Helloo !
Me voici de retour ! (eh non, pas pour vous jouer un mauvais tour, je réserve ça à Kurogane, Fye, Shaolan et Sakura). Aujourd'hui, un chapitre plutôt fluffy, profitez-en bien avant le début des ennuis.
Bonne lecture à tous !
Chapitre 5 - Décision
Lorsqu'ils arrivèrent au chalet, un filet de fumée s'échappait du conduit de cheminée. Shaolan ouvrit doucement la porte : dans le salon, Kurogane était en train de décharger des bûches qu'il venait manifestement d'aller chercher à l'extérieur. Il en jeta deux dans l'âtre où crépitait de superbes flammes et déposa les autres dans un panier près du foyer. Quand il entendit la porte s'ouvrir, il se retourna. Fye apparut au même instant sur le seuil de la cuisine, un saladier rempli de blancs battus en neige sous le bras et un fouet à la main.
– Ah, Shaolan-kun, te voilà ! Kuro-rin commençait à s'inquiéter !
– N'importe quoi ! Je ne m'inquiétais pas du tout.
– Tu as eu du mal à trouver les oignons et le lait ?
– Pas vraiment, c'est juste que j'ai fait une rencontre inattendue.
Il s'écarta et laissa la princesse entrer à son tour. Le mage et le ninja se figèrent, bouche bée.
– Sakura-chan … souffla le mage.
– Bonsoir, fit la jeune fille timidement. Je suis vraiment contente de vous revoir.
Un silence ému suivi ses paroles, quelques instants pendant lesquels un flot de souvenirs assaillit le magicien et le ninja, des souvenirs de leur voyage avec l'autre Sakura. Ils se rappelèrent la douceur, la bonté et la joie que la princesse avait apportées à leur quotidien, une jeune fille en tout point identique à celle qui se tenait devant eux. Ils se souvinrent de ces moments de paix et de bonheur, avant que tout ne bascule, avant qu'ils ne se confrontent à Fei Wang Reed. Retrouver Sakura à présent qu'ils avaient surmonté ces terribles épreuves leur paraissait presque irréel, comme un retour vers le passé tout en ayant conscience qu'ils avaient tous profondément changés. Dans le chalet à la senteur de bois sec, seul le crépitement du feu troubla l'atmosphère pendant une petite minute. Finalement, Kurogane bégaya, d'une voix où l'on devinait la stupeur :
– Mais … comment t'as fait … pour arriver jusqu'ici ?
La princesse sourit et expliqua de nouveau comment elle s'était entraînée pour pouvoir se rendre jusqu'à la boutique de Watanuki.
– Là-bas, j'ai fait le même vœu que vous : celui de pouvoir traverser les dimensions grâce à Moko-chan. J'ai aussi demandé à être envoyée là où vous vous trouviez, pour ne plus jamais être séparée de vous … ni de Shaolan.
À ces mots, les joues de la princesse prirent un jolie couleur pivoine, mais sa carnation n'égalait pas celle de Shaolan, qui avait déjà viré au cramoisi. Kurogane ne put retenir un demi-sourire qu'il essaya de cacher au coin de ses lèvres. Fye souriait, lui aussi, mais une ride d'inquiétude ne parvenait pas à s'effacer de son front.
– Qu'as-tu payé comme compensation ?
C'était la question qu'ils se posaient tous et que Shaolan, trop inquiet, n'avait pas encore osé formuler. Sakura les dévisagea quelques secondes, puis, d'une voix où ne perçait aucun regret, elle répondit :
– Je lui ai offert toute ma magie.
Les yeux de ses compagnons s'agrandirent.
– Toute … ta magie ? répéta Shaolan.
– Oui, toute celle que j'ai patiemment développée au cours de ces deux ans. Je voulais être en possession du toutes mes capacités et faire de ma magie le don le plus précieux que je posséderais, car c'était le seul prix qui puisse être à la hauteur de ce que je désirais.
Ses amis la fixèrent longuement, impressionnés. Shaolan ne pouvait détacher son regard du visage de la princesse et son cœur bouillait de mille émotions. Sakura n'avait cessé de travailler pour développer un pouvoir qu'elle destinait dès le départ à être sacrifié. Tout cela, pour être avec eux. Non, avec lui. À l'admiration qu'il ressentait pour la jeune fille se mêla un sentiment beaucoup plus fort, plus ardent. S'ils avaient été seuls, il l'aurait prise dans ses bras, voire même ...
– Alors, tu peux rester avec nous maintenant, c'est bien ça ? comprit Kurogane.
– Oui, c'est ça.
– C'est vraiment génial ! Il faut fêter ça ! décréta Fye en récupérant son saladier et son fouet. Je vais faire quelque chose d'encore meilleur que ce que j'avais prévu. Mokona, viens me donner un coup de main !
– Mokona arrive ! acquiesça la boule de poils en rebondissant vers la cuisine.
– Est-ce que je peux vous aider, moi aussi ? demanda Sakura.
– Tu es sûre ? Tu n'es pas trop fatiguée ?
– Non, non, ça va.
– Bon, alors d'accord !
Avant de disparaître dans la cuisine, Fye lança :
– Kuro-chan, toi, mets la table !
– Oy ! D'où tu me donnes des ordres ?
– Tu ne vas quand même pas rester à ne rien faire ? Alors, mets la table !
Kurogane allait répliquer, mais il se ravisa : le retour de la princesse avait opéré un brusque changement d'humeur chez le mage, et il avait retrouvé le sourire. Même si cela ne lui ferait pas oublier sa rencontre avec Clef, il semblait pour le moment décidé à écarter ses tracas de son esprit et ce n'était pas le ninja qui l'en aurait blâmé. Cependant, s'il était heureux de voir le mage sourire, il ne voulait pas non plus qu'il se serve du retour de la petite comme d'un écran de fumée pour fuir ses soucis. Plus tard, quand l'effervescence serait retombée, ils reviendraient sur le sujet. À cet instant, Shaolan le tira par la manche.
– Euh, Kurogane …
– Mmm ? Quoi ?
– Est-ce que je peux te demander un service ? Je voudrais que tu me remontres comment …
– … comment ?
– … comment on se rase, termina le jeune homme en baissant d'un ton. Je voudrais le faire bien pour Sakura, et aussi éviter, si possible, euh, comment dire … d'arriver plein de balafres.
Un sourire amusé apparut sur les lèvres du ninja. Pour un peu il en aurait presque rigolé, mais bon, il ne fallait pas froisser la fierté du petit. Il ébouriffa ses cheveux.
– Pas de problème. Viens, on va chercher de l'eau et du savon.
Un quart d'heure plus tard, le ninja et l'adolescent redescendirent de l'étage : Shaolan s'était rasé de près et avait réussi à ne se faire qu'une seule petite égratignure, sur le bord de la joue, que Sakura fit semblant de ne pas voir. Fye, la princesse et Mokona apportèrent une marmite fumante où bouillonnait de la viande de bœuf cuite dans du vin rouge, agrémentée de lardons, de pommes-de-terre, de carottes et d'oignons. Le plat exhalait une bonne odeur de thym et de laurier qui ouvrait immédiatement l'appétit. Kurogane jeta une nouvelle bûche dans la cheminée et ils se mirent à table. Afin de célébrer le retour de Sakura, Fye tint à servir un verre d'alcool à tout le monde, sous prétexte que le vin qu'il avait utilisé pour la viande avait eu largement le temps de s'évaporer au cours de la cuisson.
– Au retour de Sakura ! lança-t-il joyeusement en portant un toast.
Les verres s'entrechoquèrent et ils attaquèrent le bœuf. Quand ils passèrent au dessert, Shaolan et Sakura avaient légèrement le tournis. Fye apporta un gâteau roulé qu'il avait fourré à la confiture et que Sakura avait recouvert d'un glaçage au citron. Mokona se vanta d'être celui qui avait permis d'aplatir la pâte à gâteau, car Fye n'ayant pas trouvé de rouleau à pâtisserie, il s'était rabattu sur le corps souple et rond du manjuu comme ustensile de cuisine.
Shaolan proposa ensuite de faire une partie de cartes avec le jeu que Fye avait trouvé dans le chalet. La chance infaillible de la princesse lui permit de remporter les trois premières manches, mais l'alcool altéra la bonne fortune et Kurogane se mit à gagner à son tour, jusqu'à ce que Fye prenne le dessus. Le ninja avait la furieuse impression qu'il trichait, comme souvent lorsqu'ils disputaient une partie de cartes.
– Moi, tricher ? Allons, Kuro-chan, je ne ferais jamais ça !
– Ben voyons. Je suis sûr que tu transformes les cartes du talon à chaque fois que tu pioches.
– Pourquoi ça ?
– Parce que t'arrêtes pas de poser des têtes alors que je me coltine des trois et des quatre depuis dix minutes !
– Ce n'est pas de ma faute si tu n'as pas de chance, Kuropon !
Kurogane maugréa quelques chose, puis battit de nouveau les cartes, demanda à Fye de couper le paquet et commença à distribuer. Soudain, son geste se fit – accidentellement – un peu trop rapide et la carte destinée à Fye se retourna. Le mage se hâta de la récupérer et de la mettre dans sa main, mais le ninja avait eu le temps de voir, non sans une certaine satisfaction, qu'il s'agissait d'un deux. Avec ça, Fye n'irait pas bien loin, et son sourire s'élargit en découvrant ses propres cartes : deux rois, une dame, un as et trois dix. La chance était de nouveau avec lui ou il ne s'y connaissait pas ! La partie reprit de plus belle. Kurogane attendait que Fye pose son deux et qu'il ne se trouve en fâcheuse posture, mais la carte ne venait pas. Peut-être la gardait-il pour le dernier tour ? Ce n'était pas très judicieux, tout de même. Quand le mage dut poser la seule carte qui lui restait en main, le ninja constata avec stupéfaction qu'il ne s'agissait pas d'un deux … mais d'un roi.
– Je le savais ! Tu triches !
– Quoi ?
– Il est où, le deux que je t'ai donné au début de la partie ?
– Quel deux ? demanda innocemment le mage.
– Le deux qu'on a tous vu retourné sur la table, tiens ! Vous êtes témoins, non ?
– Euh … peut-être, fit Shaolan, faussement hésitant.
– Je ne me rappelle plus très bien, déclara Sakura, soudain concentrée sur les carreaux rouges et blancs de la nappe.
Le ninja sentit le rouge lui monter aux joues : étaient-ils donc tous de mèche ? Il attrapa le mage par le col, prêt à lui expliquer le sort qu'il réservait aux tricheurs, quand le blond lui dit avec un sourire espiègle :
– Avant de t'énerver, Kuro-chan, tu devrais peut-être poser ta dernière carte …
– Parce que tu la connais ?
– Non, pas du tout.
– Menteur ! De toute façon, elle ne pourra pas battre la tienne.
– Tu en es sûr ?
– Évidemment ! J'ai déjà utilisé mon as il y a deux tours, et je n'en avais qu'un !
Fye lui adressa un regard narquois et son regard dévia vers la carte que le ninja avait encore en main. Pour lui prouver ses dires, Kurogane la jeta sur la table et découvrit avec stupéfaction qu'il s'agissait … d'un as. Ses yeux s'ouvrirent comme des soucoupes.
– Je crois que tu as mal compté tes as, Kuro-chan …
– Toi … c'est toi qui as fait ça, hein ?
– Quoi donc ?
– Transformer mon dix en as ?
– Il faudrait savoir, il y a quelques secondes tu m'accusais de te faire perdre !
– Peut-être que tu cherches juste à me faire tourner en bourrique.
– Allons, ce n'est pas mon genre !
Son sourire malicieux disait tout le contraire et le ninja sentit sa main le démanger. Cependant, Fye lui glissa entre les doigts et le jeu se transforma rapidement en course-poursuite au milieu du salon. Kurogane dégaina son sabre tandis que Fye s'emparait d'un balai en guise de bâton. Shaolan était en train de se dire qu'ils feraient mieux de ne pas trop amocher un chalet qui ne leur appartenait pas, quand il entendit Sakura rire. D'un rire clair, chantant, merveilleux. Par tous les dieux, comme cela lui avait manqué ! La jeune fille tourna vers lui des yeux brillants : cela faisait longtemps qu'elle ne s'était pas sentie aussi heureuse. Bien que ce fût son double qui avait voyagé avec Fye-san et Kurogane-san, elle avait récupéré après la disparition de son clone la plume qui contenait tous les souvenirs de ce que l'autre Sakura avait vécu. Grâce à cette plume, elle connaissait les deux hommes aussi précisément que si elle avait voyagé avec eux et les voir se chamailler réchauffait son cœur d'un sentiment familier. C'était comme retrouver de vieux amis après une longue séparation, sans que l'absence n'ait affecté leurs relations. Elle échangea un regard complice avec Shaolan.
– C'est vraiment merveilleux d'être ici, avec vous tous ... et avec toi, ajouta-t-elle à mi-voix. J'ai tellement rêvé d'une soirée comme celle-ci en m'entraînant au pays de Clow. Cette fois, je sais que c'est parce que nous l'avons voulu que nous sommes ensemble, et non parce que quelqu'un l'a décidé à notre place. Et cette sensation de liberté, ça n'a pas de prix.
Fye, qui avait bloqué la lame de Kurogane avec le manche de son balai, s'immobilisa soudain et tourna la tête vers Sakura. Pendant trois toutes petites secondes, le ninja vit que l'expression du mage redevenir sérieuse et son regard se perdre loin, très loin du chalet. Les mots de la princesse semblaient l'avoir troublé. Kurogane hésita, voulut en profiter pour l'attraper par le col, mais Fye n'était pas à ce point distrait : dès qu'il avança la main vers lui, il bondit souplement en arrière. Kurogane le dévisagea : envolée l'expression remplie de doute qu'il venait d'apercevoir sur son visage, le blond avait de nouveau plaqué un sourire narquois sur ses lèvres, balai levé pour préparer sa défense.
Pendant qu'ils bataillaient, Shaolan hésitait. Il ne voulait pas que la soirée se termine tout de suite et une idée trottait dans sa tête depuis le début du repas, mais il n'osait pas en faire la proposition à Sakura. Finalement, prenant son courage à deux mains, il lui demanda, d'une voix plus calme qu'il ne l'aurait cru :
– Est-ce que ça te dirait d'aller faire un tour en ville ?
Sakura tourna vers lui un regard légèrement surpris. Voulait-il réellement qu'ils sortent juste tous les deux ? Il la regardait droit dans les yeux et même si elle devinait un léger tremblement dans ses pupilles, il avait l'air décidé.
– Avec plaisir.
– Fye, Kurogane, on sort ! lança l'adolescent à ses deux amis.
– Pas de problème ! acquiesça le mage en évitant de nouveau la lame du ninja. On garde la maison, et Kuropi va faire la vaisselle !
– Jamais de la vie !
Dès que Sakura et Shaolan eurent quitté le chalet, Kurogane désarma Fye de son balai qui aurait pu finir dans le foyer de la cheminée si un sortilège du mage ne l'avait pas dévié au dernier moment de sa trajectoire.
– Ah là, là, Kuro-chan, tu as failli brûler le matériel du gentil propriétaire qui nous prête sa maison ! Heureusement que je peux réparer tes bêtises …
– On n'en serait pas là si t'avais pas triché sous mon nez !
– Mais ça t'a fait gagner, non ?
– Donc tu avoues que tu as triché ?
– Peut-être, un tout petit peu ...
À cet instant, un bruit mat de verre résonna sur le plancher, suivi d'un ronflement éloquent. Le mage et le ninja échangèrent un regard, sourcils haussés. Un deuxième ronflement retentit : le bruit provenait du canapé qui faisait face à la cheminée. Intrigués, les deux compagnons s'approchèrent de la source sonore … pour découvrir Mokona calé entre deux coussins, un sourire de bienheureux sur le visage et les joues colorées d'un rose prononcé. Les trois bouteilles responsables de cet état d'ivresse avancé gisaient au pied du meuble, à sec.
– Ah, Moko-chan a fini le rouge ! se désespéra Fye. Quand je pense que j'avais acheté une caisse pleine, elle n'aura pas fait long feu …
– Quel pochtron, ce manjuu …
– J'y crois pas, c'est toi qui dis ça ?
– Tu t'es regardé avant de parler ?
– Que veux-tu, c'est ça d'avoir grandi dans un pays froid, il fallait trouver des astuces pour se réchauffer.
Fye se maudit intérieurement d'avoir prononcé cette dernière phrase, qui venait de ressusciter dans son esprit des images qu'il s'était évertué à tenir à distance tout au long de la soirée. Kurogane cilla, parfaitement conscient que le mage regrettait ses paroles. Sa voix, si enjouée quelques secondes auparavant, retomba tout à coup, étouffée par un voile de lassitude où perçait de la tristesse. Son regard dévia vers la cheminée et s'abîma dansles flammes qui se tordaient au-dessus des braises. Le ninja fronça les sourcils : Fye avait-il attendu que les gamins sortent pour laisser réapparaître ses inquiétudes ? Lui étaient-elles vraiment sorties de la tête pendant quelques heures, comme il le croyait ? Ou avait-il usé de ses talents de comédien pour leur cacher ses angoisses ? Avait-il seulement profité de la soirée ? Comme pour répondre à ses interrogations muettes, Fye souffla :
– Je suis heureux de retrouver Sakura-chan, vraiment. Ma joie n'était pas feinte, tout à l'heure.
Kurogane cligna des yeux, surpris. Le mage releva la tête et lui adressa un de ces sourires qu'il détestait, parce qu'ils ne servaient qu'à masquer ses véritables émotions. Le ninja aurait mille fois préféré qu'il laisse tomber cette expression absurde et qu'il lui parle, mais il savait qu'il était inutile de forcer son compagnon à se confier s'il n'en avait pas envie.
– Je vais laver ce qu'on a laissé dans l'évier.
– Tu veux de l'aide ?
– Oh ? Je rêve ou tu deviens serviable, tout à coup ?
– Ne te fais pas d'illusions. C'est juste qu'avec tout ce qu'on a bouffé, t'as sorti beaucoup de vaisselle, et je me dis que si tu fais ça tout seul ça risque de te prendre un moment. Or, il est déjà presque une heure du matin, t'as peut-être envie de pioncer, non ?
– Non, non, t'inquiète, ça va aller. Tu peux aller te coucher.
Kurogane hésita, puis haussa les épaules et prit la direction de l'escalier. Après tout, le mage préférait sans doute être seul. Tandis qu'il montait les marches, il l'entendit vaguement mettre une pile d'assiettes dans l'évier et ouvrir le robinet. L'eau coula pendant moins d'une minute, puis tout s'arrêta. Quand Kurogane atteignit le palier de l'étage, un silence presque absolu était retombé dans la maison. Il n'avait quand même pas déjà fini ? Le ninja avait vu un gros tas de vaisselle sur le plan de travail, c'était impossible qu'il ait déjà lavé tout ça. À moins qu'il ait utilisé sa magie ? Non, même comme ça, cela lui aurait pris un peu plus de temps. Il entendit alors des pas dans le salon, la porte d'entrée s'ouvrit, puis se referma. Kurogane fronça les sourcils et redescendit l'escalier à pas de loup. Dans le salon, il ne vit personne. Les flammes de la cheminée se faisaient plus ténues, menaçant de plonger la pièce dans l'obscurité. Il alla jeter un œil à la cuisine et constata que la pile d'assiettes s'y trouvait toujours. Bizarre, quand même. Il s'approcha de la porte d'entrée et allait tourner la poignée, quand il remarqua une silhouette, à travers la fenêtre.
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Sur l'étroite terrasse en bois qui faisait le tour du chalet, Fye s'accouda à la rambarde craquelée par le gel et souffla devant lui : un petit nuage de buée s'échappa de ses lèvres. Il leva la tête vers le ciel : l'océan de la nuit était brouillé par des nuages terreux desquels s'échappait une neige douce. Les flocons tourbillonnaient avant de se poser sur les toits avec une délicatesse presque criminelle. Fye pinça les lèvres : la neige, sous ses aspects immaculés, était une traîtresse de la pire espèce, une meurtrière silencieuse dont le froid pénétrait la chair plus douloureusement qu'une lame d'épée. Elle effaçait les traces de son forfait en recouvrant les cadavres de son manteau poudreux … les cadavres de la fosse des condamnés où il avait passé son enfance. Il entendit de nouveau le bruit du corps de son frère s'écrasant sur le sol et revit le sang sur la neige. Il ferma les yeux et serra les paupières à s'en faire mal. Arrête d'y penser. Fye repose en paix maintenant, cela ne sert à rien de ressasser tout ça. À cet instant, des images de son duel avec Clef lui revinrent en mémoire. Un pouvoir inconnu s'était réveillé à Valeria, un pouvoir dangereux, dans un monde censé être vide. Tout du moins, c'était le cas lorsqu'il l'avait quitté grâce à Ashura-Ô. De nombreuses années s'étaient écoulées depuis, près de vingt ans s'il en croyait Clef. Les mots de Sakura-chan résonnèrent alors dans sa tête : cette fois, je sais que c'est parce que nous l'avons voulu que nous sommes ensemble et non parce que quelqu'un l'a décidé à notre place. Et cette sensation de liberté, ça n'a pas de prix.
Libre. Il voulait être libre, lui aussi. Mais lorsqu'il releva la tête vers les lugubres montagnes de Valeria, à peine visibles sur le ciel chargé de nuages sombres, il avait la sensation que des griffes invisibles surgissaient des cimes pour s'agripper à ses vêtements et le ramener vers le passé. Il ne pouvait pas continuer comme ça. Il ne pouvait pas continuer à avoir peur, à sentir ses entrailles se tordre de cette manière. S'il cédait à cette terreur, il recommencerait à fuir, comme avant. Et ça, il s'y refusait.
Il avait trop lutté, il avait trop sacrifié pour laisser ses anciennes angoisses le rattraper. Grâce à ses compagnons de voyages, grâce à Kurogane, il avait découvert que l'espoir, l'amitié, la compassion et le pardon n'étaient pas que des concepts abstraits que l'on ne trouve que dans les livres, mais que ces sentiments existent, et même qu'ils pouvaient lui être destinés. Le ninja lui avait appris à avoir croire en l'avenir, à se battre pour continuer à vivre, même contre son gré. Ensemble, ils étaient devenus libres, et il ne laisserait personne détruire ce qu'ils avaient construits.
À cet instant, il sentit un tissu atterrir sur son dos. Il se retourna et découvrit Kurogane, qui venait de lui jeter un manteau sur les épaules.
– Qu'est-ce que tu fous dehors à une heure pareille, le mage ? Tu veux attraper la crève ?
Fye eut un petit sourire : il pensait vraiment que le ninja était allé se coucher, mais il avait oublié que son compagnon ne faisait jamais ce qu'on lui disait. Et finalement, c'était agréable de savoir que quelqu'un s'inquiétait pour lui, même si Kurogane ne l'aurait jamais admis en ces termes.
– Je voulais juste prendre l'air, pour digérer.
Le ninja lui jeta un regard en coin et Fye sut immédiatement qu'il ne croyait pas un mot de son mensonge. Cela faisait longtemps, de toute façon, qu'il ne le croyait plus. Depuis que les multiples masques qu'il s'était fabriqués s'étaient brisés, à Tokyo, à Infinity, et enfin à Sélès. Depuis que Kurogane l'avait transformé en vampire, puis qu'il avait tué Ashura-O avant de se couper le bras pour lui sauver la vie, manquant de perdre la sienne par la même occasion. Quand ils étaient arrivés au pays de Nihon, quand le ninja s'était effondré et que son sang avait inondé le sol, Fye avait bien cru le perdre. Ce jour-là, il avait compris.
Quand la princesse Tomoyo lui avait annoncé que Kurogane survivrait, le mage avait eu l'impression que c'était sa propre vie qui venait d'être graciée. À ce moment-là, il avait enfin mis un mot sur ces sentiments complexes qui le tourmentaient depuis des mois, ces sentiments qui n'avaient cessé de se transformer et d'évoluer à mesure que le temps passait et que Kurogane devenait plus proche de lui. S'il avait honnête avec lui-même, il aurait réalisé cette vérité bien plus tôt, mais il avait refusé d'y croire. Par crainte de perdre son compagnon comme il avait perdu tant de personnes chères à son cœur. Pourtant, Kurogane était demeuré à ses côtés en toutes circonstances et lui avait prouvé qu'il pouvait lui faire confiance. Quand avait-il compris, lui ? Fye eut un demi-sourire : sans doute bien plus tôt, même si sa pudeur l'empêchait toujours de le reconnaître.
À présent, tous deux savaient, cependant ils n'en avaient jamais parlé ouvertement. Après toutes les épreuves qu'ils avaient traversées, ils avaient voulu profiter de leur liberté et ils n'avaient pas osé aborder ce sujet. Peut-être craignaient-ils qu'une telle discussion ne vienne remettre en question la paix à laquelle ils avaient enfin accédé. Ils avaient affrontés tellement de dangers ensemble, ils avaient besoin de souffler, de reprendre le cours d'une vie normale, si tant est qu'un voyage entre les dimensions puisse être considéré comme tel.
Au quotidien, cela ne les gênait pas vraiment, car ils n'avaient plus besoin de mots pour se comprendre. Kurogane savait déchiffrer chacun de ses sourires, chacune des ombres qui voilait ses pupilles, et à cet instant il avait parfaitement saisi l'expression fuyante de son regard. Quant à Fye, il n'avait pas besoin de regarder son compagnon pour deviner le pli qui était apparu entre ses sourcils, comme une rature d'agacement sur le livre de son visage. Kurogane savait pertinemment quand il ne lui disait pas la vérité. Toutefois, il ne lui faisait jamais aucun reproche. Au contraire, il feignait même d'y croire, et à travers ce silence convenu il attendait qu'il se décide à lui parler. Quand Fye y pensait, une telle complicité était à la fois rassurante … et effrayante. Il remarqua alors que le ninja tenait sous le bras une bouteille remplie d'un liquide ambré.
– Qu'est-ce que c'est ?
– J'ai acheté ça cet après-midi. Les gens d'ici appellent ça du whisky. D'après ce que j'ai compris, ce serait deux fois plus fort que du saké. Je ne l'ai pas sorti devant les gamins, parce que … je pense qu'avec un seul bouchon ils feraient déjà des bêtises. On goûte ?
– Après une description aussi alléchante, évidemment !
Le ninja eut un sourire en coin et tendit un verre au mage, avant de s'en servir un. Fye enfila le manteau que lui avait jeté son compagnon, puis s'accouda de nouveau à la rambarde et porta le verre à ses lèvres. L'alcool lui brûla la gorge et fit monter dans ses narines une étrange odeur fumée. Il tourna la tête vers le ninja pour guetter sa réaction.
– Alors ?
– Ouais … faut reconnaître que c'est costaud. Et pas dégueu, en plus … et toi, comment tu trouves ?
– J'aime beaucoup cet arrière-goût, il me fait penser à une cheminée … c'est beau, une cheminée. C'est réconfortant.
Son regard, qui s'était perdu dans le vague pendant un bref instant, revint à la réalité et se leva vers le ciel bouché. De nouveau, les souvenirs affluèrent. Kurogane grogna :
– T'es sûr que c'est une bonne idée que tu restes là, à regarder la neige tomber ?
Fye sourit : décidément, Kurogane était perspicace. Trop perspicace. Il prit une grande inspiration et déclara :
– Kuro-chan, j'ai changé d'avis. Je vais aller à Valeria.
Le ninja cilla, stupéfait par ce brusque revirement. Il observa son compagnon.
– Qu'est-ce qui t'a fait revenir sur ta décision ?
– Une chose qu'a dite Sakura-chan, tout à l'heure : si nous sommes tous ensemble, aujourd'hui, c'est parce que nous l'avons voulu et non parce que quelqu'un l'a décidé à notre place. Elle a raison : depuis la disparition de Fei Wang, nous sommes libres. Mais je sais que si je quitte ce monde sans savoir quel est cet étrange pouvoir qui hante Valeria, je serai à nouveau l'esclave de mes souvenirs. Et ça, je m'y refuse. Alors, j'irai là-bas, et s'il y a quelque chose à découvrir, je le découvrirai, mais je ne ploierai plus jamais devant le passé.
Kurogane fixa longuement le mage : dans ses yeux bleus brillaient une détermination farouche. Il devinait combien la décision de retourner à Valeria devait lui coûter, pourtant, il ne pouvait s'empêcher de ressentir une certaine satisfaction en le voyant se coltiner avec ses peurs plutôt que les fuir. Fye avait réellement un tempérament d'acier, et quand le ninja songeait à toutes ces horribles images qu'Ashura-Ô l'avait forcé à voir, il se disait que n'importe qui serait devenu fou après avoir vécu un tel calvaire. Cependant, Fye avait encaissé, survécu, s'était battu, et encore maintenant, il luttait, en acceptant de retourner dans un endroit qui réveillait sans doute les pires terreurs qu'il ait éprouvé au cours de son existence.
– Pendant mon absence, tu veux bien veiller sur Shaolan-kun et Sakura-chan ?
Kurogane haussa les sourcils : bon, le mage avait progressé, mais il y avait encore certains détails qui n'étaient pas tout à fait au point.
– Tu crois vraiment qu'on va te laisser retourner tout seul dans ce foutu pays gelé ?
– Mais … Sakura-chan vient d'arriver, je ne peux pas …
– Elle savait à quoi elle s'engageait en nous rejoignant. Si elle est venue, c'est qu'elle était prête à assumer les risques que pouvait comporter la vie avec nous.
– Mais, Shaolan-kun ne voudra jamais la mettre en danger …
– Lui aussi doit se faire à l'idée que la princesse a accepté de partager notre mode de vie. Et ce voyage est sans doute le meilleur moyen de le lui prouver.
– Mais …
– Il n'y a pas de mais qui tienne, le mage. Si tu penses qu'on va te laisser partir tout seul, tu te mets le doigt dans l'œil jusqu'au coude. On ira tous ensemble, pigé ?
Fye fut sur le point d'émettre une nouvelle objection, mais capitula. Il ne voulait pas mettre en danger ses compagnons, mais savoir que Kurogane acceptait d'emblée de l'accompagner dans une expédition aussi dangereuse lui réchauffait le cœur. Au fond, peut-être avait-il autant protesté juste pour s'assurer qu'il ne le laisserait pas tomber, mais une fois de plus le guerrier venait de lui prouver qu'il le suivrait où qu'il aille. Il sourit avec reconnaissance et souffla :
– Merci, Kuro-chan.
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Emmitouflés dans leur cape, Sakura et Shaolan prirent la direction du centre-ville. Bien qu'ils aient déjà copieusement mangé, Shaolan acheta des amandes caramélisées à un marchand ambulant et les offrit à Sakura. À mesure qu'ils arpentaient les rues, les pralines disparurent dans leur estomac sans qu'ils ne s'en rendent compte. Ils parvinrent finalement sur la grande place où la musique battait toujours son plein. Les teintes bigarrées des lampions de fête et les lumières des feux de joies émerveillèrent Sakura et la musique enchanta ses oreilles. Elle croqua la croûte de caramel d'une amande et sa tête se mit à dodeliner au rythme de la cornemuse. Shaolan la dévisagea, sous le charme, puis son regard glissa vers l'estrade et un sentiment de trac s'empara de lui. Allons, ce n'était pas le moment d'abandonner : il avait réussi à inviter Sakura à sortir, ils étaient parvenus jusqu'à la place, juste devant la piste de danse, ce n'était pas pour rebrousser chemin maintenant. Le regard fixé sur les danseurs, la princesse n'avait pas conscience de son inquiétude. Shaolan prit une grande inspiration et s'arma de courage.
– Tu veux danser ?
Allait-elle le trouver ridicule ? Trop audacieux ? Allait-il penser qu'ils avaient passé l'âge de ce genre de distraction ? Ou au contraire qu'ils étaient trop jeunes ? Les yeux de la jeune fille s'agrandirent, mais au soulagement de l'adolescent, ce fut de joie.
– Oui, avec plaisir !
Elle s'interrompit et reporta son attention vers l'estrade avec une expression inquiète.
– Euh, par contre … je ne connais pas du tout ce genre de danse.
– Moi non plus, mais ce n'est pas grave, on n'a qu'à imiter les autres.
Sakura lui adressa un regard surpris : c'était bien la première fois qu'elle le voyait aussi entreprenant. Lui qui, quelques années auparavant, aurait eu peur de se lancer dans une nouvelle activité par crainte d'être maladroit, il lui proposait à présent de se mêler à une danse dont aucun d'eux ne connaissait les pas. Une lueur de défi s'alluma dans les yeux de la jeune fille.
– D'accord, allons-y !
Elle saisit la main de Shaolan et celui-ci l'entraîna vers la piste. Ils entrèrent dans la ronde des danseurs et essayèrent, tant bien que mal, de les imiter. Au début, ils n'étaient pas absolument pas synchronisés avec la musique, leurs pas étaient raides et hésitants. Au lieu de s'en inquiéter, ils finirent par rire de leur maladresse. Peu à peu, ils se calèrent sur la cadence générale et réussirent à suivre les autres. La ronde se brisait parfois pour se transformer en deux lignes qui se faisaient face, l'une composée par les hommes, l'autre par les femmes, qui se rejoignaient ensuite pour danser en couple. Sakura frémit en sentant Shaolan prendre sa main droite et poser sa main gauche sur sa taille. Le rythme des musiciens devenait de plus en plus soutenu, si bien que la princesse dut jeter un coup d'œil en direction des autres danseurs pour reproduire correctement leurs pas. Quand elle fut un peu plus sûre d'elle, elle releva la tête vers Shaolan et vit que le jeune homme la regardait droit dans les yeux. Une étrange sensation fourmilla dans son estomac et ses joues s'empourprèrent. Quand la musique s'arrêta enfin, ils étaient épuisés, mais un sourire ravi éclairait le visage de la jeune fille.
– C'était vraiment bien !
Il acquiesça en souriant à son tour.
– Tu veux rentrer ? demanda-t-il.
– Oui. Je crois que mes jambes seraient incapables de supporter une autre danse !
Ils rirent, et le pas chancelant, ils descendirent les marches de l'estrade. Ils achetèrent un peu de limonade et reprirent tranquillement le chemin du chalet. Shaolan avait remarqué que Sakura marchait tout près de lui et que sa main frôlait la sienne à chaque enjambée. Imperceptiblement, il se rapprocha d'elle, étira légèrement ses doigts … et toucha les siens. Sakura en profita pour prendre sa main dans la sienne. Leur cœur à tous les deux s'accéléra, leurs joues s'empourprèrent et ils continuèrent ainsi. Quand ils se trouvèrent dans des rues plus calmes, Sakura murmura :
– Shaolan ?
– Oui ?
– Tu sais, tout à l'heure … je vous ai dit que j'avais donné toute ma magie en compensation à Kimihiro-kun. En fait, ce n'est pas tout à fait vrai.
Le jeune homme se tourna vers elle, intrigué. Sakura s'arrêta et fouilla dans la poche de sa robe. Elle en ressortit un petit objet cubique à six faces : sur chacune d'entre elles étaient peints des petits points, allant d'un point unique à six sur une même face. L'adolescent fronça les sourcils, perplexe.
– C'est … un dé ?
– Oui, acquiesça-t-elle avec un sourire. Dans un rêve, j'ai rencontré un double de moi-même, une Sakura qui vit dans une autre dimension. Elle aussi pratique la magie, grâce à des cartes qu'elle m'a montrées en songe. J'aimais beaucoup cette idée, c'est pourquoi j'ai eu l'idée de me servir d'un objet de jeu pour protéger ma magie.
– Ta magie ?
– Ce dé contient six sortilèges, un par face du dé. Pour l'invoquer, il me suffit de lancer le dé en prononçant le chiffre correspondant et le nom du sortilège. Ces six sorts sont la seule magie que Kimihiro-kun ait accepté de ne pas prendre pour la compensation. Même si ce n'est pas grand-chose, je me dis qu'ils peuvent toujours nous être utiles.
Shaolan dévisagea intensément la jeune fille, une fois de plus impressionnée par sa prévoyance. Sans perdre sa douceur ou sa joie de vivre, Sakura avait gagné en assurance. Au cours des deux ans qu'elle avait passés au pays de Clow, la jeune fille n'avait pas seulement exercé ses talents de magicienne, elle avait aussi mûri en choisissant d'assumer des décisions qui l'engageraient pour toute son existence. Ce fut cette force de caractère qui décida Shaolan à lui parler du sujet qu'il lui avait épargné jusqu'alors.
– Moi aussi, tu sais, il y a quelque chose que je ne t'ai pas dit. Ce matin, avant ton arrivée …
Il lui raconta le tournoi auquel lui et ses amis avaient participé, le duel de Fye contre Clef, la conversation qui s'en était suivie et comment ils avaient appris qu'ils se trouvaient à la frontière du royaume de Valeria, où un étrange pouvoir s'était réveillé.
– Sur le moment, découvrir que nous étions si proches de Valeria a paru terrifier Fye, mais ensuite, nous n'avons pas réabordé le sujet. Kurogane devait se charger de lui parler, mais je ne sais pas s'il y est arrivé, car c'est à ce moment-là que je suis parti en courses et que l'on s'est retrouvés.
Sakura fronça les sourcils.
– Je comprends … Tu penses que Fye-san voudra retourner à Valeria pour découvrir la source de ce pouvoir ?
– Je n'en sais rien. Sur le coup, il n'avait pas l'air d'en avoir envie, mais … ça ne m'étonnerait pas qu'il change d'avis, une fois qu'il y aura réfléchi.
– Et dans ce cas, Kurogane-san, Moko-chan et toi, vous iriez avec lui, n'est-ce pas ?
– Oui.
– Et tu me laisserais venir avec vous ?
– Ça ne te fait pas peur de nous accompagner ?
La jeune fille le dévisagea intensément et dans ses yeux d'émeraude, Shaolan ne lut pas une trace de doute.
– Non. Et toi, Shaolan, ça ne te fait pas peur que je vous accompagne ?
L'adolescent cilla. L'intrépidité de Sakura perturbait ses repères, et pourtant, il ne pouvait s'empêcher de se sentir fasciné par cette nouvelle facette de la jeune fille. Elle avait accepté de sacrifier sa magie pour pouvoir le rejoindre. Elle avait pris le parti de les suivre, lui, Fye, Kurogane et Mokona dans les mondes qu'ils traverseraient et de faire face avec eux aux dangers qu'ils rencontreraient. Elle s'était préparée à tenir sa place dans leur groupe et cette résolution lui conférait une force incroyable. Il prit délicatement ses mains dans les siennes et se rapprocha d'elle, si près que Sakura put sentir la chaleur qui émanait de son corps. Il murmura d'une voix grave, qu'elle seule put entendre :
– Non, je n'ai pas peur. Plus maintenant.
Ils dévisagèrent encore quelques secondes, puis Shaolan posa ses mains sur la taille de Sakura. Il la sentit frémir à ce contact, mais elle glissa ses bras autour de son cou et se mit sur la pointe des pieds. Lentement, ils fermèrent les yeux, et avec douceur et hésitation, leurs lèvres se cherchèrent. Leur cœur battait la chamade et lorsque leurs bouches se rencontrèrent, il leur sembla que le monde faisait silence autour d'eux. La lumière lointaine du centre-ville se tamisa, le froid mordant de l'hiver ne les atteignit plus. Depuis qu'ils s'étaient avoué leur amour, ils avaient souvent eu envie de ce premier baiser. Cependant, l'occasion ne s'était jamais présentée. La seule fois où Shaolan était repassé au pays de Clow, il n'était resté qu'une seule journée et ils n'avaient pas pu bénéficier d'un moment de tranquillité. Sous ses mains, Shaolan sentait le corps chaud de Sakura, et ses lèvres lui parurent aussi douces qu'une fleur de coton. Sakura, elle, sourit intérieurement : la peau de Shaolan exhalait un parfum de voyage, un mélange de soleil des montagnes, d'humus des forêts, d'iode marin et de poussière des villes. Ils auraient voulu rester ainsi toute la nuit, pendant des siècles même. Sakura songea que désormais, elle n'aurait plus à craindre d'être séparée de Shaolan. Elle n'endurerait plus ces longues nuits de solitude où son cœur se contractait tandis qu'elle essayait d'imaginer ce qu'il faisait au même moment, dans une autre dimension. Elle sourit et quand elle releva la tête, elle vit que les yeux de Shaolan brillaient, sans qu'aucune timidité ne vienne cacher les sentiments qu'il ressentait pour elle. Cela donnait à son regard une expression plus virile. Il lui sourit, puis lui tendit la main, qu'elle prit délicatement. Ils reprirent la direction du chalet en silence, comme si la moindre parole pouvait briser la bulle dans laquelle ils évoluaient.
