Chapitre 14
Le lendemain, Khorine et Ginny envoyèrent un communiqué de presse bref relatant l'attaque. Le Chicaneur expliqua en détail tout ce que le public avait le droit de savoir.
Khorine travailla d'arrache-pied sur sa loi en faveur des droits et de l'intégration dans la société sorcière de toutes les créatures magiques. Elle fit aussi une demande auprès du Ministre de la Magie, Wilhelm Greenmore, pour l'octroi aux onze loups-garous d'un Ordre de Merlin deuxième classe. Il y eut des récriminations au sein du Ministère, et le public fut partagé, et il y eut une enquête interne concernant l'attaque. Maître Ryles l'épaula à chaque interrogatoire et Khorine se rendit compte à ce moment-là de la haine de certains aurors à son égard.
-Connaissiez-vous l'un de vos «attaquants»?
-Non, aucun.
-Pourtant, qui irait attaquer un représentant du Ministère en pour-parler avec des loups-garous? Cela ne tient pas. Et puis, pourquoi ne pas avoir convenu d'un rendez-vous au Ministère plutôt que dans une obscure forêt où n'importe qui pouvait vous attaquer?
-Premièrement; cracha Khorine qui bouillonnait.
Maître Ryles la coupa:
-Mesurez bien vos paroles agent Laith. Vous êtes en train d'accuser la présidente du Magenmagot et du Département de la Justice Magique d'avoir organisé son propre guet-apens.
-Effectivement; siffla l'auror.
-Vous n'avez aucune preuve de ce que vous insinuez. Venez Miss Lumare, nous n'avons plus rien à faire ici. Quant à vous, je vous attaque pour diffamation privée, préparez-vous à payer à ma cliente une belle pile de Gallion.
La porte claqua violemment derrière eux et Khorine tremblait encore de rage. Si bien qu'elle ne se rendit pas compte des regards haineux qui la suivirent dans tout le Département des aurors.
Avec tous les rebondissements administratifs et médiatiques suivants l'attaque, Khorine ne pensa plus à la visite de Severus. Jusqu'à manquer de le percuter au Ministère, à deux pas du bureau de Draco.
-Severus; murmura-t-elle en clignant des yeux.
Il la toisa par-dessus son nez busqué. Elle lui sourit, puis tourna la tête et se rendit compte que si, elle, ne l'avait pas vu avant de se cogner à lui, un groupe de sorcières au bout du couloir le fixait en chuchotant.
-Mais alors, tu…
Pourtant elle n'avait rien lu dans les journaux. Etait-ce sa première apparition en public? Avait-il été approché par des aurors? Il ne risquait rien évidemment mais…
-Miss Lumare; salua-t-il déjà prêt à partir.
Non, pas encore.
-Euh… Que dirais-tu d'un verre? Ce soir? Nous n'avons pas pu parler la dernière fois.
Le sorcier s'arrêta net.
-Chez moi à 18h? Ou dans un bar moldu, le Cahoots est plutôt discret.
Il y eut un silence. Le cœur de Khorine battait à tout rompre, jusque dans ses propres oreilles. Elle voulait tant lui parler, elle en avait besoin, peut-être qui lui avait pardonné, ou qu'il lui pardonnerait si elle faisait suffisamment d'effort.
-Je…; commença-t-elle.
-Le Cahoots, 18h.
Et il s'éloigna aussitôt. Il avait accepté! Khorine exhala un souffle qu'elle avait bloqué sans s'en rendre compte. Elle allait le revoir, parler avec lui, après six années. Elle se sentait anxieuse tout à coup, rien que d'y penser, et oublia complètement ce qui l'avait poussé à s'approcher du bureau de Draco. Elle rebroussa chemin. Devrait-elle retourner chez elle se changer ou garder ses habits de travail? Mais pour porter quoi? Une robe? Un ensemble plus confortable? Non, elle garderait les vêtements qu'elle portait.
Perdue dans ses pensées elle retourna à son bureau et reprit son travail, distraitement.
Lorsqu'il fut l'heure de partir, elle quitta les bureaux du Ministère puis transplana dans une allée déserte près du bar. Elle y entra. Trois personnes seulement y buvaient. Les meubles étaient en vieux bois de chêne, des rangées de verre scintillaient derrière le barman et il y faisait chaud.
-Deux whiskies Glenfiddich, douze ans d'âge.
On les lui apporta à la table du fond où elle s'était installée. Il était 17h58. Et s'il ne venait pas? Et qu'est-ce que ça pouvait bien lui faire? Il n'avait aucune obligation envers elle. Pour lui, elle ne devait être qu'une ancienne élève, et une ancienne amante… Elle rougit un peu, perdue dans ses pensées, et soudain il fut là, devant elle et Khorine releva les yeux.
-Severus, merci d'être venu. Je t'ai commandé leur équivalent du whisky pur feu vieil Ogdens, j'espère que cela te va.
Il hocha la tête, le regard neutre et les lèvres pincées, et consentit à s'asseoir. Khorine inspira, puis, les joues toujours rouges, murmura:
-Severus, je suis désolée pour Teddy… Il se métamorphose souvent et…
-N'en parlons plus.
Elle hocha la tête avec un sourire gêné, et prit une gorgée de whisky. Elle s'apprêtait à parler, lorsque Severus lâcha d'une voix traînante:
-Il ne me semblait pourtant pas que la présidente du Magenmagot avait également des fonctions de garderie.
-Ah; lâcha Khorine en souriant un peu gênée encore, non, Andromeda était occupée ce week end, alors elle m'a demandé si je pouvais garder Teddy. Il ressemble beaucoup à Tonks et puis, parfois, c'est comme si un Remus de 7 ans te toisait… Et pour Harold, c'est mon filleul, le fils de Neville et Luna. Il vient d'avoir quatre ans.
Tandis qu'elle parlait un doux sourire s'était épanoui sur son visage et ses yeux s'étaient perdus dans le vague.
-Un Londubatet un Lovegood ? Rétorqua Severus en haussant à peine un sourcil.
Ce qui était bien assez pour évoquer tout ce qu'il pouvait bien en penser. Khorine réagit aussitôt:
-Mon filleul est un génie. Il sait déjà utiliser son kit junior de potion pour les plus de huit ans!
-Impressionnant; murmura le sorcier sarcastique.
Et Khorine rétorqua, lui expliquant en long, en large et en travers pourquoi son filleul était un petit garçon exceptionnel, et son visage s'animait, et elle était perdue dans ses explications, et elle se trouvait entraînée par ce besoin de parler, de l'intéresser, de garder son regard fixé à elle, qu'il l'entende et reste, que les six dernières années disparaissent et qu'il lui fasse confiance à nouveau. Elle, lui aurait confié sa vie sans hésiter. Et se rendant compte de sa frénésie, du désespoir qui menaçait de transparaître, Khorine se tut brusquement. Elle se sentait perdue. Tandis que lui sirotait son whisky, sans un mot, ses longs doigts pâles enroulés autour du petit verre, le visage gardé mais moins fatigué. Il avait moins de cerne, son teint n'était plus maladif, ses yeux moins fiévreux, il semblait plus jeune aussi. Il allait beaucoup mieux que pendant la guerre, mais son visage était soigneusement neutre, et elle voyait bien qu'il ne lui faisait plus confiance, et qu'il n'y avait plus rien du lien qu'ils avaient un jour partagé. Ce constat lui fit mal. Elle finit par demander:
-Severus, qu'est-ce qui t'a fait revenir en Angleterre?
Le sorcier fixa un moment son verre, avant que ses yeux noirs ne reviennent sur Khorine.
-Un fort besoin en Tue-Loup. Il semble qu'il n'y ait plus beaucoup de Maîtres dans le pays assez capables pour la préparer.
Oui, les potions… Elle se renfrogna un peu, son énergie retombée, triste:
-Oui, je n'avais pas pensé à ça.
-Si tu devais penser à tous les cornichons de cette île à chaque fois que tu promulguais une nouvelle loi tu n'en sortirais aucune.
Ce fut dit sans humour particulier, mais Khorine cilla, avant de sourire un peu.
-Sacrés cornichons.
-J'ai également pu rentrer en Angleterre, poursuivit Severus, grâce à une cassation en appel de ma condamnation.
Khorine haussa les épaules, à la manière de Potter. Elle se sentait triste. Elle lâcha:
-Ca a pris un peu de temps, mais on a réussi avec Draco et Maître Ryles.
-Je vois.
-Oui, je me suis dit que peut-être, un jour, tu souhaiterais rentrer au pays.
Elle haussa encore les épaules. Severus la fixait de ses yeux de nuit. Ses cheveux étaient toujours aussi longs, aussi ondulés et rebiquaient autour de sa tête et de son dos. Il semblait que depuis la fin de la guerre elle avait repris des formes et ses joues étaient rosies, et la lumière était revenue dans ses yeux océan. Pourtant, depuis qu'ils se parlaient, un voile de tristesse était apparu sur son visage et ne partait plus.
-Je me demandais, où tu étais parti… après; murmura la sorcière.
-Ailleurs.
Elle l'observa, un peu, mais n'insista pas. Il y eut un silence. Ils finirent leur verre. Khorine avait le cœur lourd. Il fallait lui demander s'il lui pardonnerait un jour, mais elle ne voulait pas entendre la réponse. Alors elle se tut. Où était passer son courage de Gryffondor? Severus finit par se lever, déposer quelques pièces sur la table, puis se détourner. Khorine se leva précipitamment, jeta un billet, puis le suivit dehors.
-Severus? L'appela-t-elle.
Il s'arrêta et son manteau moldu claqua contre ses jambes. Ils se trouvaient dans l'allée déserte qui longeait le bar. Severus se retourna vers elle.
-Je… Je suis heureuse de te revoir; se força-t-elle à avouer d'une voix qui se brisait. Je me doute que… ce n'était pas facile de… venir ce soir. Mais peut-être que, avec le temps, tu pourrais… me pardonner.
Quelque chose de violent traversa soudain le visage du sorcier, avant qu'il ne redevienne impassible.
-Lumare, ce n'est…
-Khorine; le reprit-elle doucement.
-Khorine; répondit-il presque machinalement, si doucement, et avant même d'avoir pu s'en empêcher, ce qui le fit hésiter quelques secondes avant qu'il ne reprenne. Vous devriez laisser le passé où il se trouve et, pour votre bien, je vous conseille de ne plus m'approcher.
Quelque chose de glacé se répandit dans les veines de la sorcière.
-Je ne comprends pas; murmura-t-elle en s'approchant d'un pas dans l'allée déserte.
Rogue recula aussitôt d'un pas.
-Je vous conseille de ne plus m'approcher; siffla-t-il entre ses dents serrées. Vous devriez éviter de faire exactement le contraire.
-Je pourrais me faire pardonner Severus; répondit Khorine en faisant encore un pas.
Le sorcier recula d'autant, quelque chose de furieux vibrant derrière son masque d'impassibilité.
-Cesse ce petit jeu.
La sorcière était blême. Elle le fixait, et ne manqua pas l'hésitation de Severus, les secondes où il serra violemment les mâchoires et la douleur qui transparut dans son regard, avant qu'il ne lâche:
-Je ne te pardonnerai jamais.
Khorine reçut ces mots comme un coup de poing dans le ventre. La souffrance était prodigieuse. Elle vacilla. Mais, pourtant, l'aura de Severus s'agitait bizarrement. Ce n'était pas normal.
-Tu mens; murmura-t-elle et c'était une affirmation.
Un sourire sans joie, presque cruel apparut sur les lèvres de Severus dont l'aura se tordait encore plus. Et il lâcha:
-Tu devrais retourner auprès de tes orphelins de guerre et de tes Gryffondors bien-pensants. Mais que diraient-ils s'ils apprenaient ce que tu as fait pour survivre? Hmm? Ce que tu m'as laissé te faire?
Khorine resta camper devant lui, le visage blême.
-Je ne…
-Je n'ai pas de temps à perdre avec toi. Je le répéterai donc pour la dernière fois, je ne te pardonnerai jamais, et je te conseille de ne plus m'approcher.
Et avant qu'elle ait pu rétorquer quoi que ce soit, le sorcier se détourna, et disparut dans un craquement sec. Khorine resta pétrifiée. Puis, lentement, un masque froid tomba sur son visage et elle inclina la tête.
-Je vois; murmura-t-elle dans le vent.
Il avait fait son choix. Il voulait oublier son passé, et l'oublier elle. Alors Khorine se détourna, et elle n'essaya plus de revoir Severus Rogue.
