Bonsoir à tous !
J'espère que vous allez bien :) Je vous apporte la suite ! Notre petit groupe repart pour Valeria avant que le voleur d'âmes ne fasse plus de victimes. Ce coup-ci, ils connaissent un peu mieux leur route, et ils ont refait le plein de provisions (très important lorsqu'on voyage avec un Mokona !)
Bonne lecture à toutes et à tous !
Chapitre 25 - Malaise
Shaolan chaussa ses bottes, enfila son manteau, puis jeta un œil par-dessus son épaule : Sakura dormait encore, étendue sous une chaude couverture et serrant Mokona tout contre elle. De l'autre côté de la yourte, Fye et Kurogane ne s'étaient pas réveillés non plus. Le jeune homme sourit, repoussa le battant de cuir doublé de fourrure et sortit de leur abri. Ses pas crissèrent sur la neige fraîche et l'air glacé vivifia tous ses sens. Près de leur tente se dressait une seconde yourte, qu'ils avaient achetée à l'attention d'Hideki et de Chii. À cette heure matinale, aucun bruit ne troublait le silence feutré de la montagne enneigée. Accrochée au ciel, l'épaisse laine de verre des nuages étouffait les sons et isolait des rayons soleil. Deux heures après l'aube, la luminosité demeurait ténue et un brouillard diffus troublait l'atmosphère ; il ne se lèverait que vers midi. Shaolan s'était habitué à cette ambiance particulière qui lui donnait l'impression que le temps s'était figé, engourdi par l'hiver.
Il creusa un trou dans la neige qu'il tapissa de branches de sapin pour préparer un bon feu. Puis, il alla couper du bois dont il pela l'écorce afin de retirer les restes d'humidité, avant de le disposer dans le foyer. Il parsema le tout de morceaux d'amadou, un champignon qui une fois séché servait d'allume-feu. Ils avaient eu de la chance de pouvoir s'en procurer à Tirmeíth, car depuis qu'ils étaient revenus à Valeria, ils n'avaient pas repéré la moindre trace de champignons sur les troncs gelés des sapins. Enfin, il invoqua un sortilège et embrasa le tout. Le bois, encore légèrement humide, dégagea des moutons de fumée, puis commença à brûler. Shaolan extirpa une casserole de leurs sacs de voyage et mit de l'eau à chauffer. Il tendit les mains vers les flammes réconfortantes : il aimait être le premier levé. Entouré de silence, il profitait d'un moment de calme pour réfléchir avant de reprendre la route.
Cela faisait près de cinq jours qu'ils avaient repassé la frontière de Valeria, laissant derrière eux Tirmeíth et les victimes du voleur d'âmes. Ils devaient se hâter de retrouver Ingvar, mais suivre sa piste s'avérait plus difficile que prévu. Fye percevait sa présence magique, mais il peinait à évaluer la distance qu'ils devraient encore parcourir pour dénicher leur ennemi. En attendant, l'armée du sorcier pouvait leur tomber dessus à tout moment, ce qui était loin de les rassurer, d'autant qu'ils devaient assurer la sécurité de Chii et d'Hideki en plus de la leur. Heureusement, les sbires du sorcier ne s'étaient pas montrés pour l'instant.
Un froissement de fourrure tira soudain Shaolan de ses pensées : Sakura venait d'émerger de la yourte. Il sourit : il aimait son visage au réveil, ses cheveux ébouriffés et pleins d'épis, son regard doux, encore à moitié dans le monde des rêves, et cette manière qu'elle avait de frotter ses yeux ensommeillés de ses petites mains.
– Bonjour, Shaolan.
– Bonjour.
– Tu es tout seul ?
– Oui, tout le monde dort encore.
La jeune fille s'approcha de lui, puis déposa un petit baiser sur sa joue. L'adolescent rougit légèrement, puis la princesse s'assit près de lui. Elle tenait un sac qu'elle posa sur ses genoux : il s'agissait de l'un des ballots en toile de jute dans lesquels ils transportaient leurs provisions. Elle en extirpa une boule de pain déjà entamée et en rompit un morceau qu'elle tendit à Shaolan, puis s'en détacha un quignon. Ils les tartinèrent de miel et l'accompagnèrent d'un bol de thé fumant. Ils avaient été surpris de découvrir que les habitants de Tirmeíth consommaient cette boisson, et Kurogane, qui associait ces feuilles à son Japon natal, avait décidé d'en acheter. Tous les matins, le breuvage brûlant réchauffait leur organisme et préparait leurs muscles à l'effort de la journée. Leur petit-déjeuner terminé, Sakura posa son bol vide devant elle.
– Shaolan ?
– Oui ?
– Tu sais, j'ai bien réfléchi. Quand nous nous sommes battus contre les Fomoires, dans le palais de Valeria, puis face à l'armée d'Ingvar, j'ai pris conscience d'une chose.
– Laquelle ?
– Grâce à mon boomerang et à ma magie, je sais mieux me défendre et je peux repousser des assaillants. Malgré tout, dans un corps à corps, je me retrouve rapidement en position de faiblesse. C'est déjà arrivé à plusieurs reprises, et à chaque fois toi, Kurogane ou Fye avez dû intervenir. Je voudrais m'améliorer pour ne plus avoir besoin sans cesse de votre aide, et je me demandais … est-ce que tu voudrais bien m'apprendre à me battre à mains nues ?
Shaolan fixa la jeune fille, surpris : il ne s'attendait pas à une telle demande de sa part. Il avait certes remarqué que Sakura perdait ses moyens dans un combat rapproché, mais jusqu'à présent lui et ses amis étaient toujours intervenus à temps. Cependant, la princesse avait raison : que se passerait-il si elle devait se battre seule ? Sa fine stature l'empêchait d'attaquer en la force pure, elle devait donc compter sur sa souplesse et sa rapidité. Elle avait besoin d'apprendre des techniques qui lui permettraient de cibler les points stratégiques de son adversaire et de mettre à terre le plus imposant des colosses. Il était touché qu'elle s'adresse à lui pour se perfectionner, et en même temps, il se sentait mal à l'aise. Serait-il un bon professeur ? Il n'avait jamais enseigné à personne et il craignait de ne pas être à la hauteur. Il comprenait à présent quelle pression avait pu ressentir Kurogane quand son double lui avait demandé de lui apprendre le maniement du sabre. Serait-il capable d'aider Sakura ? Il finit par sourire : après tout, il ne pouvait pas le savoir tant qu'il n'aurait pas essayé, et puis, il tenait vraiment à ce que la jeune fille puisse se protéger en toutes circonstances, même quand il ne serait pas à ses côtés.
– D'accord. Je ne garantis pas d'être un bon professeur, mais je ferai de mon mieux. Par contre, je me bats essentiellement avec mes pieds, je ne vais pas pouvoir t'apprendre beaucoup de techniques avec les poings …
– Ce n'est pas grave, je demanderai à Kurogane de me montrer.
Demander à Kurogane de compléter la leçon ? L'idée en soi n'était pas mauvaise, mais Shaolan se demandait si l'écart de force entre le ninja et la princesse ne serait pas un peu trop marqué. Et si Kurogane y allait un peu fort lors de l'entraînement ? Shaolan imagina un bref instant l'état dans lequel pourrait se trouver Sakura à la fin d'une journée d'exercice et il secoua la tête.
– Pas la peine, j'essayerai de te montrer les principales techniques de coups de poing. Quand est-ce que tu veux démarrer ?
– Maintenant ? Profitons-en pendant que les autres dorment encore.
Shaolan avisa les deux yourtes : aucun bruit ne s'en élevait. Ses compagnons avaient visiblement besoin de récupérer, ce que l'adolescent comprenait. La veille, ils avaient franchi à pied un col de montagnes en luttant contre une bourrasque glaciale et en tirant leurs montures pour ne pas qu'elles se perdent dans le brouillard. L'effort qu'ils avaient dû fournir pour gravir puis redescendre les flancs de la montagne les avaient exténués. Fye avait maintenu sa concentration pour pister la magie d'Ingvar malgré le vent hurlant. Arrivés au bas de la montagne, leurs jambes tremblaient et personne n'avait fait long feu après le dîner. Leurs amis dormiraient sans doute encore un peu, il avait le temps de dispenser une première leçon à Sakura.
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Kurogane balaya la clairière d'un regard mi perplexe, mi inquiet : où diable étaient passés les gamins ? Ils s'étaient visiblement levés avant lui, mais si le feu de camp brûlait encore, c'est qu'ils n'étaient pas partis bien loin. Seraient-ils allés couper du bois ? Avaient-ils entendu un bruit suspect ? Avaient-ils pensé à prendre leurs armes avant de s'éloigner ? Il ne faudrait pas qu'il leur arrive une tuile. Même si plus personne n'habitait ce pays, des bêtes sauvages y rôdaient encore. Et si l'armée de ce fou furieux leur tombait dessus ? La princesse avait beau avoir fait des progrès, à deux contre cent, ils ne tiendraient pas longtemps. Et s'ils étaient blessés, voire pire, capturés ?… Kurogane s'immobilisa. Bon sang, mais que racontait-il ? Si des soldats avaient suivis les petits, il aurait forcément détecté leur qi. De plus, une bagarre se serait entendue dans ces montagnes sans vie. Il s'inquiétait vraiment pour rien, aujourd'hui. Et puis d'abord, non, il ne s'inquiétait pas. Il avait le droit d'être étonné que les jeunes soient plus matinaux que lui, non ?
Tout en grognant, il alla chercher un bol dans la yourte et se servit deux bonnes louches de thé. Le mage pionçait toujours, mais vu la journée d'enfer qu'ils avaient passée la veille, ce n'était pas étonnant. Il fouilla dans leurs bagages, dénicha une poêle, ouvrit le sac de provisions, attrapa deux œufs et les battit en omelette. Pas question qu'il mange des tartines comme les gamins, rien ne le mettait plus de mauvaise humeur que de commencer la journée par du sucré. Tout en remuant énergiquement sa fourchette (encore un pays sans baguettes), il songea au mage et à ses parents : ils ne tarderaient pas à se réveiller. Ils auraient sans doute faim … il rouvrit la boîte à œufs et en rajouta six au mélange. Puis, il déplaça la casserole de thé et mit à cuire son omelette. Quand c'était le mage qui la préparait, il y rajoutait des petits oignons et tout un tas d'herbes dont Kurogane ignorait le nom. Certes, c'était bon, mais beaucoup trop compliqué à son goût, et puis, il avait la dalle. Alors pour une fois, ce serait omelette nature ; il voulait bien faire le repas, mais il ne fallait pas exagérer non plus. Il se coupa une part, laissa le reste et accompagna le tout d'un morceau de pain. Il aurait préféré manger du riz, mais bon, cette céréale ne poussait pas à Tirmeíth. Il s'estimait déjà heureux de boire du thé et non cet abominable café qu'on leur avait servi dans tant de dimensions. Le mage en raffolait, au grand dam du ninja, car cette boisson l'excitait encore plus que d'habitude : une tasse de café, c'était l'assurance d'avoir un blond insupportable pendant près d'une demi-journée. Il sautait partout et son esprit tordu tramait mille et une farces pour le faire enrager, un vrai cauchemar. Kurogane préférait de loin les dimensions où l'on ne consommait que du thé, au moins, il avait la paix. Quoique, il aurait peut-être bien aimé que Fye fasse un peu le pitre, ces jours-ci. Avec tout ce qu'il avait appris sur son passé et celui de ses parents, Kurogane comprenait qu'il n'ait pas la tête à ça, mais il n'aimait pas le voir trop taciturne.
À cet instant, un cri le tira de ses pensées. C'était la princesse ! Il bondit sur ses pieds, en alerte : bon sang, il savait qu'il avait eu raison de s'inquiéter ! Dans quel pétrin les petits étaient-ils encore allés se fourrer ? Il traversa la forêt en courant, une main sur la garde son katana. Si l'un de ces zombis avaient fait du mal à Shaolan ou à Sakura, ils allaient le regretter. Sabre au clair, il parvint bientôt jusqu'à une seconde clairière, prêt à intervenir …
… et se figea, médusé.
Au milieu du cercle dégarni d'arbres, Sakura faisait face à Shaolan, le visage décidé, les poings levés et les pieds fermement ancrés au sol, dans une position que le ninja se rappelait avoir enseigné au double du gamin. Face à elle, Shaolan avait adopté une posture similaire, mais il semblait hésiter.
– Mais enfin, Shaolan, frappe-moi plus fort ! C'est un entraînement, pour être efficace je dois être dans les mêmes conditions qu'un combat réel ! Si tu retiens tous tes coups, ça n'a pas d'intérêt.
– Je sais, mais … je ne veux pas te faire de mal !
– Quelques bleus, je m'en remettrai. Allez, attaque-moi pour de vrai !
Kurogane les observa, bouche bée. La petite avait demandé à Shaolan … de lui enseigner les arts martiaux ? Ce n'était pas une mauvaise idée, il avait remarqué qu'elle manquait de technique pour se défendre dans un corps à corps. Elle paraissait en vouloir, même si sa position méritait encore quelques corrections. Le problème venait plutôt du gamin, qui n'osait pas à se donner à fond. Le ninja eut un petit sourire : si cela n'avait tenu qu'à lui, il aurait déjà testé les réflexes de la princesse par un coup de poing rapide, mais Shaolan tergiversait, tant et si bien que Sakura finit par remarquer sa présence.
– Oh, bonjour Kurogane !
– Salut. Alors comme ça, on s'entraîne ?
– Oui, on s'est éloignés des yourtes pour ne pas vous réveiller !
– Besoin d'aide ?
– Euh … ça ira, merci ! le remercia Shaolan.
– Il faut que tu y ailles plus franchement, gamin, si tu veux que ton enseignement lui serve à quelque chose.
– Je … je sais !
Ils se remirent en position et Sakura entreprit de parer les coups de pieds de Shaolan. Le ninja les observa faire, amusé. La princesse était encore un peu lente, ses gestes n'étaient pas très précis, mais elle réussissait à arrêter certains coups et encaissait les autres sans broncher. Si elle poursuivait dans cette voie, elle progresserait rapidement. À condition que Shaolan se lâche un peu, évidemment. Le ninja était en train de réfléchir aux conseils qu'il pourrait lui donner en douce, quand une main se posa sur son épaule.
– Bonjour, Kuro-chan !
– Salut, le mage.
– Qu'est-ce qu'ils nous font, les petits ? Déjà en train de se bagarrer à une heure si matinale ?
– Ils s'entraînent, la princesse veut apprendre les arts martiaux.
– C'est très bien, ça ! Mais Shaolan manque un peu d'énergie, non ?
– C'est ce que je me tue à lui dire.
Les deux adultes suivirent des yeux le combat des plus jeunes : c'était maintenant Sakura qui attaquait Shaolan. Contrairement à l'adolescent, la princesse ne retenait pas ses coups, et Kurogane eut un demi-sourire : cherchait-elle à faire réagir le gamin pour qu'il se batte à fond ? Celui-ci répliquait de plus en plus vivement, et finalement, il reprit l'initiative de l'attaque sans même en avertir la princesse. Peut-être avait-il décidé de passer aux choses sérieuses, en fin de compte. Sakura bloqua ses assauts, une fois, deux fois, mais au troisième, elle fut trop lente et le coup de pied l'atteignit sous la mâchoire. Kurogane et Fye grimacèrent en même temps, la jeune fille poussa un cri et s'écroula dans la neige. Shaolan, confus, se précipita vers elle.
– Pardon, je ne pensais pas que je t'atteindrais ! Je croyais que tu allais reculer, je suis vraiment désolé !
– Ne t'en fais pas, je vais bien, assura-t-elle en essuyant le sang de sa bouche. C'est ce que je voulais, après tout.
Aux abords de la clairière, Kurogane croisa les bras.
– Finalement, je crois que je préfère quand le petit retient ses coups.
– Rooh, quel papa poule tu fais ! se moqua Fye. Moi, je le trouve très bien comme ça, cet entraînement.
Des crissements de pas dans la neige interrompirent leur conversation. Ils se retournèrent et découvrirent que Chii et Hideki les avaient rejoints, guidés par le son de leurs voix.
– Bonjour, les salua poliment Chii.
– Bonjour, ajouta Hideki.
Les deux hommes leur rendirent leur salut, puis Fye proposa aux anciens souverains d'aller prendre le petit-déjeuner pendant que Shaolan et Sakura terminaient leurs exercices. Kurogane allait leur emboîter le pas, mais il s'arrêta. Après tout, il avait déjà mangé, et le mage avait l'air de vouloir discuter avec ses parents. Depuis qu'ils avaient quitté Tirmeíth, Fye passait beaucoup de temps avec eux, ce que le ninja comprenait parfaitement : ils avaient des choses à se dire et sans doute essayaient-ils de resserrer des liens distendus par le temps.
Dans ce monde, vingt ans s'étaient écoulés depuis l'emprisonnement des anciens souverains, mais Kurogane était persuadé que pour Fye la séparation avait été beaucoup plus longue. Il s'était fait cette réflexion après s'être souvenu que la Sorcière des Dimensions lui avait un jour révélé, à Tokyo, que le mage avait déjà vécu bien plus longtemps que lui. Pour avoir passé plus de dix ans auprès de Tomoyo, le ninja savait que les enfants dotés de pouvoirs magiques grandissent au même rythme que les autres. C'est donc lorsqu'ils atteignent l'âge adulte qu'ils voient leur vieillissement ralentir, et c'est ce qui avait dû se produire pour Fye. Le ninja en déduisait que son compagnon avait vécu plusieurs décennies à Célès, et parfois, il se demandait quel âge il avait réellement. Si seulement il avait pu le traiter de vieux, ç'aurait été une petite revanche pour tous les surnoms débiles dont il l'affublait … un petit sourire étira ses lèvres, puis il secoua la tête. Enfin, s'il suivait ce raisonnement, il était possible que du point de vue Fye, sa séparation d'avec ses parents date de trente ou quarante ans … autant dire une éternité. Le magicien s'était construit seul presque toute sa vie, le lien qui unit des enfants à leurs parents n'avait rien d'évident pour lui.
À l'inverse, les anciens souverains n'avaient pas vu passer les deux dernières décennies, prisonniers dans des piliers de glace qui avaient stoppé leur vieillissement. Physiquement, ils paraissaient avoir le même âge que leur fils, qui était sans doute plus âgé qu'eux à présent. De telles distorsions donnaient la migraine à Kurogane et il n'osait même pas imaginer ce que ce devait être pour les principaux intéressés. Pas étonnant, dans ce contexte, que Fye ait du mal à se positionner face aux anciens souverains. D'ailleurs, quand ils étaient tous les trois, ils ressemblaient plus à des inconnus qui se lient peu à peu d'amitié qu'à une famille qui se retrouve après une longue absence. Le ninja considérait qu'il s'agissait là d'une affaire privée dont il n'avait pas à se mêler. Il laissa donc le blond s'éloigner avec ses parents, puis jeta un œil à Shaolan et Sakura.
Il aurait vraiment aimé leur donner un coup de pouce ; il était certain que ses conseils auraient aidé Shaolan à devenir un meilleur professeur et la princesse à progresser plus vite, mais il avait bien senti que le gamin souhaitait s'en charger seul. C'était lui que la princesse avait sollicité, c'était à lui d'accomplir cette mission. Il en allait de sa fierté d'homme, ce que Kurogane comprenait parfaitement. Après tout, quand le double du petit lui avait demandé de devenir son maître d'armes, il ignorait s'il serait compétent pour cette tâche. Il avait appris sur le tas et même s'il se disait qu'il aurait pu faire mieux, il ne pensait pas avoir été un mauvais professeur. Pour Sakura, Shaolan allait repousser ses limites et se découvrir de nouvelles qualités. Depuis le retour de la princesse, le ninja avait remarqué une évolution dans le comportement du jeune homme.
De plus, il ne pouvait pas s'empêcher de relever les différences qui séparaient les deux adolescents de leurs doubles qu'il avait connus dans le temps. Il se souvenait que les clones se vouaient une affection timide mais sans bornes. La princesse, privée de sa mémoire, se montrait souvent hésitante, tandis que le gamin fonçait tête baissée, sans se préoccuper de ce qui pouvait lui arriver. Les originaux, eux, tenaient tout autant l'un à l'autre, mais ils étaient plus autonomes, prenaient des initiatives sans forcément se consulter l'un l'autre. Ils se manifestaient plus facilement leur tendresse. Le ninja se demandait d'ailleurs comment ils faisaient pour être aussi à l'aise avec ce genre de choses tout en ayant dix ans de moins que lui … Si le double de Shaolan veillait de façon unilatérale sur la princesse, le Shaolan et la Sakura qui voyageaient avec eux se complétaient, apprenaient l'un de l'autre tout en développant des aptitudes individuelles. Ils avaient grandi, et ce n'était pas désagréable, mais dans cette relation forte qu'ils tissaient, Kurogane voyait qu'il n'avait pas toute sa place. S'il avait été plus doué avec les mots, il aurait voulu leur dire combien il était heureux qu'ils se soient retrouvés, leur rappeler qu'ils pouvaient compter sur lui, mais il avait toujours eu du mal à exprimer ce qu'il ressentait. Et puis, lorsqu'il apercevait les regards complices qu'ils s'échangeaient, il n'était pas sûr qu'ils aient encore besoin de lui. Cela lui faisait un peu de peine, mais après tout, peut-être était-ce dans l'ordre des choses.
Il tourna les talons et retourna au campement d'un pas traînant. Fye et ses parents s'étaient assis en cercle autour du feu, un bol de thé fumant entre leurs mains. Mokona, en bon dernier levé, s'était joint à eux. Ils partageaient l'omelette que le ninja avait préparée à leur intention, et Kurogane se demanda si le mage s'était aperçu que c'était lui qui l'avait cuisinée. Il s'arrêta à l'orée de la clairière et observa le petit groupe. Il avait beau avoir vu plusieurs fois Fye en compagnie de ses parents, cet étrange spectacle continuait de l'étonner. Physiquement, personne ne pouvait mettre en doute la filiation qui unissait Chii et le magicien : leurs cheveux étincelaient du même blond, leurs yeux pétillaient du même bleu, leurs gestes révélaient la même grâce, c'était stupéfiant. Ils arboraient ce même regard doux lorsqu'ils écoutaient quelqu'un parler, pinçaient les lèvres dans une moue similaire quand ils s'inquiétaient, et lorsque l'ancienne reine évoquait des sujets graves ou douloureux, ses yeux se voilaient du même rideau de brume que Kurogane avait observé chez Fye dans ses pires moments. Malgré sa silhouette frêle, Chii dégageait un mélange de délicatesse et de violence enfouie au plus profond d'elle-même, exactement comme le mage. Oui, aucun doute là-dessus, Fye était bien le fils de cette femme. En revanche, Kurogane avait beaucoup plus de mal à lui trouver des ressemblances avec son père. Hormis le fait qu'ils faisaient à peu près la même taille, leurs traits et leur gestuelle différaient complètement, et même si Hideki était en théorie plus âgé que Fye, il paraissait plus hésitant. Tous étaient en pleine conversation et les premiers mots qu'entendit Kurogane furent prononcés par Chii :
– J'ai vraiment été impressionnée par ta maîtrise de la magie, Fye … si seulement je pouvais encore me servir de la mienne pour vous aider ! Mais depuis le jour de notre arrestation, j'en suis incapable.
– Est-ce que tu sais à quoi c'est dû ?
– Je ne pense pas que ce soit un sort qu'on m'ait jeté. Je crois que seulement que j'ai été … faible.
– Faible ? Que veux-tu dire ?
– Je n'ai pas su dépasser mes peurs, ce jour-là. J'ai cédé au désespoir au point de me paralyser, et ma magie a cessé de fonctionner.
– Donc selon toi, ce serait une sorte de … blocage ?
– C'est ce que je me dis, car je ne vois pas d'autre explication. Je suis désolée, Fye. Si j'avais été forte, j'aurais pu …
– Ne t'inquiète pas. Tout cela appartient au passé, et pour moi, tout ce qui compte, c'est que vous alliez bien aujourd'hui.
Chii lui sourit. Puis, elle baissa les yeux vers ses mains, comme si elle hésitait.
– Je me demandais, Fye …
– Oui ?
– Qui t'a appris à utiliser la magie ? Ce devait être un bon professeur.
« Aïe. Mauvaise pioche », songea Kurogane avec un peu de pitié pour l'ancienne reine. Elle avait abordé l'un des sujets à éviter en présence du mage, sans se douter de l'effet que ses mots allaient avoir sur lui. Depuis la mort de son roi, Fye n'avait plus jamais reparlé d'Ashura. Son visage s'assombrit et il répondit d'une voix éteinte :
– C'est l'homme qui m'a élevé qui m'a appris la magie.
– Dans une autre dimension ?
– Oui. Mais il est mort, à présent.
Ses parents l'observèrent en silence.
– Je suis désolé, dit Hideki. Tu avais l'air de tenir à lui.
– D'une certaine façon, oui, je tenais à lui. Mais je l'ai aussi haï pour ce qu'il est devenu.
Kurogane vit les anciens souverains tressaillir, déstabilisés par cette assertion et la dureté du ton de leur fils. Fye savait se montrer diplomate, mais dans certaines situations, il ne mâchait pas ses mots. Le contraste entre sa personnalité enjouée et les moments où il devenait plus grave pouvait décontenancer son interlocuteur, le ninja l'avait appris à ses dépens. Fye se rendit compte qu'il avait jeté un froid et se recomposa rapidement un sourire, puis changea de sujet. Chii et Hideki parurent rassurés, mais Kurogane, lui, n'était pas dupe. Il connaissait le moindre reflet qui passait dans les yeux de Fye, il savait quand ses sourires étaient sincères et quand ils ne l'étaient pas, et en cet instant, il devinait à la manière dont il avait croisé les jambes, à ses gestes exagérés et à son regard légèrement fuyant qu'il ne se sentait plus à son aise. Il faudrait que les anciens souverains s'y fassent, le blond cachait des blessures très profondes et certains sujets ne devaient être abordés qu'avec prudence. Il contourna le feu de camp pour aller nourrir les chevaux, décidé à laisser le mage et ses parents tranquilles, mais la voix claire du blond l'arrêta.
– Ah, Kuro-chan ! Tu es revenu ! Shaolan et Sakura s'exercent toujours ?
– Ouais, je crois.
– Dans ce cas, que dirais-tu d'un entraînement matinal ? Les petits se donnent à fond, il ne faudrait pas qu'on se rouille, nous non plus !
– T'es sûr ? T'es en pleine discussion, je ne veux pas te déranger.
– Mokona va rester avec le roi et la reine ! s'exclama la boule de poils en adressant un clin d'œil à Fye. Mokona est très fort pour faire la conversation !
– Tu es adorable, Moko-chan ! le remercia le mage en lui rendant son clin d'œil. Je vous laisse entre de bonnes … pattes ! ajouta-t-il à l'attention de ses parents.
Le blond bondit sur ses pieds et rejoignit le ninja en quelques enjambées énergiques. Ils s'éloignèrent du campement pour trouver un espace qui conviendrait à un entraînement, et dès qu'ils furent seuls, Kurogane demanda :
– Tu ne voulais pas rester avec eux ?
– Nous aurons le temps de discuter pendant la route.
– Ça t'a mis mal à l'aise de parler d'Ashura ?
Le mage eut un rire amer.
– On ne peut vraiment rien te cacher, Kuro-rin.
Kurogane observa son compagnon : il voyait bien que derrière son sourire, Fye éprouvait encore un certain malaise, et il aurait aimé l'aider, mais il ne voyait pas très bien comment. En général, le tranchant de son épée réglait assez bien les problèmes, mais il savait qu'il ne lui serait pas très utile dans cette situation. Finalement, il n'eut pas besoin de parler, car Fye retrouva son entrain de lui-même.
– Je dois te remercier, Kuro-pi !
– Me remercier ? Pourquoi ?
– Eh bien, je m'enlisais dans cette conversation. Alors, quand j'ai vu passer un beau guerrier aux yeux rouges, tu penses bien que j'ai sauté sur l'occasion pour m'échapper !
– C… crétin !
Pourquoi, à chaque fois que le mage lui sortait ce genre de phrases, il se sentait à la fois heureux et en même temps extrêmement mal à l'aise ? Et pourquoi sa gêne se décuplait quand Fye s'approchait tout près de lui, comme maintenant, avec ce regard espiègle ?
– Et merci pour ton omelette. Elle était très bonne.
Tiens, il s'en était rendu compte, finalement !
– Bah, de rien. J'étais levé avant toi, autant tout préparer.
– C'est gentil à toi d'y avoir pensé. Bon, on s'y met, à cet entraînement ? Ta blessure de grand-père ne te fait plus trop souffrir ?
– De grand-père ? Tu t'es regardé avant de parler ? Je suis sûr qu'en vrai, tu es plus vieux que moi !
– Ah, mais ça, tu n'as rien pour le prouver !
– Est-ce que tu sais au moins quel âge tu as ?
– Je le sais.
– Alors ?
– Je ne peux pas te le dire aussi facilement Kuro-chan, ce serait de la triche !
– Et si je te cogne un peu dessus, tu crois que ça t'aidera à parler ?
– Espèce de brute ! Tu abîmerais mon joli minois ? Ce ne serait pas très sympa !
– Au cas où tu l'aurais oublié, je ne suis pas sympa.
– Dans ce cas, faisons un marché : si tu me bats, je te dirai mon âge.
– Ça me va.
Le duel qui s'ensuivit fut acharné et fit beaucoup de bien aux deux compagnons. Concentrés sur l'attaque et la défense, ils oublièrent pendant une demi-heure les pensées tristes ou angoissantes qui empesaient leur âme. Ils enchaînaient les coups et les parades sans réfléchir, ils se connaissaient par cœur, et quand l'un esquissait un geste d'attaque, l'autre savait presque toujours en prédire la direction. Ils anticipaient les assauts de l'autre, tendaient des pièges, les esquivaient, à tel point qu'ils avaient l'impression de répéter une chorégraphie. Ils se dépensaient physiquement, mais leur esprit, lui, accédait enfin au repos.
Ils étaient si absorbés qu'ils n'entendirent pas Hideki approcher. L'ancien souverain s'arrêta à la lisière de la clairière, et lorsqu'il constata que les deux hommes étaient en plein affrontement, il décida de les laisser terminer. En retrait, il en profita pour les observer : il avait déjà eu l'occasion de les voir se battre contre l'armée qui les avait assaillis à la sortie du palais de Valeria, mais à ce moment-là, il venait de se réveiller de sa captivité et toute son attention se focalisait sur Chii. Il n'avait aperçu son fils que de loin et il avait deviné les lettres bleutées de ses sortilèges, similaires à ceux que sa femme lançait autrefois. Cependant, il ignorait que Fye se débrouillait aussi bien à mains nues. Ses mouvements souples, précis et rapides le rendaient presque insaisissable. Si l'ancien roi avait trouvé son fils un peu mince, il constata qu'il n'en était pas moins musclé et endurant. Fye utilisait beaucoup ses jambes, que ce soit pour attaquer ou se dérober aux coups de son adversaire, et n'employait ses bras que pour parer une attaque frontale. Certes, sa technique aurait paru peu conventionnelle à la cour de Valeria, mais Hideki savait reconnaître un bon combattant quand il en voyait un. Fye était devenu fort, bien plus fort que lui, et une vague d'amertume lui étreignit le cœur : il n'avait plus rien à lui enseigner. Il n'avait pas été auprès de lui quand Fye en aurait eu besoin, et à présent, il était trop tard. Son fils avait déjà tout appris par lui-même, c'était un homme assuré, sans failles, qui n'avait plus besoin de modèle ni d'aide, et surtout pas de celle d'un père médiocre.
La piètre défense dont il avait fait preuve face à leurs assaillants, devant le palais, continuait de le poursuivre. Même si dans sa tête, il avait l'impression que le temps n'avait pas passé, et même si le sortilège qui l'avait retenu prisonnier avait stoppé son vieillissement, son corps était demeuré inactif pendant longtemps. Il avait perdu de nombreux réflexes et lorsqu'il s'était saisi de cette épée pour protéger Chii, il s'était bien rendu compte que ses mouvements étaient devenus plus lents, plus hésitants. Si Kurogane n'était pas intervenu, les soldats n'auraient fait qu'une bouchée de lui et de sa femme. Jamais l'ancien roi n'avait éprouvé un tel sentiment de honte et d'impuissance. Comment se rattraper auprès de Fye s'il se montrait incapable de lutter contre leurs ennemis communs ? Il releva la tête vers la clairière et observa de nouveau les deux adversaires. Kurogane était tout aussi rapide que Fye, mais il insufflait plus de force à ses coups et utilisait davantage ses poings. Si son fils se cambrait et sautait au point de donner la sensation qu'il flottait dans les airs, Kurogane s'ancrait dans la terre pour donner de la stabilité à sa posture. Sa technique différait complètement de celle de Fye, pourtant elle était tout aussi efficace. Hideki ne savait pas grand-chose de ce grand guerrier aux yeux rouges, qui se montrait beaucoup moins bavard que Shaolan et Sakura. Il avait cru comprendre qu'il venait d'une dimension distincte de celle où Fye avait grandi, pourtant, les deux hommes donnaient l'impression se connaître depuis des décennies. Cette manière qu'ils avaient de se battre, comme si chacun d'eux pouvait lire dans les pensées de l'autre … Hideki serra les poings et sans qu'il ne sache d'où elle lui venait, une pointe d'amertume piqua son cœur.
À cet instant, Fye évita un coup de poing de Kurogane, saisit son poignet, le lui tordit et lui fit un croche-pied. Le ninja partit en arrière et Fye l'accompagna de tout son poids pour être sûr qu'il ne se relève pas. Kurogane s'écroula dans la neige et sa tête frappa le sol. Bon sang, le mage n'y était pas allé de main morte … quand il rouvrit les yeux, le blond se tenait au-dessus de lui, son regard bleu étincelant de malice. Il s'inclina vers lui, si près que le ninja sentit quelques mèches blondes lui chatouiller le visage.
– Dommage, Kuro-chan, tu as perdu ta concentration. Tu ne connaîtras pas mon âge aujourd'hui.
– Je te ferai cracher le morceau, à notre prochain duel.
– Oh ? Donc tu as déjà prévu une revanche ?
– Si tu crois que je vais te laisser t'en tirer comme ça, tu te fourres le doigt dans l'œil dans l'œil jusqu'au coude, répondit le ninja avec un sourire de loup.
Fye eut une expression amusée.
– Très bien. On remet ça demain matin ?
– Ça me va.
Le magicien se releva, puis tendit la main à son compagnon pour l'aider à se remettre debout. Ce fut le moment qu'Hideki choisit pour manifester sa présence.
– Oh, père, fit Fye. Je ne t'avais pas entendu arriver. Tout va bien ?
– Oui, oui, tout va bien. Shaolan et Sakura sont revenus de leur entraînement, nous allons pouvoir partir.
– Très bien, on arrive.
Le magicien s'élança le premier et Kurogane le regarda reprendre le chemin du campement aux côtés de son père. Un sourire étira ses lèvres : même s'il avait perdu, ce petit duel contre le magicien l'avait revigoré. La tristesse et le sentiment de solitude qui l'avait saisi un peu plus tôt s'étaient envolés et il se sentait beaucoup plus confiant, tout d'un coup. Le mage faisait face à une situation complexe, mais il ne l'oubliait pas. Il continuait de compter sur lui, même si c'était pour le tirer d'une conversation embarrassante. Le souvenir troublant de son visage, tout près du sien, le fit rougir légèrement et sans qu'il ne s'explique pourquoi, son cœur se mit à battre plus vite. Bon, ce n'était pas tout ça, mais les autres avaient sûrement besoin d'aide pour démonter les tentes ! D'un pas ferme, il rejoignit le campement.
Quand il arriva, Shaolan, Sakura et Fye avaient déjà rangé toutes les peaux de leur yourte, tandis qu'Hideki et Chii désassemblaient la leur. Comme ses compagnons s'en sortaient bien, le ninja se dirigea vers les anciens souverains.
– Vous voulez de l'aide ?
Accroupi, Hideki ne lui répondit pas immédiatement. Kurogane avait remarqué qu'il avait suspendu son geste et que son dos s'était légèrement crispé, sans que le ninja n'en comprenne la raison. Finalement, l'ancien roi lâcha d'une voix neutre, sans se retourner :
– Ça ira, merci.
Kurogane haussa un sourcil : bah, quelle mouche l'avait piqué ? Il était de mauvais poil, tout à coup ? Pourtant, il avait l'air d'aller bien avant que lui et Fye n'aillent s'entraîner. Peut-être voulait-il assumer sa charge de travail comme les autres ? Ou peut-être voulait-il prouver à sa femme qu'il avait conservé toute sa force malgré vingt années de captivité ? Quoiqu'il en soit, Kurogane jugea que cela ne le concernait pas. Il rejoignit donc ses compagnons et les aida à charger leurs affaires, puis, quand tout le monde fut prêt, ils se remirent en selle.
La route fut plus agréable que la veille : le vent avait cessé de souffler et la neige de tomber, rendant la traversée de la lande beaucoup moins pénible. Fye n'eut plus besoin de dédier toute sa concentration à suivre la piste d'Ingvar et il en profita pour échanger avec ses parents. Cette fois, aucun sujet délicat ne vint ternir la conversation et Kurogane constata que le mage se détendait peu à peu. Shaolan et Sakura suivaient en queue de file et s'étaient lancé dans un débriefing de leur entraînement. Kurogane les écouta d'une oreille distraite, songea à se joindre à eux, puis se ravisa : ils avaient l'air bien, tous les deux, il ne ferait sans doute que les gêner.
En fin de journée, ils montèrent leurs yourtes à l'abri d'un énorme rocher qui les abrita du vent et dînèrent dans la bonne humeur. Kurogane remarqua cependant qu'Hideki ne lui adressa pas la parole de la soirée et qu'il évitait soigneusement son regard. L'ancien roi conversait volontiers avec son fil et ses compagnons, mais lui, on aurait dit qu'il ne le voyait pas. Cette attitude laissa le ninja perplexe, et vaguement agacé. Pourquoi se montrait-il si froid, tout à coup ? Il s'efforçait de soigner son expression en sa présence, il ne lui avait pas manqué de respect, alors, alors pourquoi l'ignorait-il ? Si cela n'avait tenu qu'à lui, il lui aurait posé la question directement, mais il ne voulait pas mettre Fye dans l'embarras, alors il se tut. Malgré la bonne ambiance qui animait le repas, il fut presque soulagé quand les anciens souverains se retirèrent dans leur yourte. Shaolan et Sakura allèrent également se coucher, Mokona sur l'épaule de la princesse. Fye se leva pour éteindre le feu, quand il se rendit compte que Kurogane ne bougeait pas.
– Kuro-pon … quelque chose ne va pas ?
Le ninja tressaillit et releva la tête. Il détestait quand le mage s'inquiétait, à fortiori quand il était la cause de cette inquiétude. Fye avait déjà suffisamment d'émotions à gérer depuis qu'il avait retrouvé ses parents, et Kurogane savait que les agissements d'Ingvar le préoccupaient. Son compagnon ne paraissait pas s'être rendu compte du comportement de son père à son égard, et s'il lui en parlait, il ne ferait que le tracasser.
– Non, t'inquiète, ça va. On va se coucher ?
– Oui, je tombe de sommeil.
Le ninja recouvrit le feu de cendres afin de pouvoir le rallumer plus facilement le lendemain matin, puis les deux hommes rejoignirent la chaleur réconfortante de leur yourte. Toutefois, en s'étendant sur sa couche, Kurogane ne parvint pas à se défaire de la sensation de malaise qui lui comprimait la poitrine.
