Bonsoir à tous !

Me voici de retour avec un nouveau chapitre ! Nos héros continuent de lutter, chacun à leur manière. Je vous laisse découvrir !

Bonne lecture :)


Chapitre 43 - Résolution

Une sensation bienfaisante l'enveloppait dans un cocon de plumes. Sakura resserra ses bras autour de son corps : elle éprouvait un grand apaisement, elle avait presque l'impression de flotter en apesanteur. Le froid ne mordait plus sa chair, le vent ne brûlait plus son visage. Est-ce que tout était fini ? Était-elle déjà passée de l'autre côté ? Son cœur se comprima.

Pardonne-moi, Shaolan, d'être partie avant toi.

Ses yeux étaient clos, mais elle entendait le crépitement serein d'un âtre et percevait une odeur de résine. La douce chaleur se propageait jusqu'à son corps, réchauffait ses pieds et ses mains. Elle ouvrit lentement les yeux : les flammes, d'abord floues, se précisèrent en même temps que la couverture qui la protégeait. Le feu incandescent étirait des langues de lumière sur le sol et faisait danser le cadre de la cheminée sur une toile d'ébène. Sakura cilla et son cœur se mit à battre plus fort.

Je ne suis pas morte.

Elle n'arrivait pas le croire. Elle n'avait pas péri sur cette berge, à la merci des vents du nord. Comment était-ce possible ? Elle essaya de mouvoir ses doigts, ses pieds : ses articulations lui répondirent en grinçant, mais ils bougeaient. Elle se redressa lentement et se rendit compte qu'elle n'était vêtue que d'une simple tunique. Ses vêtements …? Elle parcourut la pièce du regard et ce ne fut qu'à cet instant qu'elle devina une silhouette, dans l'ombre.

– Enfin, tu t'es réveillée …

Cette voix. Sakura sursauta tandis que l'homme, assis contre un mur, sortait de l'obscurité. Elle reconnut immédiatement ce visage mangé par une barbe drue, sillonné de rides, au milieu duquel brillaient deux yeux clairs. Était-ce donc lui qui l'avait trouvée ? Était-elle maintenant prisonnière d'Ingvar, comme Shaolan ? Une bûche prit feu et révéla à la jeune fille des murs couverts de pinces, de marteaux et d'outils métalliques effrayants. Son cœur battit la chamade et des sueurs froides coulaient le long de son dos. Une salle d'interrogatoire ? Était-ce pour cela qu'on lui avait retiré ses vêtements ? Gowan fit un pas un vers elle et elle eut un mouvement de recul.

– Reste calme.

– Je suis votre prisonnière, n'est-ce pas ?

– Je ne te veux aucun mal. Je t'ai trouvée au pied de la forteresse et je t'ai ramenée ici. Personne n'est au courant à part moi.

Sakura observa le général : elle cherchait à déceler le mensonge dans son expression, mais ses yeux ne pouvaient s'empêcher de se poser furtivement vers les outils accrochés aux murs. Gowan le remarqua.

– Ne t'inquiète pas. Ce n'est pas une chambre de torture. Nous sommes dans la forge du château, personne n'y travaille la nuit. C'est le seul endroit que j'ai trouvé pour te réchauffer sans nous faire repérer.

Elle le fixa, suspicieuse.

– Pourquoi m'aidez-vous ?

Ingvar garda le silence pendant quelques instants, le regard sombre.

– Ingvar m'a menti. Il a menti à tous ses soldats. Jamais notre âme ne pourra réintégrer notre corps originel, jamais nous ne retrouverons notre vie d'avant ; le maître n'a pas ce pouvoir. Il nous a trahis, alors, je peux bien le trahir.

Les yeux de Sakura s'écarquillèrent. Gowan, lui, avait reporté son attention sur la cheminée.

– Tu as vu la fosse aux condamnés avec tes amis, n'est-ce pas ? C'est là qu'Ingvar puise les corps dont dans lesquels il implante des âmes volées pour en faire ses pantins. Nombre de ses soldats se sont vus dérober leur âme sans leur consentement. Ingvar leur a promis de replacer leur âme dans leur corps d'origine s'ils le servaient bien, ils étaient contraints de lui obéir. Cependant, certains d'entre nous ont choisi de le suivre de leur plein gré. En échange, Ingvar nous a garanti une récompense ; ce peut être de l'argent, une vengeance personnelle, un peu de pouvoir … je fais partie de ces gens-là. J'ai cédé mon âme à Ingvar, j'ai été promu au rang de général, mais je n'aurais jamais dû l'écouter. Le corps qui se tient devant toi est celui d'un mort ; Ingvar peut rompre le sortilège à tout moment et mon âme ne regagnera pas l'enveloppe charnelle que j'ai laissée derrière moi. Pour moi comme pour tous les autres, c'est fini.

Sakura fixa longuement Gowan, le cœur battant. Les âmes volées par Ingvar ne regagneraient pas leur corps d'origine. Les soldats qu'ils avaient tués avec Shaolan, Kurogane et Fye étaient bel et bien morts, les familles qui attendaient le réveil d'un proche, victime d'un insecte d'Ingvar, ne le verraient jamais ouvrir les yeux. Ceux qui étaient tombés dans le coma à Tírméith resteraient des coquilles vides pour l'éternité. Sa gorge se noua et elle dut se faire violence pour ravaler ses larmes.

– Avez-vous parlé aux autres soldats d'Ingvar ?

– À quoi bon ?

– Si vous vous révoltiez tous ensemble, peut-être pourriez-vous vous opposer à lui ?

Gowan eurent un rire amer.

– Crois-tu vraiment à ce que tu dis, fillette ? Nos âmes sont prisonnières de corps auxquels Ingvar les a liées par un sortilège, il lui suffit d'un battement de cils pour nous réduire à néant. Même à cinq cents, même à mille, nous ne pourrons rien faire.

Sakura baissa les yeux, les poings serrés. À cet instant, des échos de pas et de voix au-dessus de sa tête la firent sursauter.

– Quelqu'un vient !

– Ne t'inquiète pas. Même si, dans cette pièce sans fenêtres, cela ne se voit pas, le soleil vient de se lever. Le quart du matin va relever la garde sur le chemin de ronde. Il va y avoir du mouvement dans la forteresse, nous allons devoir te cacher ailleurs.

Gowan se leva et déclara gravement :

– Les hommes d'Ingvar sont impuissants contre lui, mais, il y a peut-être quelque chose qui puisse encore être sauvé.

– Quoi donc ?

– Tout en haut de la tour ronde de la forteresse, Ingvar conserve des âmes dérobées à des habitants de Dal Gleánn. Elles sont enfermées dans une pièce protégée par une puissante magie. Dans la mesure où Ingvar n'a pas encore implanté ces âmes dans un cadavre, celles-ci pourraient peut-être regagner leur corps d'origine ?

Sakura cilla. Une âme extraite de son corps perdait son enveloppe charnelle, et selon Fye, il était très difficile pour son propriétaire de la réintégrer. Il fallait posséder une grande force psychique pour y parvenir, dont peu de personnes ordinaires étaient dotées. Cependant, une fois placée dans un autre corps, le lien qui reliait l'âme à son premier propriétaire se brisait probablement de manière irrémédiable. En libérant les âmes volées avant leur implantation, peut-être existait-il une chance, même infime, de sauver ces gens ? Qu'aurait dit Fye de tout cela ? Lui aurait-il dit qu'elle se berçait d'illusions, que ces âmes ne retourneraient jamais à leur corps d'origine ? Sakura refusait de s'avouer vaincue. S'il existait une possibilité de sauver ces personnes, elle devait essayer.

– Vous avez raison, il faut absolument les libérer. Pourriez-vous me guider dans la forteresse ?

– Oui, mais approcher la salle où Ingvar enferme les âmes ne sera pas aisé.

– Avant cela, je dois libérer Shaolan. Vous savez où il se trouve, n'est-ce pas ?

Gowan eut un maigre sourire.

– Je savais que tu étais venue pour lui. Tu as du cran, petite.

– Où est-il ?

– Dans l'un des cachots du troisième sous-sol. Ingvar s'en sert comme appât.

– Appât ?

– Pour attirer le magicien et l'ancienne reine de Valeria. Il leur a envoyé un ultimatum : s'ils ne se présentent pas à la forteresse d'ici ce soir, il exécutera Shaolan. Par ailleurs, Ingvar a créé de nouveaux insectes ; il a prévu de les envoyer sur les pays voisins si Fye et sa mère ne se rendent pas à lui.

Sakura sentit son cœur s'accélérer. Un ultimatum ? Un odieux chantage ? Qu'avait pensé Fye en recevant une telle sommation ? Allait-il obéir, et Chii avec lui ? Qu'avaient pu dire Kurogane et Hideki ? Sans doute s'étaient-ils opposés à toute reddition, mais la vie de Shaolan et celles de milliers d'innocents étaient en jeu. Avaient-ils imaginé un plan ? Les mains de Sakura froissèrent sa tunique, son cerveau enchâssa les réflexions à toute vitesse. Quoique ses compagnons décident, ils viendraient forcément à la forteresse, soit pour l'attaquer, soit pour se rendre. Elle devait absolument les aider. Pouvait-elle tenter de les contacter, pour leur montrer qu'elle se trouvait à l'intérieur du repaire de leur ennemi ? Elle comprit aussitôt que cela n'était pas possible : elle ne portait plus les vêtements sur lesquels elle avait étalé la gelée d'insecte qui dissimulait son aura. Si elle faisait usage de ses pouvoirs maintenant, Ingvar la repèrerait immédiatement. D'ailleurs, qu'était devenu son dé magique ? La peur de l'avoir égaré l'envahit brusquement. Elle croisa le regard de Gowan, puis détourna ses yeux.

–Est-ce vous qui m'avez … qui m'avez déshabillée ?

Le général haussa les sourcils.

– Ne rougis pas de cette façon. Tu as l'âge d'être ma fille, je n'aurais eu jamais de telles pensées.

– Ah, euh … tant mieux. Est-ce que dans mes vêtements, vous auriez trouvé un … dé à jouer ?

Sakura releva lentement la tête vers le général. Avait-elle perdu le petit objet dans la mer ? Gowan l'avait-il trouvé ? Allait-il lui mentir ? Garder le dé pour lui ? Au lieu de tout cela, le général farfouilla simplement dans sa poche et tendit la main vers elle : le petit dé y trônait.

– Il est tombé de tes vêtements. Je l'ai tout de suite reconnu, c'est grâce à ce dé que tu as brisé la barrière de vide de Moira, n'est-ce pas ? Vu sa puissance, je me suis dit qu'il valait mieux le garder en lieu sûr.

Sakura soupira de soulagement.

– Merci beaucoup. Ce dé contient des sortilèges qui me sont précieux. Je ne peux pas l'utiliser maintenant, sans quoi Ingvar me repèrerait, mais il existe un moyen de masquer mon aura.

Rapidement, la jeune fille exposa au général la ruse qu'elle avait utilisée pour camoufler son identité magique.

– Pour recourir à mes pouvoirs, j'aurais besoin de gelée d'insecte. Malheureusement, j'ignore si je vais réussir à tuer l'une de ces créatures au sein de la forteresse.

– Avec un seul insecte, aurais-tu suffisamment de matière pour dissimuler ton aura ?

– Oui.

– Dans ce cas, je m'en charge.

– Vous pourriez faire ça ?

Il hocha la tête. Sakura le remercia d'un mouvement de tête, puis se remit à réfléchir : si elle était en mesure d'utiliser ses pouvoirs, elle pourrait contacter Fye et les autres. Ingvar ignorait qu'elle se trouvait dans la forteresse, toute son attention se concentrait sur le magicien et Chii, il était persuadé qu'en retenant Shaolan, Fye se plierait à sa volonté. Elle était l'unique élément dont il ne s'était pas soucié, le grain de sable qui pouvait détraquer son plan. Si elle délivrait Shaolan, et si, ensemble, ils parvenaient à détruire tous les insectes qu'Ingvar avait créés pour les lancer sur Dal Gleánn, ils le priveraient de ses deux moyens de pression. Fye, Kurogane, Chii et Hideki seraient alors libres d'attaquer leur ennemi. Avec Shaolan, elle pourrait se concentrer sur les âmes prisonnières d'Ingvar qui n'avaient pas encore été implantées dans un corps et tenter de les libérer. Cela faisait beaucoup de conditions à remplir, mais rien n'était impossible. Gowan l'observa, le front plissé.

– Tu as un plan ?

– Nous pouvons peut-être arrêter Ingvar.

– Vraiment ?

– Oui.

– Alors, je t'aiderai. Nous ne pouvons pas agir tout de suite, il y a trop mouvement dans la forteresse. Ingvar a concentré la plupart ses effectifs sur les remparts, mais il reste des hommes et des femmes à l'intérieur.

Le général s'approcha de la table du forgeron. Il en saisit un tas de tissu, qu'il lui tendit.

– Voici des vêtements secs. Je les ai choisis parmi ceux des soldats femmes, j'espère qu'ils seront à ta taille. Tes vêtements étaient complètement trempés et gelés, tu ne peux pas les remettre. Par ailleurs, tu dissimuleras plus facilement ton identité si tu portes la même tenue que les combattants d'Ingvar. Je vais sortir et monter la garde pendant que tu te changes.

– Merci.

– Ah, tu portais aussi ceci, liée à ta ceinture. Je l'ai précieusement gardée.

Le général lui tendit une longue épée avec un pompon rouge attachée à sa garde. Sakura s'en saisit avec précaution.

– C'est celle de Shaolan … merci beaucoup. Je vais bientôt pouvoir la lui rendre.

Gowan se détourna, puis avança vers la porte, avant de s'arrêter. Sans se retourner, il demanda :

– Puis-je te poser une question ?

Sakura devina une tension dans sa voix.

– Oui, bien-sûr.

– Avec ta magie, serais-tu capable de replacer une âme dans un corps, ne serait-ce qu'une seule ?

Sakura pinça les lèvres.

– Je suis désolée. J'ai offert une partie de ma magie en échange d'un vœu, et même si je possédais encore tous mes pouvoirs, je serais incapable d'une telle chose.

Les yeux de Gowan se fermèrent, ses sourcils se froncèrent, mais la princesse ne le vit pas.

– Je comprends. Ce n'est pas grave.

Et il referma la porte derrière lui.

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Les chevaux inclinèrent leur tête et lapèrent bruyamment l'eau du fleuve. La gangue de glace qui paralysait le loch se craquelait de toute part en gémissant, libérant des blocs qui glissaient silencieusement sur l'eau. Fye releva la tête et porta son regard vers l'horizon : ils avaient chevauché toute la journée et ils distinguaient maintenant la mer à l'horizon. D'ici une heure, ils auraient atteint la côte. Le vent s'était intensifié, charriant une odeur d'algues et étirant les nuages au-dessus de leurs têtes. Les rafales avaient déchiré leur coton humide, révélant le ciel pour la première fois depuis qu'ils étaient revenus à Valeria. Les rayons tirèrent leurs flèches dorées à travers les trouées grises, dessinant des flammes liquides sur le loch et transformant les montagnes en pics d'ambre. Fye remonta le col de son manteau : ils n'avaient plus beaucoup de temps. Derrière lui, il entendit des pas faire crisser la neige.

– Fye ?

Le magicien releva la tête vers Kurogane : le regard sérieux du guerrier ne laissait transparaître aucune émotion.

– Qu'est-ce qu'il y a ?

– J'aimerais te parler.

– Maintenant ? Nous sommes presque arrivés.

– Oui, maintenant.

Fye fronça les sourcils, mais finit par hocher la tête. Kurogane lança à Chii, Hideki et Mokona :

– On revient.

Les anciens souverains acquiescèrent et le ninja entraîna son compagnon sous le couvert des arbres. Fye, inquiet, observa Kurogane. Allait-il lui dire qu'il ne voulait plus mettre en œuvre leur plan ? Qu'il ne s'en sentait plus capable ? Que c'était trop risqué ? Le magicien avait pris sa décision, il ne souhaitait pas revenir dessus. Mais si Kurogane n'était pas prêt à l'aider, il ne pourrait rien faire.

– Kuro-chan … ?

Le ninja garda le silence, l'entraîna plus loin encore. Lorsqu'ils ne distinguèrent plus la rive du loch, son compagnon s'immobilisa, le lâcha et se retourna. Une sourde gravité éteignait l'éclat de ses yeux, des émotions contradictoires dessinaient des plis sur son front.

– Kuro-chan … ?

Le ninja prit une grande inspiration.

– Je t'ai promis que je t'aiderai à mener ton plan à bien. Je le fais parce que tu me l'as demandé. Je tiendrai parole, mais cela ne veut pas dire que ça me convient.

Fye tressaillit, sentit son cœur se serrer. Il fixa longuement Kurogane, d'abord en silence. Il pinça les lèvres, puis lâcha :

– À moi non plus, ça ne me convient pas. Je préférerais avoir une autre solution, malheureusement, ce n'est pas le cas.

– Et si ça rate ?

Fye détourna les yeux, sentant que l'angoisse qu'il avait réussie à tenir à distance revenait l'assaillir.

– Il n'y a pas que moi qui vais prendre des risques, Kuro-chan. Je ne sais pas comment ton corps réagira, si mon plan fonctionne.

Il sentait le regard du guerrier posé sur lui, aussi aiguisé que le tranchant de son sabre. D'une voix où ne perçait aucune hésitation, son compagnon déclara :

– J'ai donné mon bras droit pour que nous puissions continuer d'être ensemble. Je donnerai le gauche s'il le faut.

Fye serra les poings, toujours sans relever la tête vers Kurogane. Il ne devait surtout pas croiser son regard.

– Tu n'as pas à faire ça pour moi.

– Pourquoi ? Je préfère perdre un bras … que te perdre toi.

Fye sentit son cœur s'accélérer. Je t'en prie, Kurogane, tais-toi … Tout ce qu'il lui disait, le magicien le savait déjà. Lui non plus, il n'avait pas envie de se sacrifier, pas envie que tout s'arrête à la fin de cette journée. Cependant, ils devaient porter secours à Shaolan et empêcher Ingvar de transformer des centaines d'innocents en coquilles vides, dépourvues d'âme. Ils n'avaient pas le choix, ils devaient agir, même si pour cela ils devaient mettre leur vie en jeu. Si seulement ils avaient pu ne pas avoir cette conversation, si seulement Kurogane avait pu ne pas prononcer ces mots qui rappelaient à Fye à quel point il tenait à la vie …

Kurogane se rapprocha de lui, posa une main sur l'un de ses bras. À ce contact, Fye tressaillit. Il avait peur de relever la tête, peur de lire dans le regard de Kurogane toute l'affectation qu'il lui portait, peur de voir sa volonté vaciller. Avant qu'il ne puisse faire un geste, le ninja se pencha vers lui et l'embrassa. Un baiser entier, chaud, brûlant même. Fye savait qu'il aurait dû le repousser, pour leur bien à tous les deux, mais il n'en avait pas la force. De ses bras forts, Kurogane l'avait déjà attiré contre lui. Son étreinte, ferme, empêchait complètement au magicien de se dérober. Il ne veut pas avoir de regret, comprit Fye. Après tout, ils ne s'étaient embrassés que deux fois, et face aux risques qu'ils allaient prendre dans quelques heures, il le comprenait. À cet instant, il sentit l'une des mains de Kurogane dénouer les liens qui fermaient son manteau. La main droite de son compagnon, celle de chair et d'os, se glissa sous le tissu, tandis que sa main gauche, de métal et de cuir, demeurait dans le dos de Fye, pour mieux le plaquer contre lui. Fye sentit les doigts du ninja chercher sa peau, à travers ses vêtements. Le cœur de Fye s'accéléra, et pendant quelques secondes, il hésita à s'abandonner à ses caresses. La main de Kurogane était chaude, et leurs sens, brusquement éveillés. Pourtant, Fye arrêta la main de Kurogane et s'écarta doucement de lui. Le ninja lui adressa un regard surpris.

– Tu ne veux pas ?

Le mage le dévisagea d'un regard limpide, qui livra à Kurogane sa réponse sans que le magicien n'ait besoin de parler. Il ne veut pas avoir de regret, comprit Kurogane. Voilà ce que disaient les yeux de son compagnon.

– Céder maintenant, cela signifierait que nous ne croyons pas en la réussite de notre plan, murmura Fye. Je veux me persuader que nous allons sortir vainqueurs de ce combat, et que nous aurons bien d'autres moments que celui-ci.

Kurogane le fixa longuement. Finalement, il hocha la tête. Un sourire étira les lèvres de Fye.

– Nous allons mettre Ingvar hors d'état de nuire.

Kurogane acquiesça. Fye se rapprocha, déposa un dernier baiser sur ses lèvres, léger comme un flocon de neige. Puis, il reprit le chemin du loch. Kurogane lui emboîta le pas ; le soleil déclinait, ils devaient se hâter. Tandis qu'ils marchaient, leurs mains se frôlèrent, sans jamais se toucher. Ils ignoraient s'ils seraient ensemble le lendemain, mais leurs baisers avaient scellé dans leur cœur une promesse : celle de tout faire pour rester en vie, quoiqu'il arrive.