Chapitre 402 : City of Flowers
Les cloches sonnent douze coups. Je m'attends à le voir se sauver mais pas du tout !...
"Qu'aimeriez-vous manger ?..."
"Vous... m'invitez ?"
"A votre avis ? Allons, dites-moi ce qui vous ferait plaisir." prévenant.
"Hmm... si nous dégustions un sandwich sur la rive ?"
"Que voilà une excellente idée."
Nous sommes installées en contrebas, serviette sur les cuisses, mordant à belles dents dans le pain croustillant d'un fameux jambon-beurre-fromage.
Un navire passe.
"Il transporte du blé, celui-ci."
"Vous êtes à l'école depuis longtemps ?"
"Cela fera ma troisième année."
"Et vous vous y plaisez ?"
"Beaucoup."
Je vois. Il ne se raconte pas facilement, ce garçon !... Bouclé à double-tour !...
"Vous y avez des amis ?..."
"Des camarades pour choisir le terme. Je ne me lie pas aisément."
"Sans blague ?..." taquine.
Il me donne sacrément envie de le décortiquer, celui-là !...
"J'imagine que vous ne m'expliquerez pas pourquoi votre aura crépite ainsi..."
"Certainement pas !..." amusé.
"Vous me laissez l'imaginer. Même si je fais fausse route."
"Cela vous regarde, après tout."
Je siffle. "Le roi de l'esquive !..."
Il essuie délicatement sa bouche - sa bouche, mon dieu... pour laquelle je commence à nourrir une véritable fixation !... Lèvres finement dessinées, rangées de dents blanches impeccablement alignées. Miam miam !... Et s'il n'y avait que la bouche... ses mains... ses mains sont de pures merveilles !... Les doigts sont aussi longs que finement dessinés, sans être osseux. La main dans son ensemble est fine et très agréable à la vue.
"Je serai plutôt adepte du frontal." dis-je.
"Cela m'arrive aussi. Notamment lorsque j'ai un message agressif à faire passer. Cela, vous l'avez expérimenté." sur un petit rire bref. "Mais en ce qui concerne le privé, cela reste... privé."
"Bouclé à double-tour. Comme c'est regrettable."
Il place les mains derrière lui, bras tendus, profitant du soleil printanier.
"Ceci dit, vous êtes tout à fait libre de me parler de vous. Qui vous a enseigné votre art, par exemple ?"
"Un... dissident."
"Vraiment ?"
"Aux idées non-conventionnelles, cela va de soi."
"Vous me semblez, en effet, beaucoup apprécier ce qui sort du lot."
"Touchée." souriante. "Oh, je ne vous ai pas dit : je vais rester un peu dans la cité. Mon père arrive avec la troupe jeudi."
"La... troupe ?..."
"Oui, nous sommes forains."
"Oh." à la fois surpris et choqué.
"Et il emmènera mon fils."
"Votre... fils ?..." de plus en plus désarçonné.
Je ris. "Il a quatre pattes, des crins immaculés et un hennissement fort nerveux." pouffant devant sa tête.
Il sourit. "Eh bien... je vais de surprise en surprise avec vous."
"Vous viendrez y faire un tour lorsque nous serons installés ?..."
"Je... ne fréquente généralement pas ce genre de... manifestation."
"Vous étiez pourtant bien au festival !..."
"Notre école y était conviée. Il s'agissait d'une obligation."
"Oh, dans ce cas je demanderai à mon père de vous faire délivrer une invitation personnelle, s'il n'y a que cela !..."
"Vous n'abandonnez jamais, n'est-ce pas ?..."
"Ce n'est guère dans mon caractère, en effet."
Petit sourire, avance la bouche jusqu'à mon oreille. "Trait de caractère que j'apprécie."
Le chaud me monte instantanément au corps.
"Avez-vous un toit où dormir ?..." revenant à des choses plus pragmatiques.
"Vous allez me proposer le gîte et le couvert ?"
"Notre école est vaste."
"C'est gentil mais quelques festivaliers m'ont proposé de partager leur campement."
"Plus à gauche, Henri." donnant les indications pour monter le manège. Il faut un jour et demi !... Le montage est minutieux.
Chaque bête de bois possède un nom d'étoile. Je les reconnais tous aux différents crins naturels de leurs queues.
"Bonjour Sirius, tu as fait bon voyage, mon tout beau ?..." caressant le nez en bois.
Le plus délicat demeure l'installation de l'orgue plus que centenaire. Le papier supporte très mal l'humidité autant que la sécheresse. Sa conservation demeure un véritable casse-tête pour mon père. Et son orgue, il y tient !...
La vieille machine nous fait parfois tourner en bourrique durant près d'une demi-journée entière pour redémarrer !...
Par contre, même s'il fonctionne à l'électrique, son moteur vapeur est toujours fonctionnel.
Un bijou de mécanique et d'artisanat.
Quand l'orgue ne veut pas, mon père dit que "Madame a ses humeurs !..." et le prend avec philosophie.
Pour ma part, j'espère bientôt y revoir celui après qui mon cœur soupire. J'ai cependant la joie de revoir mon cher Na'ir et il a conservé son petit caractère impétueux !...
La nuit tombée, le carrousel est illuminé et cela lui confère un air d'autant plus féérique.
"C'est vrai qu'il est magnifique."
Je me retourne, surprise.
Il mord à pleines dents dans une gaufre. "Tu en veux une ? Elles sont succulentes." m'engageant au tutoiement.
"Je ne te savais point gourmand." amusée, croisant les bras.
"Ah, tu vois que tu commences à découvrir des choses bien pires que le crépitement de mon aura." reprenant mon terme, visage amusé.
"Tu m'emmènes faire un tour ?" lui désignant le manège du menton.
"Hmm. Attends, laisse-moi deviner : tu montes toujours sur un cheval. Jamais dans l'une des calèches ?"
"Exact. La calèche, à part basculer d'avant en arrière..."
Il rit. "C'est vrai que les chevaux, à part monter et descendre..."
"Raaah !" le frappant sur l'avant-bras.
"Ah, attention ! Immunité présidentielle !..." s'amusant comme un petit fou.
Je reporte mon attention. "Alors... lequel vais-je monter ce soir ?... Altaïr me semble en pleine forme."
"Tu leurs as donné des... noms ?" n'en revenant pas.
"Mais oui !..."
Il secoue la tête, yeux au ciel, finissant par rire, gaufre terminée. "Bon, je te suis."
Presque instinctivement, je l'attrape par la main - God !... elles sont immensément longues et fines.
Il bloque un moment avant de sourire et me suivre.
L'orgue joue "Wien bleibt Wien(*)."
Je monte en amazone pour le fun.
Lui y grimpe à califourchon. "Et le mien, comment s'appelle-t-il ?"
"Antarès."
"Ah. La géante rouge." souriant.
"Hey, tu t'y connais en astronomie !..."
"Quelques bases." modeste.
Nous commençons à tourner.
"Vous avez des écuries, à l'école ?"
"Bien sûr."
Mon air le fait rire, y débusquant la pensée.
"Tu veux les visiter ?"
"Tu poses la question ?"
"Très bien, je nous programmerai ça."
"Tu montes ?"
"Mais oui. J'ai même un cheval attitré."
"Noooon ?..." allant de surprise en surprise.
"Je ne vois pas ce qu'il y a de surprenant. La chasse et l'équitation sont deux valeurs très chères à notre école."
Étant tournée vers lui, je profite pleinement de la vue imprenable sur son corps.
"Si je te présente papa, tu vas prendre tes jambes à ton cou ?"
"Ce serait... d'une impolitesse !..."
"Et mon fils piaffe de te rencontrer également."
"Décidément. La famille au grand complet !..." amusé.
"Papa ?"
"Hmm ?" occupé à quelques réglages, finissant par se retourner, essuyant ses mains souillées de cambouis.
"Je te présente..."
"Rollo Flamm." avançant la main avant de réaliser l'état de saleté des mains de mon père et de reprendre son geste.
"Désolé. Le manège est ancien et se grippe souvent. Enchanté, mon garçon. Vous êtes un ami de ma fille ?"
"En quelque sorte."
"Elle se lie facilement. Sa mère avait la même capacité." sur un petit rire presque triste.
Puis nous visitons Na'ir.
"Gamin ?..."
Il se retourne, nerveux et s'approche de la porte du box, y faisant dépasser sa belle tête fine.
"Hmm. Quelle bête somptueuse." avançant la main pour une caresse.
Na'ir recule.
"Ah non, non. Jamais le premier soir." riais-je.
Rollo me fixe, finissant par rire.
Na'ir frappe la porte.
"Tu attendras demain pour la balade, désolé, gamin."
Il souffle, contrarié, ne supportant guère l'enfermement, tournant et s'agitant dans le box exigu.
"Il est magnifique. Les Arabes ont beaucoup de sang et il ne semble pas faire exception à la règle. Aucune difficulté pour le monter ?..." s'inquiétant.
"Disons que c'est chute garantie une fois sur deux."
Il cligne, finissant par esquisser un petit sourire. "Pas froid aux yeux, uh ?"
"Nous nous connaissons. Les Arabes... réputés pour ne jamais reculer devant l'ennemi !..."
"Ils sont, en effet, à l'origine de nombreuses victoires sur le champ de bataille. La monture fait tout, effectivement." souriant.
"Ça va, tu ne t'ennuies pas ?"
Il me fixe, finissant par sourire. "Je passe une excellente soirée."
(*) "Vienne reste Vienne" de Johann Schrammel
