière, quelques éclats sombres sur le maître des potions, moi, le sous-sol entier... J'aimais cet endroit, c'était étrange mais je l'appréciais... Pourtant il me fallait retrouver mes amis, après ces longs mois, cela m'était vital. Vraiment.

-Il faut que je les voie.

-Vous êtes bornée, Lumare! Sifflai-t-il le regard noir. Combien de...

-Je suis censée être libre de sortir de ce laboratoire quand je le souhaite, ce que je fais en dehors ne vous concerne absolument pas! Et puis que vous importe qu'une exaspérante gamine meure alors que vous savez la fin de cette guerre proche et que tout ce qu'il vous reste à faire est d'apporter le Polynectar à l'Ordre du phénix! Lançai-je une tempête déchaînée au fond de mes orbes bleus et des grésillements de magie autour de mon bras droit.

Rogue blêmit et ses doigts tremblèrent contre le journal. Je... Je n'avais pas songé un instant que mes mots pouvaient le blesser. Il était trop pâle et les trous noirs dans ses yeux s'effondraient sur eux-même. C'était douloureux, effrayant et vertigineux. Ma magie s'effilocha juqu'à disparaître dans les airs et je regrettais ce que j'avais dit.

-Vous êtes sous ma responsabilité.

Merlin... je devais retrouver mes amis! Au moins les voir, une fois, pourquoi ne comprenait-il pas?

-J'ai dix-sept ans professeur, bientôt dix-huit, et déjà majeure dans le monde sorcier. Je ne suis sous la responsabilité de personne.

-Vous n'êtes qu'une gamine arrogante que cela vous plaise ou non et je ne vous laisserai pas risquer le moindre pas seule en dehors de ce laboratoire! Cracha-t-il, puis il redressa son journal et en tourna une page.

-Alors venez avec moi! Lâchai-je exaspérée, fatiguée, perdue, que sais-je encore...

Un brouillard de lassitude me recouvrait, je ne supportais plus de me battre contre Rogue. Je ne savais si mes forces et ma magie s'épuisaient trop rapidement ou si c'était seulement à cause de mes efforts de la journée mais je ne voulais plus de ces disputes.

Nous argumentâmes et le ton monta pourtant encore une grande partie de la soirée. Je ne savais quoi penser de son refus initial... Mais en fin de compte, il accepta. Rogue plia pour la deuxième fois. A ses conditions bien sûr. Nous devrions transplaner aux abords de la Chaumière, dans un endroit protégé, il inspecterait les alentours avant de me permettre de m'aventurer à découvert, je n'aurais que dix minutes pour leur parler avant de sortir, de le retrouver et de rentrer à l'Impasse du Tisseur. J'avais prévenu mes amis. Nos retrouvailles étaient prévues pour le lendemain après-midi, des étincelles de bonheur crépitaient au fond de mes yeux, des sourires m'échappaient, m'échappèrent tout le matin.

Et puis, après le déjeuner, Rogue créa une brèche dans nos défenses, s'empara de mon bras, je nous fis transplaner. Mon énergie fut drainée en quelques secondes, et les soins, le repos, des dernières semaines balayés... mais je ne voulus rien montrer. Si Rogue choisissait de tout arrêter maintenant! Je me tins difficilement contre un pin près de la plage et de la Chaumière aux coquillages tandis que mon professeur de potions s'assurait qu'il n'y avait aucun danger...

Enfin je pus m'avancer, toquer à la porte de la Chaumière. Je tremblais, les larmes me montaient aux yeux. Mon coeur battait si fort, j'allais les retrouver, mes meilleurs amis, ceux qui me soutenaient depuis ma première année à Poudlard...

La porte s'ouvrit, je fus attirée à l'intérieur, et aussitôt exposée à cinq baguettes magiques. Je fermai les yeux, blessée. Il y avait Hermione, Ron, Bill, Fleur et Harry. Leurs baguettes tremblaient.

-C-comment je m'appelle? Lança Harry.

Oh... pour être sûrs que je n'étais pas un mangemort sous Polynectar?

-Harry James Potter; répondis-je les yeux brillants.

-Harry! Grogna Bill. Tout le monde connaît la réponse!

-Bon et moi alors? Fit Ron.

-Ronald Bilius Weasley; fis-je...

-Ronald! Grogna Bill.

Moi je commençais à sourire et mon coeur à se réchauffer. Ils enchaînaient boulette sur boulette, expression consacrée de Ron lorsqu'il mangeait des pâtes à la bolognaise. Et ils étaient là en vie, en bonne santé. Hermione avec ses cheveux touffus s'emmêlant sur ses épaules, son visage fin et ses yeux chocolat brillant de larmes, Ron et ses éphélides, son nez en trompette, Harry et ses petites lunettes rondes, ses yeux verts étincelants, sa cicatrice.

-D'accord, alors... Qu... De quel professeur tu étais amoureuse? Demanda soudain Mione.

J'écarquillai les yeux, Ron et Harry se tournèrent vers elle complètement choqués. Bien sûr, je protestai aussitôt:

-Hey, c'était une admiration sans borne pour le professeur Vektor! Ne va pas t'imaginer qu'il y avait autre...

Je ne pus aller plus loin, Hermione poussa un hurlement strident avant de me sauter dessus et de me serrer dans ses bras, très fort, en pleurant.

-Khorine! Khorine! C'est toi!

Les larmes me vinrent aussitôt aux yeux, des larmes de bonheur. Il y avait de la douleur aussi dans le sanglot qui m'échappa, tous ces mois sans eux, et tout ce qui me compressait le coeur qui céda soudain! J'étreignis comme je pouvais mon amie, me cachant dans le creux de son cou, balbutiant des mots de remerciements et de joie et je ne savais plus ce que je disais. Je sentis Harry et Ron nous sauter dessus, j'étais trop bouleversée, trop heureuse!

Nous pleurâmes tous ensemble accrochés les uns aux autres et quand mes genoux cédèrent nous finîmes tous au sol.

Nous mîmes de très longues minutes à nous calmer. A nous lâcher. Bill et Fleur vinrent me serrer dans leurs bras, puis nous nous assîmes dans le petit salon de la chaumière. Il ressemblait un peu à celle du Refuge. Un peu. Avec la cheminée, les fenêtres donnant sur les dunes de sable, le cri des mouettes...

Je leur racontai qu'un autre mangemort était arrivé pour me sauver à Poudlard, que je ne pouvais révéler son nom, mais qu'il m'avait aidé à m'échapper, m'avait cachée et soignée durant cette dernière semaine. Je passais bien sûr sous silence notre voyage dans le passé parce que je n'avais pas assez de temps, qu'ils ne devaient pas encore savoir, que je considérais cela comme un grand secret entre Rogue et moi... Je leur racontai comment j'avais compris pour le dernier Horcruxe et le marchandage que j'avais opéré auprès du mangemort pour parvenir à créer du Polynectar avec lui.

Mes meilleurs amis se récrièrent, je tentai de les raisonner, Bill et Fleur m'appuyèrent, nous parlementâmes. Les dix minutes s'envolèrent, et en fait, j'en passai près de trente à la Chaumière. Rogue allait me torturer, me faire éviscérer des batraciens et écailler des queues de sirène pour le restant de mes jours... Mais ça valait le coup. J'étais épuisée lorsqu'il fallut se lever.

-Et Bill nous aidera à trouver les ingrédients pour la Repouss'poil. En un mois on aura ce qu'il faudra pour te rendre méconnaissable Ron; termina Hermione.

Nous acquiescâmes en nous dirigeant vers le hall.

-Bien; haletai-je. C'est une... bonne idée...

J'étais pâle, je ne sentis pas le filet de sang quitter mes lèvres et couler le long de mon menton. Le monde vacillait. Je me retins contre la porte...

-Khorine; souffla Hermione en me fixant comme pétrifiée.

Harry écarquillait les yeux derrière ses petites lunettes et finit par porter ses doigts à ma peau, mon menton, il les retira rouges de sang. Merlin...

-J... J... ai reçu quelques... sortilèges. Le transplanage; expliquai-je comme je pouvais.

Oh Merlin, non! Ils étaient inquiets, même Bill et Fleur pâlissaient devant le sang qui m'échappait encore.

-Je dois... y aller.

Il le fallait. Je tournai la poignée de la porte et savais que si je les prenais une nouvelle fois dans mes bras ils essaieraient de me retenir, ou moi de rester.

-Khorine, je t'en prie! S'écria Hermione en s'avançant.

Je lui souris doucement, le regard bleu mer scintillant.

-Je vous retrouve dans un mois... avec le Polynectar...

Harry, Ron, Fleur, Bill, je les embrassai tous du regard, Hermione pour finir qui s'était arrêtée. Et puis j'ouvris la porte et vacillai sur le perron.

-Reviens-nous, dans un mois! Cria Harry.

Je secouai la main, hochant la tête, avant de lâcher la porte et de la laisser se refermer derrière moi. Je descendis le perron en titubant, marchai dans le sable qui s'écroulait sous mes pas. Les embruns fouettaient mon visage, les vagues tonnaient contre les rochers, un voile opaque recouvrait mon regard. Cet endroit me rappelait le Refuge, Rogue quand il m'avait offert cette énorme sucette, quand il parlait des propriétés de toutes ces plantes étranges, qu'il me laissait monter sur ses genoux et acceptait de me lire une histoire... Cela paraissait si loin... une autre vie... et pourtant deux semaines... Mon pied gauche se prit dans un trou de sable, mais je retrouvai l'équilibre. Je ne voyais plus grand chose, le ciel s'assombrissait encore, il y avait cette brume... ou mes yeux...

Rogue n'était pas là.

J'étais saisie par deux bras puissants l'instant d'après, l'étreinte fut soudaine et violente. Je sentis le corps de mon professeur tout contre le mien, bien avant de rencontrer ses orbes emplies de ténèbres.

-Ils vont vous voir; murmurai-je en m'agrippant à sa cape.

-Le brouillard recouvre toute cette plage; me susurra-t-il à l'oreille. N'avez-vous pas remarqué?

Non... seulement que le vent s'était apaisé, que tout était plus sombre... Je sentais du sang m'échapper de nouveau! Comment pouvais-je être aussi faible?!

-Comment espériez-vous combattre le moindre mangemort dans votre état, Lumare? Il vous aurait tuée en quelques secondes, ou pire, livrée au Seigneur des Ténèbres.

-Je devais les revoir; haletai-je tremblante.

-Stupide Gryffondor bornée; gronda Rogue qui nous fit bientôt transplaner à l'Impasse du Tisseur.

Je sentis le plancher sous mes pieds, l'étreinte que Rogue maintenait. Mon front brûlant se réfugia dans le creux de son cou, je n'avais plus la moindre énergie, je n'aurais jamais dû me lever... Le maître des potions avait eu raison... Je perdis connaissance.

oooooooooooo oOo oooooooooooo

A mon réveil je me retrouvai dans le lit de Rogue emmitouflée dans les draps, contre un matelas et un oreiller moelleux. C'était doux et agréable, je me sentais mieux. Mon professeur de potion était à mon chevet, nos regards se rencontrèrent par-dessus le gros livre de potions qu'il tenait. Un des Volumen medicinae paramirum de Paracelsus si je ne m'abusais.

Il attendit que je me sois assise contre le montant de bois du lit, puis me reprocha mon imbécilité, tout le temps que j'avais gaspillé dans la Chaumière, le transplanage qui aurait pu nous tuer tous les deux! Je supportai la violence de ses propos sans dire quoi que ce soit. Mais me récriai lorsqu'il m'annonça qu'il partait seul chercher les premiers ingrédients du Polynectar, cheveux de vélane et chélicères d'arachnée.

-Laissez-moi venir!

-Vous ne me serez d'aucune utilité; ricana Rogue en claquant des doigts.

Il fit léviter ainsi un plateau de petit-déjeuner plein à ras bord jusqu'à moi.

-Mangez, reposez-vous, recouvrez vos forces, ou je me verrais effectivement dans l'obligation de vous laisser dans cette chaumière aux coquillages en compagnie des cornichons qui vous servent d'amis.

Je fronçai les sourcils, crispai mes poings autant que je le pouvais malgré mes muscles engourdis.

-A chaque minute que nous gaspillons de nouveaux sorciers et moldus perdent la vie.

-Ce sera votre vie que vous perdrez; siffla l'ancien mangemort, si vous ne suivez pas à la lettre mes instructions.

Il lança un sortilège à quelques grimoires de mythologie, de potions et de botanique pour qu'ils se posent sur ma table de chevet puis ensorcela les candélabres pour qu'ils diffusent plus de lumière. Rogue m'ordonna encore de ne pas bouger de mon lit, de finir tout mon plateau, de ne pas utiliser ma magie... et il sortit, referma la porte.

Je restai à enrager un bon moment, avant de devoir me rendre à l'évidence. Je n'avais d'autre choix que de lui obéir. Je mordis dans mon premier pain au chocolat en grognant, fixant les alentours et cette chambre d'un regard noir...

Et puis je ricanai. Dans un coin, derrière le pied d'une des bibliothèques croulant sous le poids de vieux grimoires, étaient abandonnées deux coquilles d'oeuf de doxys.

Quand je pensais que Rogue était fier des maléfices et des barrières qui protégeaient son laboratoire! Evidemment je me garderai bien d'en parler.

Je m'emparai de mon verre de lait, le sirotai avant de m'attaquer à une brioche à la cannelle d'une main et de tenir un bestiaire de mythologie nordique de l'autre. Quelques miettes tombaient sur la chemise blanche que Rogue m'avait prêtée... Comme quoi, chacun avait ses failles... Oui c'était bien le cas de le dire. Et si je n'étais pas encore tout à fait remise, je ne tarderai pas à l'être et à lui prouver que j'avais mon utilité dans cette guerre. Foi de Lumare!

Après le déjeuner au salon j'eus le privilège de pouvoir me reposer dans un des fauteuils près de la cheminée! Je relevais la tête de temps en temps pour observer Rogue, le chaudron qui bouillonnait, les racines de mandragore qui dépassait du bord de la table, les cheveux de vélane alignés un par un sur une sorte de promontoire en bois, les chélicères flottant dans le saumure au-dessus du plan de travail. Il ne me laissa pas l'aider de la journée, me pensant tout juste assez forte pour tourner les pages de mes grimoires. Nous nous disputâmes le lendemain aussi, sur le fait que je pouvais lui être utile à la préparation du Polynectar, il ne céda pas. Le surlendemain de même. Au fond, je savais que je devais me reposer et retrouver ma puissance, mais le voir travailler seul sans lui être d'un quelconque secours m'était difficile.

Une semaine passa. Désormais nous nous disputions sur le fait que je pouvais participer aux frais du sous-sol, payer de quoi manger et sur le fait que je ne pouvais décemment pas toujours me vêtir de ce que Rogue me prêtait. Ses chemises étaient trop grandes pour moi, je n'avais aucun sous-vêtement, je devais retrousser ses pantalons et même ses chaussettes noires étaient trop grandes, leur talon remontait toujours jusqu'à ma cheville!

Autrement la potion progressait, bien plus vite et d'une manière plus subtile qu'avec Hermione. Mon professeur de potions était assurément un maître. Quant à moi, j'étais en état de marcher, de rester debout des heures et de participer à l'élaboration du Polynectar. Je ne pouvais pas encore sortir et me restreignais à ne pas utiliser mes pouvoirs. Il me fallait du temps... encore un peu... Rogue ne me laissait de toute façon aucune chance de l'utiliser ou de rechuter. Il était là.

J'étais bien, apaisée, assise en tailleur dans mon fauteuil, à la droite du sien. Nous venions de finir le dîner, je lisais un livre de Mythologie Nordique, le récit précis de l'aventure d'Odin devant la fontaine de vérité au pied de l'Igg-drasil. Le feu toujours ronflait dans la cheminée, les bûches de pin crépitaient de temps en temps. Rogue était plongé dans la lecture d'un grimoire intitulé "Des plantes européennes méconnues à leurs propriétés potionnesques". Il était absorbé par sa lecture, je l'observai encore un instant puis revins aux flammes. Elles étaient jaunes orangées, s'étiraient paresseusement en projetant leurs lumières dans tout le laboratoire. Des salamandres y apparaissaient, un phénix de temps en temps aux longues ailes élancées, un faon à la robe fauve tachetée d'étincelles blanches, une biche... Elle s'avançait avec douceur, foulait d'une gracieuse manière le bois rougeoyant...

-Professeur? Murmurai-je encore envoûtée. C'est vous qui avez créé ce laboratoire?

Je sentis qu'il ne relevait pas la tête de son grimoire, mais il répondit par un grognement affirmatif. Aussi affirmatif que je pouvais en juger, ce qui pouvait aussi bien être négatif...

-Cette maison appartenait à votre famille?

Il tressaillit, presque imperceptiblement, mais son regard sembla riper sur les dernières lignes de son grimoire. Rogue ne releva pas pour autant les yeux.

-Cessez de parler pour ne rien dire; siffla-t-il avant de ricaner. Cette attitude déplorable doit vous venir de votre immersion dans l'imbécilité pathologique des Gryffondor, à moins que ce ne soit par le contact de ces pitoyables amoureux des moldus que sont les Weasley.

Il tourna une page de son grimoire comme si la conversation était close. Mais elle ne l'était certainement pas! Des éclairs se déchaînaient dans mes yeux et mon bras droit commençait à crépiter de magie. Comment osait-il critiquer les Gryffondor, ma maison?! Et les Weasley! Surtout les Weasley! Comment pouvait-il être aussi arrogant et se permettre de... Je crispai les poings... J'inspirai...

-Vous veniez souvent au sous-sol lorsque vous étiez petit?

Ma voix sonnait un peu plus rauque qu'avant, la colère refoulée grondait encore. Mais j'avais entamé un sujet sensible et j'aurais dû m'y attendre.

-Je n'ai jamais été petit; répondit-il en relevant la tête cette fois et en percutant mon regard. Le bâtard graisseux qui se tient devant vous n'a jamais été autrement qu'il n'est aujourd'hui. Cessez de poser vos questions idiotes!

Contre toute attente, ma colère s'évapora, la gronderie qu'il m'adressait m'effleura sans me faire le moindre mal. Il n'y avait que cette étincelle qui apparaissait alors que je demandais:

-Vous auriez des photos de votre enfance? Vous deviez être un garçon très mignon.

Il haussa un sourcil, puis un voile noir recouvrit sa vue. Il gronda lourdement un: "non", qui résonna dans la pièce. Et je ne savais pas s'il n'avait pas de photographies ou s'il ne se trouvait pas mignon lorsqu'il était enfant. Peut-être les deux, peut-être qu'il ne les avait pas gardé ou qu'il n'y en avait jamais eu. Pourtant j'aurais aimé le voir plus jeune, retrouver les traits de mon professeur et ses mimiques chez un garçonnet taciturne.

... Ses mâchoires étaient crispées derrière le rideau de ses cheveux graisseux. Merlin... je ne pensais pas que ce sujet serait aussi sensible... Si nous avions été au manoir des Lumare, je lui aurais montré les miennes et raconté toutes les bêtises que j'avais bien pu faire à cette époque.

Je choisis de ne pas en rajouter et revins à Odin, Igg-drasil, Hugin et Munin ses deux corbeaux. Le silence reprit ses droits. Et puis, une vingtaine de minutes plus tard, les lèvres de Rogue s'entrouvrirent pour délivrer tout à coup d'une voix glaciale:

-Les mineurs n'achètent pas d'appareil photo.

Je cillai et mis plusieurs secondes à comprendre de quoi il parlait... Cela voulait dire que son père travaillait dans une mine? Donc un moldu? Qu'il n'y avait aucune photographie de mon professeur de potions? Que Rogue n'était pas un Sang-Pur! J'en abandonnai ma lecture pour relever la tête vers lui.

-Vous êtes un Sang-Mêlé! Mais comment Vol... le Seigneur des Ténèbres a pu...

-Le talent; me coupa-t-il d'un ton tranchant, et des capacités plus qu'évidentes dans des domaines utiles ont permis de passer outre ma tare héréditaire.

Je fronçai les sourcils en le fixant, alors que ses orbes emplies de ténèbres me narguaient nonchalamment.

-Je ne comprends pas. Le Seigneur des Ténèbres veut éradiquer les moldus de la surface de la Terre, pourquoi vous êtes vous rallié à lui si la moitié de votre famille est d'ascendance moldue?

Un sourire mauvais écorcha alors les lèvres de Rogue qui ne me quittait pas des yeux.

-Parce que l'un de mes souhaits les plus chers était de détruire chacun de ses membres moi-même, un par un.

-C'est ce que vous avez fait?

-Vous pouvez deviner cela toute seule, petite gamine-Lumare; susurra-t-il d'une voix soyeuse toute particulière.

J'en frissonnai. Je ne pouvais imaginer toutes les tortures, toute la douleur, tout ce qu'avait subi Rogue et tout ce à quoi il avait survécu. Combien il avait dû souffrir pour haïr autant ces moldus!

La manière dont il m'observait... Je ne voulais pas qu'il interprète mal ma réaction... Je ne voulais pas qu'il pense qu'il me dégoûtait, ou que je le rejetais; alors que ses yeux se voilaient déjà.

Je le sentais. Je ne voulais pas de ce fossé qui se creusait entre nous. Ma main finit par se tendre pour l'atteindre, se poser sur son bras. Il tressaillit, je resserrai mon étreinte en le regardant d'une manière à la fois neutre et douce. Je ne pouvais m'en empêcher. Et j'étais là, je comprenais.

Ce n'était pas sa peau mais sa robe de sorcier par-dessus sa chemise que je touchais. Pourtant cela me parut beaucoup, il ne le retira pas, même lorsque son masque impénétrable vint recouvrir ses émotions.

-Quelle sollicitude pour un meurtrier comme moi.

Sa voix était neutre, tout comme la mienne par la suite:

-Vous aviez sûrement vos raisons.

Il ne répondit rien à cela et nous retournâmes à nos lectures respectives peu de temps après, mais je ne relâchai pas mon étreinte autour de son avant-bras droit. Il ne s'en plaignit pas, mon livre tenait en équilibre sur mes genoux et je tournais les pages de mon autre main. Le reste de la soirée s'écoula dans un silence paisible.