Chapitre 16
-Bon, alors, tu ne vas pas pouvoir y couper plus longtemps; s'exclama Ginny lors d'une soirée entre filles.
Luna posa sur Khorine un regard pénétrant et celle-ci sentit son estomac se tordre.
-Euh je…
-Ton premier réflexe en cas d'attaque c'est d'aller chercher Rogue?
-Euh oui… Je n'ai pas réfléchi…
-Je me rappelle que tu étais amoureuse de lui en 6ème année; murmura Luna d'une voix rêveuse.
Khorine se pétrifia. Pardon?
-Non? Haleta Ginny en fixant à tour de rôle Luna et Khorine. Non? Rogue?
Luna haussa les épaules:
-C'est un homme très intelligent, expérimenté et passionné. Il est loyal et très courageux et puis ils ont passé une année ensemble à tenter d'éliminer Voldemort. Cela doit créer des liens.
-Ecoutez je…
-Tu es encore amoureuse de lui, alors? La coupa Ginny les yeux écarquillés.
Ginny vida sa bouteille de bièraubeurre, et se resservit. Khorine n'en menait pas large… Mais elle comprit qu'il était temps de tout leur dire, à ses meilleurs amis, après des années à chercher le bon moment.
-Il y a quelque chose que je voulais vous dire, depuis longtemps. Mais je n'ai pas eu… le courage… C'est gênant… Mortifiant.
Ses deux amies se calèrent un peu mieux dans leurs coussins. Luna sirotait son infusion aux radis.
-Pour dire la vérité, je ne me rappelais plus que j'avais été euh… amoureuse de Rogue. Après, la bataille à Poudlard, je ne pouvais pas penser clairement et mon cœur était vide… Quand je me suis réveillée, après la bataille, Severus m'a menacé de tuer des élèves si je ne faisais pas le serment d'être son apprentie et de lui obéir en tout. Je n'avais pas le choix. Et puis, je me suis dit que, peut-être, j'arriverais à entrer comme potionniste dans les rangs de Voldemort, et m'approcher suffisamment pour le tuer. Je ne pensais qu'à ça. Nagini et Voldemort.
Khorine déglutit et puis continua:
-Je n'ai pas remarqué tout de suite, mais Rogue agissait bizarrement.
-Bizarrement comment? Interrompit Ginny.
-Il… Il me fixait et il y avait quelque chose dans ses yeux. Une fois j'ai envoyé un message à l'Ordre et il m'a prise à la gorge et… Il y avait quelque chose…de brûlant.
-De brûlant? Attend quoi? Comme du désir?
Khorine pressait ses mains l'une contre l'autre, perturbée, honteuse, incertaine.
-Comme du désir; chuchota-t-elle.
-Non? Lâcha Ginny les yeux écarquillés.
Luna grignotait sa carotte.
-Je voyais qu'il s'écartait de moi, qu'il me laissait seule longtemps, mais quand il était là, il y avait une tension. Je ne comprenais pas… Je n'étais pas bien à cette époque... Et un jour il y a eu un accident, je me suis brûlé le pied avec une potion et il est venu me soigner et c'est là que j'ai vu, son désir. Je me suis enfuie. Il n'a rien tenté. Et puis, il y a eu la réception au manoir des Malfoy.
Elle soupira.
-Il y avait des prisonnières de guerre qu'on violait au premier étage, et Voldemort a suggéré à Severus de m'y emmener. Alors il a passé un marché, pour me protéger, pour que je n'appartienne qu'à lui, et j'ai été forcé d'accepter, et Voldemort voulait des enfants au sang des Prince et des Lumare.
Un frisson d'horreur les parcourut toutes.
-Après ça, en rentrant, Severus m'a fait comprendre que je n'avais plus le choix, que je devais me donner à lui. Mais il voulait que j'y consente. Alors… je l'ai fait attendre… Et, j'ai réussi à produire une potion pour Voldemort, une potion qu'il désirait et qui pouvait décupler ses pouvoirs… Je pensais la lui apporter moi-même, et le tuer à ce moment-là. Mais seul Rogue a pu l'approcher. J'étais désespérée. J'avais offert cette potion, il allait tuer…
Un geignement échappa de ses mâchoires serrées, et elle ferma les yeux. Ses amies attendirent sans un bruit.
-Je ne le savais pas mais j'étais en pleine dépression, après ça. J'avais froid, tout le temps, j'avais un dernier plan pour tuer Voldemort. Et je savais que j'allais mourir. Je ne pouvais pas contacter l'Ordre, je n'avais plus personne, je priais pour que quelqu'un soit encore en vie. Et chaque jour qui passait quelqu'un pouvait mourir, quelqu'un que je connaissais et j'étais seule. Ils étaient… Je revoyais leur mort chaque nuit…
-Tu n'es pas obligée de revivre ça; protesta Ginny.
Khorine secoua la tête pour chasser la douleur. Elle se reprit.
-C'est pour que vous compreniez, ce que j'ai fait ensuite. Je… J'avais froid… Je ne pouvais plus continuer. Il me fallait quelqu'un, juste un peu de chaleur.
-Non? Lâcha Ginny en comprenant.
Luna hocha doucement la tête.
-C'est moi qui ai rejoint Severus dans son lit. Il a été gentil avec moi, doux et j'ai aimé ce qu'il m'a fait.
-Mais non? S'étrangla Ginny en la fixant.
-On a recommencé plusieurs fois. Et il m'a aidé à finir un anti-douleur qui devait me permettre de supporter le marquage. J'avais mon plan prêt, dans quelques mois j'allais être marquée et j'allais approcher Voldemort, suffisamment, pour le tuer. Et j'espérais avoir Nagini aussi, pour mettre fin à la guerre. Et puis j'ai découvert que Severus était de notre côté, je l'ai entendu parler avec le portrait de Dumbledore. Mais quand j'ai essayé de lui révéler mon plan pour en finir j'ai compris que Severus voulait me sauver, au détriment de la victoire. Il était prêt à me laisser m'évader de Poudlard, quitte à perdre son rang, le rang qu'il avait obtenu avec le sang de Dumbledore. Alors je lui ai menti, je lui ai dit que l'Ordre tuerait Voldemort pendant la cérémonie du Marquage. Il y a cru. Et puis je suis montée sur cette estrade. Voldemort a commencé à graver ma chair… et je l'ai tué. Nagini m'a mordu, Severus m'a sauvé la vie, il s'est fait emprisonner, condamner, je l'ai aidé à s'évader avec son elfe de maison, Winky. Et quand il est revenu, six ans plus tard, il m'a dit qu'il ne me pardonnerait jamais. Mais il me regarde toujours de la même façon. Et après l'attaque de ma maison il m'a dit qu'il m'avait violée, et je lui ai dit que c'était faux, et il semblait penser que s'il avait agi autrement je n'aurais pas été assez désespérée pour monter dans son lit de mon plein gré, et j'ai essayé de lui dire qu'il avait tort, mais tu as toqué à la porte Ginny, et il est parti, et maintenant je ne sais plus. Je ne sais même plus ce que je ressens. Je ne sais pas ce que je veux. Je ne sais pas ce qu'il veut. Pourquoi il me désirerait? Est-ce que ce n'est que ça? Je me sens… endommagée… et Severus est un homme compliqué. Qu'est-ce que ça pourrait donner entre nous? Est-ce qu'il accepterait même d'y penser? S'il n'y a que mon corps qui l'intéresse, je vais souffrir. Mais est-ce que je veux plus? Est-ce que je suis prête à plus? Je n'y ai jamais pensé. J'étais sûre de ne pas en être capable, mais, maintenant, je ne sais plus.
C'était le plus long monologue de sa vie, certainement. Elle venait de dévoiler tous les secrets qu'elle gardait en elle depuis la guerre. Elle se sentait libérée, et maintenant qu'elle avait tout avoué, elle se sentait moins sale, moins monstrueuse. Il lui avait dit que ce n'était pas sa faute, plus ou moins. Et peut-être, peut-être, que Luna avait raison en disant qu'elle avait été amoureuse de son professeur. Maintenant qu'elle y pensait, il était également possible qu'elle le soit encore. C'était insensé. Comment ne s'en était-elle pas rendue compte?
Une fois le choc passé, Ginny lui posa encore plus de questions, ainsi que Luna, et elles la conseillèrent, et l'encouragèrent. Khorine en eut les larmes aux yeux. Elle avait eu tellement honte, durant toutes ces années, mais ses amis la soutenaient. Elle se sentit en sécurité et une douce chaleur se répandait en elle. Puis Ginny posa d'autres questions, indécentes, et à celle-là Khorine refusa de répondre. Elles pouffèrent et ouvrirent des chocogrenouilles, des paquets de dragées, grignotèrent des carottes, Ginny ouvrit une autre Biéraubeurre et puis elles s'écroulèrent toutes dans la grande chambre de la maison de Luna. Khorine s'endormit avec un sourire aux lèvres.
oOo
Elles se donnèrent rendez-vous deux semaines plus tard pour aider Khorine à choisir la robe qu'elle porterait à la réception d'anniversaire de Draco.
-Que veux-tu dire avec cette robe? Demanda Luna en frottant sa joue contre le velours d'une robe émeraude.
-Euh… Viens me chercher? Proposa Khorine avant de se renfrogner. Mais ça ne doit pas être désespérée, ou trop évident. Il faudrait que je sois attirante, mais pas euh débauchée.
-On part sur du rouge alors? Demanda Ginny avec trois robes déjà dans les mains.
-Rouge Gryffondor; acquiesça Luna.
Elles poussèrent Khorine derrière les rideaux d'une cabine d'essayage d'une grande boutique moldue et lui apportèrent une par une, différentes robes, et la firent parader tout en donnant leur avis. Ce fut amusant, elles y passèrent des heures, leurs rires et leurs exclamations résonnant dans la boutique de luxe.
Finalement elles trouvèrent la robe parfaite. Deux cordons en or fin retenaient le tissu en drapé sur sa poitrine, puis la robe épousait divinement son ventre et ses hanches et tombait jusqu'à ses chevilles tout en étant fendue sur le côté. Des fils d'or serpentaient sur les bords de la robe et scintillaient à la lumière des néons.
Pour fêter leur succès les trois femmes allèrent au Chaudron Baveur, elles prirent deux biéraubeurres et une infusion de menthe poivrée.
-À ton succès certain avec cette robe magnifique! Lança Ginny en trinquant.
Luna sourit et trinqua, Khorine fit de même.
-Quand même, tous ces efforts pour… Rogue; finit Ginny en chuchotant. Il a intérêt à tomber à tes genoux. Et te supplier de lui pardonner.
Khorine eut une petite grimace incertaine.
-L'avez-vous déjà entendu s'excuser? À propos de quoi que ce soit? Cette robe est magnifique mais je ne pense pas qu'elle puisse le pousser jusque-là.
-On parie?
-Très bien; acquiesça Khorine avec un petit sourire aux lèvres. Un repas au Chaudron Baveur.
-Tenu.
-J'aurais bien aimé être un petit Péteur cornu pour me glisser dans la salle des fêtes et savoir ce qu'il va se passer.
Ginny soupira.
-Je vous raconterai tout; promit Khorine.
Et elles se resservirent des bières et des infusions.
oOo
Le 5 juin tombait un samedi et Khorine put passer la matinée à l'orphelinat et aller au zoo avec Harold, avant de le rendre à ses parents et d'aller se préparer. Elle se lava le corps, les cheveux, les sécha avec application à l'aide de sa baguette, et enfila sa robe rouge qui lui allait à merveille. Elle démêla ses longs cheveux qui ondulaient gracieusement dans son dos et s'ébouriffaient juste ce qu'il fallait. Elle hésita à cacher d'un Glamour ses cicatrices du bras gauche, mais finalement décida de ne pas y toucher. Elle n'en avait plus honte. Ses chaussures étaient noires à petit talon et deux languettes de cuir enlaçaient paresseusement chaque cheville. Elle rangea sa baguette dans un petit sac noir et se caressa le pouce pour vérifier la présence de sa bague de sureau.
Bien. D'un Accio elle pourrait récupérer sa baguette.
Elle s'observa une dernière fois dans le miroir de la salle de bain. Sa peau avait une belle couleur dorée due au soleil de printemps et ses éphélides la lui parsemaient, elle avait les joues rouges d'anticipation et les yeux brillants. Khorine se mordilla les lèvres. Elles étaient un peu plus rouges comme cela. Elle chassa juste un cil de sa joue gauche, puis se redressa.
Bon. Elle était prête. Il était temps d'y aller.
Advienne que pourra.
Au pire, il ne la remarquerait pas. Non, au pire il ne serait pas à la réception de ce soir.
Khorine soupira, puis ferma sa porte à clé, referma ses barrières d'un geste de sa bague, puis glissa ses clés dans son sac, s'écarta de quelques pas, et transplana.
Elle arriva dans le salon de transplanage des Malfoy. Tout en or.
Quand elle y repensait, elle avait vécu des moments atroces dans ce manoir. Ils avaient torturé Hermione, Dobby était mort, elle avait fait face à Voldemort et avait manqué devenir folle, avait failli être violée…
Pourtant, elle n'avait pas de mal à s'approcher des portes, à entrer dans le gigantesque hall d'entrée et à sourire à Draco et Narcissa.
-Bienvenue Khorine; l'accueillit la sorcière avec une douce chaleur.
-Je vous remercie. Draco, joyeux anniversaire.
-Où sont mes cadeaux? Lui répondit-il en haussant un sourcil.
-Dans mon sac.
Il fit une moue dédaigneuse en avisant la taille dudit sac.
-Draco, où sont passées tes manières?
-Je te préviens, Khorine, si tu m'offres encore un caillou péruvien aux vertus soi-disant apaisantes, je ne te réinvite plus.
-Aucune inquiétude, il ne vient pas du Pérou cette fois; rétorqua-t-elle en souriant.
Il grogna en croisant les bras, ce qui fit agrandir son sourire.
-Les enfants, arrêtez de vous chamailler. Derty, occupe-toi des affaires de notre invitée.
-Tout de suite Maîtresse.
L'elfe qui était apparue s'inclina et leva les bras pour récupérer le petit sac de la sorcière. Celle-ci s'en défit et en tira deux paquets qu'elle agrandit en passant sa bague dessus. Ils étaient bien plus gros qu'une centaine de cailloux et Draco eut un grognement satisfait. Khorine secoua la tête, puis se détourna de ses hôtes et entra dans la salle de bal.
Il pouvait bien dire ce qu'il voulait, la pierre était d'une grande rareté, et elle savait que Draco la gardait toujours au fond de sa poche. Elle trouva à sa gauche plusieurs tables croulant sous les cadeaux et y posa ses deux paquets. Daphné s'approcha aussitôt d'elle.
-Enfin! J'ai cru que tu ne viendrais jamais! Oh mais tu es incroyable dans cette robe.
-Tu trouves? Demanda Khorine en rougissant un peu.
La fiancée de Draco lui jeta un coup d'œil connaisseur avant de la prendre par le bras et l'entraîner plus loin. La salle était déjà remplie d'invités, il y avait le murmure des conversations, le bruissement des robes, la musique qui virevoltait au-dessus de la foule. Khorine scruta les visages dans l'espoir de trouver Severus. Mais il n'était pas là.
-Tu cherches quelqu'un en particulier? Demanda Daphné avec un sourire en coin.
-Pas du tout; marmonna Khorine.
Sa compagne lui fit un grand sourire, mais n'insista pas, changea même de sujet, et elles reparlèrent de ses expérimentations sur sa nouvelle potion, et se servirent en bulleux et furent rejointes par Draco, puis Blaise Zabini.
-Khorine, me ferais-tu l'honneur de cette danse? Demanda Blaise en tendant la main.
La sorcière accepta en souriant. Draco fit la même proposition à sa fiancée et bientôt les deux couples tournoyaient sur la piste de danse. Blaise était un bon danseur et conversait avec un cynisme divertissant.
Après Blaise, elle dansa au bras d'autres partenaires. Elle se sentait désirable. Elle aimait danser. Les violons lui transportaient le cœur et la contrebasse battait au rythme de son pouls. On la faisait tournoyer, on la complimentait, on tentait de la faire rire. Ce ne fut qu'après bien des danses, qu'elle s'inclina devant son partenaire et s'éloigna de la piste. Elle se dirigea vers le buffet pour un verre d'eau bien mérité. Elle avait chaud. Regroupant ses cheveux sur son épaule droite elle dégagea sa nuque et laissa un courant d'air frais sécher sa sueur, puis elle se délecta d'un verre d'eau fraîche devant le buffet. Elle se sentait mieux, et à présent, elle désirait y retourner. Mais… Est-ce que Severus était arrivé entre-temps? Il y avait longtemps qu'elle ne l'avait pas cherché du regard.
Khorine finit son verre et allait se retourner lorsqu'une voix traînante s'éleva à sa gauche:
-Miss Lumare, vous semblez passer une agréable soirée.
-Severus; l'accueillit-elle en lui souriant malgré elle.
Elle se tourna vers lui et avisa, par-dessus une chemise blanche, son gilet noir, bien coupé, nouveau, qui dessinait les contours de son torse, et son pantalon qui épousait ses hanches fines et tombait droit sur ses bottines en peau de dragon. Ses cheveux noirs étaient propres et tombaient sur ses épaules, ses yeux de nuit scintillaient à la lumière des lustres. Il était élégant, et elle le trouvait incroyablement sexy.
-Et toi; murmura-t-elle, passes-tu une bonne soirée?
-Passable.
Elle sentait son cœur battre à tout rompre. Il était là. Et elle savait à présent. Mais il l'avait fait souffrir. Et elle ne le laisserait pas la traiter avec cruauté. Elle inspira.
-Severus, je dois te demander… Est-ce que tu pensais vraiment ce que tu m'as dit, à la sortie du bar?
Et sa voix était devenue ferme et ses yeux plus durs. Elle se rendit compte, au moment où les mots quittaient ses lèvres, qu'elle lui laissait une chance, mais que ce serait sa dernière. Peu importe ce qu'elle ressentait. Elle le vit crisper les mâchoires. Il y eut un silence et la musique s'élevait de l'autre côté de la salle et les conversations bruissaient et Khorine sentait son cœur tonner contre sa poitrine.
-Non.
Le souffle qu'elle avait retenu s'échappa d'entre ses lèvres. Severus releva les yeux vers elle:
-Je vous présente mes excuses.
Elle le fixa choquée, et puis s'entendit dire:
-Je pourrais être amenée à les accepter, si tu danses avec moi.
Il y eut un silence. L'ancien directeur semblait hésiter et Khorine le fixait sans mot dire, jusqu'à ce que, finalement, il tende la main vers elle.
-M'accorderez-vous cette danse?
La jeune femme lui sourit et la lui prit sans hésiter. Ses doigts fins caressèrent la paume rugueuse et chaude de sa main d'homme. Ils s'avancèrent sur la piste et se firent face. La musique semblait si lointaine à présent, presque un murmure, il n'y avait que le tambour de son cœur et son souffle qui battait la mesure. Elle se sentait dans une bulle des sens, seule avec Severus. Il venait de serrer sa main dans la sienne et de la rapprocher de lui en la tenant sous l'épaule. Leurs corps se frôlaient, le tissu de son pantalon effleurait sa robe et en modifiait le mouvement. Elle regardait par-dessus son épaule, les yeux dans le flou, la poitrine effleurant celle de Severus, protégée par son corps, dans une enveloppe de chaleur, de réconfort, elle se sentait en sécurité, comme jamais depuis la fin de la guerre. Elle oublia où elle se trouvait, et ferma les yeux de bien-être. Et puis soudain, Severus la prit par la taille et la souleva au-dessus de sa tête. Une exclamation de surprise lui échappa, et puis elle éclata de rire.
Le sourire qu'elle lui adressa n'avait jamais été plus chaleureux. Il y avait du soleil dans la courbe de ses lèvres et la douceur de son regard.
En revenant au sol, elle lui murmura à l'oreille qu'elle avait oublié à quel point il était bon cavalier. Il ne répondit pas, mais leurs corps s'étaient rapprochés et sa poitrine reposait contre son torse et leurs hanches se frôlaient et… Les dernières notes retentirent.
Severus s'écarta brusquement. Elle lisait quelque chose dans son regard, de douloureux, qu'elle ne comprenait pas. Elle avait froid.
-Khorine, je vous laisse à votre cavalier.
Elle ne comprit pas mais, en se retournant, vit Blaise s'avancer vers eux. Lorsqu'elle voulut détromper Severus elle s'aperçut qu'il s'était déjà éloigné. Khorine grogna, avant de quitter la piste, sur les traces de Severus. Elle le rattrapa près des portes de la salle de bal. Il y avait des murmures et des regards qui la suivaient. Elle les ignora.
-Severus; l'arrêta-t-elle.
Il se tourna vers elle avec un masque froid, ce qui montrait que quelque chose n'allait vraiment pas.
-Je m'attendais à une excuse d'au moins deux danses; tenta-t-elle avec une petite étincelle dans les yeux.
-Vous m'en demandez toujours trop, Lumare.
-Khorine; insista-t-elle.
Elle vit une pointe de douleur traverser son masque d'impassibilité. Elle ne comprenait pas.
-Khorine… Je m'apprêtais à quitter cette réception, je vous souhaite une agréable soirée.
-Je ne comptais pas tarder non plus. Peut-être pourrions nous partir ensemble, et partager un dernier verre.
Elle le vit blêmir distinctement.
-C'est une mauvaise idée Khorine.
-Je ne trouve pas, Severus; murmura-t-elle en se rapprochant d'un pas.
Il y avait du feu qui couvait dans le regard océan de la sorcière et Severus ne pouvait pas s'y tromper, elle ne le cachait plus.
Khorine se sentait fougueuse, désinhibée et flottant comme sur un nuage. Combien de verres avait-elle bu? Etait-ce la bonne approche avec Severus? Peu importait à ce moment précis, elle était de nouveau à l'orée de sa chaleur, si proche de lui qu'elle se sentait prête à tout.
-Vous pourriez le regretter.
Pour toute réponse, elle lui prit le bras, il se laissa faire, et le conduisit en dehors de la salle de bal, sans dire au revoir à qui que ce soit. Un elfe apparut avec leurs affaires qu'ils prirent avant d'entrer dans la salle de transplanage, d'atterrir sur l'allée de petits galets qui menait à la chaumière de Severus et de marcher en silence. L'air marin fouettait le visage de Khorine, ses cheveux voltigeaient en tout sens et sa robe flottait derrière elle. Elle se sentait vivante, insouciante et heureuse.
Severus ouvrit la porte pour elle et la laissa entrer dans son salon. Il alluma un bon feu et revint avec une bouteille de Vieil Ogden et deux verres. Il leur servit une rasade à tous les deux et Khorine attendit en silence, elle sentait qu'il avait quelque chose à dire. Severus finit par soupirer et se pincer l'arête du nez:
-Khorine, ce que je vous ai fait durant la guerre est impardonnable. J'ai abusé de ma position d'autorité. Je vous ai poussé à partager ma couche. J'ai profité de votre corps…
-Nous en avons déjà discuté; l'interrompit Khorine, les jambes croisées, un bras sur l'accoudoir de son fauteuil et son verre à la main. Je te désirais. C'est moi qui ai choisi de te rejoindre. Il n'y a rien à te faire pardonner.
-Vous n'aviez que dix-huit ans.
-Et j'étais majeure dans le monde des sorciers comme dans celui des moldus; répondit-elle avec une fermeté tranquille. Tu étais mon premier, c'est vrai, mais c'est moi qui ai choisi. Parce que j'en avais besoin. Parce que j'en avais envie.
Il y eut une lueur de désir qui passa dans les yeux océan de la sorcière, Severus ne la manqua pas. Ses doigts se refermèrent sur l'accoudoir de son fauteuil.
-Est-ce que tu pensais m'avoir traumatisée? Continua encore la jeune femme. Penses-tu que je chercherais ta compagnie si je regrettais ce que nous avions fait? Penses-tu que je serais dans ton salon, seule avec toi, si j'avais peur de toi ?
-Tu devrais avoir peur de moi; siffla-t-il entre ses dents serrées.
-Pourquoi?
En une seconde, avant même qu'elle n'ait pu bouger, Rogue était devant elle, emprisonnant ses poignets contre les accoudoirs de son fauteuil. Le whisky dans son verre avait à peine tremblé. Le souffle de Severus effleurait ses lèvres et les yeux d'un noir de nuit étaient rivés aux siens.
-Tu as l'insouciance d'un papillon frôlant une toile d'araignée; lâcha-t-il.
-Tu es présomptueux comme un homme qui ne m'a jamais vu me battre en duel; répondit-elle avant de bouger deux doigts et d'envoyer son verre reposer sur le manteau de la cheminée.
Elle le toisait avec superbe, la pupille ronde et profonde, les lèvres entrouvertes et les flammes dansant sur son visage. Severus, en retour, se crispa, et son masque neutre ne tint pas, se brisa, révélant le désir sauvage qui couvait.
-Je suis un vieil homme cynique, amer et reclus; lâcha-t-il d'une voix rauque. Je suis égoïste… possessif… jaloux. Je t'étoufferai et tu comprendras pourquoi tu devais me fuir. Tu finiras par m'avoir en horreur et tu me haïras mais il sera trop tard, car je ne pourrais plus te laisser partir.
-Tu ne me laisseras plus jamais partir? Demanda la sorcière le regard brûlant.
Elle le vit distinctement serrer les mâchoires.
-N'écoutes-tu donc que ce que tu choisis d'entendre? Khorine…; gémit-il en fermant les yeux. Je te laisse une dernière chance de partir. Repousse-moi, sors du salon, traverse le couloir, ouvre la porte, sors des barrières de protection et transplane chez toi. Je ne t'en empêcherai pas. Je ne te rattraperai pas.
Khorine fit un mouvement, mais pour rapprocher ses lèvres de l'oreille de Severus et murmurer dans un souffle chaud:
-Je vais laisser passer cette dernière chance de partir… Oh, trop tard. Alors? Que vas-tu me faire à présent? Poser tes lèvres sur les miennes, puis sur mon corps, apprendre mon goût par cœur, retrouver mes points sensibles et me faire gémir sous tes mains, me prendre dans tes bras pour m'amener jusqu'à ton lit et ravager mon corps, hm?
Severus ne bougeait pas et sa prise sur les poignets de Khorine devenait douloureuse. Il avait baissé la tête et son visage était caché par une barrière de cheveux gras.
-Severus; murmura-t-elle encore, cela fait six ans que je t'attends, ne me fais pas attendre une minute de plus.
Il sursauta et son visage se releva vers elle. Elle y vit une vulnérabilité poignante et une douleur inimaginable. Elle ne s'y attendait pas. Son propre cœur se serra et, tout doucement, elle avança son front jusqu'à le poser sur celui de Severus et elle ferma les yeux. Leurs nez se frôlaient, leurs souffles aussi, des mèches de ses cheveux lui caressaient la joue, un sentiment de paix et de douceur l'entoura, une intimité profonde qui la pénétrait jusqu'au cœur.
-Je suis là; chuchota-t-elle.
Elle n'avait pas voulu le faire souffrir. Sa prise sur elle ne se desserrait pas. Il restait crispé, immobile. Alors Khorine pencha ses lèvres en avant, et elles se posèrent sur celles de Severus. Il eut une expiration choquée. Khorine pressa contre ces lèvres souples, chaudes, douces, les goûtant, les adorant, tournant la tête, les mordillant, l'embrassant plus fort. Et Severus soupirait et sa bouche venait à la rencontre de la sienne. Sa poigne finit par se desserrer et ses mains remontèrent pour l'étreindre tout entière, celles de Khorine se perdirent dans les cheveux de Severus.
Cela faisait six ans qu'elle l'attendait… Et ces années n'étaient plus qu'un souvenir flou, le temps d'un soupir, le temps d'admettre qu'il lui manquait.
Ils s'embrassèrent encore et se déshabillèrent devant le feu de cheminée. Severus fit apparaître une protection translucide autour de son sexe avant de rejeter sa baguette au loin et de revenir vénérer le corps de sa sorcière. Lorsqu'il la pénétra enfin, sur le tapis moelleux du salon, près des flammes, elle se sentit entière, complète, et en paix. Il entrait en elle doucement, profondément, inéluctable comme le roulis des vagues. Ses yeux étaient brûlants de douceur et sans fond comme un ciel nocturne. Il y avait de la tendresse dans leurs caresses, leurs regards, leurs baisers, et lorsqu'ils atteignirent l'orgasme leurs bouches se scellèrent et leurs gémissements ne firent qu'un.
Ils reprirent leur souffle et Khorine souriait à son amant. Il se retira, fit disparaître le préservatif, puis la prit dans ses bras et monta les marches jusqu'au premier étage, et sa chambre. Elle fut déposée dans son lit puis il la rejoignit sous les draps. De fines raies lunaires passaient entre les rideaux, et caressaient la peau laiteuse de Khorine, son épaule, son cou, la douceur de son sourire. Elle se blottit contre lui sans un mot, baignant dans sa chaleur, et ferma les yeux. Elle s'endormit aussitôt.
Severus la tint serrée contre lui toute la nuit, veillant sur ce corps endormi et confiant, n'osant croire qu'elle était vraiment dans ses bras.
