Chapitre 6

J'étais de corvée d'écailles le lendemain, habillée à la moldue d'un jean et de ma chemise aux arabesques de vigne. Merlin, il fallait les détacher de l'épiderme avec une pince, une par une, pour ensuite les tremper dans une coupelle de sève d'arbre du cap , avant de les placer dans les encoches exactes d'un promontoire percé de trous! Bien sûr il y avait plusieurs rangées d'écailles sur une seule mue de serpent de ce même arbre, ce qui ne me facilitait pas la tâche!

Rogue lui s'occupait des chrysopes, nous avions convenus d'aporter des modifications aux instructions de base pour permettre une transformation de près de deux heures. Ce qui impliquait un traitement particulier des écailles de serpent d'arbre du cap qui était l'élément limitant, ainsi que des chrysopes qui devaient initialement bouillir à 54C dans un chaudron en étain durant vingt-un jours. Pour les chrysopes, il fallait choisir une espèce particulière au corps vert, aux yeux d'or et aux ailes nervurées de vert pâle. Il fallait détacher délicatement leurs longues antennes et en faire, avec de la sève de figuier et de l'adragante, une pâte presque liquide et transparente. Le résultat décrit était obtenu après trois jours de bouillonnement dans un petit chaudron en pyrite. Ensuite il fallait la saupoudrer de fin grains de corps de chrysopes broyés, mélanger cela durant cinq heures à vitesse de vingt trois tours par minute. Rogue m'avait parlé des expériences et des calculs qui l'avaient conduit à ce résultat. Et j'avais compris à mi-mot qu'il avait déjà testé son amélioration du Polynectar lors de ses missions pour l'Ordre. Je lui faisais confiance, je savais que cette recette était parfaite, alors je travaillais avec acharnement sur mes écailles de serpent.

Le maître des potions et moi nous tenions à quelques pas l'un de l'autre, plongés dans nos travaux respectifs, nos propres calculs ou pensées. Le silence s'étendait parmi les volutes des potions, enflé par les craquements du feu de cheminée et les soupirs des bougies.

J'étais apaisée, je me sentais en sécurité. En fait, j'aimais beaucoup être auprès de Rogue.

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Nous avions passé toute notre journée dans le Nord-Ouest de l'Angleterre, à faire le tour d'un gigantesque lac réputé pour ses sangsues. Je n'appréciais vraiment pas ces bestioles, rien que de les voir onduler dans l'eau me rendait malade.

Rogue et moi avions dressé une série de piège avec de la viande crue à l'intérieur, nous les avions posés à une dizaine d'endroits stratégiques, puis avions remonté les cours d'eau et les rivières pour en poser d'autres, avoir la chance d'en attraper assez en une journée, soit précisément cinquante huit.

Cette randonnée en forêt, dans les montagnes ensuite m'avait épuisée. Même si j'étais reconnaissante à Merlin, en posant dans l'espace laboratoire du sous-sol douze bocaux remplis de sangsue, que ce soit fini. Près de soixante sangsu, tout ce qu'il nous fallait. Je n'aurais plus jamais à approcher ces lacs de ma vie. Oh Merlin...

Je m'écroulai dans mon fauteuil, me roulai en boule contre le dossier et fermai les yeux pour respirer profondément. Fatiguée... Je sortis le mouchoir de Dumbledore de ma poche, presque sans y penser, appuyai ma joue contre le tissu. Rogue, de ce que j'entendis, fit encore quelques manipulations au laboratoire avant de me rejoindre devant le feu.

Un soupir lui échappa lorsqu'il s'assit, je n'eus même pas la force de rouvrir les yeux...

-Que diriez-vous d'un plat de pâtes au fromage? Proposa finalement mon professeur.

-Pas faim; grommelai-je.

Je frottai ma tête contre le mouchoir, c'était comme si je cherchais aussi un peu de réconfort après m'être tellement battue. J'avais couru, sauté, escaladé, ignoré mes faiblesses et mes jambes qui tremblaient pour aller toujours plus loin toujours plus vite, tenter de me maintenir au même niveau que Rogue et ses grandes jambes. Je n'en pouvais plus.

Je sentais des larmes de fatigue affleurer au coin de mes yeux.

-Petite gamine-Lumare; se moqua-t-il avant de se relever.

Le sorcier partit en direction du petit espace cuisine que j'avais amménagé, de la casserole et de la poêle que j'avais réussi à lui faire acheter. Il dut s'occuper du dîner, je repris contenance peu à peu. Lorsque Rogue revint devant l'âtre avec deux assiettes bien remplies, j'avais le regard perdu dans les méambres du mouchoir de Dumbledore. Le pourpre et le bleu électrique se combattaient en arrière fond, à un endroit il y avait plus de vert citron aussi. Les vifs d'or voletaient sereinement, se cognant aux arêtes du mouchoir pour repartir dans l'autre sens, se cogner à d'autres vifs d'or, et repartir.

-Mangez; ordonna Rogue.

... J'obéis sans un mot, le regard toujours tourné vers le tissu. Je mâchonnai mes pâtes.

-Lumare; soupira Rogue de sa voix traînante particulière... Il ne reviendra pas.

J'avalai une autre fourchette avec de l'emmental, avant de reposer l'assiette contre mon accoudoir et de marmonner que je savais. Je le savais, c'était juste qu'il me manquait, il me manquait beaucoup.

-Il me manque... beaucoup...; murmurai-je la gorge nouée.

Puis j'eus enfin la force de relever la tête, de retrouver les orbes onyx de Rogue. Il y avait aussi ses cheveux graisseux descendant en rideaux de chaque côté de son visage fin, sa peau blême, son long nez busqué, ses pommettes hautes et ses lèvres fines et exsangues. Il était vêtu entièrement de noir. Le regard qu'il m'adressait brûlait doucement.

-Vous comptiez beaucoup pour lui.

Je déglutis, avec difficulté. Et puis crispai les mâchoires.

-Comment vous pouvez le savoir? Sifflai-je un peu.

Rogue haussa un sourcil en déposant son plat pratiquemment intact sur la table basse.

-Oseriez-vous mettre en doute les facultés d'un Legilimens né? Demanda-t-il en alliant sarcasme et hauteur.

Je reniflai, étrangement j'avais encore quelques réserves concernant ses hautes facultés en décryptage d'émotions. Je ne me rappelais que trop bien toutes les bévues et les incompréhensions entre Rogue et mon moi de sept ans. Et puis le fait qu'il soit incapable de comprendre que je l'appréciais aujourd'hui.

J'y repensai et Rogue laissa le silence s'installer... Ce fut moi qui le brisai dans un murmure:

-Il vous appréciait aussi, professeur. Et même si je ne voulais pas le croire, il répétait que je devais vous faire confiance, que sous les écailles de certains serpents se cachaient des coeurs de lion.

-Vieux fou; siffla Rogue.

Il ne semblait pas apprécier la métaphore... Ce fut le moment que je choisis pour lui avouer que je savais.

-Dumbledore m'a tout raconté.

Son expression se glaça, Rogue devint blême. Même les flammes qui léchaient son visage semblaient blanches.

-Je ne vois pas de quoi vous voulez parler, Lumare; gronda-t-il d'une voix rauque.

-C'était le jour où vous êtes sorti pour laisser Dumbledore me parler à la maison. Il m'a raconté votre répartition et le fait que vous aviez une meilleure amie qui était allée à Gryffondor; lançais-je à toute vitesse maintenant, que c'était la mère de Harry et qu'elle n'appréciait pas vos fréquentations parmi les Serpentard des années supérieures qui voulaient servir le Seigneur des Ténèbres. Il m'a dit qu'elle avait choisi James Potter et s'était disputée avec vous, que...

Rogue tremblait.

-... vous aviez choisi le Seigneur des Ténèbres et que vous l'aviez servi jusqu'au jour où il avait menacé de s'attaquer aux Potter. Il a dit que vous aimiez toujours Lily et que c'était pour ça que...

Un geste du bout de ses doigts fins, et je tus le flot de paroles qui m'échappait.

J-je ne savais plus pourquoi j'avais parlé... Q-que...

-Savez-vous; siffla-t-il d'un ton glacial, que certains des récits de notre ancien directeur sont enjolivés à l'extrême. Assez pour que ce soit risible.

Chaque mot sortait brusquement, comme craché par un serpent prêt à mordre. J'avais peur.

-Lily Potter et James Potter sont morts par ma faute. C'est moi, Lumare, qui ait révélé la prophétie au Seigneur des Ténèbres.

Je tressaillis, les yeux écarquillés.

-Même si dans ma folie je ne savais pas quelles vies je condamnais; ricana-t-il en se levant pour me toiser de toute sa sombre hauteur. Et notre cher directeur a sûrement oublié de préciser qu'avant ce remarquable changement d'allégeance j'avais servi quatre ans de mon propre gré et avec fidélité le Lord Noir, que j'étais parvenu à intégrer le premier cercle des mangemorts! Vous a-t-il révélé cela?! A-t-il mentionné le nombre de meurtres, de tortures perpétrés par moi? Quatre années de bons et loyaux services! N'oubliez pas Lumare! Avant de trahir, pour tenter de sauver le couple Potter et leur gamin, d'échouer encore.

Sa voix retomba, mais la glace et le venin se mêlaient dans son regard, empoisonnant tout son être.

Professeur...

Il avait dû tellement souffrir. Il souffrait tellement. Je le voyais. Rogue se crispait, presque courbé par la douleur. Et je... Je me levai soudain de mon fauteuil pour être à sa taille et pour m'avancer. Je voulais... J'avais besoin de le rejoindre maintenant, d-de... Je l'agrippai violemment sans qu'il n'ait pu esquisser le moindre geste, resserrai mes bras autour de son corps fin, me collai à lui, pour le rassurer, pour le protéger. Je ne savais plus. Rogue n'en avait pas besoin, c'était... Son torse contre ma poitrine, à s'élever difficilement tous les deux, et les tremblements qui me parcouraient, les halètements de Rogue.

-Qu'est-ce que vous faîtes? Lâchez-moi! Lumare!

Ses mains glacées m'agrippèrent aux épaules. Je ne pouvais pas. Je l'étreignis plus fort, cachai ma tête dans le creux de son cou, sous ses mèches graisseuses, j'étais incapable de parler.

-Je n'ai que faire de votre compassion mal placée de collégienne! Cessez!

-J-je ne peux pas; craquai-je d'une voix brisée. Je suis désolée, professeur. Je suis tellement désolée. S'il vous plaît. S'il vous plaît.

Ses longs doigts m'enserraient les épaules, poussaient pour que je m'écarte, ou tiraient pour que je reste, ou me broyaient pour m'empêcher de bouger. Je ne savais pas, les larmes inondaient mes yeux. Je me cachai mieux contre lui, me frottant contre son cou et le bord de sa machoire, son odeur apaisante, ses bras qui glissaient sur mon vêtement et m'entouraient enfin. Rogue me serra contre son coeur et je pleurais je crois. Oui, les larmes gouttaient jusqu'à sa clavicule et le creux de son col.

-Je suis désolée; pleurai-je. Désolée, désolée. Oh Merlin professeur, je suis tellement désolée...

Tout ce qu'il avait vécu jusqu'ici, toute la douleur, si peu de joie ou de chaleur ou de réconfort. Il avait perdu sa mère, et sa meilleure amie, et il avait survécu à tous ces massacres, toute cette haine, ce mépris contre lui, ses élèves, ses collègues, les sorciers. Rogue avait été seul si longtemps. Il avait dû tellement souffrir.

-Calmez-vous Lumare, calmez-vous, tout va bien...; finit-il par murmurer à mon oreille.

Il avait resserré ses bras tout en levant sa main jusqu'à mes cheveux, et les caressait à présent, ses gestes étaient doux et lents, le maître des potions me gardait contre lui. J'étais contre son torse et entendait son coeur qui battait, le coeur du bâtard graisseux, il y avait la chaleur de son corps contre le mien. J'aurais voulu... pouvoir relever la tête aussi. J'aurais voulu pouvoir approcher mes lèvres des siennes, l'embrasser avec toute la tendresse qu'il me témoignait, et le refaire, encore, le consoler un peu plus à chacun de mes baisers. Professeur...

Je m'obligeai à garder la tête contre son cou, parce que je ne devais pas, parce qu'il me repousserait. Je ne pouvais plus bouger.

Rogue finit par reculer, sans relâcher sa poigne, pour me forcer à le suivre jusqu'à son fauteuil. Il s'y assit et me garda sur ses genoux, comme lorsque j'étais une gamine. Je restai accrochée à lui tandis que ses bras et ses mains descendaient enserrer ma taille.

-Tout va bien...

Je fermai les yeux, laissant les dernières larmes m'échapper, puis reposai mon front brûlant contre sa gorge. Sa joue appuyait contre le haut de ma tête. Je me sentais en sécurité. Je l'aimais tellement.

Je fus presque innocente dans le baiser que j'abandonnai au creux de son cou, puis j'expirai, me blottis un peu mieux contre lui.

Je n'avais pas prévu de m'endormir dans cette position. Mais c'est bien ce qui se produisit. Rogue aussi s'assoupit. Je perçus sa respiration profonde et régulière à un moment de la nuit, avant d'être rattrapée par la brume de mon sommeil.

Au petit matin, j'entendis vaguement les sept coups de l'horloge du sous-sol, des battements réguliers contre mon oreille m'apaisaient, la main qui passait dans mes cheveux rebelles aussi.

J'émergeai petit à petit.

-Professeur; murmurai-je en me frottant les yeux.

-Il est temps de se lever; susurra Rogue.

J'hochai la tête, pas vraiment convaincue. J'aurais pu être honteuse et gênée par ma crise de larmes de la veille, je ne pleurais jamais devant personne, jamais. Mais... Rogue était différent... je ne me sentais pas humiliée.

Mon maître des potions ne chercha même pas à me rabaisser. Il me laissa marmonner quelques protestations ainsi que tout le temps nécessaire pour me lever, puis s'occupa de la vaisselle et d'acheter le petit-déjeuner tandis que je me douchais.

En prenant nos croissants et chaussons aux pommes nous discutâmes des prochaines étapes de préparation de la potion, l'utilisation des sangsues entières associées à la poudre de corne de bicorne, l'ajout des chrysopes. Le débordement d'hier soir ne semblait avoir eu aucune conséquence, Rogue ne me repoussait pas... Il l'aurait sans doute fait s'il avait su que j'avais souhaité l'embrasser... Oh Merlin, j'en avais eu envie!

-Lumare?

Je revins soudain à la réalité. Rogue haussait un sourcil devant moi, un rictus narquois accroché au coin de la bouche.

-Les différences entre Polygonum vous ennuient-elles à ce point?

Je me troublai, attirée un instant de trop par ses lèvres fines.

-Pas... du tout... Vous parliez du Polygonum maritimum, hum près de la mer?

Rogue renifla, amusé peut-être, avant de se délecter de son café noir tout en continuant ses explications. Je rejetai loin de moi toutes les pensées déplacées qui avaient pu me traverser pour ne me concentrer que sur le genre Polygonum. Poligonum odoratum, polystachyum, davisiae...

Je ne voulais pas savoir jusqu'à quel point cet homme m'attirait.

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Le principe de cueillir des sisymbres à la pleine lune n'était pas un problème en soit. Le fait qu'elles scintillent comme autant de petits soleils au ras du sol était même magique... La forêt de Brocéliande où nous en avions trouvé offrait une clairière ainsi, d'où s'échappait un chaud halo orangé, éclipsant presque la lune et les ténèbres de la nuit.

Nous nous étions même arrêtés Rogue et moi à sa lisière, pour la contempler, mon coeur s'était réchauffé et j'avais voulu me blottir tout contre Rogue, apaisée...

Donc je n'avais rien contre cela, il y avait tout de même un léger souci. Si léger... les loups-garous... dont la forêt de Brocéliande regorgeait bien entendu.

Ce qui nous entraînait présentement à courir de toutes nos forces, des claquements de mâchoires et des yeux jaunes juste derrière nous, les halètements rauques de ces bêtes de plus en plus proches. J'avais les fleurs toujours en main, qui perdaient rapidement leurs pétales, la cape de Rogue claquait derrière nous, je commençais à perdre mon souffle.

-Par où? Hurlai-je paniquée.

Les arbres, les ténèbres, je ne savais plus de quel côté, ni comment... Rogue me prit la main soudain et l'instant d'après nous transplanions. Le voyage fut atroce, avant que nous ne nous écrasions en plein milieu du salon, échevelés, haletants. Rogue avait roulé sur moi dans l'action, pesait de tout son poids sur moi en maintenant mon poignet enserré.

Mais nous étions en sécurité et nous nous fixâmes un instant avant que je n'éclate de rire.

-Oh Merlin, j'ai eu... tellement peur!

Je fermai les yeux le souffle coupé, les doigts convulsant encore autour des tiges de sisymbres. Mon professeur ne rit pas, pas du tout, mais j'avais toujours le sourire en revenant à ses orbes noirs. Il était crispé en fait, très sérieux, il me fixait, la respiration altérée.

J'eus un doute.

-Vous allez bien, professeur?

Ses mèches graisseuses pendaient tout autour de son visage et nos jambes étaient entremêlées. Un frisson me parcourut. J'avais besoin de lui, j'avais peur, il me rejetterait sûrement et je n'avais pas le droit de... Rogue, se penchait.

J'écarquillai les yeux, ne pus plus penser à quoi que ce soit, rien, hormis ses lèvres qui se rapprochaient, son regard perçant, brûlant, empli de ténèbres. Je m'y noyais.

Un instant je crois que je tentai de m'échapper, parce qu'il le fallait, je tirai sur mon poignet et voulus le repousser. Il ne me lâcha pas, non, sa poigne se resserra, sa main libre m'agrippa les cheveux.

-Ne...

Je ne savais pas vraiment ce que j'avais voulu dire, ce fut perdu de toute façon lorsque ses propres lèvres écrasèrent les miennes. Je gémis, tirai sur mon poignet en oubliant même que mon autre main était libre. Rogue ne lâcha pas et ses lèvres froides, si minces, qui venaient se presser contre ma bouche, la piéger, violemment. C'était violent, il ne savait pas embrasser. Il m'embrassait! Son nez tordu cognait contre ma joue, il tirait sur mes cheveux et pesait de tout son poids sur mon corps.

Et puis il s'écarta, quelques secondes, je tentai de parler, mais il revint à mes lèvres. Il s'empara de celle du bas et puis avec ses dents, il la mordit, la mordilla, il allait presque jusqu'au sang. Ma peau gonflait et brûlait, j'avais mal et Rogue était désespéré. Des halètements lui échappaient alors qu'il revenait à ma bouche, que ses traits crispés se baissaient encore vers moi. Quelque chose de douloureux et d'enflammer se répandait dans toute ma poitrine.

C'était trop! Les sisymbres m'échappèrent soudain avant que mon bras droit ne crépite d'étincelles. L'instant d'après, j'expulsais mon professeur. Il déchira ma lèvre en roulant sur le côté, seulement quelques centimètres plus loin.

Je tremblais, la main levée vers le filet de sang qui coulait sur mon menton. Rogue haletait, écroulé contre le parquet et plié en deux par une souffrance impossible!

Je n'avais jamais soupçonné qu'il le voulait, pas un seul instant. Son regard noir restait accroché au mien, je ne savais pas s'il était suppliant ou s'il ne pouvait plus le détourner.

Il ne fallait pas que je tremble.

-Professeur...; tentai-je.

-Pas un mot! Siffla-t-il un masque glacial sur ses traits, se fissurant soudain, se reformant.

J'étais trop près pour ne pas remarquer toute la douleur qu'il tentait de cacher.

-Severus; soupirai-je nous surprenant tous les deux... J-je ne comprends pas ce que vous voulez.

J'essuyai mon sang qui finit par s'écouler le long de ma main. Mon regard s'y attarda vaguement, ce rouge sombre contre ma peau pâle, puis je revins au maître des potions.

-Vous comprenez parfaitement; finit-il par cracher.

J'avais envie de l'embrasser à cet instant, à ma manière. Mais... j'hésitai. J'étais paralysée, je n'étais qu'une gamine de dix-sept ans et lui un adulte, le professeur Rogue. Je sentis qu'il allait se relever, qu'il allait quitter la pièce et m'abandonner. Alors je réussis à me mettre à quatre pattes et à m'approcher. Rogue était pétrifié, ses yeux sombres écarquillés alors que je le rejoignais, que je passais ma main dans ses cheveux, que j'avançais mon genou entre ses jambes et lui demandais la permission d'aller plus loin.

-S'il vous plaît?

Je tremblais qu'il refuse maintenant, que... Il ferma les paupières, les rouvrit, puis ses bras se crochetèrent autour de ma taille pour m'empêcher de partir. Rogue me fixait.

J'étais perdue. Mais je savais ce que je ressentais. De longues flammes se répandaient en crépitant dans mes veines. Je l'aimais. Alors je me penchai vers Rogue, et je l'embrassai.

Son souffle se coupa, il trembla tandis que je fermais doucement les yeux. Mes doigts se resserrèrent autour de mèches graisseuses et c'était juste la sensation extraordinaire de ses lèvres encore glacées mêlées à la chaleur des miennes, de ses bras qui étreignaient ma taille. J'avais l'impression d'être sur mon Nimbus, d'être ivre de bonheur et privée d'oxygène en volant plus haut que les nuages! Les poumons en feu je mis fin au baiser, sans pouvoir m'éloigner pourtant, mon nez vint reposer contre l'arête tordue du sien et mon regard plongea dans le sien.

Ses pupilles se confondaient avec ses iris pour former deux puits de ténèbres sans fin... C'était magnifique, si envoûtant, j'avais pourtant conscience des joues rosies de mon professeur, de son souffle court et de la poigne qu'il refermait autour de moi. J'étais incapable de parler.

-Je vous laisse le temps de réfléchir à ma... proposition... Lumare; lâcha Rogue.

Puis il crispa les mâchoires et se força à rassembler ses barrières d'Occlumens malgré le fait que nous n'arrivions pas encore à nous éloigner l'un de l'autre.

J'aurais voulu l'embrasser de nouveau, délicatement.

-... Professeur...; acquiescçai-je en hochant la tête.

-J'ai un prénom; siffla-t-il en reniflant avec morgue.

L'instant d'après il se détachait de moi et il... transplanait. Je restai un long moment à fixer droit devant moi l'endroit qu'il venait de quitter. J'avais la tête pleine de nuage. Je savais que c'était pitoyable mais c'était la première fois que je pouvais ressentir quelque chose d'aussi fort. Le seul Serdaigle avec qui j'étais sortie ne m'avait jamais embrassée ainsi.

Bien plus tard je me relevai, m'occupai des sisymbres, me brossai les dents et je m'écroulai sur mon lit -enfin le sien-. Je me dis que Harry, Ron et Hermione penseraient certainement que je m'étais cognée la tête contre un trop gros chaudron, que le bâtard graisseux était trop vieux, trop graisseux, trop lui, qu'il avait tué Dumbledore. Je me dis aussi que j'étais folle, que la bataille finale approchait et que j'aimais Severus Rogue de tout mon coeur. C'était assez. Même si j'étais trop jeune et inexpérimentée pour savoir ce qui m'attendait. Je ne pouvais pas faire autrement.

J'entendis Rogue rentrer vers une heure du matin et faire grincer les ressorts du canapé dans le salon. Un sourire m'échappa tandis que je fermais les yeux et m'assoupissais petit à petit...