Chapitre 18
Tout excitée, Khorine se dirigea vers son bureau, la Gazette sous le bras, salua son équipe et s'y enferma. Elle jeta sa mallette et sa cape puis s'assit sur son fauteuil et ouvrit la Gazette. Généralement elle ne lisait pas leurs tissus d'âneries, mais ils avaient reçu en exclusivité les résultats du premier sondage populaire pour les élections ministérielles qui auraient lieu dans neuf mois.
Amanda Jones avait reçu 31% des votes, contre 24 % pour Theodora Whytt, et le reste pour d'autres candidats. Il était trop tôt pour crier victoire, l'écart n'était pas énorme entre Amanda et Whytt. Elle ferait des annonces officielles, dans le Chicaneur, et même dans la Gazette du Sorcier, pour soutenir Amanda. La sorcière survola l'article, entoura à la plume les questions et les commentaires sur lesquels elle voulait revenir, puis sortit un rouleau de parchemin neuf et commença à rédiger.
Le regard scintillant elle finit par sortir de son bureau, les feuillets à la main pour les faire vérifier par son équipe.
-Khorine; l'appela son assistant qui avait enfin accepté d'utiliser son prénom.
Elle s'arrêta près du bureau d'Elayn, à cinq pas du poste de son assistant.
-Vous avez reçu plusieurs lettres et un gros colis, voulez-vous que je les dépose dans votre bureau?
Elle s'avança d'un pas vers lui et lui sourit:
-Ne vous embêtez pas avec ça Félix, je les prendrai en rev…
Une vibration. Dangereuse. La magie qui se tord.
-À couvert! Hurla Khorine.
Le paquet près de Felix explosa. Khorine eut juste le temps de dresser un Protego devant elle mais l'onde de choc la projeta contre le mur, sa tête le heurta violemment. Sa vision se brouilla. Il y avait comme une grosse tâche rouge sur le mur d'en face, et deux ombres au sol qui ne bougeaient pas.
- Miss Lumare! Miss Lumare! Khorine!
-Il faut l'emmener à Ste Mangouste!
-… appeler les aurors.
-F… Felix est…
Elle perdit connaissance.
oOo
Lorsqu'elle se réveilla, elle sut immédiatement qu'elle était à Ste Mangouste. L'odeur de désinfectant, les murs trop blancs, le lit inconfortable. Elle était seule dans une chambre, le soleil se couchant par la fenêtre à sa droite, une porte blanche, fine, à sa gauche, donnant sur le couloir. Les bougies étaient déjà allumées là-bas et elle voyait des ombres passer et repasser devant sa porte. L'une d'entre elles était noirâtre. Elle s'éloignait, puis se rapprochait, elle était meurtrière. La panique lui enserrait le cœur, sa tête tournait, elle avait du mal à respirer. L'ombre s'arrêta devant sa porte et… Elle recula. La porte s'ouvrit violemment. Severus entra, le regard flamboyant et s'arrêta net devant sa sorcière en pleine crise de panique.
-Khorine?
-Il… y'a… quelqu'un; parvint-elle à sortir de ses poumons compressés. Son ombre…
Elle tirait sur sa chemise pour trouver de l'air.
-Sev…; appela-t-elle terrifiée. J'ai peur.
Quelque chose de terrifiant passa alors sur les traits de Severus. Il était prêt à tuer. Et Khorine se sentit rassurée.
-Veux-tu sortir d'ici?
-… Oui…
Il ne se le fit pas dire deux fois, la prit dans ses bras et quitta la chambre. L'ombre n'était plus là, un Médicomage protesta dans le corridor au loin. Khorine se pelotonna contre Severus. Il y eut un flash. Severus ne se retourna même pas mais l'appareil photo brisa net. Khorine prenait des inspirations de plus en plus profondes. Severus bifurqua et prit un couloir peu usité, avant de sortir de Ste Mangouste par une sortie secondaire et transplaner aussitôt devant sa chaumière. Là, Khorine fut placée dans son fauteuil, face à un grand feu de cheminée, une tasse de chocolat chaud devant elle, Severus occupé à consolider les barrières magiques autour de la maison. Winky s'approcha et l'emmitoufla dans une couverture chaude.
-Est-ce que Miss va bien?
Elle avait un grand bandage autour de la tête baigné de sang à l'arrière, et sa respiration était encore erratique. Khorine prit la main de Winky et la serra fort.
-M… Merci…; haleta Khorine.
Et elle ferma les yeux, se concentra sur sa respiration, tandis que l'elfe caressait sa main du pouce. Winky resta à son poste, veillant sur la sorcière, jusqu'à ce qu'elle se soit calmée. L'oxygène revenait gonfler ses poumons, elle n'avait plus de vertige ou la sensation d'étouffer… Elle se sentait bien… Au chaud…
Khorine s'endormit.
Elle ne sentit même pas lorsque Severus retira son bandage, soigna la plaie qui s'était rouverte, puis l'allongea sur le canapé du salon. Elle était juste en sécurité. À un moment, au cours de la nuit, elle se réveilla en ayant soif. Severus lui réchauffa son mug de chocolat puis le lui tendit.
-Merci.
-Rendors-toi; lui murmura-t-il d'une voix chaude.
Elle lui sourit dans l'obscurité, puis ferma les yeux et replongea dans le monde des rêves.
Le lendemain elle fut réveillée par la bonne odeur des crumpets. Severus s'en aperçut et quitta son fauteuil pour s'approcher d'elle.
-Est-ce que tu penses pouvoir te lever?
-Oui.
-Tiens-toi à moi.
Elle lui obéit et vacilla un peu avant de retrouver l'équilibre et d'atteindre la table du salon. Un petit-déjeuner gargantuesque les attendait.
-Merci Winky; murmura Khorine.
Ils commencèrent à manger. Elle avait une faim de loup. Des crumpets furent engloutis, avec des fruits, de la confiture, du jus de citrouille, du pain, des œufs brouillés, des champignons, une saucisse et un peu de cheddar.
-J'avais faim; baragouina-t-elle des œufs plein la bouche.
Et puis tout à coup, elle cessa de manger, elle avait senti une larme chaude rouler le long de sa joue. Une deuxième la suivit. Elle avala la bouchée qui lui restait puis baissa la tête. Elle n'arrivait pas à retenir ses larmes, elles lui dévalaient les joues et lui arrachaient des sanglots étouffés. Sans comprendre vraiment ce qu'il se passait, elle se trouva soudain sur les genoux de Severus, fermement serrée contre son torse, sa main sur le haut du crâne, l'autre entourant ses hanches.
-Il… y avait… du sang… partout…
Ses sanglots devinrent déchirants et elle s'accrocha à sa chemise de toutes ses forces.
-C'est fini Khorine; lui murmura-t-il à l'oreille.
Elle gémit, pleura encore, et fut bercée par le sorcier jusqu'à ce qu'elle s'endorme.
Lorsqu'elle se réveilla, ce fut à cause de coups violents contre la porte d'entrée. L'expression de Severus se fit meurtrière.
-Khorine? Tu es là?
-Ginny? Murmura Khorine.
-Khorine? Appela Neville de l'autre côté de la porte.
Severus l'ouvrit d'un grand coup, l'aura meurtrière.
-Comment nous avez-vous trouvé? La voix était si glaciale et vibrante que tous, Ginny, George, Neville, Luna et Harold, se figèrent sur le pas de la porte.
-Euh…
-C'est un plaisir de vous revoir Severus, disons pour votre information que Khorine nous a parlé d'une crique où vous vous baigniez. On a joué au détective avec Harold pour trouver une maison qui semblait extrêmement délabrée et très vide, et on a toqué à la porte. Elémentaire mon cher Watson ; indiqua George en s'époussetant la manche.
Le petit garçon avait une casquette de détective à la Sherlock Holmes. Il gonfla le torse, tout en s'accrochant à la main de son oncle. Mais lorsque Khorine se rapprocha en souriant, Harold fusa vers elle:
-Tata!
-Bonjour mon grand; lança-t-elle en le soulevant dans ses bras.
Et puis se tournant vers les autres:
-Merci beaucoup d'être venus.
-Oh, ça fait seulement trois heures qu'on tourne en rond, et je pense avoir aperçu un Solivendre près de vos noisetiers.
Khorine lui sourit.
-Vous devez avoir faim, voulez-vous resterpour le déjeuner ?
A ces mots, Severus crispa tellement les mâchoires qu'elles grincèrent.
-On ne voudrait p…; commença Neville.
-Manger! S'écria Harold.
-Severus, est-ce que ça te va? Demanda Khorine avec l'enfant dans les bras.
Il y eut un moment de flottement, puis il y consentit en hochant sèchement la tête et, malgré son regard venimeux, laissa chacun de ses anciens élèves pénétrer dans leur demeure. George commenta la décoration tandis que Luna s'approchait de Khorine avec Ginny et Neville. Ils s'assirent dans les canapés.
-Est-ce que tu peux… en parler? Hésita Neville. On a appris qu'il y avait eu une explosion dans ton bureau, que tu avais été envoyée à Ste Mangouste, mais quand on y est allé il n'y avait plus personne.
-Harold, tu peux aller jouer près de la table?
-Non je veux rester avec toi.
-C'est une discussion de grandes personnes; lui dit Neville tandis que George les rejoignait sur le canapé.
Le garçon bouda, s'accrochant à Khorine et, finalement, ils mirent une bulle de silence autour de l'enfant pour pouvoir parler librement.
-J'ai…; commença Khorine en déglutissant, j'étais sortie de mon bureau, dans l'antichambre où se trouvent m-mon assistant, et toute mon équipe.
Elle caressait sans s'en rendre compte les cheveux du petit bonhomme qui s'agrippait à elle.
-Il y avait des lettres et un gros paquet. Je me suis avancée, la magie a vibré autour du paquet, j'ai juste eu le temps de jeter un Protego, devant moi, avant d'être projetée contre le mur.
Severus se rapprocha d'elle par derrière pour poser une main sur son épaule. Khorine ferma les yeux.
-Felix a explosé. Il y avait; sa voix craqua, du sang partout sur le mur. Et Diane et Morty sont morts, sur le coup.
Elle réussit à retenir ses larmes cette fois et inspira un grand coup avant de continuer.
-Quand je me suis réveillée à Ste Mangouste, j'ai senti une ombre malsaine, qui passait et repassait devant ma porte. C'est peut-être de la paranoïa, ou mon coup à la tête, mais j'avais peur de cette ombre, et puis Severus est arrivé. Et il m'a aidée à m'échapper.
Ginny avait un air presque sinistre.
-Je les retrouverai; grinça-t-elle, et je leur ferai payer.
-Je ne sais pas qui…; commença Khorine.
-Je les retrouverai; siffla-t-elle et un message silencieux passa entre elle et Severus.
Ils se comprirent sans un mot. Luna s'approcha de Khorine pour lui prendre la main.
-Nous sommes venus pour toi. Harold voulait absolument te voir et venir te protéger.
Khorine tourna un regard de pure adoration vers le petit garçon qui, sans entendre, lui fit son plus beau sourire.
Peu de temps après ils passèrent à table, Winky s'était surpassée une fois de plus. Puis ils discutèrent autour de cafés, principalement Neville, Luna et George, tandis que les auras assombris de Ginny et Severus pulsaient et que leurs mâchoires restaient scellées. Finalement leurs invités prirent congé et Ginny, avant de sortir, desserra les dents:
-Je trouverai qui a fait ça Khorine… À vrai dire, j'ai déjà ma petite idée…
Une lueur violente passa dans les yeux de Ginny.
-Ne fais rien de dangereux; murmura Khorine alors qu'Harold, à deux pas, étudiait une feuille au soleil.
-Oh, ce n'est pas moi qui serai en danger; grinça-t-elle... Je te ferai mon premier rapport dans deux jours, en attendant, ne quitte pas cette maison.
-Bien chef.
George ébouriffa les cheveux de Khorine en passant, ce qui lui valut un regard particulièrement venimeux de Severus.
-Repose-toi bien.
Elle lui fit un petit sourire et George partit en agitant la main, tous ses amis s'éloignèrent sur le petit chemin caillouteux descendant des falaises.
Ils avaient convenu d'éviter de revenir la voir, au cas où l'un d'entre eux serait suivi, mais Ginny lui enverrait des messages par Patronus tous les deux jours. Et en attendant, elle se sentait aimée et en sécurité dans la chaumière, avec Severus. La porte d'entrée se referma et celui-ci rajouta une ou deux barrières de protection en plus, pour faire bonne mesure.
-Assignée à résidence jusqu'à nouvel ordre, Khorine, et ce n'est pas négociable.
Khorine se mordit la lèvre, une étincelle vaguement apparente au fond de ses yeux bleus:
-Si c'est avec toi je n'y vois pas d'inconvénient.
Elle avait toujours son bandage sur la tête et c'était dit avec des poussières d'espièglerie. Si bien que Severus posa sur elle son regard d'aigle, avant de la soutenir et de l'aider à rejoindre son fauteuil sans répliquer. Il l'ausculta, agenouillé devant elle, puis lui apporta le livre qu'elle avait laissé sur sa table de chevet et l'après-midi s'écoula dans le murmure des feuilles tournées.
Deux jours s'écoulèrent ainsi, Khorine eut des cauchemars et pleura longuement contre Severus. Et puis Ginny fit son rapport. Greenmore lui avait donné l'autorisation de monter sa propre unité. Ils avaient une piste. Khorine ne devait pas sortir de chez elle.
Deux jours passèrent. Elle n'avait plus de bandage. Severus refusait de sortir de la maison, ne serait-ce que pour une promenade le long des falaises. Khorine se mit à aider Winky en cuisine, et dans le jardin. Elle n'avait rien pour travailler, et elle commençait à tourner en rond, le cœur serré à l'idée des risques que prenait Ginny, des dangers pour les Londubat, pour Harold, et elle eut une crise de panique. Elle voulait être dehors, elle voulait être la seule cible de ces malades, pas ses amis, surtout pas. Ginny la contacta de nouveau. Piège tendu. La recontactera rapidement.
Khorine tournait en rond dans la chaumière. Severus finit par accepter une sortie, sous un charme de Désillusion. Ils ne parlèrent pas, se tenant par la main. Khorine l'entraîna toujours plus loin, marchant le regard fixé sur l'horizon, la mâchoire crispée. Ses jambes tremblaient de fatigue lorsqu'elle consentit à faire demi-tour. Quand ils furent de nouveau en sécurité dans la chaumière, Severus l'informa qu'il devait s'absenter pour la soirée.
Il y eut de la panique dans les yeux océan.
-Tu t'en vas? Murmura-t-elle, et sa voix se brisa.
-Pour quelques heures. La maison est protégée et Winky a ses instructions s'il survient le moindre incident.
-Laisse-moi venir avec toi.
-Tu n'es pas en état de combattre.
Khorine déglutit, elle le savait déjà qu'il partait rejoindre Ginny, mais qu'il ne le lui cache pas...
-Je ne peux pas te perdre; chuchota-t-elle, et ses yeux se mouillèrent de larmes. S'il te plaît…
Deux grosses larmes lui échappèrent et elle sentait son corps trembler. Severus la prit par les épaules et serra trop fort.
-Je trouverai tes agresseurs. Et je leur ferai payer au centuple ce qu'ils t'ont infligé. Après cela, il n'y aura pas une seconde de ta vie que tu perdras à y repenser. Pas une seule.
Son regard de flamme noir la brûlait, la force brutale qu'il dégageait lui remettait les idées en place, comme une grande claque. Deux dernières larmes lui échappèrent puis elle renifla.
-Merci…; murmura-t-elle. Sois prudent.
Ses yeux d'ébène brûlaient d'une force hypnotique.
-Reste en sécurité. Je rentrerai dès que ce sera fait.
Elle lui sourit, puis doucement se hissa sur la pointe des pieds et l'embrassa. Severus la prit dans ses bras et pressa ses lèvres contre les siennes, puis s'écarta.
-Je rentrerai dès que ce sera fait; répéta-t-il une dernière fois, avant de se détourner d'elle, et de quitter la chaumière.
Khorine alla à la fenêtre pour le voir s'éloigner, agitant sa baguette dans l'air pour refermer, une par une, certaines barrières magiques, et puis il fut caché par la haie de noisetiers et bientôt le craquement caractéristique du transplanage retentit.
Khorine resta à la fenêtre.
Son cœur battait encore régulièrement, avec douceur, elle savait qu'il ne lui arriverait rien. Parce que sur un champ de bataille, Severus était de loin le sorcier le plus dangereux qu'elle ait jamais vu. Ses traits s'adoucirent. Le ciel du soir était moucheté d'étoiles scintillantes, et le fin croissant de lune trônait au-dessus des cimes des arbres à l'Est. Des hululements retentissaient au loin, quelques pépiements et croassements, le vent faisait frémir les herbes hautes. Le cœur de Khorine et ses pensées étaient à des kilomètres de là, avec son compagnon.
Avait-il déjà rejoint Ginny et ses aurors? Etaient-ils en planque? En train de préparer un guet-apens? Le combat avait-il déjà commencé? Elle imaginait Severus bouger avec une grâce létale, sa cape tourbillonnant derrière lui, évitant les maléfices et mettant hors d'état de nuire chacun de ses ennemis. Elle voyait la rage sombre brûler dans ses prunelles, la haine…
Elle les haïssait aussi, ceux qui troublaient la paix obtenue au prix de leur sang. Elle les haïssait… Non… Elle n'avait plus l'énergie nécessaire pour haïr qui que ce soit. Elle se sentait fatiguée, vidée. Ses ennemis avaient tenté de la tuer, plusieurs fois, Terry Blumen était mort, Félix, Morty, Diane, et Lyven, le loup-garou qui était mort près du cromlech; tous ces innocents. Elle sentait une vague de douleur et de haine monstrueuse poindre en elle et puis, plus rien, l'apathie, le vide.
Elle était fatiguée…
Severus reparut au petit matin. Il était fourbu, le teint cireux et de lourdes poches sous les yeux. Khorine lui retira ses vêtements sans un mot, desserra la main crispée sur sa baguette et lui fit prendre un long bain, elle lui lava le corps, les cheveux. Puis ils se séchèrent, se mirent au lit et se blottir dans les bras l'un de l'autre. Khorine s'endormit aussitôt contre Severus. Il sentait son souffle chaud contre son torse, le mouvement lent et régulier de sa poitrine. Elle était en sécurité à présent. Alors il posa son menton contre le haut de sa tête, ferma les yeux, et s'endormit à son tour.
