Bonjour à tous !

Me revoici me revoilà avec la suite ! Maintenant que nos héros ont fait le ménage dans les souterrains du palais, vont-ils trouver ce qu'ils cherchent ? C'est qu'il fait noir, dans ces tunnels ... si seulement Mokona avait toujours une lampe torche dans l'estomac !

Bonne lecture :)


Chapitre 15 - Les deux piliers de glace

La porte donnait accès à un boyau qui, après l'immense grotte dans laquelle Fye avait combattu le dieu Dagda, lui parut étroit et étouffant. Le mage insuffla à la pierre un peu de sa magie qui fit luire le sol comme de la mousse phosphorescente et il suivit le souterrain jusqu'à discerner, à quelques mètres devant lui, une faible lueur mauve mêlée de bleu. Il fronça les sourcils et déboucha alors dans une nouvelle caverne, aussi vaste que la précédente. Cependant, il s'en rendit à peine compte, car toute son attention se focalisa immédiatement sur la structure qui lui faisait face.

Au centre de la grotte se dressait un immense pilier de glace dont les irrégularités donnaient l'impression qu'il avait été taillé par le maillet d'un titan. La base de la colonne jaillissait du sol et s'étirait vers les hauteurs avec la majesté d'un chêne, puis, à mesure que la glace croissait, se ramifiait en dizaines de nervures qui se déployaient sur les voûtes de pierre comme les colonnes palmiformes de l'art gothique. Un réseau de fer forgé aux motifs de triskèles recouvrait entièrement le pilier pour l'enfermer dans un corset de métal. À l'intérieur de cette prison, Fye devina un corps captif de la glace. Il s'approcha en plissant les yeux et la reconnut aussitôt.

Elle portait une longue robe blanche ornée de motifs bleus, au col montant garni de fourrure. Ses poignets étaient enserrés par des menottes reliées à des chaînes qui se raccrochaient à la structure de fer forgé et ses cheveux avaient glissé de ses épaules, juste avant que la glace ne la paralyse totalement. Ses mèches blondes encadraient un visage pâle comme le givre, aux yeux clos et aux lèvres bleuies par le froid.

Chii. Ou plutôt, Elda, ainsi que le lui avait révélé Chitose. Médusé, Fye fixa les traits jeunes, presqu'encore adolescents de sa mère : elle était exactement comme dans son souvenir. Les mêmes traits, pas une ride de plus, pas un changement notable … il ne pouvait pas le croire. En partant à la recherche de sa mère, il s'était imaginé retrouver une femme d'âge mûr, voire prématurément vieillie par des années de captivité, mais il n'en était rien. Chii arborait exactement le même visage que celui qu'il avait gravé dans sa mémoire lorsqu'il n'était qu'un tout petit garçon. Le sortilège qui l'emprisonnait avait visiblement arrêté son vieillissement et pour elle, le temps ne s'était pas écoulé. La retrouver telle qu'il l'avait connue le troubla profondément. Sa peau était si blême qu'on aurait pu la croire morte, pourtant il savait qu'elle était en vie : son aura, endormie mais bien présente, enveloppait toujours son corps. Une aura semblable à la sienne.

Il avança jusqu'au pilier et leva la tête : des reflets mauves et bleutés parcouraient la glace comme des ondes aquatiques. Un sort puissant protégeait cette prison, empêchant son hôte de s'échapper mais aussi à quiconque de la délivrer. Il approcha ses doigts du réseau de fer forgé et posa sa main dessus : une violente douleur lui traversa aussitôt la paume et remonta jusqu'à son épaule. Il la retira immédiatement en serrant les dents : le kekkai était solide, cela n'allait pas être facile. Cependant, en touchant le sortilège, une étrange sensation l'avait envahi : l'onde, l'odeur du sortilège lui avait paru curieusement familière, comme s'il connaissait la personne qui avait dressé cette barrière. Pouvait-il s'agir d'un magicien de la cour de Valeria qu'il aurait connu lorsqu'il était enfant ? Non, il n'aurait pas gardé en mémoire l'aura d'une personne si lointaine. Par ailleurs, si cette barrière existait toujours, cela signifiait que le magicien à son origine vivait encore. De qui pouvait-il bien s'agir ? Il avait l'impression d'avoir son nom sur le bout de la langue, sans parvenir à l'identifier clairement.

Quoiqu'il en soit, son instinct lui soufflait que l'auteur de ce kekkai était moins fort que lui et avec un peu de volonté et de résistance, il pourrait en venir à bout. Il pinça les lèvres, puis traça de nouvelles runes magiques devant lui. Les lettres bleutées tournèrent autour de ses doigts, puis il posa de nouveau les mains sur le réseau de fer forgé. Il grimaça lorsque les deux sortilèges entrèrent en collision, faisant jaillir des étincelles qui se propagèrent sur sa peau comme une décharge électrique,en laissant des marques de brûlures sur ses mains. La barrière lui résista pendant d'interminables minutes : la douleur s'amplifiait, ses doigts et ses bras s'endolorissaient sous les décharges. Il ignorait combien de temps il tiendrait avant de ne plus sentir ses membres, mais il espérait que cela suffise à vaincre la barrière. Des éclairs mauves se propagèrent sur le réseau de fer forgé, crépitèrent, et il avait de plus en plus mal, mais il tint bon. Soudain, une zébrure bleue apparut à la surface du kekkai, Fye resserra son emprise et à cet instant, la paroi translucide se craquela. L'instant d'après, elle disparut lentement en se résorbant sur elle-même.

Sitôt le voile transparent évanoui, des milliers de fissures parcourent le réseau de fer forgé. Comme s'il ne s'était maintenu que grâce au sortilège qui le fortifiait, le carcan de métal se brisa de lui-même, vaincu par le passage du temps : les triskèles tombèrent en morceaux au pied du pilier en résonnant dans toute la caverne. La colonne émit alors une épaisse vapeur qui emplit la grotte de buée en quelques secondes : Fye comprit que la glace fondait, à toute vitesse. Des fragments se détachèrent de la colonne et se fracassèrent au sol, l'obligeant à reculer pour ne pas être blessé. Sa mère, où était sa mère ? Pourvu qu'elle ne fasse pas une chute mortelle ! Aveuglé par la vapeur brûlante, il dut attendre qu'elle se fasse moins dense. Dès que le danger fut écarté, il avança au milieu du nuage qui se dissipait. Il plissa les yeux et distingua alors une silhouette qui gisait au sol. Il se précipita vers Chii, la redressa et posa deux doigts sur son cou, à la recherche de son pouls : elle respirait. Son visage, encore blême, reprenait des couleurs. Fye fixa ses traits : c'était réellement stupéfiant. Elle n'avait absolument pas vieilli, demeurant identique à l'image qu'il avait gardé d'elle. Toutefois, lorsqu'il était enfant elle lui paraissait très grande, mais à présent qu'il était devenu un homme elle lui semblait petite et fragile, plus encore que Sakura-chan.

À cet instant, sa mère ouvrit lentement les yeux. D'abord, son expression demeura hagarde. Puis, son esprit parut se raccrocher à la réalité et la vie revint dans ses pupilles. Elle cligna des yeux, releva la tête, et alors leurs regards se croisèrent. Fye tressaillit : les yeux de Chii avaient exactement la même couleur que les siens. Ils se dévisagèrent pendant de longues secondes sans prononcer un mot, émus. Finalement, la jeune femme sourit faiblement :

– Yuui …

Le magicien sentit sa gorge se nouer en entendant son véritable nom. Elle l'avait tout de suite reconnu, malgré les années, sans le confondre avec son jumeau. Même s'il la tenait dans ses bras, même si elle lui paraissait si frêle, en cet instant, il eut de nouveau l'impression d'avoir cinq ans. Il avait du mal à croire qu'elle n'ait pas changé depuis tout ce temps. Chii, elle, ne semblait visiblement pas surprise de découvrir un adulte à la place du petit garçon qu'elle avait connu.

– Mère …

Il frémit en prononçant ce mot qu'il ne pensait plus jamais employer. Chii sourit de nouveau :

– Je savais qu'un jour, tu viendrais.

Le cœur battant, il la fixa intensément : il aurait voulu lui dire qu'il était heureux de la retrouver, heureux qu'elle soit en vie, heureux d'avoir la chance de pouvoir lui parler à nouveau. Mais comme face à Chitose, les mots ne franchirent pas ses lèvres. Il était encore sous le choc, et la voir telle qu'elle était dans ses souvenirs ne l'aidait pas à clarifier ses pensées. Il songea qu'elle devait penser la même chose.

– Est-ce que … est-ce que tu crois que tu peux marcher ?

– Je vais essayer.

Il l'aida doucement à se redresser et à se mettre sur ses pieds. Au début, ses jambes vacillèrent, mais elle parvint à se ressaisir rapidement.

– Ça va aller ?

– Oui, ne t'inquiète pas …

– Il faut sortir d'ici, j'ai des amis qui nous attendent.

– Je te suis.

La jeune femme ne posa aucune question : sans doute devinait-elle que le moment n'était pas encore venu. L'un derrière l'autre, ils remontèrent le tunnel par lequel Fye était arrivé.

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La caverne dans laquelle Kurogane, Shaolan, Sakura et Mokona pénétrèrent était en tout point identique à celle qui retenait Chii prisonnière : le pilier, tout aussi imposant, se dressait au centre de la grotte, bardé d'un réseau de fer forgé aussi solide que son homologue. Lorsqu'ils levèrent les yeux, les trois compagnons distinguèrent également une silhouette paralysée par la glace.

– C'est … un homme ? fit Shaolan, perplexe.

Le corps se trouvait à plusieurs centaines de mètres du sol, et la colonne, contrairement à celle de Chii, ne présentait pas une transparence totale, ce qui les empêchait de discerner le visage du captif.

– On dirait bien, acquiesça Sakura.

– Je croyais qu'on cherchait la mère de Fye ? marmonna Kurogane.

– Il y avait visiblement un autre prisonnier dans ce souterrain, dit Shaolan. Il faut le sortir de là.

– Pour ça, il n'y a pas trente-six solutions : il faut d'abord nous débarrasser de cette cage, puis détruire la colonne. Laissez-moi faire.

Le ninja dégaina son sabre, recula de quelques pas, puis se concentra ; sa lame se mit à briller et il effectua alors un mouvement diagonal en direction du pilier de glace :

Hama Ryu-o Jin !

L'attaque partit à la vitesse de l'éclair, droit sur la colonne ; cependant, lorsqu'elle toucha le réseau de fer forgé, des étincelles jaillirent et le métal absorba toute la puissance générée par le ninja sans se briser.

– Hein ? C'est quoi, ce bordel ?

– Je crois qu'un kekkai protège le pilier, dit Shaolan.

Encore une barrière ?

– Ceux qui ont enfermé cet homme ici ne tenaient visiblement pas à ce qu'on puisse le libérer.

– Et vu que le mage est parti de l'autre côté, on est plutôt mal barrés …

– Je … je crois que je pourrais détruire ce kekkai, déclara alors Sakura.

Shaolan et Kurogane se retournèrent vers elle, surpris.

– Tu as ce pouvoir ? s'étonna l'adolescent.

La princesse fouilla dans sa poche et en ressortit le dé magique qu'ils l'avaient déjà vue utiliser.

– Ce dé contient un sort qui peut verrouiller ou déverrouiller une porte. En utilisant toute sa puissance, peut-être qu'il peut venir à bout d'un kekkai.

– Hum … ouais, ça vaut le coup d'essayer, acquiesça Kurogane. Vas-y, petite.

Sakura acquiesça, puis referma sa main sur le dé, recula d'un pas, et le lança de toute ses forces vers le pilier en criant :

Cinq, clé !

Le cercle magique orné d'une étoile apparut sous ses pieds et le chiffre cinq du dé s'illumina : des volutes dorées jaillirent des cinq petits points dessinés sur le cube et enveloppèrent le pilier comme un nuage de condensation. Lorsque la vapeur entra en contact avec la barrière des éclairs lézardèrent la paroi transparente et les deux pouvoirs magiques s'entrechoquèrent en grésillant dans une lumière ambrée. Shaolan jeta un coup d'œil à Sakura, qui fixait le kekkai avec une expression concentrée : la princesse avait affirmé avoir offert l'entièreté de sa magie à Watanuki comme compensation pour pouvoir voyager avec eux, pourtant, il trouvait l'énergie dégagée par ce petit dé déjà très impressionnante. S'il ne reflétait qu'un extrait de l'essence magique qu'avait accumulé Sakura, de quoi aurait-elle été capable si elle avait conservé tous ses pouvoirs ? Elle ne quittait pas des yeux la barrière et sous ses pieds, le cercle magique luisait intensément : Shaolan devinait qu'elle intensifiait la force du dé par ce biais. À cet instant, le nombre d'éclairs se multiplia et un crépitement semblable à un court-circuit résonna dans toute la grotte. La lumière les aveugla, puis s'éteignit brusquement. Les volutes dorés tournèrent sur elles-mêmes et refluèrent lentement vers le dé duquel elles étaient sorties pour le réintégrer. Le petit objet retomba aux pieds de Sakura et son cercle magique clignota avant de disparaître. Cependant le kekkai, lui, brillait toujours. La déception se peignit sur le visage des trois voyageurs.

– Ça n'a pas marché, fit Mokona d'une voix désappointée.

Sakura ramassa le dé et pinça les lèvres. Derrière elle, Kurogane et Shaolan échangèrent un regard : peut-être s'étaient-ils montrés un peu trop confiants. La barrière était résistante, et sans Fye ils ne réussiraient sans doute pas à le faire disparaître. À ce moment, Sakura se retourna vers eux, et dans son regard vert ils lurent une détermination farouche.

– Je voudrais réessayer. Shaolan, est-ce que tu voudrais bien m'aider ?

– T'aider ? Comment ?

– Seule, je ne pourrai pas détruire cette barrière, mais si tu fragilises la paroi avant avec l'une de tes attaques, je pourrais peut-être en venir à bout.

– Tu es sûre ? Bon d'accord … tentons le coup.

– Et si on s'y met à trois, ça serait pas plus efficace ? demanda Kurogane.

– Malheureusement, je crois que tes attaques ne seront pas effectives, répondit la princesse. Nous l'avons vu tout à l'heure, la paroi a absorbé l'énergie de ton sabre ; aussi puissantes soient-elles, tes attaques ne possèdent aucune force magique. Elles sont seulement générées par ton qi et face à une barrière magique, je pense qu'elles demeureront insuffisantes.

– Mouais … ça ne me plaît pas trop, mais je comprends.

– Shaolan, lui, tire la force de ses attaques de la magie de Clow, c'est pourquoi je lui demande m'aider.

– Oui, mais je ne maîtrise cette puissance qu'imparfaitement, objecta le jeune homme.

– Ça sera suffisant pour cette fois, tout du moins je l'espère. Tu penses pouvoir le faire ?

Le jeune homme acquiesça, puis ramena ses deux paumes l'une contre l'autre et les fit pivoter pour faire jaillir son épée.

– Allons-y.

Il se concentra, leva son arme de la main droite et posa deux doigts sur la lame de la main gauche. Son propre cercle magique apparut sous ses pieds : en son centre se découpaient le ying et le yang entouré d'un soleil duquel s'étiraient quatre branches ornées des idéogrammes des quatre éléments que le jeune homme contrôlait grâce à ses pouvoirs. Il tendit alors son arme devant lui et invoqua le sortilège :

Raitei shourai !

La foudre générée par la magie de Clow enveloppa la lame et fusa vers la colonne de lumière pour l'envelopper d'un nuage électrique. Sakura resserra son emprise sur le dé, puis le lança vers la colonne en appelant de nouveau le numéro cinq : les volutes ambrées se mêlèrent à la foudre et le kekkai crépita de toutes parts, comme s'il gémissait sous la puissance magique des deux sortilèges. Des fissures commencèrent à apparaître à sa surface, puis se propagèrent sur toute la barrière qui se craquela.

– Ça marche ! s'exclama Mokona.

Il avait raison : les fêlures s'élargissaient, le kekkai s'évaporait peu à peu. En quelques secondes, des pans entiers de protection furent dissous et le voile transparent se résorba sur lui-même. Le sortilège de Shaolan s'évanouit en même temps que le dé retombait aux pieds de Sakura et la barrière acheva de disparaître. Les adolescents échangèrent un regard complice : ils avaient réussi.

Dès que le bouclier translucide eut disparut, le réseau de fer forgé se rompit de lui-même et le pilier de glace commença à fondre, tout comme celui de Chii. Un coup de sabre bien placé de Kurogane termina de faire s'effondrer la colonne. Le bloc de glace qui enfermait l'homme s'écroula et fondit instantanément en libérant son prisonnier. Les quatre compagnons traversèrent le nuage de buée dès qu'ils le purent et s'approchèrent de l'inconnu : il s'agissait d'un homme d'une trentaine d'années environ, aux cheveux châtains, aux épaules plutôt carrées mais au visage doux. Il portait des vêtements chauds, que la glace avait parfaitement conservés et qui laissaient deviner un tissu de qualité. Sakura et Shaolan s'agenouillèrent auprès de lui et le jeune homme tâta sa gorge.

– Il est vivant.

À cet instant, l'homme ouvrit lentement les yeux. Il observa d'abord les trois visages qui se penchaient au-dessus de lui avec une expression perplexe, qui s'accentua quand Mokona sauta sur son ventre et inclina son corps rond vers lui. Il reprit peu à peu ses esprits et brusquement la panique envahit son regard. Il s'assit d'un bond, faisant rouler Mokona à terre.

– Les mages ! Il faut les arrêter, tout de suite ! Ils vont lui faire du mal ! Ils vont …

– Du calme, monsieur, vous êtes en sécurité ! tenta de le rassurer Shaolan.

– Aïe, bobo … Mokona s'est cogné la tête …

– Vous ne devez pas trop vous agiter, vous sortez d'un long sommeil, ajouta Sakura en s'approchant de lui.

– Non, non, je ne peux pas rester ici, ils vont s'en prendre à …

– Personne ne va s'en prendre à personne, déclara Kurogane. Ce château est vide depuis des lustres, vous ne courez plus aucun risque ici.

– Hein ? Qu'avez-vous dit ?

L'homme fixait Kurogane en paraissant se demander s'il avait bien toute sa tête.

– Mais … et Chii ? Vous l'avez vue ? Et mes fils ? Je ne dois surtout pas laisser les mages les enfermer !

Les trois compagnons s'entreregardèrent, incertains.

– Chii ? répéta Shaolan d'un ton interrogateur.

– Oui, ma femme.

Les yeux de Kurogane, Shaolan et Sakura s'écarquillèrent.

– Vous … vous êtes le père de Fye et Yuui ? souffla Sakura.

– Évidemment, quelle question … est-ce que vous les avez vus ? Est-ce qu'ils vont bien ?

Le père de Fye. Ce type était le père de Fye. Kurogane mit une bonne demi-minute à intégrer l'information tout en détaillant les traits encore jeunes de leur interlocuteur. Le sortilège qui l'avait emprisonné pendant plus de vingt ans avait visiblement stoppé son vieillissement, et à en juger par sa réaction, il n'avait pas conscience du temps qui s'était écoulé. Même si leurs voyages l'avaient habitué aux situations déroutantes, celle-ci avait de quoi le laisser sans voix. L'ampleur des faits qu'ils allaient devoir révéler à cet homme représenterait sans doute un grand choc pour lui et le ninja ne voyait pas très bien par quel bout commencer. Il observa ce gars à peine plus âgé que lui, qui pensait sans doute que son emprisonnement remontait à la veille. Comment lui expliquer les choses sans l'achever sous le poids des révélations ? Comment lui avouer que tous les habitants de son pays avaient péri ou s'étaient enfuis, que l'un de ses fils était mort, que Valeria n'était plus qu'une terre gelée ? Comment lui parler du mage, sachant que Fye portait désormais le nom de son frère ? Cela lui donna la migraine rien que d'y songer, et il jugea qu'il valait mieux essayer de simplifier les choses pour le moment, dans l'intérêt de cet homme comme du leur.

– Fye va bien. C'est avec lui que nous sommes venus.

– Fye ? Et Yuui, où est-il ?

– Je pense que Fye vous expliquera tout lui-même … plus tard.

– Excusez-moi, intervint Shaolan, monseigneur, euh …

– Je suis Hideki Ier, roi cadet de Valeria.

– Hideki-sama, savez-vous si votre femme a été enfermée dans ce souterrain comme vous ?

– C'était le projet des mages lorsqu'ils nous ont séparés, il y a quelques heures.

Nouvel échange de regards. Cela signifiait que la mère de Fye se trouvait probablement dans la direction opposée à la leur, au bout de l'escalier qu'avait emprunté leur ami. Si tel était le cas, ce dernier l'avait probablement déjà retrouvée. Sakura dévisagea Hideki, peinée : il ne se rendait vraiment pas compte qu'il avait subi une captivité de plusieurs décennies … vu qu'il n'avait pas pris une ride, ce n'était guère surprenant.

– Je suis désolée de devoir vous l'apprendre, Hideki-sama, mais … votre séparation d'avec votre femme ne date pas de quelques heures. Vous êtes resté plus de vingt ans enfermé dans cette prison.

À ces mots, le visage d'Hideki se figea. Il fixa en silence la jeune fille pendant de longues secondes avant de balbutier :

– Qu… quoi ? Que dîtes-vous ?

– Je suis désolée, votre altesse.

Les trois voyageurs virent son expression se décomposer et mille émotions passer dans son regard : surprise, incrédulité, terreur, anxiété, dans un tumulte qui lui donna le vertige. Il demeura un instant hébété, incapable d'assimiler toutes les conséquences qui découlaient de cette information. Finalement, il bégaya :

– Mais … mais alors, Fye …

– Oui, il a changé, acquiesça Kurogane. Nous comprenons que ça n'est pas simple à entendre pour vous, mais il vaut mieux que vous le sachiez maintenant. Celui que vous allez retrouver n'est plus un petit garçon.

Les yeux d'Hideki s'écarquillèrent et son expression acheva de se perdre dans la confusion. Les trois compagnons l'observèrent, gênés, tout en devinant que rien de ce qu'ils diraient ne pourrait atténuer le bouleversement que cet homme éprouvait.

– Nous devrions sortir d'ici, déclara Shaolan en se levant.

– Hideki-sama, pouvez-vous vous lever ? demanda Sakura.

– Je … oui, oui, ne vous inquiétez pas.

– On va essayer de retrouver Fye, déclara Kurogane en ouvrant la voie. Par ici.

Au même moment, tout le palais de Valeria trembla.

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Fye et Chii remontaient l'escalier qui les conduisit à l'embranchement où le mage s'était séparé de ses amis lorsque des vibrations parcoururent brusquement le sol. Un grondement s'éleva dans tous les murs du château, tel le râle d'un monstre endormi.

– Qu'est-ce que c'est ? s'exclama Chii, effrayée.

– L'immense kekkai qui entourait le palais est en train de se disloquer, comprit Fye. Je ne sais pas jusqu'à quel point ce sortilège garantissait la stabilité des ruines, mais je pense que nous ne devrions pas trop nous attarder.

Le mage jeta un coup d'œil vers l'escalier qu'avaient emprunté ses compagnons, inquiet : étaient-ils déjà ressortis ? Se trouvaient-ils toujours en bas ? S'il avait été seul, il serait descendu le vérifier lui-même, mais il ne voulait pas faire courir de risques à sa mère. Même si elle l'avait suivi sans rien dire, il avait bien remarqué que ses jambes tremblaient, elle n'avait pas encore récupéré toutes ses forces et s'ils se retrouvaient face à un monstre il devrait l'affronter tout en la protégeant. Le coup de fouet qu'il avait reçu de la part de Dagda lui avait fait perdre pas mal de sang et la douleur le tiraillait. Ses mouvements seraient plus lents et il savait qu'il ne pourrait pas se battre correctement s'il devait surveiller Chii. Non, il ne pouvait pas prendre ce risque. Ses compagnons savaient se défendre, ils devraient se débrouiller seuls pour le moment.

– Suis-moi, dit-il à sa mère en se dirigeant vers l'escalier qui les ramenait au rez-de-chaussée.

Lorsqu'ils débouchèrent dans le grand hall, l'atmosphère tout entière crépitait d'éclairs. Le grondement qu'ils avaient entendu au sous-sol devenait ici assourdissant et faisait trembler le dallage de pierre. Fye releva la tête et distingua une paroi translucide qui se superposait presque aux murs du palais : le kekkai. Il se fissurait de toutes parts pour se résorber lentement sur lui-même et dès qu'il disparaissait les parois nues qu'il laissait derrière lui se craquelaient à leur tour. Le château, vieux de plusieurs centaines d'années, n'avait résisté aux aléas du temps que grâce à la magie qui le caparaçonnait. Un morceau de mur s'écroula au milieu du hall, suivi de plusieurs autres ; tout allait s'effondrer.

– Sortons d'ici ! lança-t-il à sa mère.

Ils coururent vers la sortie du palais, cependant Chii trébucha sur des gravats et tomba au sol. Fye, qui la devançait, se retourna et vit avec horreur un pan de plafond se détacher juste au-dessus de sa tête. Il tendit une main, prêt à créer un bouclier avec sa magie, mais l'éboulis vola en morceaux avant qu'il n'ait le temps d'agir. Stupéfait, le mage reconnut la silhouette de Kurogane émerger d'un nuage de poussière, Ginryû à la main. Shaolan, Sakura et Mokona apparurent à leur tour. Un immense soulagement envahit le blond : ils étaient tous là ! Il se précipita vers sa mère et l'aida à se relever : si l'intervention de Kurogane lui avait permis d'éviter le pire, des éclats de plafond avaient écorché ses bras et blessé l'un de ses mollets. Quand elle appuya sur la jambe touchée, elle grimaça de douleur et retomba au sol. Fye comprit qu'elle ne pourrait pas marcher, ils allaient devoir la porter. Ses amis le rejoignirent en courant :

– Fye, ça va ? lui demanda Shaolan.

– Ton dos, tu es … souffla Sakura.

– Ne vous en faîtes pas pour moi, ça va.

– Chii !

La voix masculine, étrangement familière, fit sursauter le magicien. Il eut à peine le temps de se retourner pour voir une silhouette se précipiter vers sa mère, s'agenouiller près d'elle et la serrer contre lui.

– Chii ! Ne t'inquiète pas, je suis là maintenant. Je suis tellement heureux que les mages ne t'aient pas fait de mal !

– Hideki … tu es … vivant, murmura la jeune femme en passant ses bras dans son dos.

Sans voix, le mage ne pouvait détacher son regard de cet homme qui enlaçait désormais sa mère d'un geste protecteur. Non, ce n'était pas possible. Jamais il n'aurait cru revoir ce visage, encore moins que celui de Chii, et pourtant, il avait survécu … et lui non plus n'avait absolument pas vieilli. Ils avaient cru les perdre lorsqu'il était enfant et il s'était toujours jugé responsable de leur disparition, mais ils se tenaient là, devant lui. À cet instant, son père se redressa et leurs regards se croisèrent. Les deux hommes s'immobilisèrent et pendant quelques secondes ils n'entendirent plus le crépitement du kekkai qui se disloquait, ni les murs du palais qui se lézardaient, ni le grondement souterrain qui tonnait. Kurogane, témoin de leur échange muet, n'aurait su dire qui du père ou du fils parut le plus désarçonné. Un nouveau morceau du kekkai s'évanouit et certaines poutres du hall commencèrent à lâcher.

– Il faut quitter cet endroit ! s'exclama Shaolan.

Hideki prit Chii sur son dos et tous coururent vers la sortie. Lorsqu'ils passèrent la haute porte d'entrée, Sakura jeta un œil par-dessus son épaule : dans quelques instants, il ne resterait rien du palais de Valeria.

Ils émergèrent du nuage de poussière, s'écartèrent du château et reprirent leur souffle : enfin, ils étaient en sécurité ! Sur ce promontoire de faible altitude, un vent glacé balayait les particules de pierre et de bois en suspension dans l'air. Shaolan se retourna pour chercher leurs montures du regard, et à cet instant, il se figea : visiblement, leurs ennuis n'étaient pas terminés.