Bonjour à tous !

Désolée pour cette absence d'update pendant un mois, j'ai encore tardé, gomen, gomen. Me revoici avec la suite ! Aujourd'hui, on continue la baston, alors préparez vos épées et vos sortilèges !

Bonne lecture et merci à tous les lecteurs qui continuent de suivre cette histoire :)


Chapitre 50 - Nuit de combat

À peine Mokona eut-il disparu que les soldats d'Ingvar se relevèrent. Kurogane se mit en position : il n'avait pas le temps de faire dans la dentelle. Il tuerait ceux qui s'approcheraient trop près de lui et il s'ouvrirait un passage pour rejoindre Fye. Genou fendu en avant, il passa à l'attaque. Sa lame rencontra celle d'un soldat, le métal grinça. D'un coup précis, il désarma son adversaire et enfonça son sabre dans sa poitrine, puis repoussa d'un coup de pied une femme qui se jetait sur lui. D'autres hommes avançaient dans sa direction, quand un objet tournoya dans les airs et faucha quatre guerriers. Kurogane se retourna : Sakura rattrapa son boomerang tandis que Shaolan se plaçait derrière, épée levée. Leurs jambes chancelaient encore, mais ces quelques minutes de repos leur avait permis de retrouver l'énergie pour se battre.

– Vous allez tenir le coup ?

– T'en fais pas pour nous ! répondit Shaolan.

– Nous devons rejoindre Fye ! renchérit la princesse.

Ensemble, ils s'élancèrent contre les soldats d'Ingvar.

– Tuez ceux que vous pouvez atteindre ! leur lança Kurogane. Leur point faible se trouve à droite de leur poitrine, en miroir de leur cœur !

Le ninja vit les adolescents tiquer. Si Shaolan se ressaisit rapidement, le dilemme ne disparut pas du regard de Sakura. La princesse ne réussirait pas à tuer ses adversaires, pas en sachant que leur âme ne pourrait jamais regagner leur corps d'origine. Cependant, elle en assomma un grand nombre grâce à son boomerang, ce qui leur ouvrit un passage. Ils avancèrent progressivement vers la porte qui donnait accès à la cour basse. Ils ne se trouvaient plus qu'à quelques mètres de l'arcade, quand un nouveau contingent surgit. Kurogane jura une nouvelle fois tandis que les renforts grossissaient les rangs de leurs ennemis. À leur tête avançaient deux silhouettes que les voyageurs reconnurent aussitôt.

– Gowan ! Moira ! s'exclama Shaolan.

Lorsque Gowan croisa le regard de Shaolan et de Sakura, il ne laissa transparaître aucune émotion. L'adolescent fronça les sourcils : lorsqu'ils s'étaient séparés, le général leur avait assuré de son soutien. Allait-il tenir parole ? Ou bien leur avait-il menti pour mieux les piéger, sachant que les soldats d'Ingvar auraient l'avantage du nombre ? Même Sakura, qui lui avait accordé sa pleine confiance, sentit le doute l'envahir. Moira tira sa rapière, répartit ses hommes. Les guerriers s'avançaient vers les étrangers, quand Gowan se plaça devant eux. De sa hallebarde, il leur barra le passage.

– Arrêtez-vous. Je vous interdis de poursuivre le combat.

D'abord surpris, puis obéissants, les hommes s'immobilisèrent. Moira, stupéfaite, dévisagea son coéquipier.

– Gowan, qu'est-ce que tu fais ? Nous devons relancer l'assaut immédiatement, le maître l'a ordonné.

– Je ne relancerai pas l'assaut.

Les yeux de la jeune femme s'écarquillèrent. Avait-elle bien entendu ? Gowan avait-il perdu l'esprit ? D'un pas ferme, le général s'avança au milieu de ses hommes et les dévisagea. Pas comme une masse, pas comme une somme de subordonnés dont il avait pris l'habitude de nier l'individualité, mais avec attention, en s'attardant sur chaque visage. Pour la première fois, les soldats d'Ingvar eurent la sensation d'être considérés comme des êtres humains, et non plus comme des âmes qui animaient des cadavres-pantins.

– Écoutez-moi tous. Le maître vous a menti. Il nous a tous mentis. Il nous a promis de replacer notre âme dans notre corps d'origine en échange des services que lui rendons, mais cela est faux. Ingvar est incapable de réaliser un tel sortilège.

Les sourcils se haussèrent, des murmures de surprise parcoururent la foule.

– Les insectes sont capables d'extraire une âme d'un corps, mais le maître ne peut l'y réimplanter. Si votre point faible est atteint, votre âme s'échappera de votre corps d'emprunt et errera sans pouvoir réintégrer votre enveloppe charnelle. Au terme d'une période atroce, où vous serez coincés ce monde et l'au-delà, vous finirez par mourir.

Le brouhaha s'accentua, les chuchotements glissèrent de la stupeur à l'effroi. Shaolan et Sakura échangèrent un regard : pourvu que l'intervention de Gowan fonctionne ! Si les soldats cessaient de se battre, ils auraient le champ libre pour rejoindre Fye.

Moira resserra sa prise sur son épée, mais ses mains moites glissaient. Elle entendait son cœur battre sourdement et résonner jusqu'à ses oreilles, comme l'écho sinistre d'un tambour d'exécution.

– Qu'est-ce que tu racontes, Gowan ?

– C'est la vérité. Je l'ai entendu de la bouche même du maître, alors que j'allais lui présenter mon rapport.

– Tu mens. Le maître est le magicien le plus puissant de ce pays, il sait replacer une âme dans un corps.

– Non, il en est incapable.

Autour des généraux, les murmures grossirent, roulant une houle de doutes qui se mua peu à peu en colère.

– Alors … Ingvar nous a menti dans le seul but que nous lui cédions notre âme …

– Le salaud …

– S'il ne peut pas réintégrer notre âme dans notre corps originel, nous sommes prisonniers de notre corps d'emprunt …

– En admettant que l'on arrive à s'échapper d'ici, pourra-t-on vivre toute notre vie dans cette enveloppe charnelle ?

– Si je ne peux pas redevenir celui que j'étais, je n'ai plus de raison de vivre !

– Je ne veux pas de ce corps de cadavre mort depuis des lustres !

– L'ordure …

– On va le crever …

Les soldats s'échauffaient, et si personne ne les arrêtait, il laisserait exploser leur révolte. Moira sentait que la situation lui échappait, que l'obéissance de ses subordonnés se fissurait …

– Calmez-vous, bande d'idiots !

La voix de la générale tonna par-dessus le vacarme des soldats, faisant taire toutes les messes basses.

– Qui vous dit que Gowan n'est pas en train de nous mentir ? Y-a-t-il un seul homme capable de confirmer ses dires, avant de vous énerver ?

– Mais, générale, il a l'air sérieux …

– Quel intérêt aurait-il à nous raconter un tel bobard, si ce n'est pas vrai ? ajouta un autre.

– Son intérêt ? ricana Moira. Il s'est rangé du côté de nos ennemis !

La jeune femme tendit le bras vers Shaolan, Sakura et Kurogane.

– Je me demandais comment la gamine et le guerrier s'étaient introduits ici, et comment Shaolan avait pu s'échapper de sa geôle, mais à présent tout est clair. C'est toi qui les as aidés, n'est-ce pas, Gowan ?

Le regard des soldats se porta sur les intrus, puis sur Gowan, avec une claire interrogation dans les yeux.

– Ils n'auraient pas pu s'introduire dans notre forteresse et forcer nos prisons sans aide extérieure. Tu nous as trahi, reconnais-le !

De nouveaux murmures parcourent la foule, le doute se propagea comme une traînée de poudre. Les hommes dévisagèrent Gowan avec méfiance, et imperceptiblement, ils se rapprochèrent de Moira.

– C'est vrai, reconnut Gowan, j'ai aidé les étrangers à pénétrer dans notre forteresse.

Des exclamations de surprise et d'indignation s'élevèrent des rangs face à lui, les regards devinrent hostiles.

– Si je l'ai fait, c'est parce que je savais qu'Ingvar nous manipule et parce qu'il n'hésitera pas à sacrifier nos vies pour servir ses intérêts. Je vous en conjure, cessez de vous battre ! Si vous arrêtez le combat, peut-être les étrangers trouveront un moyen de replacer nos âmes dans nos corps ! Shaolan, la reine cadette et son fils sont très puissants, ils pourront nous aider !

Shaolan tiqua : Fye leur avait bien dit qu'il serait extrêmement difficile, voire impossible de réintégrer les âmes des victimes dans leur corps originel. Cependant, s'il démentait Gowan, les soldats ne lui accorderaient plus aucun crédit et se jetteraient sur eux.

– Ces étrangers seraient plus puissants que le maître ? cracha un soldat. Je n'en crois pas un mot !

– Vous avez introduit des ennemis dans notre repaire et vous nous demandez de vous faire confiance ?

– Vous n'êtes même pas sûr de leurs pouvoirs ! Vous pensez que nous allons vous suivre ?

– Vous nous mentez pour mieux nous ralentir !

– Moi, je serai fidèle à notre maître !

– À mort les traîtres et les ennemis !

Moira sourit : ses hommes reprenaient du poil de la bête. Sans qu'elle n'ait besoin de donner un seul ordre, ils allaient d'eux-mêmes reprendre le combat. Elle croisa le regard de Gowan et y lut de la déception. Pas de fureur, pas de haine, juste de la déception. Moira sentit la colère bouillir dans ses veines : comment son coéquipier avait-il pu les trahir ? Comment as-tu me trahir, moi ? Comment avait-il pu aider Shaolan à s'évader de sa geôle ? Elle avait bien remarqué un changement dans son comportement, mais elle était loin de se soupçonner la gravité de sa décision. Elle avait cru qu'ils se comprenaient, qu'ils pouvaient s'épauler, mais elle s'était trompée. Pourquoi Gowan avait-il préféré croire les étrangers plutôt que le maître ? Craignait-il que le maître perde contre ses ennemis, se sentait-il trop lâche pour continuer ? Ou bien …

… et s'il disait la vérité ?

Était-il envisageable qu'Ingvar leur ait menti ? Gowan essayait-il de protéger ses hommes ? Elle secoua la tête : non, c'était impossible. Ingvar était le plus puissant de tous les mages, il allait vaincre le prince maudit et venger les décennies de misère qu'avaient enduré les habitants de Valeria. Elle serait grassement payée pour ses faits d'armes et retournerait auprès de son fils pour mener la vie qu'ils méritaient. Elle retrouverait son ancien corps, c'était certain. Elle releva la tête et exalta ses hommes :

– Vous avez tout dit, mes braves ! Nous ne laisserons pas un traître entraver notre route. Tuez les étrangers !

Elle resserra sa main sur sa rapière et adressa un regard chargé de rancœur à son ancien coéquipier.

– Quant à moi, je me charge de Gowan.

Le général leva sa hallebarde, prêt à lutter. Derrière lui, Kurogane, Shaolan et Sakura s'étaient eux- mis en position.

– Je vais retenir Moira, leur dit Gowan. Vous, allez aider votre ami.

– Seul, vous ne tiendrez jamais face à cette armée, d'autant que vos hommes connaissent votre point faible, rétorqua Kurogane.

– Kurogane, j'ai une idée, intervint Shaolan. Si cela marche, tu pourras t'ouvrir un passage et rejoindre Fye.

– Et toi ? Et Sakura ?

– Nous allons rester ici. Gowan nous apporté son aide, nous ne pouvons pas le laisser tomber.

Laisser les gamins seuls ne rassurait guère le ninja. D'un autre côté, il ne pouvait pas non plus laisser Fye se mesurer seul à Ingvar.

– C'est quoi, ton plan ?

En quelques mots, Shaolan lui exposa sa stratégie.

– Ok, je vois le tableau.

Le ninja leva son sabre et rassembla son qi. Les soldats d'Ingvar les avaient déjà encerclés, prêts à passer à l'attaque. Il repoussa ceux qui le gênait, cependant, au lieu de diriger son attaque vers eux, il pivota vers les remparts de la forteresse.

Hama Ryu-o Jin !

L'éclair partit avec fulgurance et frappa la muraille de plein fouet. La pierre se lézarda, les fissures se propagèrent entre les joints de l'appareillage et les premières pierres tombèrent. Tout un pan de mur ne tarda pas à se détacher et s'effondra avec fracas. Un tas de gravats se forma dans la cour, tandis que le reste des pierres basculait dans la mer que l'ouverture venait de révéler. La brèche était ouverte. Kurogane se tourna vers Shaolan :

– Vas-y !

Le jeune homme leva son épée et posa deux doigts sur la lame, qui se nimba d'une texture insaisissable, semblable à un voile de vapeur.

Fuuka shourai !

La vapeur qui tournoyait autour de l'épée se mit à siffler. Sans crier gare, elle se transforma en une bourrasque hurlante. Des vents d'une rare violence balayèrent la cour du château, emportant des soldats dans leur sillage. Certains tentèrent de lutter contre la force des rafales, mais ces dernières les faisaient reculer vers l'ouverture que Kurogane avait percée dans les remparts. Des dizaines de combattants perdirent pied et s'abîmèrent dans la mer. D'autres s'accrochaient aux pierres, essayaient de se réfugier derrière une porte. D'un mouvement sec du poignet, Shaolan généra une nouvelle tempête qui entraîna les plus réfractaires, ne laissant qu'une poignée d'hommes encore debout.

– Kurogane, vas-y !

Le ninja s'élança à travers la cour, repoussant ceux qui tentèrent de lui barrer le passage et franchit la porte qui donnait accès à la partie basse du château.

Moira, furieuse, vit le ninja lui échapper. Shaolan possédait une magie plus redoutable que prévu. À présent que le kekkai du maître avait été détruit, le gamin pouvait utiliser ses pouvoirs à sa guise et les mettait en difficulté. Les trois quarts de ses hommes étaient à l'eau, surnageant dans la mer noire et glacée. Ils survivraient, car leur point faible n'avait pas été touché, mais le temps qu'il regagnent le rivage, elle allait devoir résister avec des effectifs réduits. Elle devait d'abord arrêter ce vent infernal. Saisissant sa rapière, elle invoqua à son tour la magie. Puisque le maître lui avait offert une arme dotée de pouvoirs, autant s'en servir.

– Mettez-vous derrière moi et ne bougez sous aucun prétexte ! ordonna-t-elle à ses hommes.

Une vapeur violette gonfla autour de sa lame et Moira eut l'impression que l'air se dilatait. La barrière de vide apparut et commença à s'élargir. Lorsqu'elle entra en collision avec les vents de Shaolan, des éclairs blancs illuminèrent la nuit. La tempête et le vide luttèrent l'un contre l'autre, le vent roulant contre l'absorption de la barrière. Des crépitements semblables à des décharges électriques claquèrent autour d'eux et illuminèrent les nuages de la nuit, répandant une odeur d'ozone dans l'atmosphère. Shaolan serra les dents : cette maudite barrière provoquait des blessures terribles. Il se rappelait encore comment le pied de Gowan avait explosé après en avoir subi les effets. Comme le serpent gobe sa proie, la barrière s'abattit sur les rafales de vent de jeune homme et dévora sa magie, puis continua sa progression.

– Écartez-vous ! s'écria Gowan.

Shaolan et Sakura s'écartèrent juste à temps pour éviter d'être happés par la puissance du sort. Deux soldats, qui gisaient contre la muraille, n'eurent pas cette chance. Leur corps explosa en morceaux atroces, qui retombèrent au sol dans une mare de sang. Sakura, horrifiée, ne put s'empêcher de détourner les yeux. Moira jura à voix basse : elle venait d'éliminer deux de ses guerriers, quelle idiote ! Enfin, il lui restait encore beaucoup de subordonnés, et ceux qui mourraient au service d'Ingvar retrouvaient leur ancien corps. Ceux qui mourraient au service d'Ingvar retrouvaient leur ancien corps. Elle répéta mentalement la phrase, comme un mantra. Sauf si Gowan a dit la vérité … Elle secoua la tête : elle ne devait pas laisser le doute la submerger, c'était exactement ce qu'attendait Gowan. Le général se remettait en position, les gosses sur ses talons. Moira ordonna aux quelques soldats qui se trouvaient derrière eux de s'occuper de Shaolan et de Sakura. Du coin de l'œil, elle distinguait déjà plusieurs hommes qui se hissaient sur la berge pour leur prêter forte.

Elle n'avait pas encore perdu. Tant pis elle se trompait, tant pis si Gowan avait raison, tant pis si Ingavr leur avait menti. Le maître les avait sans doute manipulés, mais elle ne doutait pas de sa puissance. Si elle survivait, si elle tuait Gowan et les étrangers, elle conserverait sa faveur. Il la récompenserait, comme il le lui avait promis, et elle retournerait auprès de son fils. Peu lui importait de sacrifier des vies, même celle de ses camarades, tant qu'elle obtenait ce qu'elle désirait.

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Sous le ciel opaque d'une nuit sans lune, le village de Tirmeíth s'était transformé en cauchemar. L'infiltration avait été silencieuse et gluante, surprenant les habitants dans leur lit. Plongés dans le sommeil, ils n'avaient pas pu résister aux insectes qui s'étaient glissés dans leur bouche pour pénétrer leur corps et se nourrir de leur âme. Les proches des victimes étaient sorties de chez elle en hurlant, répandant la panique dans les rues. En chemise de nuit, à moitié vêtus, les villageois s'étaient munis d'armes pour repousser les créatures luminescentes, qui s'en prenaient aux enfants comme aux adultes. Ceux qui succombaient à leur attaque s'étouffaient, puis s'évanouissaient, le visage plus livide qu'un cadavre. Ils donnaient l'impression de ne plus respirer et tous ceux qui tentaient de venir en aide aux victimes étaient à leur tour assaillis par un monstre infâme. Les corps inertes jonchaient le pavé et partout résonnaient des cris stridents.

D'un ample mouvement de son bâton, Clef réduisit en gelée une dizaine d'insectes. Derrière lui, d'autres mages anéantissaient les monstres, mais leurs sortilèges manquaient de puissance, ils n'en tuaient que deux ou trois à la fois. Clef fronça les sourcils : Ingvar lançait une attaque massive pour collecter de nouvelles âmes. Pourquoi maintenant ? Que se passait-il à Valeria ? Le roi et la reine cadette allaient-ils bien ? Fye et ses compagnons étaient-ils en danger ? Le contingent d'insectes était-il au complet, ou d'autres allaient-ils débarquer ? La majorité des victimes gisait au sol, mais certaines reprenaient peu à peu connaissance. Elles promenaient autour d'elles un regard dénué de toute émotion, et brusquement, elles devenaient violentes. Se retournant contre leurs proches, elles les agressaient et les affaiblissaient, permettant aux insectes de s'infiltrer dans leur corps. Ces créatures exacerbent les sentiments négatifs de ceux qu'elles possèdent. Elles avaient l'air de choisir leurs proies au hasard, mais ce n'était pas le cas. Elles détectaient les personnes les plus instables psychologiquement, afin de les manipuler à leur guise. Je dois absolument les arrêter, sinon tous les habitants du village vont perdre leur âme …

Clef prit une grande inspiration et traça un sortilège complexe. Les lettres scintillèrent, s'assemblèrent et s'élancèrent vers la masse d'insectes. Le sort se divisa en flèches lumineuses qui transpercèrent plusieurs créatures dans leur course. Leur corps translucide éclata comme des bulles de savons, fondit comme du caoutchouc. Guidées par la volonté de Clef, les flèches poursuivirent les insectes au détour des rues, dans les impasses et jusque dans les maisons. Trente, quarante tombèrent, puis le sort s'évanouit et Clef vacilla. Son souffle s'était raccourci, et seul l'appui de son bâton l'empêcha de tomber à genoux. Le sortilège lui avait demandé une grande quantité d'énergie, pourtant, il ne devait pas ployer. Il restait des dizaines, des centaines de créatures à supprimer, et il était le mage le plus puissant du village. S'il n'était pas en mesure de leur résister, personne ne le pourrait. Il serra les dents et se redressa. Il ne laisserait pas mourir les habitants de ce pays. Il ne voulait plus jamais voir des rues jonchées de cadavres, des hommes cédant à la folie. Il prit son bâton et se prépara à lancer un nouveau sort.

À cet instant, une lumière inonda la rue et une créature ailée, très différente des insectes, apparut dans les airs. Mokona ouvrit la bouche et deux silhouettes enveloppées de clarté se rematérialisèrent sur le pavé. Les yeux de Clef s'écarquillèrent de surprise.

– Vos altesses !

Hideki tira une épée et pourfendit les insectes à sa portée, tandis que Chii créait un sort qui en liquéfia vingt d'un seul coup.

– Que les dieux soient remerciés, vos majestés, vous êtes sains et saufs …

– Où en est la progression des insectes ? lui demanda Hideki.

– Ils ont envahi tout le village, mais nous avons réussi à contenir leur expansion vers la forêt pour éviter qu'ils n'accèdent aux villes voisines.

– Parfait, dit Chii. Nous allons faire en sorte qu'ils ne sortent pas de Tirmeíth. Nous comptons sur votre aide, Clef.

Dans le cœur du mage, l'espoir se ralluma : avec l'aide du roi et de la reine, ils pourraient tenir. Sans qu'il ne sache pourquoi, il se revit jeune, le jour où il avait juré fidélité au grand-père d'Hideki. Il avait choisi de servir de la famille royale de Valeria toute vie. Les fléaux qui avaient frappé son pays l'avaient privé de souverains pendant plus vingt ans, mais aujourd'hui, il allait de nouveau pouvoir se battre à leurs côtés, et cette perspective le remplit d'une immense fierté. Il agita son bâton et généra un sortilège.

Hideki repéra des insectes qui encerclaient un groupe de villageois : il s'élança et les mit en pièce.

– Sauvez-vous ! lança-t-il à la famille.

Il n'était pas magicien, il savait que les créatures ne tarderaient pas à se reconstituer, sauf si un sort les détruisait. Derrière lui, Chii était occupée à éradiquer d'autres insectes. Les villageois s'éloignèrent, mais Hideki remarqua que la femme que la plus âgée du groupe, sans doute la grand-mère, lui lança un regard perçant. À cet instant, l'un des enfants qu'elle tenait par la main trébucha. Derrière eux, un insecte avait déjà recouvré sa forme initiale et rampait vers le petit, toutes dents dehors. Hideki le taillada de trois coups d'épée. Il releva l'enfant et le poussa vers sa famille :

– Reste avec ta grand-mère et tes parents !

Le gamin hocha la tête et courut vers les siens. Hideki se redressa, prêt à transformer en gelée tous les insectes qui approcheraient. Il n'eut cependant pas besoin de le faire, car un éclair bleuté traversa la nuit : le sort de Chii foudroya les créatures en chaîne.

– Les villageois vont bien ? lui lança-t-elle en le rejoignant.

– Oui !

À cet instant, la grand-mère qui avait scruté Hideki balbutia :

– Vous … je vous reconnais. Vous êtes le roi et la reine cadette de Valeria !

Les membres de sa famille l'observèrent avec surprise, puis tournèrent leurs regards vers le couple.

– Qu'est-ce que tu racontes, maman ? demanda celui qui semblait être le père de famille.

– Cet homme et cette femme … ce sont les derniers souverains de Valeria.

– C'est impossible, ils sont morts il y a vingt ans.

– Je suis sûre que ce sont eux. La femme a les yeux bleus, comme les princes jumeaux.

– Les princes maudits ?

– Maudits ? intervint le petit garçon. Pourtant, ces gens nous ont sauvés …

Hideki avala sa salive : ces gens étaient d'anciens habitants de Valeria. Allaient-ils croire qu'ils leur voulaient du mal ? Allaient-ils penser qu'ils étaient responsables de l'invasion d'insectes ? Il resserra sa main sur la garde de son épée : un roi ne se pose pas ce genre de question. Il ne recherche pas son propre bien, mais celui de son peuple. Il devait protéger ces gens, quoi qu'il arrive. Des insectes s'étaient massés autour d'eux, une salive avide luisant sur leurs dents blanches. Trente autres s'agglutinèrent dans une rue perpendiculaire, en direction d'un groupe de villageois terrifiés.

– Hideki, souffla Chii. Ensemble.

– D'accord.

La jeune femme traça des runes, tandis que son mari s'élançait vers les créatures. Utilisant les coups précis que Kurogane lui avait appris, le roi cadet réduisit en gelée toutes insectes ; le sortilège de Chii s'abattit sur les masses informes avant qu'elles ne reprennent vie, les transformant en flaques phosphorescentes. Le temps qu'elle invoque un second sort, Hideki avait bifurqué vers le second groupement d'insectes, qu'il coupa, trancha, lacéra. Les runes foudroyèrent les corps morcelés, anéantissant la magie d'Ingvar. En moins de deux minutes, ils venaient de détruire près de quatre-vingt insectes. Stupéfait, le père de famille les observa se remettre en route pour tuer les insectes encore en vie.

– Cet homme et cette femme … ils nous ont protégés …

– Papa ? Tu crois que ce sont vraiment le roi et la reine dont parle mamie ?

L'homme ne sut que répondre.