Bonjour à tous !
Me voici de retour pour la suite ! Aujourd'hui, ça chauffe ! Fye, Kurogane, Shaolan et Sakura en ont déjà bien bavé dans les souterrains du palais, mais une (mauvaise) surprise les attend à la sortie. Sortez les katanas et préparez les sortilèges !
Bonne lecture :)
Chapitre 16 - Gowan et Moira
Shaolan, Sakura, Kurogane, Fye s'immobilisèrent dans un seul mouvement et sentirent leur sang s'accélérer dans leurs veines. Tout près de leurs montures, au sommet de l'unique chemin qui permettait de redescendre vers la ville se dressait une ligne effrayante d'hommes et de femmes armés de lances, d'épées et de poignards. Leur visage hâve arborait un teint blême sur lequel se dessinaient des veines bleues presque verdâtres qui n'étaient pas sans rappeler celles d'un cadavre. Ils étaient vêtus de peaux chaudes et une animosité féroce embrasait leur regard délavé.
– Ce sont ceux qui nous ont attaqués dans la forêt ! s'exclama Sakura.
– Je me doutais qu'ils nous suivaient, déclara Kurogane en tirant son sabre.
– Oui, mais ils sont beaucoup plus nombreux que la dernière fois, constata Shaolan.
Les hommes qui leur avaient tendu une embuscade dans les bois n'étaient pas plus de vingt, mais le groupe qui leur faisait face comptait plusieurs dizaines de membres. Étaient-ils trente, quarante ? Ils n'auraient su le dire. À cet instant, la première ligne de combattants bougea et une masse compacte se dessina derrière elle : non, ils étaient bien plus nombreux encore. Sans doute atteignaient-ils les cinquante personnes, peut-être davantage, et les cinq compagnons comprirent que ceux qu'ils avaient affrontés dans la forêt ne représentaient qu'une petite partie des effectifs de cet effrayant bataillon.
À mesure qu'ils distinguaient plus de têtes, plus de lames et plus de piques, leur sang battait de plus en plus vite dans leurs veines. Leurs ennemis paraissaient avoir attendu qu'ils sortent du palais pour les prendre à revers. Se doutaient-ils qu'ils avaient combattu dans les entrailles du château ? Avaient-ils patienté dans le but de les trouver affaiblis ? Si tel était le cas, il s'agissait d'une bonne stratégie, songea Shaolan. Cela signifiait aussi qu'ils connaissaient les pièges des sous-sols du palais, comprit Fye, et qu'ils savaient que lui et ses compagnons étaient venus jusqu'ici pour libérer ses parents. Le magicien pinça les lèvres : il avait la désagréable sensation de se faire fait manipuler. Que voulaient réellement ces hommes ? Qui les dirigeait ? Pouvait-il s'agir de cet Ingvar, dont Chitose leur avait parlé ? Quoiqu'il en soit, la petite armée avait bien calculé son coup : lui, Kurogane et Shaolan étaient blessés, ce qui rendrait leur résistance moins aisée. Sakura tira de nouveau son boomerang, Shaolan son épée et Kurogane son sabre.
À cet instant, deux silhouettes se détachèrent des rangs ennemis : le premier était un homme au visage carré, aux cheveux drus et aux yeux clairs dont les traits taillés à la serpe accentuaient son expression implacable. À ses côtés se tenait une femme vêtue d'un plastron et de jambières de cuir. Ses cheveux tirés en arrière allongeaient son front et faisaient ressortir son regard d'un vert écailleux.
– Ce sont … leurs chefs ? devina Sakura.
– On dirait bien, acquiesça Kurogane.
– Ce ne sont que des exécutants, dit Fye. Je suis sûr que quelqu'un d'autre les dirige, quelqu'un qui agit dans l'ombre.
L'homme serrait dans son poing une haute hallebarde et la femme une longue rapière affilée. Ils firent un geste et d'un seul mouvement, tous les combattants lancèrent l'assaut dans un brouhaha d'armes, de cris rauques et de pas frappant sourdement la neige.
Fye traça aussitôt une ligne de runes scintillantes et projeta le sortilège devant lui : les lettres fusèrent et balayèrent la première ligne d'assaillants, qui chutèrent les uns sur les autres. Shaolan et Kurogane s'élancèrent aussitôt contre les rangées suivantes, sabres brandis. Cinq soldats qui étaient restés en arrière levèrent des arcs et firent pleuvoir une nuée de flèches sur eux, mais Sakura lança son boomerang pour les intercepter et la courbe de son arme brisa les hampes de quelques flèches qui retombèrent au sol. Pendant ce temps, les premiers combattants fauchés par Fye se relevaient déjà.
Aucun des quatre voyageurs n'avait oublié l'extraordinaire résistance de ces créatures qui paraissaient humaines sans l'être tout à fait et ils savaient que pour en venir à bout, ils devaient les frapper au côté droit de la poitrine, en miroir de l'emplacement du cœur. Shaolan et Kurogane s'évertuèrent en ce sens et transpercèrent ceux que leur lame pouvait atteindre ; une fois le point faible touché, les soldats s'effondraient de manière définitive. Cependant, d'autres prenaient aussitôt leur place pour les harceler sans relâche. Les quatre compagnons ne parvenaient que rarement à toucher le point mortel de ces créatures du premier coup, et même s'ils leur infligeaient de sévères blessures, cela se suffisaient pas à les arrêter. Leurs ennemis se redressaient et reprenaient la lutte sans montrer la moindre trace de douleur, malgré les plaies sanglantes qui couvraient leurs corps.
À mesure que les assaillants affluaient, Kurogane comprit qu'il avait sous-estimé leur nombre : ils étaient probablement près de quatre-vingt. Tous n'étaient pas forcément des combattants aguerris, il le sentait à leur manière de se déplacer et de manier leur arme, mais tous attaquaient avec une énergie sauvage. Le ninja en avaient déjà abattu près d'une dizaine, mais face à la masse grouillante qui avançait vers eux cela ne suffirait pas ; à ce rythme, ils risquaient de ployer sous le nombre. Il jeta brièvement un œil à son flanc droit et grimaça : la blessure qu'il avait reçue du Fomoire n'était pas très profonde, mais il continuait de perdre du sang et la douleur gênait ses mouvement, l'empêchant de se battre à fond. Le constat était sensiblement le même pour le mage, qui malgré ses dires devait souffrir de cette longue plaie qui lui barrait le dos et empoissait son manteau de rouge ; quant à Shaolan, son avant-bras tenait le coup pour le moment, mais Kurogane voyait bien que ses réflexes se faisaient plus lents. Plus la bataille durerait et plus il peinerait à riposter, courant le risque de subir un coup fatal. La princesse leur accordait un peu de répit en repoussant les flèches des archers, mais l'usage de sa magie l'avait fatiguée et elle ne supporterait pas cette cadence éternellement.
Le ninja envoya tordit le bras de l'un de ses assaillants, lui fit lâcher son épée et enfonça son katana dans le côté droit de sa poitrine : l'homme s'effondra en grognant. À ce moment, le ninja se rendit compte que les parents de Fye se tenaient à quelques mètres derrière lui. Kurogane se demanda brièvement pourquoi ils n'étaient pas restés près de leur fils, puis il jeta un coup d'œil à Fye et comprit : les sortilèges du mage électrifiaient l'air et refoulait les attaquants avec une rapidité glaçante, lacérant leur corps de longues blessures ; personne n'avait envie de faire partie des dommages collatéraux d'une telle puissance, vraiment. Les parents du blond avaient dû penser qu'il leur offrait une protection plus sûre que leur fils, et ce n'était pas lui qui les aurait contredits. À cet instant, la voix d'Hideki lui parvint :
– Reste en arrière Chii, d'accord ?
La jeune femme acquiesça tandis que son époux ramassait l'épée de l'homme que Kurogane venait de tuer. Il s'avança et le ninja remarqua qu'il tenait son arme d'une main peu assurée.
– Vous savez vous en servir ?
– Oui … cela fait longtemps, mais je crois que je devrais y arriver.
À peine avait-il prononcé ses mots que six assaillants fondirent sur eux, le regard enflammé d'une haine presque animale. Kurogane divisa le groupe pour faire face à trois d'entre eux et laissa à Hideki le soin de se charger des autres. Il assomma un premier adversaire, puis un deuxième, et entama un combat rapproché avec le troisième. Il ne luttait que depuis quelques secondes quand il entendit un crissement de métal, suivi du sifflement d'un objet tournoyant dans l'air. Il repoussa son opposant d'un coup de pied, fit volte-face et découvrit que le père de Fye venait d'être désarmé : son visage désemparé trahissait la panique qui l'envahissait alors que les créatures se rapprochaient de lui et de Chii. Kurogane pesta à voix-basse : ce gars avait peut-être su manier une épée dans le passé, mais il avait visiblement oublié comment faire depuis. Il repoussa une femme, puis un homme, se précipita vers le couple, força le passage des combattants et se plaça au centre du cercle, devant les parents de Fye.
– Ne bougez pas d'où vous êtes, ordonna-t-il.
Ils hochèrent faiblement la tête tandis qu'il se concentrait : la lame de Ginryû se mit à étinceler d'une lumière dorée et il l'abattit en direction de ses assaillants :
– Hama Ryu-o Jin !
L'attaque illumina la neige et rejeta en arrière tous les combattants dans un rayon de cinquante mètres. Du sang gicla sur le sol immaculé et les corps s'affaissèrent, mais Kurogane savait que leur apathie ne durerait qu'un temps. Il abaissa sa lame, le souffle court, et jeta de nouveau un œil à son abdomen : bordel, la tâche s'était encore élargie. L'énergie qu'il avait mise dans son attaque aggravait sa blessure et s'il continuait sur cette voie, ses ennemis allaient l'avoir à l'usure.
À quelques mètres de distance, Fye avait remarqué son état, mais il était trop occupé à repousser ses propres adversaires pour pouvoir s'en mêler. Derrière le ninja, ses parents reculaient avec effroi face à l'afflux de combattants. Kurogane ne pouvait pas se charger de leur sécurité et de la sienne, et Fye songea qu'il devait trouver une alternative pour aider son compagnon. Son regard glissa vers Sakura, qui lançait sans relâche son boomerang contre les lignes ennemies.
– Sakura-chan, tu as toujours ton dé magique ?
– Oui !
– Alors, protège mes parents !
– Compris !
La jeune fille rattrapa son boomerang au vol et courut vers Hideki et Chii, permettant à Kurogane de s'écarter pour reprendre le combat. Elle se positionna devant les souverains de Valeria, leur adressa un regard rassurant, puis tira de sa poche le petit dé qui renfermait ses pouvoirs.
– Restez près de moi.
Elle lança le cube dans les airs et appela :
– Deux, bouclier !
Un dôme translucide se forma au-dessus de la princesse, d'Hideki et de Chii, repoussant les assauts de leurs ennemis. Sakura, immobile, se concentra pour insuffler à la bulle le plus d'énergie possible : elle devait tenir. Sous ses pieds, son cercle magique était apparu et étincelait d'une lueur rose-dorée. Les yeux écarquillés, Chii fixa le pentagramme scintillant, puis releva la tête vers la jeune fille. Son regard glissa ensuite vers Fye qui repoussait ses adversaires à l'aide de sortilèges et au même moment, elle vit Shaolan poser deux doigts sur la lame de son épée :
– Kashin shourai !
Son propre cercle magique se matérialisa sous ses pieds, des spirales de flammes s'enroulèrent autour de son arme en partant de la garde et les projeta vers les créatures qui lui faisaient face. Le feu happa les hommes et les femmes dans un tourbillon ardent qui les laissa à terre, couverts de brûlures. Chii cligna des yeux : son fils n'était pas le seul à utiliser la magie, ses amis possédaient tous une énergie particulière, y compris cet homme yeux aux rouges qui ne lançait pas de sorts mais qui recourrait à des attaques redoutables.
Kurogane désarma un nouvel adversaire, lui fit un croche-pied et enfonça son sabre dans sa poitrine, puis se remit en position pour faire face à de nouveaux agresseurs. Le demi-cercle de combattants qui se resserrait autour lui se brisa soudain pour céder le passage à un homme : Kurogane reconnut le chef à la hallebarde qu'il avait aperçu au début de la bataille et il sourit.
– Tiens, tiens, le chef des monstres … ça tombe bien, je commençais à m'ennuyer du menu fretin.
– Tu fais le malin, rétorqua l'homme, mais je vois bien que ta blessure te fatigue. Tu ne tiendras plus longtemps.
– On parie ?
Kurogane le provoquait, mais c'était pour gagner du temps. Il n'avait lutté qu'une seule fois contre une hallebarde, et il savait que son maniement s'apparentait peu ou prou aux jumonji yari de son pays, ces lances à la lame en forme de croix utilisées par les samouraïs. L'arme de Gowan se composait d'une longue hampe en bois qui se terminait par une pique. Sous cette lame se détachaient de part et d'autre de la hampe un bec métallique – qui servait à crocheter l'arme de l'adversaire ou à sectionner les jarrets d'un cheval – et un tranchant, très similaire à celui d'une hache. Il s'agissait d'une arme redoutable, et Kurogane savait que son sabre n'était pas le meilleur outil pour la repousser. S'il tentait une parade, Ginryû pouvait tout à fait se briser. Il allait devoir miser sur l'esquive, bien calculer ses propres attaques, et s'il pouvait trouver de quoi protéger son flanc gauche, ça lui aurait été bien utile … Son regard tomba sur un bouclier, qu'un combattant assommé par sa dernière attaque avait laissé choir au sol. Rond, en bois, il ferait parfaitement l'affaire. Kurogane fit un pas dans sa direction, mais c'était sans compter sur Gowan qui attaqua le premier.
La main gauche posée sur la hampe, la main droite au bout du manche pour la diriger, le général décrivit un mouvement courbe avec sa hallebarde en direction du cou du ninja. Le geste était ample, mais contrôlé et précis, et si Kurogane ne s'était pas écarté à temps, il songea que sa carotide aurait déjà été sectionnée. Bon sang, il devait absolument se saisir de ce bouclier, sans quoi il ne pourrait pas se protéger, ni riposter ! Gowan revint à la charge et se fendit en avant, une jambe pliée dans sa direction pour faire fuser la pointe de sa hallebarde vers sa poitrine. Kurogane dévia le coup de la lame de son sabre, bondit à nouveau, recula, et enfin mit la main sur le bouclier qu'il convoitait. Il était temps, car Gowan abattait de nouveau le tranchant de sa hache sur lui. Kurogane repoussa le coup, tenta de piquer en direction des jambes de son adversaire, mais ce dernier para l'estoc avant de remonter sa pique vers son estomac. Kurogane s'esquiva en serrant les dents, tenta de nouveaux assauts, en vain. La portée de la hallebarde permettait à Gowan de le tenir à distance, et la plupart du temps, il ne touchait même pas le corps de son ennemi. Le général le frappa à nouveau, cette fois avec le bout du manche de son arme. Le bras Kurogane grogna sous l'effort : le point d'impact était petit, mais sacrément puissant. Heureusement, le bouclier tint bon. Le général se campait fermement sur ses pieds afin de compenser la hauteur de son arme, à tel point qu'il paraissait enraciné dans la neige. Il contrait les attaques avec une force, une précision et une rapidité déconcertantes ; c'était un soldat de longue date, le ninja le devinait à sa manière de se déplacer et à son sang-froid. Il avait dû côtoyer la mort plus d'une fois, prendre des vies et risquer souvent la sienne pour demeurer aussi calme et stoïque dans un corps à corps. Il se défendait très bien, ne lui laissait aucune ouverture et pouvait à tout instant le blesser mortellement. Le sourire de Kurogane s'étira : cet adversaire lui plaisait bien.
– Comment tu t'appelles ?
– Qu'est-ce que ça peut te faire ?
– J'aime bien connaître le nom d'un ennemi digne d'intérêt avant de l'achever.
– Oh, donc tu me considères à ton niveau ? Je suis flatté.
– N'exagère pas non plus. Tu es bon, mais je vais te battre.
– Mon nom est Gowan. Rappelle t'en lorsque tu rendras ton dernier souffle.
– Compte là-dessus.
Kurogane piqua en avant, reprit l'initiative de l'assaut, mais Gowan dévia chacun de ses coups à l'aide de mouvement de rotation de sa hallebarde. Voyant qu'il mettait de plus en plus de force dans ses assauts, Kurogane décida de jouer le tout pour le tout. Il leva son bouclier au moment où la pique du général fusait vers lui : la pointe s'y enfonça et Kurogane le lâcha juste à temps pour ne pas être blessé. L'écu tomba à terre, la hallebarde fichée en son centre … et donc inutilisable. Gowan, déstabilisé, recula, tandis que Kurogane reprenait l'avantage. D'un croche-pied bien placé, il faucha les jambes du général qui s'effondra. Kurogane tendit son sabre et l'enfonça dans sa poitrine, au niveau de son point faible. Une expression victorieuse éclaira son regard sombre : cette fois, il avait gagné. Cependant, au lieu de s'affaisser, Gowan demeura parfaitement immobile, assis sur le sol, la lame plantée dans son torse. Un sourire mauvais étira ses lèvres et il souffla :
– Tu pensais que je serais aussi facile à tuer que les autres ?
Médusé, Kurogane ne vit pas venir le coup de pied que le général lui envoya dans le ventre, atteignant sa blessure aux côtes. Il grogna et recula de quelques pas, plié en deux par la douleur. Gowan retira aussitôt Ginryû de son corps, le jeta au sol, se releva et s'approcha du bouclier où s'était fichée sa hallebarde. Il tira sur la hampe d'un geste sec et récupéra son arme.
– Dommage pour toi, mon point faible ne se trouve pas au même endroit que mes subordonnés.
Haletant, Kurogane se redressa en tenta de faire fi de la douleur, mais la tâche de sang ne cessait de s'accroître ; cela ne sentait pas bon. Gowan l'assaillit de nouveau et il dut multiplier ses efforts pour se maintenir hors de sa portée, d'autant qu'il n'avait plus de bouclier pour se protéger. Trois fois de suite, la hache de son opposant passa à un cheveu de sa tête ; à la quatrième, il eut une demi-seconde de retard et il sut que sa dernière heure avait sonnée.
À cet instant, un éclair bleuté traversa l'atmosphère. Un bouclier se forma devant le ninja, déviant miraculeusement la trajectoire de la hache.
Gowan, stupéfait, tourna la tête : Fye se tenait à quelques mètres de lui, le regard menaçant et le bras encore tendu. Il avait suivi du coin de l'œil le combat de son compagnon et était intervenu au moment critique. Kurogane grimaça : cela lui faisait mal de l'admettre, mais sur ce coup il devait la vie au blond. Il bougonna tout de même, pour sauver sa fierté :
– Te mêles pas de ça, le mage. C'est une affaire entre ce type et moi.
– Je ne m'en mêlerais pas si les règles du jeu étaient équitables, mais j'ai cru comprendre que cet homme était plus résistant que ses camarades.
Kourgane haussa les épaules : après tout, ce n'était peut-être pas une mauvaise idée que Fye lui file un coup de main. Il récupéra Ginryû et Gowan tenta une nouvelle attaque dans leur direction, mais le magicien l'en dissuada d'un sortilège qui ne laissait place à aucune réplique. Un rictus contracta les lèvres du général.
– Tu es un magicien, n'est-ce pas ? Mon maître m'avait averti de ta présence. Figure-toi que j'ai une arme de renfort pour les gens comme toi.
Il leva sa hallebarde et une étrange énergie emplit à cet instant l'air. Sous la hache, le crochet de métal qui se recourbait tel un bec d'oiseau s'anima. Sous les yeux médusés du magicien et du ninja, le crochet ondula, s'étira et se couvrit d'écailles pour se transformer en un serpent aux yeux jaunes. Le reptile s'enroula autour de la hampe de la hallebarde et ouvrit la gueule : une vapeur violacée, presque grise s'en échappa aussitôt et envahit l'air ambiant.
Dès qu'ils respirèrent ces fumées, Fye et Kurogane sentirent leur gorge et leurs yeux les piquer. Ils échangèrent un regard : la hallebarde était ensorcelée ! Ils toussèrent, reculèrent puis se mirent dos à dos, scrutant l'épais brouillard dont leur adversaire les avait entourés. Ils s'efforcèrent de détecter le moindre mouvement, le moindre reflet de lame. Fye gardait une main devant sa bouche pour tenter de limiter l'inhalation de vapeurs néfastes, tandis que son cerveau fonctionnait à toute vitesse : ce Gowan ne dégageait aucune aura, il n'était donc pas magicien. Quelqu'un lui avait fourni une arme spéciale, quelqu'un qui, lui, possédait des pouvoirs magiques. Kurogane, de son côté, peinait de plus en plus à respirer normalement : sa blessure l'exténuait et cette brume empoisonnée ne l'aidait pas du tout. Cependant, il pouvait toujours identifier le qi de Gowan et guider Fye pour qu'il riposte. Le mage le savait et d'une main preste s'était emparé d'une lance qui traînait au sol : avec ça, il pourrait contrer les coups du général. Il n'attendait plus que ses indications de Kurogane pour agir. Les deux hommes avaient affronté suffisamment d'adversaires ensemble pour savoir comment l'autre fonctionnait et pour pouvoir réagir de manière complémentaire, sans échanger un seul mot. Le ninja perçut alors l'énergie vitale, à quelques mètres d'eux.
– Sur ta gauche !
Fye leva sa lance au-dessus de sa tête juste à temps pour contrer la hache de Gowan. Il lui envoya un coup de pied dans les genoux qui le fit reculer, puis leva la main droite et lança un sortilège : les runes fusèrent si vite qu'elles tranchèrent la tête du serpent venimeux de la hallebarde. La vapeur se clairsema aussitôt, mais leur répit fut de courte durée : à peine le premier serpent s'était-il envolé que la pointe de la hallebarde de Gowan se métamorphosa à son tour. Un nouveau serpent dévoila ses crocs et cracha la même vapeur que son congénère, envahissant l'atmosphère de poison. Bordel, songea Kurogane, est-ce que toutes les parties de la hallebarde pouvaient prendre vie ? Profitant de ce rideau de fumée, Gowan repassa aussitôt à l'attaque. Cette fois, le mage et le ninja répliquèrent ensemble : Fye dévia la hallebarde de sa lance tandis que Kurogane bondissait et plantait son épée dans la cuisse droite de Gowan. Le général grogna et du sang tâcha la neige, mais leur adversaire se redressa presque aussitôt. Fye et Kurogane froncèrent les sourcils : ils pourraient blesser Gowan autant qu'ils le voudraient, tant qu'ils ignoraient où se trouvait son point faible, ils ne pourraient pas s'en débarrasser. Ils étaient tous les deux blessés et le poison des serpents continuaient d'agir sur leur organisme : si le combat s'éternisait, ils allaient s'évanouir.
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Tandis que Fye et Kurogane luttaient contre les pouvoirs de la hallebarde de Gowan, Shaolan repoussait tous ceux qui l'assaillaient. Alors qu'il expédiait une énième créature au royaume des morts, une silhouette se détacha des rangs ennemis et se planta face à lui : Shaolan reconnut la femme au regard reptilien qui semblait commander le groupe aux côtés de l'homme à la hallebarde. Il leva son épée, sur la défensive :
– Qui êtes-vous ? Que nous voulez-vous, à la fin ?
Elle lui adressa un sourire dépourvu de toute chaleur.
– Mon nom est Moira, si c'est ce que tu veux savoir. Je suis l'un des deux généraux de ce bataillon. Pour le reste, je ne peux pas t'en dire plus, navrée. Toi, tu t'appelles Shaolan, n'est-ce pas ? J'ai entendu tes compagnons prononcer ton nom.
Sans autre sommation, la femme dégaina sa rapière et attaqua. Shaolan leva aussitôt son épée pour parer et tenta un coup de pied en direction de ses genoux : Moira esquiva à une vitesse stupéfiante et en quelques secondes, elle s'était placée hors de sa portée. Puis, elle revint à la charge, feinta, piqua, lacéra l'air. Si Shaolan frappait d'estoc, elle le bloquait avec son épée, s'il frappait de taille, elle se dérobait avec une souplesse déconcertante. Elle pouvait se cambrer en arrière avec la facilité d'une contorsionniste, plier les jambes si bas qu'elle rasait la neige et sauter avec une agilité qui laissa le jeune homme sans voix. Il fronça les sourcils : le corps de cette Moira trahissait une musculature nerveuse, faite pour l'endurance ; elle pouvait probablement tenir pendant plusieurs dizaines de minutes en combat rapproché sans se fatiguer. Voilà pourquoi elle ne l'attaquait pas de front : elle cherchait à l'épuiser. Il essaya de percer sa défense, en vain. Elle reprit rapidement l'avantage sur lui, le força à reculer et l'assaillit de coups pour briser sa résistance. Shaolan sentait que ses jambes commençaient à trembler d'épuisement. À cet instant, la lame de Moira l'atteignit à l'épaule gauche : la douleur s'ajouta à celle de son poignet, déjà lancinante, et raccourcit un peu plus son souffle. Il s'en était fallu de peu que cette femme atteigne sa poitrine. Il devait absolument la maintenir à distance, car elle ne cessait de se rapprocher de lui. Les battements effrénés de son cœur résonnaient jusque dans ses oreilles et sa gorge le brûlait ; il avait besoin de quelques minutes de répit.
Il posa deux doigts sur son épée et prononça l'incantation :
– Raitei shourai !
La foudre fusa vers Moira en se ramifiant en dizaines d'éclairs. Même si cette attaque ne la tuait pas, elle l'affaiblirait pendant quelques minutes. À sa grande surprise, toutefois, la femme ne s'esquiva pas. Elle leva son épée devant elle et la lame se mit à luire d'une lueur vert pâle ; Shaolan sentit alors de la magie envahir l'air, sans qu'aucun faisceau lumineux ne lui permette de localiser le sortilège. C'était comme si une paroi protectrice invisible venait d'entourer son adversaire. Lorsque la foudre qu'il avait créée entra dans ce champ de force, elle disparut instantanément. Shaolan fronça les sourcils : un kekkai ? Pour s'en assurer, il leva de nouveau son épée et appela le feu :
– Kashin shourai !
Les flammes fusèrent vers Moira, pénétrèrent à nouveau dans le champ protecteur et se volatilisèrent aussi rapidement qu'on aurait soufflé une bougie. Shaolan pinça les lèvres : ce sort n'était pas un kekkai, il s'agissait d'autre chose, de bien plus puissant.
– Je vois que tu as compris que ma technique ne se résume pas à un simple bouclier, dit Moira avec un sourire. En fait, le sortilège qui m'entoure est rempli de vide.
– … de vide ?
– Oui, de vide. Dans cet espace, aucune particule ne circule … il n'est donc pas conducteur pour ta foudre, pas plus qu'il ne dispose d'oxygène, ce qui neutralise le feu avec lequel tu as tenté de m'atteindre.
Shaolan resserra sa main sur son épée : cette protection, à priori anodine, se révélait en fait très efficace. Pour atteindre Moira, il devait d'abord dissoudre le sortilège. S'il parvenait à traverser cet espace de vide, il pourrait la désarmer et supprimer l'influence de sa magie.
– Je te déconseille d'essayer de pénétrer dans ma barrière, répliqua la femme comme si elle lisait ses pensées. Aucune pression ne s'y exerce, à la différence de la Terre où nous vivons ; sous l'effet de ce changement brutal, ton corps exploserait.
Horrifié, l'adolescent recula d'un pas : ce vide était beaucoup plus dangereux qu'il n'y paraissait. Tant que Moira le maintenait actif, elle serait inapprochable. Si seulement Fye pouvait lui venir en aide … Shaolan chercha son compagnon du regard et comprit aussitôt qu'il ne pourrait pas compter sur son soutien : prisonnier d'un nuage dense à une centaine de mètres de sa position, Fye avait déjà suffisamment à faire aux côtés de Kurogane pour repousser l'autre général de cette armée. Il tourna alors la tête vers Sakura : la princesse maintenait toujours le bouclier qui protégeait les parents de Fye, mais il devinait à l'aura pâlissante de son cercle magique qu'elle touchait à ses limites. Elle avait tendu ses bras en croix pour renforcer sa barrière et n'était absolument pas en mesure de l'aider. Bon sang, comment se sortir de cette situation inextricable ?
Juste derrière Sakura, Mokona observait le combat de ses amis avec angoisse. La petite créature s'était réfugiée dans la bulle protectrice créée par la princesse afin de se protéger des soldats, mais plus la bataille avançait, plus le manjuu craignait de voir ses amis s'effondrer. Les bras de Sakura tremblaient de plus en plus fort, la sueur couvrait son front, sa respiration devenait haletante. Fye et Kurogane luttaient férocement contre Gowan, mais la petite créature voyait leurs blessures s'aggraver et devinait que le nuage qui les enveloppait contenait un puissant poison qui ne tarderait pas à les asphyxier. Quant à Shaolan, il paraissait épuisé et désorienté face au pouvoir de cette femme aux pupilles d'un vert effrayant. La peur ne cessait de croître dans le ventre de Mokona et elle se muait peu à peu en panique. Des souvenirs des moments les plus terribles qu'ils avaient vécus ensemble lui revinrent en mémoire et il secoua la tête : non, il ne voulait plus jamais revoir ses amis souffrir de la sorte !
Soudain, des mains l'attrapèrent et le manjuu comprit que la mère de Fye l'avait saisi pour le serrer contre elle. Chii lui procura un peu de chaleur, mais elle lui communiqua également toute la peur qu'elle éprouvait. Au même moment, les bras de Sakura lâchèrent et le bouclier qui les protégeait disparut : le dé magique de la princesse retomba et elle le récupéra avant qu'il ne disparaisse sous la neige. Elle se redressa, chancelante, et se saisit à nouveau de son boomerang : ses compagnons ne pouvaient pas l'aider, elle devait se débrouiller seule, mais elle savait qu'elle ne tiendrait plus très longtemps face aux créatures qui se pressaient déjà vers elle. Chii fixa avec désespoir son fils et ses amis se battre pour les protéger. Elle leva une paume à hauteur de ses yeux, la fixa avec incertitude, puis la tendit devant elle, l'air résolu. Les yeux d'Hideki s'écarquillèrent :
– Chii, tu vas …?
Mokona fixa cette dame aux longs cheveux blonds : allait-elle utiliser la magie ? Ses sorts ressembleraient-ils à ceux de Fye ? Pouvait-elle venir en aide à Sakura ? La jeune femme se concentra, parut mettre tout son énergie dans sa main, mais au terme d'une longue minute rien ne se produisit. Sa main demeura vierge de tout sortilège, aussi inoffensive qu'une paume d'enfant. Ses yeux s'agrandirent, son bras se mit à trembler, et, désemparée, elle l'abaissa.
– Je … je croyais que cette fois, j'y arriverais … mais je … je me suis trompée … je ne peux toujours pas utiliser la magie !
Sa voix devint plus aigüe à mesure que le sentiment d'impuissance grandissait en elle. Elle avait cru pouvoir recourir à ses pouvoirs après son emprisonnement, mais visiblement ces longues années de captivité n'avait rien changé à sa situation ; elle était incapable de protéger son fils et ses compagnons, alors qu'eux risquaient leur vie pour les sauver. La jeune femme serra plus fortement Mokona contre elle et des larmes remplirent ses yeux. Le manjuu ressentit toute son angoisse et se serra contre elle pour tenter de lui apporter un peu de réconfort, tout en sachant qu'il ne pourrait rien faire d'autre.
Ce fut à cet instant qu'il la sentit. Une étrange chaleur envahit brusquement son corps rond et souple, une chaleur qui émanait des mains de Chii pour se diffuser dans tout son être. Cette fois-ci, il ne s'agissait pas d'énergie humaine mais de flux magique, Mokona en aurait mis sa patte à couper. Une source de puissance immense, à la fois étrangère et familière l'envahit, et pendant un bref instant le visage de Yuko s'imposa à lui. Pourquoi se souvenait-il d'elle, tout à coup ?... Au même moment, il s'envola des mains de Chii et ses ailes se déployèrent dans son dos.
Sakura rattrapa son boomerang et se retourna presque en même temps que Shaolan, Kurogane et Fye : tous les quatre avaient senti, stupéfaits, le pouvoir de Mokona s'activer.
– Mokona, qu'est-ce qu'il se passe ? s'écria Shaolan.
– On quitte ce monde ? s'exclama Sakura.
– Maintenant ?! fit Kurogane.
– Mais, et mes parents ?… commença Fye.
Avant qu'ils n'aient le temps de formuler une pensée cohérente, des volutes dorées enveloppèrent les corps de Chii et d'Hideki, qui se sentirent aspirés par la puissance de Mokona. Les quatre chevaux qu'ils avaient laissés à l'écart du palais furent à leur tour happés par le tourbillon. Sakura, Shaolan, Fye et Kurogane ne prirent pas le temps de réfléchir : ils coururent vers Mokona et le courant les emporta à leur tour. Le manjuu replia alors ses ailes et disparut du mont enneigé dans une flambée d'arabesques.
