Bonsoir à tous !
J'espère que vous allez bien depuis la dernière fois :) J'ai un peu tardé pour cette actualisation, mais j'ai eu des semaines chargées dernièrement, je m'en excuse. Je vous avais laissés en plein suspens, Fye et Chii ont disparu, c'est la panique à bord ! Voici donc la suite, je vous laisse découvrir.
Bonne lecture à toutes et à tous !
Chapitre 31 - La magie d'un dieu
Le sang cognait contre les tempes de Kurogane avec force. Fye avait disparu … Fye avait disparu, et sa mère aussi. Que s'était-il passé ? Comment son compagnon et l'ancienne reine avaient-ils pu se volatiliser sans qu'il ne s'en rende compte ? Les avait-on enlevés ? Si oui, pourquoi n'avait-il rien entendu ? S'agirait-il d'Ingvar ? Ce ne pouvait être que lui. Shaolan avait crié pour les avertir d'une attaque, Kurogane pensait donc qu'ils allaient devoir faire face à Gowan, Moira et toute leur clique. Cependant, il comprit en s'approchant du seuil de la caverne qu'il se trompait.
D'abord, il ne vit rien. La nuit gommait la profondeur et dissolvait le paysage dans un bain d'encre de Chine. Cependant, il distingua très nettement, par-dessus le délicat bruit des flocons s'écrasant sur le sol, des centaines de petites pattes se déplaçant sur la neige. Tel un phare dans l'obscurité, la boule de feu de Shaolan éclairait le profil de ses compagnons. Kurogane s'approcha, sabre levé. Au même instant, un éclair pourfendit le ciel et se réverbéra sur la neige. L'étendue blanche décupla l'intensité du flash et Kurogane cilla. Dans la clarté aveuglante, il eut le temps de distinguer les nuages au-dessus de sa tête, si bas qu'ils semblaient sur le point de s'échouer sur la terre, la lande enneigée, et … non, il devait se tromper. Le monde replongea dans les ténèbres et le ninja cligna des yeux. L'éclair avait imprimé en négatif le paysage sur ses rétines, le laissant vaguement étourdi. Avait-il bien vu … ? C'était impossible. Au même moment, une déflagration lui parvint, violente comme l'explosion d'une bombe ; on aurait dit qu'un canon venait de lâcher une bordée dans leur direction. Abasourdi, Kurogane comprit qu'il s'agissait du tonnerre. C'était donc ça, un orage de neige ? C'était vraiment plus impressionnant qu'un orage habituel. Quand la foudre avait éclairé la lande, il était certain d'avoir vu une masse grouillante se presser vers la caverne, une masse dont les membres n'avaient rien d'humain. Ce n'était pas Gowan et Moira qui les attaquaient, c'était autre chose, et cette chose avançait droit vers eux. Au même moment, un nouvel éclair écorcha le ciel et cette fois, Kurogane, Shaolan, Sakura et Hideki les virent distinctement.
Cela ressemblait à des insectes. Des insectes énormes, de la taille d'un poing, dont le corps légèrement translucide et flasque évoquait la tête d'une méduse. Ils luisaient faiblement dans l'obscurité comme des fantômes bleutés et étaient pourvus non pas de pattes, mais de six tentacules souples grâce auxquelles ils se déplaçaient sur la neige à toute vitesse. Ils avançaient groupés, à la façon d'une armée, et leur bataillon devaient compter plusieurs centaines de spécimens.
– Qu'est-ce … qu'est-ce que c'est ? balbutia Sakura, horrifiée.
– Aucune idée, mais ils foncent droit vers nous, dit Shaolan en levant son épée.
Il agita deux doigts en murmurant une incantation et la boule de feu s'élargit en une longue traînée incandescente : la nuit jouait en leur défaveur, ils avaient besoin de lumière pour lutter contre ces choses.
– Votre altesse, restez à l'intérieur de la caverne ! lança-t-il à Hideki. Nous ne connaissons pas les pouvoirs de ces créatures, mais elles sont probablement dangereuses !
L'ancien roi, pétrifié par l'apparence de leurs assaillants, n'eut pas l'idée de répliquer. À peine avait-il reculé d'un pas que les premiers insectes arrivèrent aux abords de la caverne.
– Mokona, mets-toi à l'abri aussi ! dit Sakura à la boule de poils.
– Compris ! Faîtes attention !
Shaolan, la princesse et Kurogane avancèrent hors de la grotte. Les bourrasques de neige les assaillirent avec violence, piquant leur peau comme des centaines de petites aiguilles. Sakura lança son boomerang, son arme siffla et faucha une dizaine de bêtes qui s'effondrèrent comme des poupées de chiffons. Shaolan et Kurogane tranchèrent les créatures qui vinrent à eux : leur corps visqueux retomba sur la neige comme une gelée écrasée à la cuillère. Le ninja fronça les sourcils : il ignorait ce qu'était réellement ces insectes, mais il se les était imaginé plus coriaces. Un simple coup de sabre suffisait donc à les détruire ? Si c'était le cas, ils les vaincraient facilement. Il se préparait à tailler dans la masse quand la princesse poussa un cri d'effroi.
– Re … regardez !
Elle pointait du doigt les insectes qu'ils venaient de couper en deux : les créatures gisaient en morceaux translucides et inertes. À la grande surprise de Kurogane et de Shaolan, les fragments s'agitèrent, reprirent vie et rampèrent les uns vers les autres pour reconstituer un corps. La peau transparente des bêtes se mit à luire et elles reprirent leur marche vers les voyageurs.
– Bordel, c'est comme les soldats d'Ingvar, ils sont increvables ! pesta Kurogane.
Shaolan cilla : comme les soldats d'Ingvar ?... Se pouvait-il que ces créatures soient liées à leur ennemi ?
– Est-ce qu'ils n'auraient pas un point faible, eux-aussi ? émit Sakura.
– Je ne crois pas, répliqua Shaolan, leur corps est trop petit. Nous avons mis en pièces les premiers, s'ils avaient un point faible nous l'aurions touché.
– Alors, comment va-t-on s'en débarrasser ?
Kurogane serra les dents : ils devaient liquider ces horreurs, et vite. Fye avait disparu, ils devaient le retrouver. Comment avait-il pu ne rien entendre ? Il fonça dans le tas et tua les insectes à grands coups de lame, suivis de ses compagnons. Ils devaient continuer à faire le ménage jusqu'à ce qu'ils trouvent un moyen de neutraliser définitivement ces machins. Le ninja réduisit à l'état de gelée tous ceux qui passaient à portée de son arme, quand soudain il en vit un s'accrocher à la jambe droite de Sakura. La petite saleté ouvrit une bouche dans laquelle Kurogane découvrit une rangée de dents pointues et commença à remonter le long de son mollet. Kurogane, qui était trop loin pour aider la jeune fille, cria :
– Sakura ! Sur ta jambe droite !
La princesse baissa la tête et repéra la créature. Elle chercha à la décrocher, mais la bestiole était bien arrimée et réussi à grimper jusqu'à sa nuque. Là, elle enfonça ses dents dans sa chair et Sakura fut brusquement saisi d'un vertige. Elle tituba, eut l'impression que les déflagrations du tonnerre devenaient plus assourdissantes, la nausée la saisit. Elle allait perdre pied quand quelqu'un la rattrapa. La morsure sur son cou se relâcha et elle rouvrit les yeux : l'insecte gisait en morceaux à quelques mètres d'elle et Shaolan la tenait contre lui, inquiet.
– Ça va ?
– Oui, merci …
– Cet insecte t'a fait quelque chose ?
– Je crois … qu'il cherchait à m'injecter un venin.
– Un venin ? Magique ?
– J'ai senti de la magie entrer en moi … il ne faut pas les laisser nous toucher. Je ne sais pas ce que la créature qui m'a mordu comptait faire, mais pendant un instant, je me suis sentie très mal.
Ils reprirent la lutte, repoussèrent les insectes le plus loin possible tout en ayant conscience qu'aussitôt touchées elles se régénéraient. Ils n'étaient que trois mais leurs assaillants avançaient par centaines, et contrairement aux soldats d'Ingvar, les voyageurs n'avaient aucune idée de la façon ils pouvaient se débarrasser d'eux. Plusieurs réussirent à passer à travers leur défense et pénétrèrent dans la grotte où se trouvait Hideki et les trappeurs. Shaolan serra les dents, posa deux doigts sur son épée :
– Raitei Shourai !
Un éclair traversa l'air et foudroya les créatures qui s'étaient aventurées dans la caverne. Leur corps flasque retomba au sol et Shaolan courut vers la grotte pour s'en saisir et les jeter à l'extérieur avant qu'elles ne ressuscitent. Tandis qu'il se penchait, il se rendit compte que les morceaux des insectes ne reprenaient pas vie. Il cligna des yeux, stupéfait. Son sortilège aurait suffi à les neutraliser …? Pourtant, l'attaque spéciale que Kurogane venait de projeter contre vingt insectes n'avait pas suffi à les vaincre, alors pourquoi la sienne aurait-elle un effet différent ? La réponse s'imposa immédiatement à lui.
– La magie ! On peut les tuer avec de la magie !
Ses compagnons écarquillèrent les yeux. Kurogane, lui, jura dans la tempête : cette révélation ne le réjouissait pas du tout. Si ces créatures n'étaient sensibles qu'à la magie, comment allait-il pouvoir aider les petits, lui qui n'avait aucun pouvoir ? À part trancher des bêtes qui se reconstituaient aussitôt, il ne leur serait d'aucune utilité. Si Fye avait été à leurs côtés, il aurait pu les sortir de ce pétrin, mais Fye n'était pas là. Plus que jamais, Kurogane se rendit compte du rôle décisif de leur compagnon dans une bataille. Bon sang, Fye, où es-tu ?
Sakura sortit son dé magique et serra les dents : si ce que Shaolan disait était vrai, alors … elle lança le dé dans les airs.
– Quatre, néant !
Les quatre points du dé libérèrent le sortilège qui ricocha sur toutes les créatures à sa portée. Dans une flambée d'arabesques roses, la magie terrassa les insectes qui se liquéfièrent en poussant un cri aigu.
– Ça marche ! s'exclama Sakura.
Elle récupéra son dé et recula. Shaolan fronça les sourcils : oui, cela marchait, mais à quel prix ? L'utilisation de son dé demandait une énergie conséquente à Sakura, elle s'épuiserait si elle le lançait plusieurs fois ; lui-même doutait de sa capacité à pouvoir invoquer sa magie sans relâche.
– Repliez-vous dans la grotte ! cria-t-il à ses compagnons. Sakura, dès que nous serons à l'intérieur, protège la caverne avec ton dé. Moi, je me cherche d'éliminer ces créatures grâce à mes sortilèges !
Kurogane grogna : ce plan ne lui disait rien qui vaille. Il détestait la fuite et une fois acculés dans cette grotte, ils seraient cernés. Par ailleurs, il ne savait pas comment prêter main-forte au gamin dans ces conditions. Il allait néanmoins s'exécuter quand une lueur attira son regard : il leva la tête et distingua un nuage bleuté un peu plus haut dans la montagne, dans un renfoncement qui ressemblait à une autre caverne. L'orage de neige troublait sa vue, mais ses sens, eux, ne le trompaient pas : ce pouvoir qu'il percevait, c'était celui du mage.
– Fye est là-haut !
– Quoi ? s'écria Shaolan.
– J'en suis sûr ! Je vais le chercher !
– Non, attends, c'est trop dangereux, je viens avec toi !
– Pas question ! Tu es le seul à pouvoir protéger la caverne, tu restes ici !
Shaolan voulut répliquer, mais il savait que Kurogane avait raison. Il le laissa donc prendre la direction de la montagne et lui envoya sa boule de feu.
– Prends-la avec toi !
– Et vous ?
– T'inquiète pas pour nous !
L'adolescent tendit son épée vers le foyer au centre de la grotte et d'un sortilège, il ralluma le feu sur le bois sec. La lumière révéla les centaines d'insectes au seuil de la caverne, prêts à se jeter sur eux. L'adolescent recula avec une grimace et dès qu'il fut à l'abri, Sakura activa son bouclier. Une paroi translucide s'éleva de terre jusqu'au bord supérieur de la grotte. Kurogane se hâta vers la montagne, suivi par la boule de feu magique ; Shaolan pouvait tenir, mais il devait se dépêcher.
Giflé de tous les côtés par les rafales de neige, il tâtonna dans la pénombre avant de trouver le sentier qui s'élevait dans la montagne. Au-delà du halo circulaire que projetait la boule de Shaolan, le monde n'était que néant, un néant piqueté de blanc qui l'empêchait de voir à plus de deux mètres devant lui. Plus il prit de l'altitude, plus l'abysse noir sur sa droite lui parut effrayant. S'il glissait, il ne s'en sortirait pas vivant. Il progressa lentement, afin de repérer les irrégularités du terrain et les virages que prenait le chemin pentu ; il aurait voulu aller plus vite, mais il n'avait pas le choix. Au-dessus de lui, il détectait toujours le pouvoir de Fye. Son aura était faible, étouffée par l'orage, mais bien présente. De temps à autre, des éclairs lézardaient le ciel, éclairant le sentier étroit qu'il suivait et permettant à Kurogane d'anticiper ses mouvements. Le tonnerre bombardait ses oreilles et résonnait jusque dans sa cage thoracique comme les échos d'un marteau divin.
Enfin, le sentier s'aplanit et il parvint à une plateforme naturelle. L'aura de Fye était toute proche. Il plissa les yeux, devina une lueur bleue à quelques mètres devant lui. Il courut dans cette direction, la boule de Shaolan lui révéla les contours d'une grotte et quand il arriva à son seuil, il sentit son sang se glacer : des centaines d'insectes s'y tapissaient, serrés les uns contre les autres comme les cellules d'un immense corps gélatineux. Ils émettaient un halo bleuté qui parvenait jusqu'à ses pieds. Il eut une grimace de dégoût : c'était un véritable nid. Les bestioles qui les avaient attaqués étaient-elles descendues de la montagne ? Avait-il confondu la phosphorescence de leur corps avec l'aura de Fye ? Non, il savait reconnaître la magie de son compagnon, il était forcément proche de lui.
Soudain, des lettres familières traversèrent l'air en sifflant. Kurogane se retourna et devina une silhouette dans la tempête : est-ce que c'était bien … ? Il courut en plissant les yeux et soudain, il le reconnut.
Fye !
Le magicien projetait sans relâche des sortilèges contre les insectes qui l'assaillaient, et le ninja n'aurait su dire si c'étaient les ombres de la nuit qui lui donnaient cette impression, mais le regard de son compagnon lui parut plus impitoyable que d'habitude. Quelle que soit la nature de ces choses, elles suscitaient chez le mage un sentiment d'aversion absolue. À cet instant, Kurogane repéra une deuxième silhouette derrière le mage : Chii ! Bon sang, quel soulagement ! Ils étaient en vie, ils n'avaient pas été enlevés par les sbires d'Ingvar ou attrapés par ces choses répugnantes. Quant à savoir comment ils s'étaient retrouvés ici et pourquoi Fye avait emmené sa mère avec lui tout en sachant qu'elle ne savait pas se battre, Kurogane s'en préoccuperait plus tard. Pour le moment, son compagnon avait besoin d'aide : les insectes qu'il touchait ne se régénéraient pas, mais il affrontait seul des centaines de ces horreurs. Kurogane leva son sabre et fonça dans la mêlée. Fye fit volte-face et ses yeux s'écarquillèrent.
– Kuro-chan !
Pendant une brève seconde, il ne fut plus concentré. Un insecte en profita pour bondir dans son dos, avec une force dont Kurogane ne l'aurait pas cru capable. La créature s'agrippa au manteau du magicien et rampa avec une telle vitesse vers son cou que Fye n'eut pas le temps de mettre la main dessus. Kurogane se tailla un passage au milieu de la masse informe, mais des insectes s'agglutinèrent pour lui barrer le passage. La bestiole qui s'était jetée sur Fye remonta jusqu'à sa nuque et enroula ses tentacules autour de sa gorge. Fye tira de toutes ses forces pour le détacher, en vain. Les tentacules se resserrèrent comme un étau et l'insecte ouvrit la bouche, révélant des dents aussi pointues que la bête qui avait attaqué Sakura. Il les planta dans le cou du magicien, Fye vacilla. Sous les yeux épouvantés de Kurogane, l'insecte profita de son hébétude pour ramollir son corps, liquéfier ses tentacules et il se glisser dans la bouche de Fye. Le mage eut un haut-le-cœur et le ninja espéra de toutes ses forces qu'il allait recracher la créature, mais il n'y parvint pas. Fye tomba à genoux, le corps secoué de spasmes. Le sang de Kurogane ne fit qu'un tour : il balaya tous les insectes devant lui grâce à une attaque spéciale et se fraya un passage jusqu'au magicien.
Son compagnon toussait à en cracher ses poumons, sa main droite crispée sur sa gorge, mais il ne parvenait pas à expulser l'abominable insecte. Chii, les yeux exorbités, adressa un regard affolé à Kurogane.
– Qu'est-ce que … qu'est-ce qu'on doit faire ?!
Kurogane s'agenouilla près du mage, lui tapa d'abord dans le dos, mais rien à faire, la bestiole refusait de sortir. Fye ne réussissait plus à tousser à présent, et il avait de plus en plus de mal à respirer. Kurogane le releva, se plaça derrière lui, passa ses bras autour de son abdomen, serra le poing droit sous son sternum et appuya dessus avec sa main gauche, tout en remontant le poing vers le haut d'un geste sec. Le mage hoqueta, sans recracher l'insecte. Une deuxième fois, sans plus de résultat. Qu'est-ce que cette horreur était en train de lui faire ? Kurogane effectua une troisième compression, en vain. Voulait-elle le tuer ? Fye ne respirait plus. Le cœur du mage battait si fort que Kurogane l'entendait sous ses doigts. Il tenta la manœuvre une quatrième fois, toujours rien. Derrière lui, les insectes qu'il avait déchiquetés revenaient à la charge, entièrement reconstitués. Au même moment, Fye s'évanouit entre ses bras. Kurogane le retint, jeta un œil aux insectes qui avançaient droit vers lui, au visage blême de son compagnon, jura, puis allongea Fye au sol et dégaina son sabre. Il repoussa avec les créatures qui s'approchaient avec rage : il devait parvenir à mobiliser assez d'énergie pour lancer une attaque spéciale, et vite. S'il n'agissait pas, Fye allait …
Tandis qu'il se battait, Chii fixait le corps inerte de son fils, tétanisée. Ce n'était pas possible, ce n'était pas possible. Si même les techniques de Kurogane avaient échoué, que pouvait-elle faire pour sauver Fye ? Une terreur absolue s'empara d'elle, la même terreur que celle qui l'avait saisie vingt ans plus tôt, quand le roi aîné lui avait enlevé ses enfants. Fye, non Yuui allait mourir. Elle allait le perdre, encore une fois, sans pouvoir rien faire à part le regarder s'éteindre. Dans un flash, le corps ensanglanté de Freya lui revint en mémoire, suivi des cris de Fye et de Yuui lorsque les gardes du palais les avaient emmenés. Tout son corps se mit à trembler, des sueurs froides coulèrent le long de son dos, sa tête bourdonna. Elle avait raison, c'était bien la peur qui l'avait empêchée d'agir lorsqu'on lui avait pris ses fils. Cette épouvante qui lui gelait les entrailles, qui ralentissait son cœur et le temps, c'était une sensation abominable. À la peur se superposa la conscience aigüe qu'elle devait faire quelque chose, maintenant, tout de suite, sinon il serait trop tard. Elle releva la tête et distingua la silhouette de Kurogane qui tranchait les insectes les uns après les autres, éclairée par une boule de feu magique. Il ne pouvait pas l'aider, personne ne le pouvait. Elle fixa les traits crispés de Fye, son teint blême, et soudain la peur qui la paralysait se tut. Ou plutôt, elle fut submergée par une émotion plus puissante, une colère ardente, révoltée contre l'inéluctable. Une fraîcheur remonta dans sa poitrine, fourmilla dans ses doigts, s'agita au fond d'elle-même. Une énergie si froide qu'elle en devenait brûlante, si intense qu'elle pouvait sauver ou tuer … Chii fronça les sourcils : enfin, elle était de retour.
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Kurogane repoussait les insectes sans relâche, tout en essayant de concentrer son qi dans son sabre pour lancer une attaque spéciale. Il devait gagner du temps, mettre ces bestioles au tapis et les empêcher de se reformer pour quelques instants. Fye avait besoin de lui, s'il n'intervenait pas la monstruosité qui s'était glissée en lui allait le tuer de l'intérieur.
Et soudain, il la sentit. Cette aura glacée et familière, cette aura qu'il avait l'habitude de détecter à chaque fois que Fye utilisait ses pouvoirs. Mais cette fois, ce n'était pas Fye. Il abaissa sa lame, projeta son attaque spéciale en direction des créatures et se retourna.
Chii se tenait agenouillée près du mage, les yeux clos. Un halo d'un bleu étincelant créait des volutes souples autour de son corps comme une vapeur d'azote liquide. Son aura était si proche de celle de Fye … et en même temps si différente. En observant les arabesques qui se tordaient autour d'elle, Kurogane comprit à quel point Fye contrôlait ses pouvoirs en permanence : son aura, bien que puissante, ne dégageait pas l'énergie brute qui émanait Chii. La mère du mage n'avait pas dû apprendre à maîtriser sa magie aussi bien que son fils, et à présent qu'elle s'en servait à nouveau, le ninja avait l'impression de regarder l'éclat du soleil sans protection. La vision de ce pouvoir souleva en lui une émotion étrange, une fascination proche de la terreur. Chitose ne leur avait pas menti : la magie détenue par Chii et par Fye était bien issue d'un dieu ; une telle énergie ne pouvait pas être d'origine humaine, c'était impossible.
Quand Chii ouvrit les yeux, ses pupilles irradiaient d'un bleu gelé. L'aura autour de son corps s'intensifia et Kurogane recula d'un pas. Cette femme qui lui avait parue si fragile détenait en réalité une force immense, si spectaculaire qu'il se demanda si elle serait en mesure de la contrôler. Chii s'inclina vers Fye avec une douceur dans ses gestes qui contrastait avec la violence de son aura. Elle lui posa sur le mage un regard bienveillant, et pour la première depuis qu'il la connaissait Kurogane eut la sensation de voir une mère se pencher vers son fils.
Chii leva ses mains devant elle : elle avait réussi. Son aura flottait de nouveau librement autour de son corps et sa peur s'était évanouie. Elle ignorait si elle réussirait à sauver Fye, mais elle refusait d'attendre et de laisser la sauvegarde de sa vie à quelqu'un d'autre. Que ce soit Freya, son père, Hideki ou les amis de son fils … elle n'attendrait plus que l'on vienne la secourir, elle préserverait elle-même ce qui comptait le plus à ses yeux. Un dieu ne lui avait-il pas offert une partie de son pouvoir ? Plus que n'importe qui d'autre, n'était-ce pas à elle d'intervenir ? Fye pâlissait à vue d'œil, ses lèvres bleuissaient. Elle leva la main droite, traça des runes sans réfléchir. Les caractères lui vinrent sans effort, sans qu'elle ne sache comment elle les avait appris. Son intuition guidait ses doigts. Dans un éclair de lucidité, elle comprit qu'elle connaissait ce sortilège grâce à Freya : sa jumelle avait toujours su comment soigner les autres, ces runes étaient forcément issues de sa mémoire.
Les yeux écarquillés, Kurogane vit les lettres se déposer sur la poitrine de Fye et illuminer toute sa cage thoracique. Est-ce que ça allait marcher ? Est-ce que Chii pouvait réunir assez de magie pour sauver son compagnon de cette créature abjecte ? Pendant deux petites secondes, il ne se passa rien. La poitrine de Fye continuait de briller, mais il demeura inconscient. Puis, la lueur s'éteignit, et à cet instant, le magicien ouvrit les yeux, se redressa d'un coup en toussant. Par les dieux, il respirait ! Kurogane se précipita vers lui, l'aida à se redresser. Fye se pencha en avant, fut parcouru de spasmes, hoqueta, et enfin il recracha l'immonde insecte qui s'était introduit en lui. Sitôt la créature à l'air libre, Chii tendit une main et des lettres bleutées la pulvérisèrent. La violence de son attaque laissa Kurogane stupéfait : ce sort contenait une froideur implacable qui ressemblait à celle de Fye lorsqu'il s'énervait. Le ninja soutint son compagnon tandis que ce dernier reprenait son souffle.
– Fye, ça va ?
Fye releva la tête et esquissa un faible sourire.
– Kuro-chan … je vais bien, ne t'inquiète pas.
En temps normal, Kurogane aurait rétorqué qu'il ne s'inquiétait pas, mais là, il avait vraiment eu peur. Il ignorait ce qu'étaient ces insectes et ce que comptait faire celui qui s'en était pris à Fye, mais il avait la conviction qu'il n'agissait d'êtres profondément néfastes. Si la mère du mage n'avait pas retrouvé ses pouvoirs, il ignorait ce qu'il aurait fait. Fye se tourna alors vers Chii.
– Merci de m'avoir sauvé … mère.
Elle lui sourit et Kurogane nota qu'elle paraissait beaucoup plus sûre d'elle-même à présent. C'était comme si les peurs qu'elle avait surmontées pour réveiller sa magie lui avait conféré plusieurs années de sagesse d'un seul coup. Derrière eux, les insectes qu'il avait balayés se reconstituaient une nouvelle fois, prêts à attaquer. Kurogane aida Fye à se remettre sur ses pieds et Chii se releva à son tour.
– Est-ce que vous pouvez nous débarrasser de ces trucs ? leur demanda le ninja.
Fye et sa mère échangèrent un regard : si les insectes avaient été moins nombreux, Fye savait qu'il aurait pu s'en charger seul, mais face à une telle nuée et affaibli par l'attaque qu'il venait de subir, il doutait de ses capacités.
– À deux, nous devrions y arriver.
Il se redressa et Chii se plaça à ses côtés.
– Kurogane-san, vous devriez reculer, l'avertit l'ancienne reine.
Le ninja fronça les sourcils, mais voyant que Fye acquiesçait, il s'exécuta. L'aura de son compagnon et de sa mère s'intensifia, le halo gelé autour de leurs corps brilla si fort que la boule de feu de Shaolan ne ressembla plus qu'à une braise mourante à côté d'eux. Kurogane frémit : la puissance qui émanait de ces deux-là était démentielle. C'était une force invisible mais grandissante, une bombe sur le point d'exploser, un raz-de-marée prêt à tout engloutir sur son passage. Le pouvoir le plus brut provenait de Chii, mais Fye n'était pas en reste. Kurogane n'avait ressenti qu'une seule fois un tel déchaînement de puissance chez son compagnon, le jour où ils avaient affrontés Fei Wang Reed. Fye l'avait protégé de l'effondrement des mondes, mais cette fois, c'était différent. Quelle que soit la nature des insectes qui les assaillaient, ils étaient suffisamment dangereux pour que le mage utilise des ressources auxquelles il ne faisait normalement pas appel. Kurogane sentait sa magie croître et le pouvoir de Chii lui répondre dans un écho terrifiant. Ensemble, ils levèrent la main droite et tracèrent des runes devant eux, parfaitement synchronisés. Les lettres s'étirèrent, s'entremêlèrent et donnèrent naissance à une formule plus complexe.
Soudain, comme si toute la foudre du ciel avait été contenue dans ces deux formules, le sortilège explosa. Des éclairs bleutés jaillirent des lettres et se déchaînèrent avec violence, s'entrechoquèrent, se démultiplièrent et retombèrent sur les insectes pour les réduire en cendres. Kurogane, bouche bée, ne pouvait détacher son regard de Fye et de Chii. Les auras autour de leurs corps chatoyaient de mille bleus et libéraient une telle énergie qu'il sentait sa peau le picoter, comme s'il recevait des dizaines de petites décharges électriques. Les yeux de son compagnon et de l'ancienne reine flamboyaient du même bleu, glacial et menaçant. Voilà à quoi aurait ressemblé le pouvoir de Fye si son frère jumeau avait vécu, voilà quel pouvoir convoitait Ingvar lorsqu'il était venu trouver Chii et Freya, réalisa brutalement Kurogane. Voilà quelle puissance désirait utiliser Fei Wang en manipulant Fye. Une énergie titanesque, si puissante qu'elle le prenait aux tripes ; pas étonnant qu'elle ait intéressé des mages avides et malfaisants. Kurogane devinait qu'une telle force, bien utilisée, pouvait protéger des pays entiers, mais il ne put s'empêcher de penser à tous les effets dévastateurs qu'elle pourrait causer si elle était mal employée. Il comprit pourquoi les habitants de Valeria avaient craint les princes jumeaux, car une telle force était tout simplement redoutable. Le cadeau du dieu primordial était bien un privilège et une malédiction.
L'orage gronda au-dessus de sa tête, les nuages s'illuminèrent, mais la puissance du tonnerre lui parut dérisoire en comparaison de la magie qui déferlait devant lui.
Fye et Chii balayèrent tous les insectes de la montagne en une seule fois. Quand l'onde de leur sortilège s'éteignit, la pénombre qui les entoura et la boule de feu de Shaolan parurent irréelles à Kurogane. Fye et Chii reprirent leur souffle, puis se tournèrent vers lui.
– Kuro-chan … tout va bien ?
Le guerrier sursauta, encore sidéré par ce qu'il venait de voir.
– Ouais … ça va. Descendons rejoindre les autres, ils ont besoin d'aide.
Fye et Chii hochèrent la tête et se hâtèrent.
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Shaolan avait expédié plus de deux cents créatures ad patres, mais il en restait presque autant aux portes de la caverne. Jamais il n'avait autant regretté d'avoir négligé le perfectionnement de ses pouvoirs magiques au profit du maniement de son épée. Il aurait voulu détenir plus de puissance pour mieux protéger ses compagnons, mais plus il utilisait à sa magie, plus s'épuisait.
– Shaolan, je vais t'aider ! s'exclama Sakura.
– Non ! Tu as besoin de ton dé pour maintenir le bouclier qui protège l'entrée de la caverne, si tu le reprends pour utiliser un autre sort, ces choses entreront dans la grotte !
La jeune fille serra les dents : Shaolan ne pourrait pas tenir éternellement. Ils avaient besoin d'aide, et vite. Pourvu que Kurogane ait retrouvé Fye !
À cet instant, une série de runes lacéra l'air, désagrégeant deux dizaines d'insectes sur leur passage.
– C'est la magie de Fye ! s'exclama Shaolan.
– Non, fit Mokona en frémissant. Ce n'est pas Fye …
Une silhouette nimbée de lumière entra dans leur champ de vision, trop petite et menue pour être celle d'un homme. Les yeux d'Hideki s'écarquillèrent.
– Chii …
Deux autres personnes la suivaient, et tous reconnurent Fye et Kurogane. Sous les yeux ébahis de leurs compagnons, le mage et sa mère unirent leurs pouvoirs et foudroyèrent les insectes qui se pressaient devant la grotte. Hideki se souvint avec un frisson de son lointain duel contre Tugdual de Laíth. Il se rappela les troncs fumants, la pluie gelée, les corps étendus dans la boue. Il émanait de Chii la même force que lorsqu'elle l'avait défendue contre les trois frères, mais cette fois, le sortilège était plus puissant. Shaolan et Sakura, qui percevaient les auras, fixaient le halo bleuté qui enveloppait le corps de leur ami et de l'ancienne reine : le pouvoir qui émanait d'eux était similaire et impressionnant. Shaolan cilla : il savait que la magie que Clow lui avait léguée était puissante, mais il ignorait que la magie de Fye pouvait atteindre de telles proportions. Mokona, lui, serra ses petites pattes contre son corps : l'énergie qu'il avait perçue lorsque Chii avait lancé son sortilège éveillait en lui la même sensation que lorsqu'il avait téléporté ses amis de Valeria à Tirmeíth. Qu'est-ce que cela signifiait ?
Les éclairs bleutés frappèrent les derniers insectes encore en vie avec la violence de la foudre. Au-dessus de leurs têtes, le tonnerre parut leur répondre, illuminant une dernière fois les nuages de flashs blancs. Puis tout s'éteignit, tout se tut. Le vent glacé cessa de leur gifler le visage, la nuit redevint insondable et muette. Lentement, l'aura de Fye et de Chii reflua, et bientôt, ils n'entendirent plus rien que les flocons de neige qui se déposaient sur le sol.
