Note : Bonjour !

En cette fin d'octobre, un nouveau chapitre et plutôt long, ma foi. On a bien un chapitre plus léger dans l'ensemble comme je l'avais annoncé précédemment, j'espère que ça vous plaira !

J'oublie toujours d'en parler et je me dis que ce serait bien de le faire parce que la plupart de mes lecteurs actuels suivent surtout ce projet, mais SOS a une soeur en termes de fiction A/B/O sur DGM, Honeymoon, qui traite de thèmes similaires dans un univers post-apo avec une touche plus sombre et une sexualité plus présente, bien que ce soit progressif. Hésitez pas à y jeter un oeil si l'envie vous prend. Mon petit doigt me dit qu'il y aura un nouveau chapitre prochainement. ;)

Bonne lecture !


Partie 2

La surprise frappa Kanda quand Lavi se ramena comme une fleur à la salle de méditation, ce matin.

Pour être franc, il avait cru à une blague, que le rouquin venait le faire chier à six heures tapantes parce que l'occasion de le faire en journée ne lui suffisait pas. Rude de sa part de tirer une telle conclusion, et Kanda n'étant pas si imperméable que ça au langage corporel d'autrui, ni à leurs expressions faciales, il avait pigé très vite que ça n'allait pas. Lavi avait la larme à l'œil, qu'il refoulait tant bien que mal. Il avait déjà dû chialer, le dessous de sa paupière étant tout rougis. Se retrouver devant Lenalee dans un tel état ne l'aurait pas choqué. Le Baka Usagi... c'était différent.

Lavi bredouillait une excuse, arguant que Kanda était le seul réveillé à cette heure et qu'il avait besoin de compagnie — autre que son grand-père. Il n'avait pas oublié de lui souhaiter un bon anniversaire, ce qui avait tiré un grognement à Kanda. Contrairement à ce que Lavi semblait croire, vu comme il le dévisageait avec un petit mouvement de tête sur le côté, comme s'il était prêt à partir, Kanda ne l'envoya pas chier — il lui avait prié de se mettre à table, au lieu de faire durer le suspense. Lavi avait ri. Puis il avait parlé.

Kanda connaissait Lavi quand il était sérieux, qu'il ne déconnait pas le moins du monde. Ça lui arrivait tous les trente-six alignement des planètes du système solaire. C'était un de ces jours.

« Mec, je suis désolé de mettre les pieds dans le plat. C'est sérieux, d'accord ? » Kanda avait froncé les sourcils, et Lavi se lançait : « Quand t'as fait ton rêve partagé avec Allen, qu'est-ce qui était différent d'un rêve normal ? »

Kanda ne fut pas surpris qu'il soit au courant. Allen s'en était rendu malade. Pour le coup, Kanda ne le blâmait pas d'avoir eu besoin de réconfort à ce sujet avec ses amis. Il aurait quand même bien crié à Lavi d'aller se faire foutre. Venir le voir aujourd'hui pour parler de ça... Sa colère s'était évanouie quand ses larmes devinrent proches de déborder. Une crue saturée, pensa-t-il avec ironie. Qu'est-ce qui lui arrive, à ce con ?

Lavi ne faisait pas ça pour le faire enrager. Soupçonneux, il n'avait pas pu s'empêcher s'interroger. Il aurait pu en parler avec Moyashi, il était son meilleur pote, pas Kanda. À ces mots, Lavi avait baissé la tête, tripotant son cache-œil. "Je veux pas emmerder Allen, il a assez à gérer de son côté. Puis, tu sais ce que ça lui a fait..." Kanda jugeait en effet sage de ne pas réveiller le traumatisme chez Allen. Il s'était toutefois demandé si Lavi faisait allusion à des choses qu'il ne savait pas concernant ses angoisses. Certes, il était le réceptacle du Quatorzième et il paniquait à propos de ses chaleurs, être un oméga n'était pas facile pour lui. En ce moment, il paraissait pourtant aller plutôt bien, hormis sa récente grippe. Lavi parlait comme si quelque chose d'actuel lui pesait.

Qu'importe, Kanda s'était dit qu'il creuserait la question plus tard.

Il était pas le meilleur des amis. Il avait pas envie de commencer à servir de bureau des pleurs à tout le monde, il n'avait ni assez d'empathie ni de patience. Les trois autres essayaient de l'inclure dans leur amitié, Kanda le voyait bien. Lenalee et Lavi en profitaient pour se rapprocher de lui — ils partageaient déjà un lien amical tacite, mais pas comme ça. Ça le soûlait que ça induise ce genre d'échanges. Connaissant Lavi, il se confiait sûrement car il sentait qu'il n'avait pas le choix. Rien à faire, ça contrariait Kanda d'avoir ce crétin dans sa salle de méditation.

Alors pourquoi il lui disait pas de dégager ? Pourquoi sa détresse le touchait ? Merde.

Kanda avait reniflé de manière dubitative, pensant aussi à l'information qui aurait dû le frapper en premier lieu... Allen avait raison, il avait tendance à prendre le train en retard.

« De quoi tu me parles, avec ta tronche paniquée ? T'es lié, toi ? »

Lavi avait baissé la tête, les mains serrées entre elles, n'osant pas le regarder. L'envie de chialer qui montait, visible à sa poitrine qui se soulevait. Merde, Kanda parvenait à la sentir. Lavi se mettait à puer l'oméga. Bordel de merde… Ça n'avait rien à voir avec les odeurs du sien, mais ce qui planait fit reculer Kanda. Le mouvement fut assez distinct pour que Lavi le remarque et affecte un air blessé.

Ils passèrent à autre chose.

« Oui, je le suis. Et c'est pas mon seul problème, comme tu le vois. J'ai besoin que tu répondes à ma question. S'il te plaît. Kanda, je t'en prie. »

Lavi l'avait jamais supplié pour quoique ce soit. Et pour une fois, il insistait pas pour l'appeler par son prénom.

Kanda avait soupiré.

Il céda. Il était pas un connard fini, il laisserait pas Lavi dans la merde. Fait chier, il passait trop de temps avec Moyashi, il se mettait aussi à penser aux sentiments des autres maintenant.

« J'saurai pas trop te dire. J'ai pas vu la différence tout de suite. Pas tant que ça, du moins. »

En plongeant une expression désespérée dans la sienne, un soupir malheureux lui échappant, Lavi voulut qu'il développe.

« Ça semblait plus réel. Pas la latence habituelle des rêves. » Kanda s'était corrigé. « Y en avait qu'un peu, c'est pour ça que je m'y étais cru. »

Sous-entendu, ça choquait pas tant que ça. Ça aurait quand même dû lui mettre la puce à l'oreille que Moyashi soit prêt à écarter les cuisses dans la salle de méditation, alors qu'il paniquait quelques semaines auparavant, lui déclarant qu'il ne se sentait finalement pas capable de coucher avec lui pendant ses prochaines chaleurs. Kanda avait pas hâte que ça recommence, loin de là.

Ces saloperies les mettraient à l'épreuve.

« Et au réveil ? »

Kanda avait croisé les bras sur sa poitrine, se braquant par réflexe. Le rêve était du domaine de l'intime. Il voulait pas en parler avec Lavi.

« T'es pas obligé d'entrer dans les détails, » le rouquin avait eu la décence de rougir, aussi, Kanda devina qu'il avait peut-être fait le même type de rencontre nocturne, « je veux juste savoir si t'avais toujours l'impression d'y être, ce genre de conneries, si t'as eu du mal à te situer... Tu vois.

—C'était un peu ça, ouais. »

Lavi n'eut pas l'air de trouver que c'était assez, aussi, cherchant dans les méandres de sa mémoire, Kanda s'était concentré pour être plus précis.

« Disons que je ressentais tout comme si le rêve s'était produit pour de vrai. Comme un rêve réaliste, mais en pire. J'ai besoin d'en dire plus, ou t'as pigé ?

—J'ai pigé, t'énerve pas. »

Kanda ne dirait rien d'autre, ne voulant pas employer des mots trop révélateurs, mais c'était carrément comme s'il était encore en Allen. Il n'avait pas joui dans le vide en imaginant l'étroitesse de l'oméga : il l'avait ressenti. La pensée le rendit mal à l'aise, parce que le souvenir était bien trop alléchant. Il n'avait pas envie de penser à Allen comme ça, alors que celui-ci ne l'avait pas du tout vécu comme quelque chose de positif. Kanda n'aimait toujours pas l'idée que leurs esprits leur jouent de tels tours. La trouille d'en dire plus à Allen que ce qu'il souhaitait vraiment, et pas seulement sur la question mièvre des sentiments, ne le quittait pas. Dieu merci, ça ne s'était pas reproduit.

Est-ce que ça recommencerait un jour ? Il se posait la question sérieusement. Link n'avait pas été foutu de leur dire exactement pourquoi ça arrivait. Personne n'en savait rien.

Lavi avait hoché la tête pendant que Kanda réfléchissait.

« Ça ressemble à ce qui m'est arrivé. Bordel, je suis foutu... »

Kanda avait encore froncé les sourcils.

« C'est qui, pour que t'en fasses une jaunisse ? Lenalee, peut-être ? T'as peur que Komui te bute ? »

Lavi nia, son menton se secouant, ne riant même pas à la tentative d'humour suffisamment rare chez Kanda pour être remarquée.

« C'est pas elle, non. J'aurais bien aimé, ça m'aurait facilité la vie.

—Si tu me dis que c'est Luberrier, je dégueule. »

De ce que Kanda savait, cet enfoiré avait une femme et un enfant. Religieux comme Luberrier l'était, cette union devait forcément être le fruit d'un lien. Heureusement pour Lavi, ça ne risquait donc pas. Cette fois, l'archiviste avait ri. Puis, bientôt une grimace de dégoût peinte sur le visage, il avait secoué la tête. Il y avait eu un silence.

Kanda avait compris qu'il n'épiloguerait pas. Il n'obtiendrait pas de réponse. Alors il s'était remis à méditer. Ça ne le regardait pas, après tout, il n'allait pas en demander davantage. Il n'avait même pas si envie que ça de savoir. Lavi ne chercha pas à relancer le sujet non plus. Il avait eu ce qu'il voulait. Adoptant un silence de cathédrale, le rouquin avait pris la même position que lui et s'était mis à l'imiter. Leurs deux respiration paisibles n'avaient nullement dérangé l'épéiste. Il lui avait trouvé enfin un bon côté comparé à Lenalee et Allen. Lenalee avait toujours du mal à fermer sa gueule quand elle se pointait, Allen prenait la méditation pour une séance de câlineries. Lavi avait été droit au but et s'était tenu peinard. Kanda lui en avait été reconnaissant, d'autant qu'il avait tenu deux heures complètes sans l'ouvrir.

Vers huit heures, un peu avant qu'ils rejoignent le réfectoire les amenant à l'humiliation publique de Lavi, le rouquin lui avait souri. Il avait rien fait de casse-couille ; aucune tentative de lui poser la main sur l'épaule, ni de l'étreindre ou de dire quoique ce soit, juste ce sourire amical qui n'amenait pas à la réponse.

Kanda avait eu un faible hochement de tête en guise d'assentiment.

Ils semblaient bien partis pour enterrer la hache de guerre, tous les deux.

« Faut qu'on se dépêche, » avait souligné Lavi, « j'crois qu'on m'attend avec impatience. »

Le petit clin d'œil qui lui fut adressé ne fut pas innocent. Kanda n'eut pas idée, sur le moment, de ce qu'il avait en tête — maintenant, il se disait que c'était sûrement leur fête. La suite des événements prouva en effet qu'il était attendu, sans doute pas comme il l'aurait souhaité.

Kanda n'avait pas été surpris qu'Allen et Lenalee s'interrogent. Il s'en était pas mêlé, Lavi leur raconterait son problème s'il en avait envie, en attendant, ça lui avait fait un peu de bien de discuter avec les deux autres, et de voir qu'Allen et lui réagissaient comme avant. Kanda se rendait compte qu'il avait craint que les choses changent entre eux. Ils avaient beau s'être parlé il y a deux jours, ça avait été hésitant, un embarras flottait, un malaise encore perceptible. Leur discussion n'avait pas été facile, pour des raisons différentes pour Allen et lui. Cette difficulté aurait pu tout chambouler. Ça s'était tassé. En avisant son grand soulagement, Kanda se rendait compte d'à quel point il tenait à Allen pour que des conneries pareilles l'atteignent autant. Il se sentait mieux, et si con, car ils savaient où ils en étaient. Arrêter de l'aimer serait inhumain, mais Kanda avait déjà fait des choses inhumaines. Il tiendrait le coup.

Ronger son frein dans le vide ne servirait à rien, de toute manière. Il était pas le genre à se complaire dans les lamentations. Il se contenterait de son amitié. Il n'y avait rien de si surprenant à ce qu'il soit content de ne pas la perdre. Leur relation en l'état lui convenait. Pour lui, qu'elle perdure était le primordial.

À 14 heures, il se rendit à la grande porte pour attendre les autres couillons. Kanda avouait qu'il était touché de les trouver tous si motivé pour lui, bien qu'il n'en aurait rien dit à haute-voix. Fierté oblige. Puis, il en connaissait un ou deux qui auraient trop fait les fiers. La bande était au complet, Lavi manifestement toujours sur pied. Le vieux panda ne l'avait donc pas transformé en civet. Allen lui adressa un sourire lorsqu'il le vit, s'avançant à sa hauteur tandis que Lenalee et Lavi discutaient entre eux.

« On a décidé d'aller en ville. Je pense qu'on a assez soupé de la forêt lors de la dernière mission, t'en penses quoi ? »

Sur un geste entendu, Kanda montra qu'il n'était pas en désaccord avec Allen.

« Tant que tu disparais pas à la recherche de la première bestiole venue, le taquina-t-il.

—Rien ne dit qu'il y a pas d'Akumas parmi la foule. J'essaierai de ne pas te distancer, t'inquiète. »

Kanda gronda alors qu'Allen lui adressa un clin d'œil rieur. Ils en plaisantaient, mais ça pouvait tout à fait arriver. Ils avaient tous leur armes sur eux, des Exorcistes ne sortaient jamais sans. Ils se rapprochèrent de Lenalee et Lavi. Une fois que le gardien leur déverrouilla la porte, le rouquin fut le premier à pousser ses lourds battants, aidé par la jeune fille. La lumière pénétra dans le hall, déferlant devant leurs yeux en une vague chaude. Il faisait bon, le mois de juin de cette année serait clément. Le quatuor de fortune avança sur la plateforme extérieure. Lavi s'étira, un sourire aux lèvres. Lenalee remit ses cheveux en place, elle aussi satisfaite du bain de soleil auquel ils avaient droit avec sa nuque qui pivotait en arrière, pour mieux recevoir la chaleur sur ses joues. Il y avait un peu de vent, pile assez pour que la température ne soit pas étouffante ou trop fraîche.

Derrière eux, le mécanisme accomplit sa besogne, l'accès au bâtiment se fermant de lui-même. La grande serrure émit un cliquetis grave. Lavi eut une moue.

« Il aurait pu faire ça avant qu'on pousse... C'était lourd... »

Il pleurnichait dans le vide. Lenalee haussa les épaules. Le contrôle de la sortie depuis l'enceinte de l'Ordre se faisait souvent manuellement. À contrario, l'ouverture depuis l'extérieur et la fermeture étaient automatique, une fois que l'Android 65 ainsi que les gardiens l'avaient approuvé. Ça évitait que quelque chose rentre à leur suite, au cas où ils auraient été trop lent à fermer et que la sécurité ne réagissait pas assez vite. L'isolement du nouveau quartier général sur une île constituait une assurance de discrétion. On n'était jamais trop prudent, surtout pas avec ce qui leur était arrivé la dernière fois. Tous avaient soufferts de voir leur ancien QG détruit.

Le passage n'était de toute façon pas trop récurrent, par ici. Le gros des départs, lorsqu'ils partaient se battre, s'effectuaient par la forêt. Pour le reste, la Congrégation de l'Ombre étant une institution aussi militaire que religieuse, ils avaient droit comme à l'armée à une sortie par semaine en public hors mission, deux si approuvés par un supérieur. Lenalee avait réussi à négocier avec son frère pour aujourd'hui. Elle n'y parviendrait pas à chaque fois. Luberrier songeait à restreindre la possibilité aux circonstances exceptionnelles — uniquement réservé à la logistique et aux missions de recherches. Un anniversaire ne serait pas un prétexte valable.

Ils empruntèrent une petite barque mise à disposition sur le quai pour rejoindre la côte, Kanda encore en débat avec lui-même quant à savoir s'il avait bien fait d'accepter. Les rassemblements sociaux, même en petit comité, n'étaient pas son truc. Sa présence tenait plus de l'envie de faire plaisir à Allen et Lenalee qu'autre chose. Le constat l'agaça ; ce n'était pas quelque chose qui aurait eu une emprise sur lui avant. Tout comme un Lavi larmoyant. La barque tanguait au grès du courant. Lenalee, Allen et Lavi discutaient, le rouquin ramant et jouant à éclabousser les deux autres. Dans sa reconnaissance pour ce matin, il évitait de le viser lui.

L'œil que Kanda posait sur eux était dubitatif. On aurait dit une bande de gamins. Ils n'insistaient pas pour l'inclure dans leur échange, ils riaient entre eux. Cette place en retrait lui convenait. Allen se leva, se penchant en voulant pousser Lavi dans le dos, ne tenant uniquement par la pointe de sa botte qui, bien entendu, glissa. Il fit quelques mouvements dans l'air pour éviter de tomber. Il aurait peut-être recouvré son équilibre si la barque n'avait pas commencé à l'imiter. Kanda s'agrippa au bord, jugeant l'oméga. Ce couillon allait tous les renverser...

Lenalee et Lavi voulurent aider Allen à se stabiliser, lui intimant de ne pas gesticuler, mais bien évidemment, le maudit n'en fit rien. Il finit par glisser en arrière, son corps sur le point de rencontrer l'eau froide de la mer. Kanda le réceptionna par les hanches, Allen sursautant lorsqu'il se sentit être amené à s'asseoir à côté de lui.

Il s'en était fallu de peu avant qu'il ne finisse à la flotte.

« Voilà ce qui se passe quand on joue aux cons. Ça vous apprendra. »

Kanda croisa les bras, leur lançant à tous un lourd regard tandis qu'Allen rougissait de honte.

« T'es vraiment pas sympa, Bakanda, bougonna-t-il. On a bien le droit de s'amuser, un peu de bienveillance ne serait pas trop demandée.

—Je t'ai empêché de tomber, je te ferai dire. »

Kanda crut l'entendre murmurer un 'merci' sec. Il pouvait sentir à son essence émotive qu'il était bel et bien vexé. Lenalee mit une main sur l'épaule d'Allen et de Lavi.

« Il a raison. La berge n'est plus très loin, tenons-nous tranquille. Ce serait dommage de finir à l'eau.

—C'est pas évident pour nous, ça, tu sais..., plaisanta Lavi.

—Parle donc pour toi. »

Lenalee plissa les yeux en riant. Ils savaient tous que des trois, Lavi était celui qui avait le plus de mal à s'arrêter. Derrière Allen — bougonnant toujours dans sa barbe —, qui n'en menait pas large non plus sous l'influence du premier et son propre machiavélisme fort développé. Kanda renifla. Ils faisaient déjà les andouilles et la journée était loin d'être terminée. Il n'en était pas surpris. Au fond, c'était bien qu'ils s'amusent, ça ne leur arrivait à tous pas si souvent que ça. Kanda trouverait quand même moins drôle de repêcher du Moyashi tombé à la flotte. Ils n'auraient qu'à faire les imbéciles sur la terre ferme.

Il fallut une bonne quinzaine de minutes pour rejoindre Londres. Ils accostèrent prudemment, Allen revenant dans de bonnes dispositions. Il demanda à Kanda où il voulait aller, Lenalee et Lavi tournant un œil dans sa direction pour entendre sa réponse. Tandis que Lavi finissait d'attacher la barque, Kanda haussa les épaules. Il s'en foutait un peu. Quand il avisait la foule bigarrée et hétéroclite qui déambulait sur le port dans un empressement à coller du stress à un moine, imaginant sans aucun mal que le centre-ville n'était pas moins fréquenté, sa motivation baissait à vue d'œil.

« On a qu'à se promener et voir ce qu'on rencontre, proposa Allen. Ça te va, Kanda ? »

Le susnommé opina. Allen eut un sourire léger. Kanda ne put s'empêcher de l'observer plus longuement qu'il ne l'aurait dû, le mouvement de ses lèvres fines l'attirant. Le soleil donnait quelques reflets brillants à ses cheveux, ses joues étaient un peu roses avec la douce chaleur. Ou bien ça, c'était parce que leurs regards venaient de se croiser. Kanda détourna le sien, peu désireux de l'embarrasser par sa stupidité. Il entreprit d'avancer à la suite de Lavi. Cette expression joyeuse sur le visage d'Allen le rendait beau. Ce n'était pas la première fois qu'il se faisait cette réflexion. Depuis quand ses sentiments pour Allen avaient changé ? S'il les avait admis récemment, ce n'était pas venu du jour au lendemain.

Kanda se mordit la joue. Ça ne l'avancerait à rien de le savoir. C'était difficile maintenant qu'il y pensait, mais il fallait mettre tout ça entre parenthèse. En se focalisant sur autre chose, pour commencer.

« Je m'attendais pas à ce que tu sois là, glissa-t-il à Lavi. Le vieux Bookman était furax. J'ai cru qu'il te laisserait pas sortir. »

Lavi haussa les sourcils à l'entente de sa voix, tirant sur son bandeau qui remontait dans sa chevelure. Il eut un mouvement d'épaules.

« Ben, écoute, Papy m'a bien engueulé, mais on a trouvé un compromis. » Lui décochant une expression rieuse, Lavi passa un bras autour de ses épaules. « J'aurais pas loupé l'anniversaire de mon cher Yûyû, tu sais !

—Tu peux pas t'empêcher de me gonfler, » soupira Kanda en le repoussant.

Il eut quand même un petit sourire — plutôt las, avouons-le. Les paroles de Lavi trahissaient un fond de sincérité.

« J'te taquine, tu sais. Et tu t'énerves à chaque fois, c'est pour ça que je continue.

—On dirait que je m'énerve pas assez, ouais. »

Kanda secoua la tête, sarcastique. Lavi eut un geste d'épaules, une petite grimace en coin, se donnant l'air de réfléchir.

« Hm, je dirai que ça va, tu as pas besoin d'en rajouter. C'est juste que je suis un peu dur d'oreille. J'y peux rien. »

Cette fois, Kanda eut un bref rire franc. Quand il le voulait, cet idiot était drôle. Derrière eux, Allen et Lenalee s'étaient mis à marcher en direction de l'étalage d'un homme qui vendait des beignets faits maison. L'odeur parvint à son nez. Trop sucré pour lui, il pouvait déjà s'en rendre compte rien qu'à ce qui lui chatouillait les narines. Lavi lui donna un coup de coude.

« Rejoignons-les avant qu'ils ne disparaissent. Ces deux-là ont deux secondes d'attention, des fois.

—Et c'est toi qui dis ça, le lapin crétin ? »

Le rouquin ignora sa boutade. Il dépassa une demoiselle dans une élégante robe violette, qu'il détailla soigneusement des pieds à la tête. Ce type ne perdait jamais le nord. Levant les yeux au ciel, Kanda perça la foule à son tour. Il ne fut pas étonné qu'ils commandent tous trois au stand, Allen optant pour deux portions. Kanda le scrutant, le maudit plaida en se grattant l'arrière du crâne qu'il n'en prenait pas plus pour ne pas dépenser tout son argent. Ça causa un éclat de rire à Lenalee et Lavi. Allen ne s'en vexa pas, bien vite subjugué par son beignet débordant de sucre qu'il prit entre ses mains gantées. Il l'engloutit d'une traite, réservant le même sort à son frère. Le sucre et la graisse brillèrent à côté de sa bouche.

Lenalee se moqua de ses joues scintillantes tout en croquant dans le sien avec précaution. Allen s'essuya précipitamment, haussant les épaules — il avait faim, c'est tout. Lavi déclara qu'il le comprenait, c'était délicieux. Il proposa à Kanda de goûter, ce que ce dernier refusa. Manger quelque chose comme ça l'aurait dégoûté de tout aliment pour trois journées. Ça puait le gras.

« J'en prendrais bien un autre, » chuchota Allen en mettant son index au coin de ses lèvres, en pleine réflexion avec lui-même.

Kanda soupira intérieurement. Moyashi aurait fait fondre un iceberg. Preuve étant, ça marchait sur lui. Il mit la main dans sa poche, trouvant deux cents qui trainaient avec un petit papier où il avait dû noter une connerie il y a quelques temps, et les lui tendit.

« Je te l'avance, si tu veux. »

Allen parut surpris. Il eut une moue, la lèvre pincée, levant les mains devant la sienne.

« J'ai pas dit ça pour faire l'aumône, hein... Il me reste l'argent. C'est que si je vois autre chose, je ne les aurais plus.

—T'auras qu'à me rembourser plus tard, alors. »

Secouant la tête, Allen hésita. Kanda lui montrait toujours les pièces, le blandin n'ayant pas baissé les bras.

« Enfin, c'est très gentil de ta part, mais je préfère pas... En plus, c'est pas à toi de m'offrir quelque chose...

—C'est que deux cents, Moyashi.

—C'est quand même de l'argent ! » rougit Allen, s'emportant. « Et ça se gagne pas facilement, Bakanda ! »

Le maudit croisa les bras sur sa poitrine, Kanda ayant un soupir audible cette fois. Il savait qu'Allen n'avait pas toujours roulé sur l'or, ce qui expliquait la parcimonie avec laquelle il choisissait ses dépenses — parfois impulsives quand il s'agissait de bouffe. Il gagnait péniblement quelques pièces en aidant aux cuisines et en arnaquant certains Traqueurs au poker. Sans que ce soit foncièrement négatif, l'argent semblait important pour lui. Kanda ne voulait pas l'embarrasser en l'endettant auprès de lui. Il rangea sa main sans changer d'expression.

« Oh, allez, accepte, fit Lenalee. Connaissant Kanda, il ne te proposera pas ça tout le temps. »

Kanda sentit son front se plisser.

« Dis que je suis radin, aussi.

—Du tout, sourit la jeune fille, mais je pense pas que t'aies décidé d'investir tes économies dans l'estomac d'Allen non plus. T'en aurais pas assez. »

Ils rirent tous, même Kanda, tandis que le maudit marmonna qu'ils exagéraient. Le silence retombant, Allen dirigea finalement la main vers Kanda, le visage toujours aussi rougi.

« Hm… Je veux bien. Merci, Kanda. »

Le kendoka hocha la tête. Allen commanda son autre beignet, qu'il mangea tout en ayant du mal à décoller son regard de celui de l'alpha. Cela irrita Kanda, il n'y avait pas besoin d'être si gêné pour une friandise de rien du tout. Avec une réaction pareille, qu'est-ce que ce serait s'il lui offrait un réel cadeau ? Allen était ridicule. Mais mignon, quoiqu'il en dise. Kanda passa vite à autre chose que sa constatation qui l'était tout aussi, le groupe se mettant en marche vers le centre-ville.

Sur les murs, de grandes affiches pour un cirque étaient placardées, la représentation du jour s'opérerait dans quelques minutes. Ils furent d'accord pour y aller. Kanda n'était pas friand de ce genre de performances, pour être honnête, il n'y avait assisté qu'une fois ou deux au cours de sa vie quand Daisya et Marie l'y avaient trainé. Allen, curieux de la qualité des animations proposées, convainquit pourtant tout le monde. Kanda s'inclinait pour cette option plutôt que celle de flâner aux quatre vents et courir les boutiques avec une foule de gens. Il serait seulement assis avec, ce serait un plus. Il n'aurait pas été contre trouver un parc pour se détendre. Ils pourraient toujours faire ça plus tard.

Il était néanmoins interloqué. Étant donné que, d'à ce que Kanda savait, la vie au cirque d'Allen n'avait pas été de tout repos, l'enthousiasme avec lequel il prêchait pour le spectacle à venir le laissait perplexe. À sa place, Kanda n'était pas sûr qu'il aurait su être emballé par le fait d'y retourner, même dans des circonstances différentes. C'était une des forces d'Allen, de trouver du positif dans les mauvais moments là où il le pouvait. Kanda se souvint que pendant ses chaleurs, lorsqu'ils en avaient parlé, Allen déclarait qu'il appréciait de se déguiser en clown. Sarcastique, le kendoka avait balancé que ça lui allait bien. Ils s'étaient disputés.

Ça le fit sourire. Il ressentait une sorte de nostalgie fugace. Étrange.

« J'espère qu'il reste des places ! » s'exclama le blandin, soufflant d'impatience. « À la dernière minute, si on a pas de chance, il faudra se rabattre sur autre chose. »

Allen sentait extrêmement bon aujourd'hui. Il était détendu. De temps à autre, pourtant, une petite pointe d'anxiété lui montait aux narines. Kanda n'y faisait pas plus attention que ça. Ça pouvait être une erreur de sa part. Son anxiété avait une odeur similaire à sa nervosité, la pointe d'acidité plus ou moins prononcées. Pourquoi Allen était-il nerveux, ça, il ne pouvait le dire. Il le lui demanderait plus tard.

Ils eurent de la chance. Il restait juste assez de places pour eux, au tout dernier rang. Allen s'emballa ; c'était la meilleure place, ils pourraient tout voir.

Kanda s'assit à la dernière place de la rangée, histoire de n'avoir personne de casse-couille directement à côté de lui. Allen se mit à ses côtés, Lavi et Lenalee à sa suite. La représentation ne fut pas si désagréable. Malgré les bruits de la foule qui se levait pour acclamé les Clowns, les jongleurs et les dresseurs de fauves, Allen leur expliquait comment ça se passait en coulisse et les efforts à faire pour parvenir à telle réussite.

« Mon cirque à moi n'avait pas de lion ni de tigre, je les ai rencontrés en Afrique avec mon maître... » Il se passa la langue sur les lèvres. « Mais on avait des ours, et notre dresseuse était exceptionnelle. »

Contaminés par son excitation, Lenalee et Lavi l'interrogeaient. Kanda était, à nouveau, plus dans l'écoute que dans la participation. Il voyait qu'Allen était un peu plus mal à l'aise avec certaines questions, celles qui touchaient à son ressenti personnel ou l'ambiance avec les membres de la troupe, ainsi Kanda devina que les deux autres ne savaient pas grand-chose de ces moments-là, et qu'il était très éloquent sur d'autres — qui tendaient davantage aux rouages du métier, et à son rôle de petit clown. Kanda sentait ses odeurs stables. La pointe acide qui lui taquinait le bout du nez avait disparue progressivement. Allen s'apaisait au fur à mesure, de plus en plus serein en ne partageant que ce qu'il voulait.

Son sourire était sans effort. Kanda remarqua qu'il faisait moins attention à ce qui se déroulait en bas, davantage aux mouvements des lèvres de l'Anglais.

La première partie se termina sur les applaudissements général du public, après une petite heure. Kanda voyait bien que les trois autres s'étaient amusés. Pendant l'entracte, le temps que la dresseuse sorte et que le clown se prépare, ils avaient à nouveau pris à manger. Allen insista pour commander quelque chose pour Kanda, Kanda refusant. La mallette débordante de nourriture du vendeur ambulant, un tout jeune garçon d'à peine 10 ans à vue d'œil, ne comportait quasiment que des bonbons. "T'auras qu'à me payer un thé si on va ailleurs, puisque t'y tiens tant," le charria-t-il. Le gosse rétorqua qu'il pouvait lui avoir du thé. Limite si Allen ne cria pas un victoire en tendant les pièces au gamin. Kanda en déduisit, effaré, qu'il avait soit vraiment envie de lui offrir un truc, soit qu'il ne supportait vraiment pas de lui devoir deux cents.

Le spectacle reprit après une vingtaine de minutes. Kanda dégusta son thé tandis qu'Allen et Lavi se partageaient des cacahuètes qu'ils jouaient à se jeter dessus, Lenalee absorbée par la scène. Kanda les engueula plusieurs fois avant qu'ils ne se tempèrent, la brune se joignant à lui en les sermonnant pour le travail qu'ils causeraient aux employés du cirque s'ils ne nettoyaient pas leurs âneries. Penauds, les deux garçons ramassèrent les cacahuètes tombées au sol. Ils étaient de vrais gosses.

La représentation terminée, le public fut convié à quitter la salle. Kanda ne pouvait pas dire que son avis sur le cirque avait changé. Il n'en avait toujours pas grand-chose à faire, les pitreries du clown ne l'avaient pas diverti le moins du monde. Ça semblait seulement plus exaltant dans la bouche d'Allen. Comme beaucoup de choses qu'il embellissait malgré lui.

Les quatre jeunes gens décidèrent de trouver un parc où s'asseoir, il était encore tôt. Il serait mieux qu'ils ne rentrent pas trop tard, Komui avait dit qu'ils se feraient sermonner si tel était le cas. Lenalee voulait qu'ils traînent encore une petite heure. Il fallait avouer encore une fois que se balader à l'air libre, comme des jeunes gens normaux, et pas seulement des combattants de l'Innocence, faisait du bien au moral. Voilà pourquoi Kanda ne râlait pas trop, lui aussi appréciait aussi de se changer les idées. L'atmosphère tantôt étouffante et anxiogène de l'Ordre Noir avec le quotidien qu'ils connaissaient au point d'y être habitués ne leur manquerait pas cet après-midi. Kanda se sentait bel et bien reconnaissant qu'ils lui aient offert une telle opportunité.

Il avait le cœur plus léger. Ils avaient réussi à l'égayer. À peine eut-il cette pensée que l'odeur acidulée lui frotta le fond des narines. Se tournant vers Allen, le kendoka remarqua que celui-ci grimaçait, la bouche pincée. Pour sa part, Kanda fronça les sourcils. Ainsi, ce n'était pas juste lui qui prêtait une attention démesurée à l'oméga.

Lenalee repéra une librairie à la devanture bleuté qui l'attira, Lavi la suivant, tous deux oubliant soudain leur quête initiale. Kanda resta en arrière, posant les yeux sur un banc inoccupé quelques mètres plus loin. Allen se mordait légèrement la joue, Kanda pouvait voir sa crispation, alors qu'il se préparait à s'engager à la suite des deux autres.

« Moyashi. »

Allen se retourna, le front légèrement luisant. Avait-il si chaud que ça ? Se donnant bien vite un air de rien, le plus jeune haussa le menton dans sa direction.

« Je suis Allen, tu sais, Bakanda. »

Il parlait dans le vide. Kanda secoua la tête d'exaspération.

« Viens t'asseoir avec moi sur ce banc. »

Allen fronça subitement les sourcils, puis son visage se détendit.

« Si tu veux. »

Sa décontraction passa bien vite une fois assis, Kanda l'entendit distinctement siffler entre ses dents. Il préféra mettre les pieds dans le plat, ne tournant pas autour du pot avec sa voix bourrue.

« Qu'est-ce que tu as ? » Sous la surprise visible d'Allen, Kanda précisa : « Tu sens bizarre. Et t'es tendu. Il se passe quoi ? »

Allen baissa la tête. Il poussa un soupir, se remettant les cheveux en arrière.

« Y a rien. Je veux pas t'inquiéter, excuse-moi.

Moyashi. »

Kanda avait parlé sèchement. Il se fichait de s'inquiéter, il voulait seulement comprendre. Allen dansait entre deux sentiment, Kanda le sentait en plus de s'en apercevoir à son langage corporel. Son léger mouvement d'épaule suggérait qu'il allait protester et le rabrouer. La légèreté de ce même mouvement suggérait qu'il pouvait se raviser pour se mettre à table.

« Commence pas à m'engueuler, Bakanda, persiffla Allen, je te jure que c'est rien. On s'en occupera plus tard, c'est ta journée d'anniversaire. »

Kanda gronda.

« Tch. Tu penses que le monde s'arrête de tourner pour moi ? Parle, avant que je m'énerve vraiment. »

Allen leva les yeux au ciel. Kanda savait bien que se montrer si rentre-dedans pouvait davantage agacer le maudit que le pousser à se confier, il désirait que les choses ne traînent pas.

Allen lui cachait un truc, Kanda voulait connaître la vérité.

À sa grande satisfaction, Allen se passa la langue sur les lèvres. Il eut un soupir vaincu. Ses épaules s'affaissant, il se courba en deux, un autre soupir passant ses lèvres. Le con douillait pas mal, alors.

« C'est que... je ne comprends pas trop ce qu'il se passe. J'ai super mal au ventre depuis quelques jours. Ça pourrait être la grippe... mais...

—Tu penses que ça peut être tes chaleurs ? »

Kanda coupa sans détour. Allen se recroquevilla sur lui-même. Il plongea un regard terrifié dans celui de Kanda.

« J'espère pas... » Le trémolos dans sa voix trahissait sa terreur. Il déglutit. « J'en sais rien, en vérité. Ça peut être n'importe quoi. J'attends de voir si ça passe. J'ai pas envie qu'on en fasse toute histoire. »

Bien sûr, ça pouvait se comprendre.

Allen ne voulait pas gâcher sa journée, Kanda ne se plaignait pas de sa bonne intention. Mais si ses chaleurs pouvaient arriver, ils devaient le savoir tous les deux parce qu'ils étaient, jusqu'à preuve du contraire, toujours liés.

Kanda fut frustré.

« Tu allais m'en parler quand ? »

Allen haussa à nouveau les épaules, penaud.

« Si ça ne passait pas. Kanda, ne m'en veux pas. J'ai pas de réponse à ce qui se passe non plus. »

Prenant une inspiration, le susnommé réfléchit. Il se mettait à la place d'Allen, il aurait douté aussi. Il voulait seulement qu'ils soient francs l'un envers l'autre. Surtout pour ce genre de questions.

« Je préfère le savoir maintenant. Faut que tu me dises ce genre de trucs.

—J'allais le faire si ça ne passait pas, répéta Allen. Je voulais pas le faire pour ton anniversaire...

—Ça serait pas un très beau cadeau que t'aies tes chaleurs aujourd'hui, effectivement. »

Sans doute que si les deux liés étaient en couple quand les chaleurs de l'oméga se déclenchaient, ça pouvait en devenir un. Allen et Kanda n'en étaient pas là. Allen rit à sa répartie, se redressant.

« C'est sûr, ça serait pas notre veine. » Sa voix monta : « Tu vois, je sens que ça passe à l'instant, mais ça revient régulièrement. C'est bizarre.

—On ira voir l'infirmière demain, je t'accompagnerai. Ne pense pas devoir gérer ce genre de choses seul. »

Kanda voulait qu'Allen soit conscient qu'il était là pour lui. C'était uniquement pour ça qu'il était contrarié. Allen aurait besoin de lui pendant ses chaleurs, qu'ils le veuillent ou non. Contrairement à la première fois, Kanda tenait à être là pour lui comme il le fallait. Quand bien même ce serait compliqué, il refusait de se conduire comme il avait pu le faire et qu'Allen en ressorte traumatisé. Ce n'était pas de sa faute, pour ce qui concernait les chaleurs en elles-mêmes. Sa fragilité affective, un peu plus. Leur mésentente avait accentué le problème, en plus de la propre obstination de Kanda à rejeter leur lien. Il s'en voulait pour ça. Allen avait été casse-couille, mais il n'avait pas été en reste.

Les iris grises d'Allen plongèrent dans les siennes. Il avala sa salive, un petit silence planant entre eux avant qu'il n'ouvre la bouche, les lèvres tremblantes.

« Je te remercie. Ça me fait plaisir que tu veuilles y aller avec moi.

—C'est normal. » Kanda posa sa main sur celle du plus jeune. « On est liés. Tu peux compter sur moi.

—Merci énormément, Kanda. »

Kanda lui sourit, refoulant son envie de lui claquer qu'il n'avait pas à le remercier. Le couillon le ferait quand même. Alors il se contenait d'un sourire sincère. Il n'y avait qu'Allen pour lui en arracher. Le susnommé le lui rendit, regardant leurs mains l'une au-dessus de l'autre avec les yeux ourlés, donnant à son visage un accent plus tendre.

« Tu veux qu'on échange nos odeurs ? »

C'était Kanda qui avait posé la question.

Allen rougit. Son regard pivota sur la rue autour d'eux, les passants continuant d'avancer en ne faisant pas attention à eux. On regardait parfois Allen à cause de sa cicatrice, ou eux deux à cause de leurs uniformes. Peut-être aussi à cause de son épée. C'était fugace, les gens évitaient d'être insistants. S'ils l'avaient été, ils se seraient fait envoyer foutre par Kanda de toute façon.

« Ici... En public ? Et avec Lenalee et Lavi pas loin ? »

Bon, sur ce dernier point, autant Kanda s'en foutait que des inconnus les voient, autant les deux autres qui allaient jaser, un peu moins.

Il haussa pourtant les épaules.

« Ça te détendait quand tu avais des crampes. Puis, me fais pas répéter, ça ne me gêne pas. »

Kanda avala sa salive, conservant un visage impassible en dépit de son embarras. Allen et lui aimaient ça, ils n'en étaient plus à leur phase de déni.

« Je... Je veux bien. Mais Kanda, ne te sens pas...

—Si tu me sors que je me sens obligé, je t'en fous une. Si ça ne me gêne pas, ça veut dire que j'en ai envie, crétin. »

Allen rit. Il ne finirait pas sa phrase, car ils savaient l'un comme l'autre que c'étaient les paroles mortes sur sa langue.

« "Ça ne me gêne pas" et "j'en ai envie" sont deux choses différentes, tu sais. C'est toi le crétin.

—Tu sais bien ce que j'ai voulu dire par-là, Baka Moyashi, » appuya Kanda.

Le maudit toussa dans son poing, secouant le menton. Kanda étant d'humeur à plaisanter, il fit glisser son corps plus proche de celui d'Allen sur le banc, et, tout en passant un bras autour de ses épaules, il l'attira contre son torse, chuchotant juste au-dessus de son crâne :

« De toute façon, je t'ai eu dans le nez depuis ce matin, un peu plus un peu moins, ça me changera pas.

—Avoue qu'en fait c'est ce que tu voulais depuis le début. »

Allen rendait la plaisanterie, provoquant délibérément Kanda. Le kendoka haussa les épaules, un sourcil levé.

« T'es bien audacieux, soudainement.

—Tu me connais, tu me tends la perche, je la saisis. »

Kanda lutta contre la pulsion de faire une blague qui aurait pu mettre Allen dans l'embarras. Innocemment, le maudit poursuivit, une petite expression victorieuse aux plis qui se creusaient sur ses joues :

« T'as déjà reconnu que t'en avais envie, de toute façon.

—Et toi ? »

Les joues roses, Allen frotta son nez contre le torse de Kanda.

« Bien sûr que oui. Et t'as raison, je crois que ça me fait du bien. »

Cela le fit se raidir. Kanda comprit pourquoi. Si ça marchait comme pendant ses chaleurs, peut-être que ce n'était pas qu'une coïncidence.

« Ça ira, chuchota Kanda. L'infirmière nous dira ce qu'il en est demain. »

Lentement, Allen opina contre lui. Kanda sentit que son crâne remuait, Allen faisait un mouvement, comme s'il se mordait les joues en hésitant à verbaliser quelque chose.

« Si mes chaleurs arrivent, tu penses que ça se passera bien pour nous ? »

La question était complexe. Elle renvoyait à nombre d'éventualités. L'infirmière ne leur avait pas expliqué grand-chose sur les prochains cycles des chaleurs, il faudrait qu'ils le demandent avec le reste de leurs questions. Ça pouvait être différent de la dernière fois comme similaire. Il n'y avait que très peu de certitudes sur ce qui arriverait. Oh, loin d'être idiot, Kanda se doutait qu'il pensait aussi à eux au niveau personnel, pas que sur la façon dont leurs instincts seraient mis à l'épreuve.

« J'en sais rien, j'suis pas devin. » Kanda ne pouvait pas lui mentir. Allen rit encore, malgré sa crispation. « Tout ce que je sais, c'est qu'on fera en sorte que ce moins choquant pour toi...

—Pour toi aussi, le coupa Allen. C'était pas plaisant pour toi non plus. »

Kanda grinça des dents.

« Si tu veux. Dans tous les cas, on essaiera de passer un bon moment, autant qu'on le pourra. Comme à la fin. On avait réussi à s'entendre, c'était naturel. On retrouvera ça. Ça te convient ? »

Allen redressa son visage. Kanda remarqua ses yeux rougissant. Il était marqué par l'inquiétude. Ou était-il en train de réfléchir ? Ses fossettes mignonnes avaient disparues. Les coins de sa bouche se redressèrent pourtant en un sourire en demi-teinte. Ne pouvant s'en empêcher, Kanda se pencha et l'embrassa sur le front. Ce n'était pas vraiment un geste que des potes faisaient facilement entre eux, l'ambiguïté était évidente. Ce qu'ils avaient serait toujours quelque chose de plus, quoiqu'ils avaient décidé. À cause de ce foutu lien.

Allen fit déborder quelques larmes, qu'il essuya bien vite.

« Pardon. Je pensais pas finir par pleurnicher. Fait chier... »

Il se passa la main devant les yeux, restant dans cette position. Il se retenait de se laisser aller. Kanda percevait son auto-déception. Il fit claquer sa langue.

« C'est rien de mal, pleure si tu en as besoin. On fera en sorte que tes chaleurs se passent bien. C'est une promesse. »

Solennel, Kanda caressa son crâne. Allen dégagea gentiment sa main sur un petit ricanement nerveux, venant se lover dans son étreinte à la place.

« Je te remercie de me le promettre. Ça ira, je ne vais pas pleurer. Pas ici. » Il eut un vrai sourire, Kanda le sentit contre lui. « Et pour te répondre, pour ce que tu m'as dit avant... oui, ça me convient. On peut continuer à se sentir ? »

Le visage du blandin s'était mis en quête du sien. Kanda acquiesça. Les traits d'Allen se détendirent, si son anxiété rendait ses yeux bas. Il était humilié, Kanda s'en rendait compte. Il ne voulait pas critiquer son désir de prendre sur lui, mais il espérait qu'Allen n'était pas trop dur avec lui-même. C'était normal qu'il ait peur. Lui-même n'était pas exempt de toute crainte concernant ses chaleurs à la noix.

Pour chasser sa tristesse, le maudit se mit à respirer son odeur de tout son soûl. La sienne s'apaisa au cours des minutes, Kanda le laissant faire et l'imitant de bonne grâce. Il vint lui gratter l'arrière du crâne. Allen poussa un soupir d'allégresse. Il se sentait mieux. Ça aurait tellement pu être le bon moment pour suivre le conseil de Marie, ne pas abandonner et parler de ce qu'il ressentait, si ça avait pu être réciproque. Kanda savait que ce n'était pas le cas, alors il se taisait. C'était trop tôt pour espérer une évolution. Et même de son côté, les choses étaient encore trop nébuleuses. Il ne savait toujours pas quoi foutre de ce qu'il ressentait, à part l'occulter.

Lorsque Lenalee et Lavi sortirent de la librairie, ils ne firent aucun commentaire sur Allen appuyé contre Kanda. Ni sur la main de ce dernier dans les cheveux du premier. Ils leur proposèrent gentiment de retourner au bateau, tant pis pour le parc. Ils devaient rentrer.


Il était dix-neuf heures quand ils accostèrent sur le quai du QG. De là où ils étaient sur l'eau, ils purent contempler Komui qui patientait tout en haut, devant la grande porte, les mains sur les hanches, avec ses lunettes brillantes. Il les recevait comme une matrone le ferait s'ils avaient fait le mur. Lenalee gémit entre ses dents, consciente que ça sentait mauvais. Pour couronner le tout, de la brume s'était abattue sur eux, devenant un épais brouillard au fil des minutes. Ils avaient perdu leur cap, ce qui leur avait fait perdre du temps. Kanda s'était disputé avec Lavi, qui avait fini par lui balancer les rames dans les bras pour qu'il se débrouille avec. C'était rare que Lavi perde patience avec Kanda, c'était plutôt le genre d'Allen. La mauvaise humeur l'avait pris d'un seul coup, comme une piqure de moustique. Il gesticulait dans tout les sens, contrarié, tapant du pied dans un réflexe frénétique. Kanda n'avait aucune idée de l'élément déclencheur. Les deux autres ne lui avaient rien dit qui aurait pu le vexer. Lui non plus.

Peut-être que c'était depuis qu'ils avaient croisé un type à l'allure étrange. Ils s'étaient fixés un long moment. Ça avait suffi pour que le rouquin soit d'une humeur massacrante. Même Allen et Lenalee ne cherchaient pas à discuter avec lui. Un silence entendu flottait entre eux, comme s'ils se comprenaient malgré tout.

Seul Kanda n'y pigeait pas grand-chose, et n'en avait rien à foutre. Il avait seulement envie de noyer du lapin. Sa nervosité était encore plus chiante à voir qu'à sentir celle d'Allen. Parce qu'Allen avait une raison tangible, à sa connaissance du moins. Les caprices d'humeur, lorsqu'ils étaient intempestifs doublés d'incompréhensibles, agaçaient Kanda.

Ils attachèrent la barque, sous l'œil grave de Komui. Lavi se gratta l'arrière du crâne, englobant tout le monde du regard.

« Bon, on dirait qu'on va être bel et bien punis... J'y échapperai pas. Au moins, Yû a bravé le brouillard pour nous ramener ! Notre héros à tous !

—Oh, ta gueule. Si t'avais pas été si agité pour rien, aboya le susnommé, à deux doigts d'avoir une veine battante au front, on se serait pas paumé. »

Lavi se mordit la lèvre. Kanda n'était pas assez bête pour ne pas se douter qu'il n'avait pas vraiment perdu son calme sans raison. C'était juste ce qui était apparent pour lui. Et comme le rouquin se foutait de sa gueule, il en faisait autant. Allen vint entre eux. Lenalee montait déjà les marches menant vers son frère, non sans un émettre un soupir exaspéré en les écoutant.

« Kanda, laisse-le. Et Lavi, ça suffit. On a encore une soirée à passer tous les quatre. Essayons de nous amuser. »

Le regard qu'ils échangèrent à trois, tour à tour, fut long. Kanda consentit à se rasséréner, par respect pour les efforts des autres. Mise à part lors de leur traversée, Lavi était moins casse-couille. S'il était de bonne foi, et qu'il n'oubliait pas leur conversation matinale, Kanda se disait que Lavi avait possiblement une véritable raison d'être tracassé en ce moment. Au moment où le kendoka s'adoucissait, s'apprêtant à cracher un 'tch' pour la forme tout en suivant Lenalee, Lavi poussa un soupir.

« Ouais, pardon. » L'archiviste se tourna vers Kanda, retrouvant un visage insouciant : « Désolé, mec. J'crois que t'as raison, en plus. Je nous ai fait tourner en rond.

—Pour dix minutes, personne n'est mort, » conclut Allen. « C'est pas bien grave. »

Lenalee qui levait les bras en argumentant avec Komui depuis en haut suggérait peut-être autre-chose.

Les trois garçons les rejoignirent. L'Intendant n'était bel et bien pas content. Il les avait manifestement laissé sortir contre l'avis de Luberrier. Leur détour improvisé avait suffi pour que ce dernier s'en aperçoive. Ils seraient convoqués le lendemain matin dans son bureau. Komui avait essayé de limiter les dégâts en prenant les responsabilités sur son compte. Rien à faire, l'Inspecteur tenait à leur passer un savon en personne.

Les Exorcistes se toisèrent tour à tour, partageant ainsi leur dépit. Komui soupira, déglutissant. Il hésita avant de parler.

« Il est surtout en colère car il n'aime pas que le réceptacle du Quatorzième sorte en l'absence de Link. »

Allen se figea. Kanda l'entendit marmonner dans sa barbe. "Génial, j'ai même plus de nom."

« Quant à vous tous, méfiez-vous, il peut y avoir des conséquences. »

Kanda ricana, sarcastique.

« Lesquelles ? On ne renvoie pas des Exorcistes. Alors s'il est pas content, tant pis. Qu'il gueule, je l'attends. »

Komui secoua la tête, remontant ses lunettes sur son nez. Lenalee dansa d'un pied sur l'autre en signe de malaise, le menton tremblant, les traits raidis.

« Tu sais bien qu'il ne recule devant rien, Kanda. Rappelle-toi les expériences qu'il faisait sur moi quand j'étais enfant... »

Sa voix s'éteignit. Elle devint silencieuse, sans doute sous l'influence d'un souvenir malheureux. Allen vint la prendre par le bras, lui transmettant du réconfort. Komui se tourna vers eux, attendri malgré la douleur certaine que devait lui causer une telle évocation. Le brouillard s'épaississait, la barque n'étant déjà plus visible et le quai non plus. Ils finiraient avaler, eux aussi. Pour un soir d'été, ça virait sinistre. D'un soleil radieux à un temps d'automne, il n'y avait qu'un pas. La météo n'était pas de la faute de ce vieux salopard, en revanche.

Kanda poussa un soupir. Komui parla à ce moment-là :

« Il ne peut pas faire des expériences sur aucun d'entre vous, rassurez-vous. Je n'ai aucune idée de ce qu'il va vous dire. Il peut quand même vous sanctionner et trouver un moyen de vous punir. »

Allen et Kanda se tournèrent l'un vers l'autre à ces paroles. Avec les synchronisations forcées, ils le savaient bien.

« Je ne suis pas venu vous disputer, de toute façon, reprit Komui. Seulement vous dire d'être prudents. En attendant, amusez-vous ce soir. »

Malgré le sourire du Chinois, ses paroles avaient un autre son de cloche. "Pendant que vous le pouvez encore", voilà ce qui planait sous ses mots. Il aurait été illusoire de penser qu'ils seraient en paix comme aujourd'hui à jamais. Komui fit quelques pas vers Lenalee. Il apposa sa main sur son crâne avec délicatesse. Quand il s'éloigna, des mèches brunes suivirent son mouvement. Elles flottèrent en suspend avant de retomber.

Komui fit signe au gardien. La porte s'ouvrit à ce moment-là. Ils entrèrent l'un après l'autre. Le brouillard était si épais qu'il se faufila à l'intérieur tout comme eux, se détruisant lorsque la porte se referma et que l'air ambiant fit éclater ses gouttelettes.

Lavi tapa dans ses mains.

« Bon, les gars, sur cette conversation euphorisante, qui est prêt à faire la fête ? »


Ils convinrent de se retrouver après le dîner. Lavi jugea bon d'informer son grand-père de son retour, ainsi que de se prendre une heure pour travailler avec lui. Le vieillard lui avait laissé son congé, mais il tenait à faire preuve de plus de rigueur que ça. Lenalee décida pour sa part d'aider Komui, peut-être voulait-elle discuter avec lui pour leur convocation du lendemain. Quant à Kanda, il déclara qu'il voulait méditer un peu. Allen avait souri en l'observant. S'il ne mentait pas, qu'il mettait de côté sa mauvaise foi, Kanda n'avait pas à se plaindre. Ils s'étaient distraits en ville, tous les quatre. Bien sûr, Lavi avait été un peu chiant. Ça n'aurait pas été Lavi. Et l'éventualité des chaleurs d'Allen... il ne pouvait pas le blâmer d'en avoir parlé à sa demande, ça l'inquiétait pourtant.

Ça ne changeait rien au fait que pour le moment, il avait aimé passer du temps avec les autres. Ça le faisait presque chier de le penser. Peut-être qu'il devrait faire ça un peu plus souvent. Pas trop, il ne se voyait pas manger avec eux midi et soir comme Allen, ni les suivre dans n'importe laquelle de leur sortie extérieure ou se regrouper tous ensemble dès qu'ils en avaient l'occasion. Il n'était pas devenu sociable par une étrange sorcellerie qui aurait fait son office dans le dos de tout le monde. En revanche, en guise d'exception, si ça se passait comme ça, Kanda pensa que ça ne le gênerait pas tant que ça.

Il hésitait encore.

« Tu vas faire quoi, toi ? demanda Kanda à Allen, comme il était le seul qui n'avait rien dit.

—Oh, je vais trouver un truc. »

Il avait dit ça sur un clin d'œil, aussi, Kanda comprit qu'il y avait plus derrière. Il n'avait pas cherché plus loin, réjoui de se retrouver seul quelques instants. Il éprouvait le besoin de recharger ses batteries.

L'heure passa rapidement.

Kanda fut interdit en tombant sur un Jerry surexcité au moment de lui commander son plat habituel de Soba agrémenté de Tempuras — anniversaire oblige, il prenait ce qu'il préférait. Il répondit par des grognements à ses questions. Ce n'était pas inhabituel qu'il veuille faire la conversation, car le cuisinier était très bavard, même avec lui. En revanche, il était trop précis au goût de Kanda avec ses "alors comme ça, tu n'as rien de prévu, mon grand ? Même pas une petite fête ce soir ? Tu veux pas qu'on se réunisse pour toi ? Hmm ?" qui suggéraient qu'il était sans doute au courant de quelque chose.

Il faisait confiance à Lenalee pour ne pas avoir organisé une grande fête et s'en être tenu au petit comité. Une paranoïa se logea toutefois en lui à l'idée de voir les trois couillons débarquer avec des banderoles et des confettis en conviant tout le monde à la célébration.

Fort heureusement pour Kanda, ce ne fut pas le cas.

Au milieu de son repas, Allen demanda à s'asseoir avec lui. Kanda ne refusa pas. Il s'enquit de son état. Le maudit haussa les épaules, ça oscillait. Il dégageait toutefois des phéromones agréables pour l'alpha, preuve que l'intensité des douleurs décruait. Ils mangèrent en silence, Allen lui jetant des petits coup d'œil de temps à autre. En ignorant la raison, Kanda ne posa pas davantage de question.

À la réflexion, il n'avait pas vu les deux autres, à moins qu'ils aient mangé plus tôt qu'eux. Ça sentait le fait exprès. Si son nez ne le trompait pas, l'oméga avait pour tâche de le retenir pour qu'ils terminent ce qu'ils préparaient. Une telle organisation semblait à la fois démesurée et à la fois touchante. Ça ne restait au final que son anniversaire. Pourquoi en faire des caisses ? Kanda ne pouvait pas arrêter d'être dubitatif.

Le repas terminé, Allen lui demanda de le suivre. Il l'amènerait à la salle de loisir où se dérouleraient leur fête. Kanda le suivit, curieux d'enfin découvrir ce que les autres avaient bien pu bien fabriqué. Vu comme ils se préparaient jalousement, Kanda se douta qu'ils en avaient bien trop faits. Ils se rendirent devant la toute dernière porte à droite au fond du couloir, où un petit ruban rouge était enroulé autour de la poignée.

« Lenalee a dit qu'il était pour toi. »

Si le maudit n'eut aucun commentaire, Kanda ne put s'empêcher d'être embarrassé. La garce leur avait parlé de ça. Il aurait du bol si Lavi ne disait rien. Arrachant le ruban en le fourrant dans sa poche, Kanda entra dans la pièce, Allen sur ses talons.

« SURPRISE ! » scandèrent deux voix en une synchronisation parfaite. « ET BON ANNIVERSAIRE ! »

Étant donné qu'il était au courant qu'on lui préparait un truc et qu'ils le lui avaient tous déjà souhaité, Kanda ne fut pas sûr que ce soit nécessaire de lui vriller les tympans. Il se raidit en réflexe. Pourtant, tout de suite, ses yeux s'écarquillèrent.

Ils n'avaient pas déconné.

Les murs étaient habillés de guirlandes colorées, quelques ballons disposés çà et là dans la pièce. Où les avaient-ils trouvés ? Entre les deux canapés, un gâteau trônait sur la table basse, quelques boîtes de jeux de société étaient à l'étagère inférieure, et surtout, une grosse banderole au fond de la pièce lui souhaitait la bienvenue. Kanda reconnut l'écriture hésitante d'Allen, qui avait tracé dans un anglais relativement tremblant un "HAPPY BIRThDaY", où l'on voyait que le "h" et le "a" avaient été rajoutés à postériori, en minuscule faute de place. Ça le fit rire. Il fut incapable de cacher son visage qui se tordit sous l'amusement.

« Tu me souhaites un "happy birtdy", Moyashi ? »

Allen vira au cramoisi. Il se défendit :

« Le "h" était une faute. Le "a", je l'avais juste obligé en écrivant trop vite... »

Lavi ne put s'empêcher de rire lui aussi, Lenalee gloussant dans sa main discrètement pour ne pas en rajouter. Allen le perçut, à la façon dont il toisa ses amis d'un œil noir.

« Allen voulait à tout prix l'écrire, te moque pas de lui. Il a fait de son mieux. Il galère encore avec l'orthographe, tu sais.

—C'est pire dit comme ça, Lavi ! » se vexa le blandin, tempêtant et boudant avec ses bras croisés sur son torse. « On dirait que tu parles d'un enfant attardé qu'il faut féliciter par pitié !

—Est-ce que t'es si différent que ça..., » se gaussa Kanda. Voyant Allen gonfler les joues, il les lui pinça. « Soit, te vexe pas. Nous fêterons les birtdy, si c'est ce que tu souhaites, Moyashi.

—BAKANDA ! »

Allen se dégagea, chassant sa main d'un mouvement du coude. Kanda avait beau plaisanter, il trouva le maudit adorable avec ses joues rouges et ses poings serrés. Il ne voulait pas trop l'énerver, alors il lui caressa la tête.

« Merci, Moyashi. Merci à tous. »

Un vrai sourire, sincère, illumina ses traits. Même Lavi et Lenalee parurent choqués. Kanda n'avait quasiment, pour ne pas dire carrément, jamais ces réactions-là.

« J-Je suis Allen, » bégaya le susnommé, rouge comme une tomate, avec sa main sur sa tête. Il semblait se liquéfier sur place en l'observant. Était-il si flippant que ça quand il souriait ? « Hm... Ça veut dire que ça te plaît ? »

Kanda eut un rire sec.

« Je le dirai pas deux fois. »

Il fallait bien qu'il reste fidèle à lui-même, après tout. Il se laissait sortir de son personnage de bon gré, il ne le quitterait pas éternellement. Lenalee sautilla à côté d'eux, surexcitée elle aussi.

« Ne nous remercie pas déjà, nous avons des petits cadeaux pour toi.

—J'avais dit de rien m'acheter, se renfrogna Kanda. Vous me faîtes chier. »

Cette fois, ses iris bleuté les fusillèrent. Lavi se marra, insensible à son courroux, tandis que Lenalee mit les mains sur ses hanches. Elle était prête à le sermonner. Kanda finit par lâcher, il savait qu'il ne gagnerait pas un duel de regard avec elle. Elle perdrait certes son calme avant lui, mais il se lasserait du jeu bien avant qu'elle n'en arrive là. Derrière le canapé se trouvaient deux pochettes et trois paquets emballés — Kanda reconnut le papier cadeau que Komui utilisait pour distribuer des chocolats de Noël à tout le monde, que lui ne bouffait jamais. Allen fut le premier à saisir l'une des poches et deux paquets d'à peu près même longueur. Vu la forme, Kanda pensa qu'il s'agissait de livres. Ses yeux se plissèrent. Moyashi lui donnait tout ça ? Il avait pété un plomb.

Kanda eut un mouvement de recul, ne sachant franchement pas comment réagir.

« Putain, tu m'étonnes que t'étais fauché. Pourquoi tu m'as pris tant de trucs ? T'es taré ? »

Comme nerveux, Allen gardait les probables livres contre lui et tendit la pochette à Kanda.

« L'un des paquets est de Marie, il me l'a donné pour toi, expliqua-t-il. Et pour le reste, j'ai juste voulu... Enfin, j'espérais que ça te ferait plaisir. Si t'es pas content, je peux aussi les reprendre, Bakanda. »

Levant le menton en signe de défi, Allen finit par sourire en dépit de son manque d'assurance, qui aurait bien fait marrer Kanda en d'autre circonstances. La fossette au coin de sa joue fit son retour. Kanda n'était pas mécontent. Il ne savait juste pas quoi faire de ces attentions. Ça le mettait assez mal à l'aise, que tant d'efforts soient déployés pour lui. Jurant intérieurement, il prit la poche, vu que c'était ce que l'oméga lui offrait en premier.

« Fais attention en ouvrant... C'est assez... fragile, et... ça peut piquer. »

Fronçant les sourcils, Kanda écarta délicatement les poignées en carton — il découvrit un joli cactus dans un pot rouge. Il était encore petit, sa circonférence d'à peu près 5 centimètres suggérait qu'il était d'une espèce qui grandirait sans mal s'il le plaçait dans un coin avec assez de lumière. Kanda en avait déjà vu. Il n'était pas fan des cactus, pour être franc, mais ça rendrait bien dans le jardin.

Il sourit en le sortant avec précaution. Il y avait un ruban blanc à la base de la plante. Il faudrait sûrement le dépoter quand il grandirait. Allen avait bien choisi.

« Tu l'aimes ? » demanda le maudit. « J'étais pas certain que ça te plairait... »

Kanda hocha la tête.

« Je m'étonne que tu te sois pas planté avec, mais ouais, ça me plaît.

—Figure-toi qu'il m'a piqué à travers le carton quand je l'ai ramené ici, » avoua Allen en se grattant l'arête du nez.

Voilà qui expliquait pourquoi il l'avait tenu à bout de bras et qu'il s'en était débarrassé en premier. Kanda émit un rire. Lavi intervint alors.

« Attends, il a même un copain ! » Il fila derrière le canapé pour attraper l'autre poche, lui tendant avec enthousiasme. « J'me suis pas piqué avec, pour ma part. Admire, je vais même te le sortir ! »

Le rouquin plongea sa main... la retirant sur un "aïe, putain, le con !" qui fit rire Allen et Lenalee aux éclats, Kanda hésitant à en faire autant ou à douter sérieusement de l'intelligence de ce type.

Kanda posa le premier cactus, prenant celui de Lavi. Le pot était orange. Il faudrait qu'il réfléchisse où il les mettrait. En attendant, il ne put réprimer un nouveau sourire. Teinté de gêne, mais toujours sincère.

« Tch. Fallait vraiment pas... Sans déconner.

—C'est pas fini ! » s'exclama Lenalee, posant ses mains sur les épaule d'Allen. « Je crois qu'il y a encore deux cadeaux dans sa main, et un de moi ! »

Allen allongea les bras vers Kanda, exposant ses présents qu'il tenait par leur extrémité. Kanda saisit l'autre bout, levant les yeux sur lui.

« Lequel est de toi ?

—Celui du dessus, il est un peu moins bien emballé... Marie est plus soigneux que moi. »

Reniflant, Kanda saisit ses cadeaux en les ramenant vers lui. Vu le poids, il sut qu'il avait raison, n'étant pas surpris en les déballant de découvrir deux bouquins. Le maudit lui avait dégoté un recueil de poésie. De la part de Marie, un roman d'un certain Gustave Flaubert, l'éducation sentimentale. Kanda connaissait l'ironie mordante de Flaubert, pour l'avoir déjà lu. Peu sûr que ce soit une lecture qui prêcherait l'amour dans toute sa niaiserie. C'était en revanche sans nul doute une incitation à ce qu'il se bouge les fesses. Kanda rit jaune. Marie avait une manière bien à lui de faire passer les choses. Quant au cadeau d'Allen, il était sûr de passer un bon moment en le découvrant. Peut-être demain soir, voire plus tôt s'il se dégageait un peu de temps dans la journée.

Kanda déposa aussi les livres, adressant un mouvement de tête à Allen pour le remercier.

« Je l'avais pas, celui-là. » Il montra le recueil du menton. « Je lui ferai vite sa fête.

—Content que ça te plaise. »

Allen sentait bon. L'odeur de sa joie était perceptible. Kanda entendait aussi que son cœur battait vite. Il ne comprit pas pourquoi. L'atmosphère de fête qui leur faisait du bien, sans doute.

Lenalee s'avança. L'emballage qu'elle tenait entre ses mains se constituait d'un petit carré qui tenait dans la paume de la main. Pour le coup, il n'avait aucune idée de ce que c'était. L'ouvrant, Kanda vit plusieurs rubans, et quelques graines. S'il aurait bien aimé qu'elle lui offre les attaches en privé, fierté de mâle oblige, il fut content d'avoir de quoi effectuer des plantations. Il y avait des hibiscus et des iris.

« Vous avez eu les mêmes idées, on dirait. J'savais pas que la gueule du jardin vous intéressait tant. Vous allez aussi tous vous incruster quand je m'occupe des plantes ? »

Malgré son ironie, Kanda était touché par leurs intentions. Pour de vrai. Allen râla qu'ils pourraient les remercier correctement, parce qu'ils connaissaient sa passion pour le jardinage et qu'ils ne voulaient pas se tromper. Naturellement, Kanda s'exécuta — même lui n'était pas du genre ingrat à ce point. Non sans coller une petite pichenette au blandin pour qu'il arrête de le tanner.

Les présents offerts, ce fut le tour du gâteau. Kanda souffla les bougies avec un flegme à toute épreuve, les trois compères lui faisant la chansonnette, ignorant ses injonctions au silence. Il n'était même pas sûr d'aimer le dessert. Il eut tort, c'était délicieux, ce qu'il n'aurait jamais cru dire pour un truc sucré. Allen lui glissa qu'il avait discuté avec Jerry pour savoir ce qu'il aimait. Cela parut clair, voilà pourquoi le cuisinier ne l'avait pas lâché ce soir.

Suite à leur dégustation, les jeunes gens décidèrent de s'occuper des jeux de société. Ils passèrent quelques instants à débattre duquel ils joueraient en premier. Lavi en avait dérobé pas mal.

Débarrassant la table, ils choisirent d'installer des cartes, se lançant ainsi dans une partie du "menteur", un jeu de bluff qui plaisait bien évidemment à Allen. Ils avaient dit un non catégorique pour le poker, ça ressemblait à un bon compromis.

Kanda ne l'aurait pas admis à haute-voix, pourtant son attitude le trahissait. Il se marrait bien.

Il n'avait jamais aimé son anniversaire. Le jour de sa naissance dans cette cuve à la con ne lui donnait aucune envie de faire la fête. De célébrer une vie qui n'était pas la sienne et n'était qu'un caprice scientifique à la noix. Malgré tout, ils avaient tous réussi à lui sortir ça de la tête. À la fin de la soirée, il était obligé de le reconnaître. Allen, Lavi et Lenalee étaient tous trois ce qu'il pouvait appeler des amis sincères, qu'il le veuille ou non. Il considérait Allen de cette façon depuis un moment. Ses sentiments évoluaient, mais cette amitié demeurait concrète. Ça avait été long pour lui d'en prendre conscience. Ça faisait aussi une éternité qu'il n'avait pas été reconnaissant comme ça envers d'autres personnes.

Peut-être que pour la première fois en dix ans, Kanda n'avait pas détesté son anniversaire.

À suivre...


Note : À ce stade de l'histoire, c'est un plaisir pour moi de pouvoir réellement donner de l'évolution aux personnages, surtout pour Kanda. Il se déride un peu progressivement avec toutes les épreuves passées, et l'influence d'Allen. J'essaie de le faire évoluer vers un caractère plus amical et taquin, qui lui irait bien. Il ne deviendra jamais entièrement l'opposé de ce qu'il est, mais c'est tout de même sympa de l'assouplir à peine.

Forcément, SOS prenant de l'ampleur, il ne sera pas le seul à évoluer dans une direction ou une autre. Allen, Lenalee (son arc à elle sera plutôt lointain, cependant) et Lavi vont aussi y passer ;). On a encore du chemin à faire dans le scénario.

J'espère que ça vous a plu ! N'hésitez pas à laisser votre griffe (ou ce que vous voulez) sur le chapitre, je serai ravie d'avoir vos retours, comme toujours.

Pour teaser un peu, les trois prochains chapitres me hypent déjà, je vais pas tarder à m'y coller ;).

Merci d'avoir lu, et à la prochaine !