Bonsoir à toutes et à tous !
Me voici de retour avec un nouveau chapitre : aujourd'hui, un peu d'action au programme ! J'espère que cela vous plaira, n'hésitez pas à me laisser un petit mot sur l'ensemble de l'histoire si le coeur vous en dit.
Bonne lecture :)
Chapitre 45 - Infiltration
Fye et Chii descendirent la falaise sous une bise chargée d'iode. Les bourrasques déposaient sur la roche des embruns qui se transformaient en glace, créant sous leurs pieds une plaque de verglas qui rendait leur progression périlleuse. À maintes reprises, ils chancelèrent et manquèrent de perdre pied. Quand ils atteignirent sur la plage, quatre hommes les attendaient près d'une barque ; Ingvar avait bien pensé à les doter d'une escorte. Ils montèrent dans l'embarcation et les soldats la mirent à flots. Deux s'emparèrent des rames et souquèrent ferme, tandis que les deux autres gardaient un œil sur les prisonniers. Vingt minutes plus tard, ils accostèrent sur l'île d'Ingvar. Dès qu'ils mirent pieds à terre, ils eurent la sensation de passer au travers d'un voile à la fois fin et lourd. Ils venaient de pénétrer dans le périmètre du kekkai qui bloquait l'exercice de toute magie hormis celle d'Ingvar. Fye s'attendait à ce qu'elle soit moins puissante, cela n'allait pas être facile de s'en débarrasser. Il faut dire qu'Ingvar se trouvait tout près d'eux, et non à des kilomètres comme lorsqu'ils pistaient sa trace, ce qui décuplait ses pouvoirs. Le kekkai possédait exactement la même empreinte que celles des insectes dévoreurs d'âmes, un aura froide, engluante et malsaine.
Ils suivirent un chemin pierreux qui les mena du quai d'amarrage à l'entrée de la forteresse. Une tour de guet carrée surmontait le proche d'entrée, gardé par des sentinelles. Des soldats actionnèrent un treuil qui releva deux grilles successives, donnant accès à une première cour. Fye fronça les sourcils : une fois entrés dans cette souricière, il ne pourrait pas ressortir par cette issue. Deux rangées de soldats se déployaient de l'autre côté, tous armés. Chii balaya la cour enneigée du regard : elle ne voyait pas Ingvar ; sans doute les attendait à l'intérieur du donjon. Elle jeta un bref coup à Fye et lut l'acquiescement dans son regard. Ils avancèrent de quelques pas au milieu de l'allée de soldats, Chii précédait Fye, comme ils l'avaient convenu. Quand elle arriva au milieu de la cour, elle laissa traîner un pan de son manteau et marcha volontairement dessus. Elle trébucha et s'écroula dans la neige, provoquant un sursaut général parmi les soldats. Comme un seul homme, ils dégainèrent leurs armes et les pointèrent dans leur direction. Deux d'entre eux s'approchèrent de Chii, épée et hallebarde aux aguets.
– Levez-vous, sans mouvement brusque.
Tous les regards se concentraient sur l'ancienne reine. Fye tapota légèrement son manteau au niveau de son ventre, et dans les plis de ses vêtements, Mokona ouvrit les yeux : c'était le signal.
Le manjuu se laissa silencieusement glisser le long du corps de Fye, arriva au niveau de ses pieds et toucha le sol. Prestement, il s'enfonça sous la neige et se jeta un peu de poudreuse sur le corps. Heureusement que Mokona est tout blanc … Il s'enterra un peu plus. Mokona pourra rajouter le camouflage en zone polaire à ses 108 techniques secrètes. Il entendit Fye se remettre en marche et les lignes des soldats se rompirent. Certains suivirent le magicien et sa mère, d'autres retournèrent surveiller les remparts. Ils pensent que Kurogane et Hideki vont essayer d'attaquer dans la forteresse. Ils ne se doutent pas que nous sommes déjà dans la place ! Profitant de l'agitation générale, Mokona roula sur lui-même, se transformant peu à peu en une grosse boule de neige. Je me demande si Kurogane et Hideki vont avoir le mal de mer …. Il finit par heurter un rempart, mettant fin à sa course. Il agita ses petites pattes et creusa une ouverture au niveau de ses yeux : les hommes d'Ingvar étaient partout. Sur la muraille, près de la cour haute, dans la cour basse. Il devait trouver un endroit plus tranquille. Il repéra une porte à double battant : elle était ouverte, mais peu de gens sortaient. Mokona se remit à rouler en rasant les murs. Cela prenait plus de temps, mais il devait absolument être discret. Il parvint à la porte, jeta un œil à l'intérieur : un pallier conduisait à un escalier qui s'enfonçait sous le château. Une odeur de pain s'élevait des marches, mêlée à des effluves d'oignons. Les cuisines ? Mobilisés comme ils l'étaient, les soldats d'Ingvar ne descendraient pas manger de sitôt. Oui, cela pourrait convenir.
Mokona s'ébroua pour se débarrasser de la neige qui le camouflait et bondit jusqu'au palier. Il s'apprêtait à emprunter les marches, quand des pas résonnèrent plus bas. Le manjuu se réfugia derrière une rangée de tonneaux, le cœur battant. Deux soldats apparurent, équipés de dagues et de lances, et se dirigèrent vers la cour extérieure. Les cuisiniers ? L'ensemble des recrues d'Ingvar savait se battre, en sus de nourrir la garnison, les cuisiniers assumaient probablement des fonctions militaires. Les deux hommes rejoignirent leurs camarades d'un pas vif et entamèrent la discussion. Restait-il des hommes en bas ? Mokona tendit l'oreille : il n'entendait rien. Une odeur de sapin mêlée à des embruns d'alcool agita ses narines. Il releva la tête vers les tonneaux : que contenaient-ils ? Du vin ? Non, dans un pays aussi froid, plutôt de la bière. Il fallait bien qu'Ingvar motive ses troupes. Cette bière serait-elle goûteuse ? Mokona secoua la tête : ce n'était pas le moment de se distraire ! Priant pour ne pas faire de mauvaises rencontres, il s'aventura dans l'escalier. Il parvint au bas des marches sans croiser âme qui vive et se retrouva, comme il l'avait prévu, dans les cuisines. Deux plans de travail s'alignaient face à une imposante cheminée où l'on faisait cuire la nourriture pour l'ensemble de la garnison. Les braises se mourraient dans l'âtre, plongeant la salle dans une semi-obscurité.
Ici, c'est parfait. Mokona ouvrit grand la bouche : des volutes dorées s'en échappèrent, rematérialisant lentement deux silhouettes. Kurogane et Hideki se redressèrent, légèrement étourdis, la main sur la garde de leur arme. Ils se détendirent en constatant qu'ils se trouvaient dans une pièce déserte. Mokona les regarda en souriant.
– Mokona a suivi le plan, nous sommes dans la forteresse !
– Bravo, t'as assuré, le félicita Kurogane. Même si je ne suis pas étonné que tu aies choisi les cuisines pour nous rematérialiser, espèce de goinfre.
– Même pas vrai, d'abord ! Mokona est venu ici parce qu'il n'y avait personne ! Kurogane devrait lui être reconnaissant !
– Immensément reconnaissant, mais ça n'enlève rien au fait que tu es un ventre sur pattes.
– Mokona, as-tu vu où Chii et Fye ont été emmenés ? demanda Hideki.
– Dans la cour haute. Ingvar doit les attendre là-haut.
– J'espère qu'ils s'en sortiront.
Kurogane jeta un œil à l'ancien roi.
– Vous faîtes pas trop de bile pour eux. Leur magie est puissante et nous avons notre part du plan à mettre en œuvre.
– Oui, trouver Shaolan et le libérer, pour qu'il puisse briser le kekkai d'Ingvar et permettre à Fye et Chii d'utiliser leurs pouvoirs.
– C'est ça. Mokona, as-tu vu un autre accès à l'intérieur de la forteresse que celui des cuisines ?
– De l'autre côté de la cour, il y un deuxième escalier. Beaucoup de soldats en entraient et en sortaient, ils mènent peut-être aux cachots.
– Si c'est truffé de soldats, ça risque d'être difficile de passer. On ne doit pas se faire repérer trop tôt, sinon les hommes d'Ingvar vont donner l'alerte.
– Mokona peut vous ravaler et essayer de passer entre les soldats.
– Tu as déjà pris pas mal de risques en nous transportant jusqu'ici, on va se débrouiller autrement.
Les deux hommes remontèrent l'escalier des cuisines, rasèrent les murs du palier et jetèrent un œil prudent vers l'extérieur. Des soldats patrouillaient partout, il était impossible de passer discrètement. Le regard de Kurogane s'arrêta sur deux hommes, tout près de l'endroit où ils se trouvaient.
– Votre altesse, souffla Kurogane. Vous voyez les deux hommes, sur votre droite ?
– Oui.
– On va les attraper, les assommer et leur voler leurs uniformes. Ensuite, nous prendrons l'escalier d'en face pour trouver les cachots.
– D'accord.
Quelques minutes plus tard, leurs cibles gisaient derrière les tonneaux de bières, bâillonnées et dépossédées de leurs uniformes. Revêtus de l'apparence de l'ennemi, Kurogane et Hideki traversèrent la cour en essayant de paraître naturels. Ce qui, songea Kurogane avec rictus, n'était pas chose aisée lorsqu'on mesure plus de deux têtes que la majorité des recrues, ou lorsqu'on est, comme le père de Fye, un ancien roi que certains peuvent reconnaître. Par précaution, Hideki avait dissimulé le bas de son visage sous une écharpe. Heureusement pour eux, le jour déclinait et le fusain bleuté de la nuit estompait les traits de leurs visages. Personne, dans la cour, ne leva la tête à leur passage, pas plus qu'ils n'attirèrent l'attention lorsqu'ils passèrent sous le porche. Après un palier, ils empruntèrent un large escalier qui les conduisit jusqu'à une vaste salle rythmée de voûtes gothiques. Des paillasses jonchaient le sol, des hommes et des femmes aiguisaient le tranchant d'une lame ou la pointe d'une lance.
La salle de repos, songea Kurogane. Il jeta un œil à Hideki : la prison se trouvait sans doute dans cette aile. Ils se remirent en marche, empruntèrent un nouvel escalier qui les conduisit à un couloir qui desservait plusieurs pièces. Aucune d'elle, toutefois, ne ressemblait à une prison. Ils continuèrent, descendirent d'un étage, firent chou blanc, reprirent des escaliers. À chaque étape, ils tâchaient d'hésiter le moins possible afin de ne pas éveiller les soupçons des soldats qu'ils croisaient. Ils s'enfoncèrent dans la forteresse et parvinrent à long couloir dont les portes étaient munies de trappes coulissantes et d'épaisses serrures. Enfin, les prisons ! Dissimulés au mur d'angle, Kurogane et Hideki avisèrent les hommes en poste : six en tout, deux devant des cellules où Ingvar avait peut-être enfermés des subordonnés désobéissants, et quatre concentrés devant une cellule au fond.
– Shaolan est sans doute dans la dernière geôle, souffla Hideki.
– Oui. Six hommes, ça va aller vite.
– Rappelez-vous qu'on ne peut pas les tuer, sinon nous détruiront l'âme volée que leur corps abrite. Cela nous complique la tâche.
– Bien assommés, ils dormiront jusqu'à demain. Le principal, c'est qu'ils n'aient pas le temps de donner l'alerte. Vous êtes prêt ?
Hideki hocha la tête et dégaina son épée, tandis que Kurogane tirait son sabre. Ensemble, ils bondirent de leur cachette et fondirent sur les gardes. Ils virent la stupeur se peindre sur leur visage, mais ils ne leur laissèrent pas le temps de réagir : Kurogane désarma le premier, se glissa derrière lui et lui asséna un coup de coude entre les omoplates. L'homme grogna, se plia en deux et de la garde de son sabre, Kurogane le frappa à la tempe pour l'assommer. Il s'écarta lorsque l'homme s'écroula au sol avec un bruit sourd, puis se dirigea vers les quatre soldats qui surveillaient la cellule de Shaolan.
Derrière lui, Hideki avait croisé le fer contre l'un des gardes. Son épée crissait contre celle de son ennemi. L'ancien roi leva les bras pour parer un coup, exposant son torse. L'autre en profita pour lui envoya un coup de pied, mais l'ancien roi se baissa et le frappa aux genoux. L'homme tomba à terre, Hideki le désarma, puis retourna son épée et se servit de la garde pour frapper son adversaire à la tempe : l'homme s'écroula aussitôt, sonné. Kurogane sourit : l'entraînement qu'il avait dispensé à Hideki portait ses fruits. Les coups du roi étaient propres et précis, lui permettant de se défendre mais aussi d'attaquer, et même s'il manquait encore de force, il pouvait mener un combat. Hideki s'élança contre un second adversaire, tandis que Kurogane assommait son troisième gaillard. À cet instant, Hideki se rendit compte que l'un des hommes se saisissait d'une corne. Par tous les dieux, il allait donner l'alerte ! Il repoussa le soldat contre lequel il se battait, le fit tomber d'un croche-pied et récupéra au passage la lance qu'il portait. L'ancien roi leva l'arme, hésita. Allait-il y arriver ? Il avait appris le maniement de la lance dans sa jeunesse, mais cela remontait à si loin … Il resserra sa main sur la hampe de l'arme, tâcha de calmer les battements de son cœur et visa. D'un geste sûr, il projeta la lance vers l'homme qui allait révéler leur intrusion. La pointe érafla dans son bras, ouvrant une large plaie dans sa chair. Le soldat cria et lâcha la corne. Hideki le rejoignit et lui décocha un coup de poing dans la mâchoire. L'homme grogna, se courba et Hideki l'assomma d'un dernier coup de pied. Lorsqu'il se releva, Kurogane venait de mettre à terre le dernier soldat. Le ninja avisa la lance tâchée du sang qu'Hideki venait d'utiliser.
– Beau lancé, votre altesse. Vous devriez peut-être vous mettre à la lance.
Les deux hommes s'approchèrent de la cellule où Shaolan devait être enfermé. Contrairement à ce qu'ils supposaient, aucune mesure de sécurité ne renforçait la prison. Kurogane se concentra : d'un coup de sabre puissant, il détruisit la serrure. Il se saisit d'une torche qui éclairait le couloir et poussant le battant de la porte. Le faisceau de lumière grandit depuis le seuil de la cellule et leur révéla une pièce.
– On se serait trompés de prison ? dit Hideki.
– Je ne crois pas, déclara Kurogane. Regardez le sol.
Le ninja leva la torche et Hideki remarqua alors des traces écarlates sur le pavé de la prison.
– Du sang …
– Je parie que c'est dans cette cellule que les sbires d'Ingvar ont tabassé le petit.
– Mais alors, il aurait réussi à s'échapper ?
Kurogane pinça les lèvres : Shaolan n'aurait jamais pu sortir de cette prison tout seul, surtout s'il était blessé. En revanche, s'il avait reçu de l'aide …
– La princesse !
– Sakura ?
– Je ne sais pas comment elle a réussi son coup, mais je parie qu'elle se trouve dans la forteresse. Elle a sûrement aidé Shaolan à s'échapper.
– Mais alors, où sont-ils ?
– Bonne question … on va enfermer tous les soldats dans cette geôle et remonter à l'air libre. Il faut les retrouver.
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Au son de la voix de Moira, Shaolan et Sakura s'étaient figés. Ils venaient à peine d'entrer dans la tour où Ingvar enfermait ses insectes que la générale avait interpellé Gowan. Ce dernier leur avait fait signe de continuer à gravir les marches, puis il avait rejoint sa coéquipière et avait réussi à détourner son attention. Shaolan et Sakura avaient compris qu'ils devraient continuer seuls. Ils avaient échangé un regard, puis ils avaient poursuivi leur ascension en silence. Selon Gowan, plusieurs soldats montaient la garde devant la salle où sommeillaient les insectes. Ils devaient s'en débarrasser avant de s'attaquer aux créatures générées par Ingvar, tout en veillant à conserver leurs forces. Ils avaient besoin de toute leur énergie pour utiliser leur magie et éradiquer les insectes. Au bout d'un énième tournant du colimaçon, ils aperçurent un palier, et au bout du couloir, une grande porte à double battant devant laquelle se tenaient quatre hommes. Ils se baissèrent au niveau des marches, pour se cacher de leurs adversaires.
– Ils ne sont que quatre, souffla Shaolan.
– Oui, mais ne peux pas utiliser mon boomerang dans un espace aussi étroit.
– Alors, reste en arrière. Si tu es blessée, tu ne pourras pas recourir à la magie que contient ton dé. J'ai besoin que tu m'aides à tuer les insectes, seul je n'y arriverai pas.
– D'accord. Fais attention.
L'adolescent acquiesça, puis il dégaina son épée. Il jeta un œil au ras des marches : les soldats ne regardaient pas dans leur direction. D'un bond, il s'élança.
Dès qu'il surgit, les quatre hommes se regroupèrent devant la porte, épée et lances pointées vers lui. Ils adoptèrent une formation en losange, avec un premier homme à l'avant, deux autres qui couvraient ses flancs et le dernier derrière eux, près de la porte. Shaolan se baissa pour éviter la lance du premier et en brisa la hampe d'un coup d'épée ; le soldat tenta de le frapper du manche qui lui restait en main, mais Shaolan eut tôt fait de le lui arracher. Il sortit une dague pour poursuivre leur combat, mais avant qu'il n'ait pu s'en servir, Shaolan lui envoya un coup dans le bras. L'homme grogna, lâcha son arme qui tomba à terre avec un bruit de ferraille, et Shaolan le gratifia d'un second coup au visage. L'homme s'écroula, sonné.
L'adolescent eut à peine le temps se retourner pour bloquer la lame d'un autre soldat, tandis qu'un troisième arrivait par derrière, dague tirée. Il pensait que l'adolescent ne pourrait l'atteindre, mais Shaolan était plus souple qu'il ne le paraissait. Tout en maintenant sa riposte contre celui qui lui faisait face, il lança sa jambe droite en arrière et frappa l'homme au niveau de la hanche. La douleur plia en deux le soldat et Shaolan poussa sur ses bras pour repousser son autre adversaire. Ce dernier riposta, l'assaillit de coups d'épées. Shaolan les para les uns après les autres, tout en guettant une ouverture dans sa posture. Dès qu'il la détecta, il s'y engouffra. Hélas, l'homme réussit à bloquer sa lame et lui envoya un coup de poing en plein visage. Shaolan recula, sentant sa pommette enfler et un goût de fer lui emplir la bouche. Ce gars était plus coriace qu'il ne le croyait ! Ingvar choisissait les meilleurs éléments pour surveiller sa réserve d'insectes. Il se remit en position et attaqua à nouveau. C'était sans compter l'homme qu'il avait laissé groggy et qui reprenait ses esprits. L'homme ramassa sa dague et se dirigea vers l'adolescent.
Dissimulée dans l'escalier, Sakura vit avec terreur cet homme avancer vers Shaolan. Si elle ne faisait rien, il serait bientôt pris en tenaille entre les deux soldats. Elle ne pouvait pas utiliser son boomerang dans cet espace, comment venir en aide au jeune homme ? Elle n'avait pas le choix, elle devait se battre à mains nues. Elle bondit des escaliers, courut vers l'homme et sans lui laisser le temps de réfléchir, lui envoya un coup de pied à la tête. Sonné, l'homme lâcha l'arme, et se recogna le crâne en tombant au sol. Cette fois, il ne se relèverait pas avant un moment. Shaolan repoussa la lame du dernier garde, lui faucha les jambes et réussit à le désarmer. D'un coup de pied encore plus puissant que celui de Sakura, il l'assomma net. Il se redressa et adressa un regard reconnaissant à la princesse :
Merci pour ton aide.
Rapidement, ils ligotèrent et de bâillonnèrent les quatre gardes, puis se dirigèrent vers la lourde porte au-delà de laquelle se trouvaient les insectes d'Ingvar. Une barre de bois la fermait, mais il ne s'agissait pas du seul mécanisme de sécurité ; Shaolan passa une main sur la porte et la retira aussitôt en grimaçant. Le seul contact du sortilège lui donnait l'impression d'avoir reçu une décharge électrique.
– Encore un kekkai …
– Avec mon dé, je peux le briser.
– Tu ne dois pas trop utiliser tes pouvoirs, sinon tu n'auras plus de forces pour éliminer les insectes.
– Cela vaut pour toi aussi. Je préfère que tu économises tes forces, tu as été affaibli par les mauvais traitements de Moira, alors que moi, je ne suis pas blessée.
Tu as quand même failli mourir dans cette mer glacée, songea Shaolan, mais il ne répliqua pas. Sakura s'approcha de la porte, sortit le dé de sa poche : elle et Shaolan avaient enduit leurs vêtements de gelée d'insecte, ils pouvaient donc utiliser leurs pouvoirs sans être détectés. Elle lança le dé dans les airs.
– Cinq, clé !
La face du dé à cinq points s'illumina et des filets de lumière se lancèrent à l'assaut de la lourde porte, tandis que d'autres enroulaient la main droite de Sakura. La princesse posa une main au milieu des deux battants et appuya fortement, pour renforcer l'effet du sortilège. Le kekkai d'Ingvar manifesta toute de suite sa résistance, faisant courir dans la main de la jeune fille des picotements de plus en plus douloureux. Elle serra les dents et maintint sa main en position jusqu'à ce que son sortilège fasse effet. Après une demi-minute de lutte, un crissement de serrure se fit entendre et le dé retomba.
– C'est ouvert, dit-elle avec un sourire.
Shaolan dévisagea la jeune fille, dont le front perlait de sueur.
– Ça va ? Tu as déjà utilisé plusieurs fois ta magie aujourd'hui, tu te sens de lutter contre les insectes dévoreurs d'âme ? Nous devons les détruire sans qu'aucun ne s'échappe de la tour.
– Ne t'en fais pas, je vais y arriver.
Ensemble, ils soulevèrent la lourde barre de bois qui bloquait les battants. Ils pénétrèrent dans la salle et refermèrent aussitôt derrière eux.
La pièce était plus vaste que ne le laissait supposer son architecture vue de l'extérieur. Malgré les nombreuses torches qui dansaient le long des murs de pierre, les adolescents peinèrent à distinguer les limites de l'espace dans laquelle ils venaient d'entrer. Leurs yeux s'accoutumèrent peu à peu à la pénombre, les contours se précisèrent. Des niches en forme d'alvéoles tapissaient les murs du sol au plafond, leur donnant l'impression d'avancer au cœur d'une ruche. Des centaines d'yeux blancs s'allumèrent dans les alcôves, nimbés d'une aura d'un bleu phosphorescent. Les insectes ressemblaient à un essaim de larves dans leur cocon, prêts à se métamorphoser en créatures démoniaques. Shaolan fit un pas en avant et quelque chose craqua sous sa botte : des brindilles. Un amas de petites branches et de feuilles mortes jonchaient le sol, et sur ce nid improvisé, d'autres yeux se mirent à briller.
La salle abritait des centaines de créatures, peut-être même un millier si les alvéoles étaient profondes. Shaolan leva son épée tandis que Sakura préparait son dé magique : la nuit allait être longue.
