Bonsoir/jour à toustes!

Me revoici avec un nouveau chapitre pas relu du tout, je m'excuse d'avance pour les fautes d'orthographe ou les tournures de phrases cheloues. Mais je pars demain pour de nouvelles aventures et ça fait un certain temps que je vous ai abandonné.es sur le pire cliffhanger de ma carrière, donc je me suis dit que je pouvais faire un effort (et bousiller mon sommeil par la même occasion). Pour ceux qui ne l'ont pas fait, je vous encourage à aller jeter un coup d'œil au chapitre bonus qui vous donnera un autre point de vue sur les événements du chapitre précédent et de ce chapitre.

Un énorme merci à celleux qui m'ont laissé des reviews sur le chapitre précédent et le chapitre bonus!

Je vous préviens aussi, tous les TW présents dans le résumé de ma fic vont être bien appliqués dans ce chapitre...
Ceci étant dit, je vais vous laisser lire histoire de me laisser dormir.
On se retrouve en bas de page, bonne lecture!


J'entends quelqu'un crier « Petrificus totalus ! », un accent paniqué dans la voix. Mon mouvement est interrompu d'un coup, mon poignard ayant à peine entamé ma peau, et je ne peux plus bouger, ni même tourner la tête. Un filet de sang chaud coule sur ma gorge, mais pas assez. Pas assez. On m'a empêchée de mourir. Avant que je n'aie pu me poser davantage de questions, je sens des bras m'éloigner du feu, puis le visage d'Ewald entre dans mon champ de vision. Son visage est plus expressif que je ne l'aie jamais vu. Ses traits sont déformés par la terreur et l'inquiétude. Comme s'il en avait conscience, il semble faire un effort pour se maîtriser, et son visage prend rapidement une neutralité inquiétante. J'entends des bruits derrière moi, et je reconnais les voix d'Arthur et d'Alphonse. Qu'est-ce qu'il font là ? Et surtout, comment ils m'ont trouvée ?

« Calmez vous. Les questions attendront. Arthur, je veux que tu soignes la blessure de Vivian. Alphonse, ramasse ses affaires et éteins le feu s'il-te-plaît. »

C'est Ewald qui a parlé, et sa voix est froide. Alphonse lui obéit instantanément, et je le vois ramasser mes affaires. J'éprouve une pointe de colère à le voir détruire ainsi la scène de ce qui devait être ma mort. Elle s'éteint vite, tandis que le visage d'Arthur entre dans mon champ de vision à son tour. Il est pâle, et a l'air à la fois paniqué et en colère, et je me demande brièvement ce qu'il ressent. Je renonce vite à y réfléchir. Ce n'est pas ma priorité. Comment m'ont ils trouvée ? Mentalement, je me débats dans le sort d'Ewald. Je hais cette immobilité forcée. La voix mal assurée d'Arthur me tire de mes pensées.

« Il faudrait éloigner la lame de la plaie, sinon je ne pourrai pas la refermer complètement. »

Excellente idée ça. Je me doute bien que je ne pourrai rien tenter dans l'immédiat, mais si je peux avoir une occasion de m'enfuir et de me tuer, je la saisirai sur le champ. Et même sans ça, ce sort me renvoie à mon impuissance lors de l'attaque du pédophile, et au sentiment familier de sidération. Et je hais ça.

« Très bien. Vivian, je vais te libérer du sort. Je te jure que si tu fais quoi que ce soit pour attenter à ta vie ou t'enfuir, je te relance le sort sur le champ et tu t'expliqueras avec madame Pomfresh. »

Mon sentiment de satisfaction à l'idée d'être libérée disparaît aussitôt les derniers mots d'Ewald prononcés. Madame Pomfresh. Une colère sourde m'envahit. Comment ose-t'il ? C'est ma vie, pas la sienne, il n'a aucun droit de parler de ça à l'infirmière. Ça ne regarde que moi. Quoi qu'il en soit, je n'avais pas l'intention de bouger, pas dans l'immédiat. Tout ce que j'ai à faire, c'est de me montrer docile pour le moment, jusqu'à ce qu'ils relâchent leur vigilance. Et si possible, il faut que je découvre comment ils ont fait pour me trouver.

Après quelques secondes de silence, Ewald pose sa main sur mon poignet, pour m'empêcher de finir le travail, je suppose, puis relâche enfin son sort. Sans résister, je laisse le Serpentard récupérer mon poignard (j'ai bien d'autres moyens de me tuer après tout, un corps humain est si fragile). Je ne dis rien pendant qu'Arthur referme la plaie à mon cou. Alphonse se rapproche de nous, mes affaires à la main, et me les tend, un air encore un peu choqué sur le visage.

« Pourquoi t'as fait ça ? »
Je le reconnais bien là, impatient. Il ne comprend pas. Et comment le pourrait-il ? Il ne sait rien. Je tends la main pour reprendre mes affaires, mais Ewald fouille mon sac pour en extraire mes baguettes avant de me laisser récupérer le reste. Une nouvelle pointe de me colère me traverse, et je lui jette un regard noir. Ça limite mes options. Malgré moi, je m'entends demander :

« Comment avez vous su ?
-Les souvenirs, Vivian. Je m'excuserais bien, mais je ne suis pas désolé. On va discuter, mais ailleurs. » rétorque Ewald, avec une dureté qui fait taire Al'.

Il a l'air… de m'en vouloir ? Je réponds, parce qu'il faut bien tenter le coup, même si je n'y crois pas trop :

« Je veux que vous me laissiez tranquille. Vous ne pouvez pas me forcer à rester avec vous. Et je veux que tu me rendes mes baguettes, Ewald.
-C'est hors de question. Et tu n'es pas obligée de rester avec nous, en fait je te laisse le choix. Soit tu t'expliques avec nous ce soir, soit je te repétrifie et je te confie aux bons soins de madame Pomfresh, qui ne manquera pas de prévenir la directrice et tes parents. En soi, ce serait sans doute plus sage de te laisser aux mains d'un bon psychomage. »

Il m'en veut, définitivement. Pourtant, si il se souvient ne serait-ce que d'une fraction de mes souvenirs, il devrait comprendre pourquoi je devais mourir. Il ne me connaît que depuis quelque mois ! Qu'est-ce que ça peut bien lui foutre ?

« Tu n'as pas le droit ! » je crache, avec toute la colère qui est en moi. Le Serpentard me regarde avec froideur, mais son visage dévoile un peu de sa colère à lui. Il se contente de répondre d'une voix sèche :

« Je t'ai présenté tes alternatives. »

Les deux autres gardent le silence, et je leur en sais gré. Je n'ai vraiment pas besoin qu'Arthur vienne encore rajouter son grain de sel, ou des questions impétueuses d'Alphonse. Je sais que j'ai perdu pour l'instant, et je décide de me remettre à suivre mon plan initial, que j'ai un peu perdu de vue dans la tourmente de ma colère. Une pointe d'espoir fait jour en moi alors que mon cerveau analyse malgré moi les mots d'Ewald : « en soi, ce serait sans doute plus sage de te laisser au mains d'un psychomage... ». Ça sonne comme si ce n'était pas dans ses intentions, comme si il pensait avoir tort tout en sachant qu'il allait s'en tenir à cette décision. Je rejette l'espoir au fond de moi. C'est la pire émotion. Et puis, ce n'est pas d'actualité. C'est juste bon à savoir, parce que ça veut dire qu'il n'y a pas urgence. Pas tout de suite. Je repousse mes émotions et mes pensées derrière mes murailles mentales, mi-occlumentiques mi-traumatiques, et je répond d'une voix aussi vide que moi :

« Très bien, je vous suis. »

Ils sont venus en balais, et Ewald me fait d'autorité monter avec lui. Il m'enjoint de m'asseoir devant, et son bras vient m'enserrer le corps. Je me tortille un peu, et demande :

« C'est vraiment nécessaire ?
-Je ne peux pas prendre le risque que tu tombes malencontreusement pendant le trajet, pas vrai ? Je pourrais sans doute te rattraper à temps, mais je préfère en être certain. Si le contact te met mal à l'aise, je peux te lancer un sort de glu perpétuelle, c'est toi qui vois. »

Je me contente de soupirer et me force à me détendre un peu dans la prise du Serpentard.

« On va où ? demande Alphonse
-Dans le repaire secret de Vivian, pour commencer. Tu n'as qu'à me suivre. »

Sans échanger davantage de paroles, nous prenons nôtre envol. Je ne vois pas vraiment passer le trajet, occupée à échafauder des théories sur comment ils m'ont trouvée et à paniquer sur ce qu'il va se passer maintenant. Qu'est-ce qu'ils vont vouloir de moi ? Comment faire pour les empêcher d'en parler à des adultes ?

Lorsque nous arrivons à la trappe, je n'ai pas décoché un mot. Ewald demande à Alphonse et Arthur de monter en premier et de récupérer tout objet dangereux qu'ils pourraient trouver. Je ne réagis pas, même si je ne suis pas ravie. De toute façon, j'ai de quoi faire dans la malle de mon dortoir, qu'ils ne pourront pas fouiller, elle. Je suis toujours en train de me demander comment ils m'ont trouvée, sans doute avec un sort ? En même temps, je commence à réfléchir à ce que je vais bien pouvoir leur dire. Je ne sais même pas ce qu'ils voudront savoir. Pourquoi j'ai fait ça peut-être ? Il y a une lettre pour leur expliquer ça. D'ailleurs, les garçons ont rapidement fini de fouiller ma chambre et bientôt Al' est au bord de la trappe pour interpeller Ewald :

« On a fini. Tu devrais monter, elle a laissé une lettre d'adieu… Et Arthur est en train de la lire. »

Al' a l'air a la fois inquiet et fatigué. Je passe la trappe en premier, Ewald n'étant pas disposé à prendre le risque de me laisser m'enfuir ou même de sortir de son champ de vision. Je découvre Arthur assis par terre près de mon hamac, un peu pâle. À la main, il a lettre, mais il ne la lit pas. Alphonse est debout, et son regard ne me lâche pas à partir du moment où il me voit. Je remarque la petite pile de métal qu'il tend à Ewald lorsque celui-ci nous rejoint. Il a dû lancer des sorts de détection pour tout trouver… Mal à l'aise, je choisis de m'asseoir près de la trappe, enroulant mes bras autour de mes genoux et tentant de prendre l'expression la plus neutre possible. Je joue à ne pas exister.

Ewald considère un instant la scène qu'il a sous les yeux, puis demande à Arthur avec un reste de douceur dans la voix :

« Je peux regarder ? »

Son ami répond d'une voix mal assurée, où on entend des sanglots :

« Prends là… Et si tu peux, lis la moi. Je n'arrive pas à aller jusqu'au bout. »

Alphonse ne dit rien, mais il se tortille sur son siège, sans doute parce que lui aussi voudrait savoir ce que j'ai écrit. Ewald se tourne vers moi et demande :

« Ça ne te dérange pas si je la lis à haute voix ? »

Je hausse les épaules. Peu importe ce qu'ils font, tant que cette lettre n'est pas connue des adultes. En soi, ils ne pourraient pas forcément m'empêcher de me tuer, à moins de se donner vraiment de gros moyens. À moins qu'il y aie une potion qui pourrait m'empêcher de me faire du mal, je pense, comme un sursaut, et cette pensée me glace. La simple pensée de voir ma volonté bridée ainsi me révulse. Mais ce qui me dérange le plus (si tant est que cette potion n'existe pas), c'est la simple idée qu'ils apprennent des choses. Parce que ma vie ne regarde que moi. Mes amis, c'est différent. Ils font partie de ma vie. Et même si ça s'est fait bien malgré moi, Ewald, Arthur et Al' sont quand même une part de cette vie. Pour tout le bien que ça leur fait…

Les sentiments d'Ewald sont à l'abri derrière sa barrière occlumentique, comme les miens, même si je ressens les contrecoups de nôtre petite séance de légilimencie. Il lit d'une voix neutre et régulière ma lettre, sans laisser percer ses pensées. En contraste, les sentiments d'Arthur se lisent clairement sur son visage.

« Je suis désolée si ma mort t'attriste. Sois assuré que tu n'y es pour rien. En aucun cas. Je voulais mourir depuis bien avant notre rencontre. Tu peux savoir la vérité, à présent. »

La voix d'Ewald est toujours dangereusement neutre. Les poings d'Al' se crispent, tandis qu'Arthur semble tendu. Il veut connaître cette vérité. Après tout, n'est-ce pas ce qu'il m'a harcelé pour savoir, depuis que je suis arrivée à Poudlard ? Mes souffrances, qui je suis.

« La vérité, c'est que cette enveloppe corporelle n'est pas celle dans laquelle mon existence a commencé. »

Alphonse doit commencer à faire le lien avec ce que je lui ai dit, en haut de l'immeuble en construction, si il s'en souvient. Je n'arrive pas trop à lire son expression.

« Quoi qu'il en soit, je suis née à l'origine en France, sous le nom d'Aurore. J'avais seize ans quand on m'a violée. Je ne tenais déjà pas trop à ma vie à ce moment là, mais ça a été encore pire après. Toutes les personnes à qui je tenais m'ont trahie ou laissée tomber à cette époque. »

C'est à ce moment là que j'arrête de les regarder pour me retirer en moi-même. Je verrouille mes émotions à double tour pour ne pas laisser les images du passé atteindre ma conscience. Je serre mes genoux plus fort contre moi et je plante mes ongles dans les paumes de mes mains pour me concentrer. Je garde la tête baissée. Je fixe le sol, sans vraiment le voir. Quel besoin avaient ils de me trouver ?

« Je sais que ça doit te paraître étrange, mais c'est un réel soulagement pour moi. J'ai attendu ça tant d'années...C'est pour ça que je ne voulais pas que tu t'attaches à moi. »

Je me dis que je devrais quand même regarder les réactions d'Arthur, pour avoir une idée de ce qu'il pense de tout ça.

« Mais sache que ni toi, ni Ewald ou personne d'autre que je connais dans cette vie n'est à blâmer d'aucune façon pour ma mort. Ma décision est prise depuis plus de onze ans. »

C'est à ce moment là que je me force à relever la tête, parce que je veux voir le Poufsouffle comprendre, comprendre qu'il n'est pas responsable, mais aussi mes raisons. Il a la tête baissée, et je ne parviens pas à croiser son regard. Ses poings sont serrés, les jointures blanches sous la pression. Je vois des sanglots silencieux agiter son corps. Il pleure. Alphonse a passé son bras sur ses épaules, comme pour le soutenir. Le Gryffondor me regarde, lui. Il semble vraiment furieux, mais il garde le silence respectueusement, pour qu'Ewald puisse lire la lettre jusqu'au bout. Néanmoins, je peux lire la tension dans tout son corps, et je me doute bien qu'elle éclatera dès que le Serpentard aura fini son office. Ce dernier n'est pas bien visible pour moi. Il est situé à côté de moi, debout sur la trappe. Pour être sûr que je ne m'enfuie pas, je suppose.

Bien vite, Ewald lit les passages directement adressés à lui puis à Alphonse, et soudain sa voix s'arrête après avoir lu ma signature. Le silence dure quelques secondes, entrecoupé des sanglots d'Arthur qui essaye de s'arrêter de pleurer. Ewald s'assoit lourdement sur la trappe. Je l'observe à la dérobée. Son visage est fermé, mais j'ai le sentiment qu'il lutte avec lui même. J'ai une impression étrange en le regardant, mais je n'ai pas le temps de m'y attarder parce qu'un bruit soudain me fait lever la tête. Alphonse s'est décollé du mur auquel il était appuyé, et il se dirige droit sur moi. J'ai un mouvement de recul, mais il s'arrête avant de me toucher.

« Putain Vivian, pourquoi tu n'as rien dit ?
-Désolée. » je fais, parce que je ne vois pas quoi dire d'autre. Je crois que sa réplique a été poussée par la colère, mais c'est la tristesse pure qu'elle contient qui me touche malgré moi. Ç'aurait été tellement plus simple, tellement mieux pour eux aussi, si j'étais restée dans mon coin. Si on ne s'était pas attachés.

« J'étais là ! Arthur était là ! Ewald aussi ! Et toi, t'as rien dit à personne ! Essaye pas de raconter que c'était parce que tu n'étais pas de ce monde, ou une connerie comme ça ! Si t'en avais vraiment rien eu à foutre, t'aurais pas laissé une lettre d'adieu comme ça ! Alors pourquoi Viv', hein ?
-J'ai laissé une lettre par pitié, je réponds, froidement. « Je ne voulais pas de lien, mais je leur devais, vous devait quelque chose, d'une certaine façon. Ce n'est pas parce que je ne voulais pas de lien qu'il n'y en a vraiment pas eu. J'ai toujours été seule, et j'ai appris à ne faire confiance à personne. Et je ne voulais pas m'attacher à vous. C'était une erreur que j'ai faite, une faiblesse. On voit bien le résultat. »

Je ne vois pas venir la claque que m'assène Alphonse. Ça ne fait pas très mal, mais il y est quand même allé sérieusement. Je me frotte la joue, par réflexe, tandis qu'Arthur se précipite vers moi avec une exclamation étouffée.

« Si tu voulais que je sois blessée, vous auriez pu me laisser finir le travail, tu sais ? » je fais remarquer, avec cynisme.

La main d'Alphonse se lève à nouveau, mais Arthur la retient en criant :

« Arrête !
-Il a raison, intervient Ewald avec un soupir lourd. Ce serait mérité, mais ça suffit pour le moment. »

Alphonse serre le poing, mais le laisse retomber le long de son corps, crispé. Arthur se tourne vers moi, les yeux rougis par ses pleurs (qui se sont tout de même arrêtés), et me demande dans un souffle :

« Ça va ? »

Je hausse les épaules.

« En vérité, ça irait bien mieux si vous m'aviez laissé finir, mais si je dis ça Alphonse va encore me frapper. Du coup je vais me contenter de dire que ça pourrait être pire. »

Personne n'est amusé par ma sortie. Dommage, parce que ça m'amuse, moi. Je dois quand même faire gaffe à les garder dans de bonnes dispositions, j'imagine, si je veux éviter la case adultes. Malgré ça, une part de moi se demande ce que ça pourrait changer. Je sais simuler après tout, et il suffit d'un instant d'inattention pour que je puisse crever. Sauf que la pensée d'une potion, ou même d'un sort qui m'empêcherait de me blesser ressurgit en moi. Je me force à respirer normalement pour masquer la panique que cette pensée entraîne en moi. Je ne sais même pas si ça existe. Ce n'est pas d'actualité pour l'instant. Ça va aller. Ça va aller. Ça va aller. J'étale un sourire ironique sur mon visage pour faire comme si de rien n'était.

Alphonse a vraiment l'air de vouloir me frapper à nouveau (et je une part de moi le comprend), Ewald ne semble pas trop réagir. Avant que le Gryffondor n'aie de geste malheureux (pour mon visage, tout du moins), Arthur soupire, reculant d'un pas (a il remarqué que sa proximité me crispait?) et soupire.

« Je crois que tu nous dois quelques explications, non ?
-Ma lettre ne vous suffit pas ? »

Alphonse recule légèrement à son tour, et s'assoit dans mon hamac.

« Bien sûr que non, ça ne nous suffit pas. Je ne sais pas ce que les autres savent de toi exactement, mais pour ma part j'aimerais bien savoir qui tu es vraiment, Viv'
-Je ne suis pas sûre que ça soit une bonne idée. Et c'est une longue histoire.
-Je doute fort qu'aucun d'entre nous ne puisse aller dormir tranquillement, intervient Ewald. Moi aussi, je veux connaître ton histoire. Je pense que c'est nécessaire pour savoir comment nous allons faire ensuite.
-Moi aussi, je veux savoir, ajoute Arthur. S'il-te-plaît. Tu ne peux pas fuir encore, pas ce soir. »

Je les regarde furtivement, puis je baisse la tête. En soi, ils en savent déjà beaucoup. Beaucoup trop. Ils sont trop impliqués. Qu'est-ce que ça changera, si je leur dis tout ? Si je parle de mon histoire ? Pas grand-chose. Et quelque part, j'ai effectivement l'impression de leur « devoir » quelque chose, même si c'est un sentiment absurde. Ils vont savoir que je suis une ordure ? Que je suis faible ? Que je suis méprisable ? Ewald a déjà une bonne idée de tout ça. Et si jamais, par chance, mon histoire les repousse, les détache un peu de moi, c'est tout bénef. Encore mieux si ils comprennent pourquoi je dois mourir. Parce que si ils comprennent ça, j'aurai gagné. Néanmoins, je tente quand même de négocier, rompant le silence plein d'expectatives qui s'était établi pendant mes réflexions.

« Je veux bien vous raconter mon histoire, mais en échange je veux que vous me promettiez d'en parler à personne, et de ne pas mêler d'autres gens à ce qu'il s'est passé ce soir.
-La première condition est légitime. Mais pour la deuxième, je ne peux rien te promettre, répond calmement Ewald. Ça dépendra de ce que tu nous diras, et je dois prendre le temps d'y réfléchir. Mais rien ne se fera dans l'immédiat de toute façon. »

Les autres signifient leur accord avec les paroles du Serpentard, et je grimace intérieurement. Je n'ai pas de garantie, mais en même temps c'est mieux que beaucoup de scénarios que j'ai pu imaginer. Je n'obtiendrai rien de mieux pour le moment. Je prends le temps de rassembler mes pensées avant de commencer à parler.

« Comme je l'ai dit dans la lettre, je m'appelais à l'origine Aurore Berger. Je suis née à Aix-en-Provence, c'est au sud de la France. Ma famille était moldue. Mon père était gérant dans un supermarché et ma mère travaillait dans une garderie. J'avais un grand-frère, qui s'appelait Jérémie. Il avait deux ans de plus que moi. J'ai eu une enfance assez normale… J'aimais jouer aux billes, grimper aux arbres… Quand j'avais cinq ans on a déménagé dans la banlieue de Lyon parce mon père avait eu une opportunité de changer de boulot pour travailler dans la boîte d'un de ses cousins. J'ai pas très bien vécu le changement, pendant longtemps j'ai été nostalgique de la Provence, et de mes amies de là bas. Mais au bout de quelques années, j'avais même perdu contact avec ma meilleure amie d'Aix. Je me suis fait d'autres amis, certains plus recommandables que d'autres… Mon meilleur ami de l'époque m'avait dit que ça ne faisait aucune différence pour lui que je vive ou que je meure. Mais je m'égare. En sixième, j'ai rencontré une fille, Mélanie Evrare. On était dans la même classe et on s'est tout de suite bien entendues. On était assez différentes, pourtant. Elle était plus introvertie que moi, beaucoup plus sensible au regard des autres, et beaucoup plus calme aussi. Elle était passionnée d'archéologie. Ce qui nous a rapprochées, c'est qu'on était toutes les deux vues comme des « intellos », parce qu'on aimait beaucoup lire, et qu'on était bonnes en classe. Elle avait un sens de la justice très prononcé. On passait beaucoup de temps ensemble, même si en parallèle je passais aussi du temps à l'AS, l'association sportive du collège. Je faisais de l'escalade, et d'autres sports de plein air, même si ce que je préférais c'était vraiment me retrouver à grimper. Je me suis fait d'autres amis, donc le mec dont je vous parlais plus tôt, Yohan. En cinquième, on était plus dans la même classe, parce que j'étais entrée en classe spécialité sport tandis qu'elle restait dans nôtre classe bilingue anglais-allemand. Malgré ça, on était toujours très proches. Au fil du temps, elle a commencé à se faire d'autres amis, et je ne sais pas trop à quel moment elle a commencé à aller mal, mais le fait est qu'elle est devenue anorexique. »

Je reprends mon souffle, perdue dans le passé. Malgré toutes les années qui se sont écoulées, je me demande toujours si j'aurais pu mieux l'aider à l'époque. Sans aucun doute. Je ne sais pas comment on a dérivé comme ça. Tout ce que je sais, c'est que j'avais une fascination malsaine pour le suicide, sur les raisons qui poussent les gens à vivre, et que ça ne m'a pas poussée à l'aider comme j'aurais dû, peut-être. Mais je ne vais pas en parler aux garçons. Malgré moi, je prolonge la pause, me rappelant ma façon de la traiter lorsque j'ai appris ce qui lui arrivait. Je la laissais se faire vomir, je l'aidais même, d'une certaine façon, en faisant le guet pour éviter que quelqu'un la surprenne. En parallèle, j'essayais de faire en sorte qu'elle prenne soin d'elle, de la motiver à manger, de lui dire de s'en foutre du regard des autres… Et aussi, j'étais curieuse, et un peu fascinée. Pendant longtemps, je n'ai rien su de la mesure de ce qu'elle se faisait subir, mais j'ai fini par l'apprendre.

« Ça va Vivian ? » Je relève la tête. Mon silence prolongé a inquiété Arthur. Je souris, d'un sourire faux auquel je donne l'éclat de la vérité, et je poursuis mon histoire.

« Ça va, j'ai juste quelques souvenirs qui reviennent… Enfin. L'été avant qu'on entre en quatrième, elle ne m'a pas parlé du tout, peu importe le nombre de fois où j'ai essayé de l'appeler, quand je suis passée chez elle il n'y avait personne… Je l'ai enfin revue à la rentrée, et elle m'a juste dit qu'elle avait passé l'été en colo, puis avec sa famille et ses amies, en me disant que j'étais un peu trop collante et qu'elle avait d'autres personnes à voir. Elle ne l'a pas dit méchamment, même si ça m'a blessée. Pourtant, elle a encore passé du temps avec moi, quand elle le pouvait, mais toujours dans le cadre du collège. Elle a fini par m'avouer que ses parents ne voulaient plus qu'on passe du temps ensemble, parce qu'ils trouvaient que j'avais une mauvaise influence sur elle. C'est à cette période là que j'ai essayé de me faire vomir, moi aussi, pour voir. Je n'ai pas compris la satisfaction qu'elle en retirait. L'été d'après, on ne s'est pas vues du tout. Finalement, elle a disparu quelques semaines après le début des cours, en troisième et je ne l'ai plus jamais revue. J'ai essayé d'appeler, encore et encore, et d'aller la voir, mais on me raccrochait au nez, ou on faisait comme si la maison était déserte alors que je voyais de la lumière à l'intérieur. Un jour, enfin, la porte s'est ouverte, mais ce n'était pas Mélanie. C'était sa mère, et elle était furieuse. Elle m'a dit de ne plus m'approcher de sa fille, que j'avais une mauvaise influence sur elle, limite que j'étais la cause de sa maladie, et qu'elle ne voulait plus jamais me voir. Ensuite, elle a claqué la porte. J'ai pleuré ce jour là, mais quand je suis rentrée à la maison j'ai fait comme si de rien n'était. J'ai fini par raconter un peu de tout ça à mes parents, quand même, parce qu'il fallait bien qu'ils sachent pourquoi je ne parlais plus de ma meilleure amie. J'ai fini par apprendre par mon frère, qui fréquentait à l'occasion la grande sœur de Mélanie, qu'elle avait été placée dans un centre. »

Je prends le temps de reprendre mon souffle, et en profite pour observer discrètement les garçons. Je ne peux pas voir clairement Ewald sans tourner la tête, mais je constate qu'Arthur a l'air un peu bouleversé tandis qu'Alphonse affiche une mine concentrée. Néanmoins, il ne m'échappe pas qu'il a les poings serrés. Il profite d'ailleurs de la pause dans mon discours pour lâcher :

« Tu parles d'une amie… »

Je ne commente pas. Je me concentre sur ce que j'ai encore à dire.

« Après ça, elle m'a manqué, longtemps, j'ai imaginé plein de raisons qui pouvaient expliquer son comportement, je me suis dit que c'était ses parents qui l'empêchaient de me parler, mais que ce n'était pas ce qu'elle voulait. Bien sûr, je me détrompais vite, je me souvenais qu'elle aurait simplement pu m'envoyer un sms, ou faire passer un message par nos connaissances communes… L'été avant d'entrée au lycée, mon frère est venu me rendre visite dans ma chambre, un soir. »

Je remonte mes murailles, recevant la douleur de la migraine qui éclate dans mon crâne (trop de magie de l'esprit pour la journée) avec un mélange de lassitude et de plaisir. Je sépare ma conscience de mes émotions pour poursuivre mon histoire tandis que mes ongles se plantent discrètement mais profondément dans mon bras.

« Mélanie me manquait beaucoup ce soir là, et même si le comportement de mon frère était inhabituel, j'ai été contente qu'il vienne me tenir compagnie. Je pensais qu'il me réconforterait. Il m'a violée ce soir là.
-QUOI ?! »

Alphonse, évidemment. J'aurais aimé qu'il s'abstienne, pour que je puisse continuer, passer au plus vite ce moment et faire comme si de rien n'était. Je repousse ces considérations et je répète posément.

« Il m'a violée.
-Comment il a pu faire une chose pareille ?! C'est complètement immoral ! »Arthur cette fois-ci, scandalisé.

J'ai un pauvre rire devant l'absurdité de sa déclaration.

« Je te dirais bien de lui poser la question, mais il est mort.
-Comment ça ?!
-Il a eu un accident de voiture, six mois après ce qu'il m'a fait. On n'en a jamais vraiment parlé, on a fait comme si de rien n'était, alors je n'ai jamais su pourquoi il avait fait ça. »

Je parle vite, pour éviter d'être à nouveau interrompue.

« Je ne savais pas quoi dire, quoi penser, je m'en voulais tellement de ne pas m'être défendue, de ne pas avoir réagi. Je me disais que c'était ma faute aussi, et c'est un peu ce qu'il avait sous-entendu lorsqu'on en avait parlé à demi-mots. Il ne m'a jamais fourni la moindre explication, jamais demandé pardon. Et il est mort. J'étais choquée et en même temps abjectement rassurée, de savoir qu'il ne pourrait pas recommencer, parce qu'il n'existait plus. Mon père m'a reproché de ne pas être assez triste, à l'enterrement, et j'ai essayé de dire à mes parents ce qu'il s'était passé, mais ils n'ont pas voulu m'écouter. Ils m'ont dit que j'étais ingrate, que je ne devrais pas salir sa mémoire, que peu importe ce qu'il s'était passé entre nous, il était mort maintenant, que par conséquent ça n'avait plus d'importance. Après ça, je n'ai même plus essayé de parler aux gens. Je ne faisais confiance à personne, et cet événement m'a juste confirmé que c'était mieux ainsi. Mes parents ont divorcé six mois plus tard, et je suis restée vivre chez mon père, vu que mon lycée était à côté de chez lui. Je voyais ma mère le week-end, elle s'était installée à Lyon. »

Je sens que les autres voudraient réagir à ce que je leur dis, mais je suis juste pressée d'en finir, alors j'enchaîne.

« Je m'étais faite quelques amis au lycée, des gens comme moi, des marginaux. J'en ai pas parlé plus tôt, mais je me suis faite harceler par d'autres élèves toute ma scolarité. Rien de bien méchant, presque jamais des agressions physiques, mais bon, j'étais loin d'être populaire, et ces amis avaient eu des parcours semblables. Bref. En seconde j'avais rencontré Maeva, et c'était à peu près la seule personne sympathique de ma classe. Même si à l'époque j'étais complètement déconnectée et que j'en avais plus rien à foutre, je l'avais remarquée, elle. Elle était paradoxale, à la fois bruyante et timide, très discrète sur sa vie privée. Puis, quand mes parents commençaient à vraiment s'engueuler, il y a eu Élias et Florian, deux gars que j'ai connus au club jeu de rôle où j'allais avec Maeva. Ils étaient tous les deux assez geek, chacun dans son style. J'ai eu quelques discussions profondes avec Élias, quand je lui ai parlé de mes parents, à l'occasion. Le divorce, il connaissait. Avant la fin de l'année, on avait pris l'habitude de se retrouver de plus en plus souvent ensemble, dans la cour, on mangeait tous ensemble, et on a aussi commencé à se faire des séances de jeu de rôle entre nous, chez Élias ou Florian en général. Je pense que tout le monde voyait que j'allais mal. À l'époque, je ne cachais pas mes coupures, de fait je n'étais pas la seule du groupe à en faire. Mais on n'en parlait jamais vraiment, et je m'étais créé une façade grande gueule, de pitre, pour que personne ne s'interroge trop. Je mentais autant que nécessaire pour couvrir mes traces, je faisais semblant. »

Je reprends mon souffle un instant, puis je continue. Il est temps d'introduire dans mon histoire la personne qui a tout bouleversé.

« Quelques mois avant la fin de l'année, Élias a commencé à traîner pas mal avec un gars de sa classe, et nous l'a fait rencontrer. Il s'appelait Quentin. Il était gentil, très attentif aux autres, et un peu timide. C'est lui qui a décidé d'aller vers moi, et on a commencé à se parler régulièrement, par sms. C'est allé assez vite. On avait des discussions profondes et très intéressantes. Il s'inquiétait beaucoup pour moi, il voulait comprendre ce qu'il m'arrivait, pourquoi je me coupais par exemple. On s'est souvent vus en groupe pendant les vacances, et quand on était ensemble il restait toujours attentif à moi. Il se rendait souvent compte quand j'étais mal et essayait discrètement de m'aider. Il me soutenait. Il m'a rendu mes sentiments. Je ne sais pas comment le dire autrement… »

Je prends une pause, le temps de respirer, cherchant les mots qui exprimeront ce que je dois à Quentin, ce qui a causé ma perte aussi.

« Après le viol, je ne ressentais plus rien, à part la douleur, et même ça c'était atténué. Mais à force de discuter avec lui… Je me suis surprise à rire sincèrement, à ressentir de la joie… Je me suis sentie vivre plutôt que survivre, même si ça a pris du temps. Peu à peu, je suis tombée amoureuse de lui. Je l'ai réalisé le jour où il m'a annoncé qu'il venait de trouver une copine. Je lui ai avoué mes sentiments, parce que je voulais être honnête avec lui, même si c'était inutile. Il m'a dit qu'il s'en doutait. Après ça, je suis allée un peu plus mal, j'avais beau essayer de ne pas penser à lui de cette façon je ne pouvais pas effacer ce que je ressentais. Il continuait à me parler, parce que j'avais tellement besoin de lui. Et puis, j'étais devenue sa meilleure amie au cours des mois où on avait discuté. Honnêtement, je pense que je serais allée encore plus mal si on avait arrêté de discuter… Et puis, le samedi dix novembre je suis allée à une soirée jeu de rôle où un mec du club, Lucas, m'avait invitée. Honnêtement, ce n'était pas quelque chose que je faisais en général, je ne connaissais pas très bien le type, mais bon… Je voulais me changer les idées, oublier Quentin, et je pensais que ce serait du jeu de rôle quoi. »

Les garçons sont toujours silencieux, rivés à mes lèvres, même si Arthur laisse échapper un léger bâillement avant de rougir instantanément. Je le remarque à peine, plongée dans le passé.

« La soirée avait lieu chez un mec qui habitait à une quinzaine de minutes de chez moi à pied. Quand je suis arrivée sur place, j'ai tout de suite compris que ce ne serait pas ce que je pensais. Il y a avait de la musique à fond et une dizaine de personnes que j'avais déjà croisées au lycée, pour la plupart au club jeu de rôle, et il y avait autant d'alcool que de nourriture sur les tables. J'ai pensé à rentrer, parce que l'alcool n'était pas du tout mon truc, ni les soirées, mais je me suis dit que je pouvais bien faire un effort et essayer de me sociabiliser. Ils passaient du métal, ça voulait dire qu'on avait au moins ça en commun. Le mec qui m'avait proposé de venir était déjà là, du coup je suis allée discuter avec lui. Comme il y avait pas mal de bruit, il a proposé qu'on aille dans une pièce à côté pour bavarder. On s'est calés sur un canapé, et au début tout était normal, sauf qu'au bout de quelques temps il a commencé à poser sa main sur ma cuisse. Au début je n'ai pas réagi, j'ai cru à un accident, puis il l'a faite glisser davantage vers mon entrejambe. Je me suis tortillée un peu, c'est tout ce que j'ai réussi à faire, et il m'a dit « tu me dis si je te dérange hein ? », sauf que j'étais plus capable de réagir. C'était comme quand mon frère m'a violée, j'étais tétanisée. Il m'a tripotée un peu, mais des gens sont entrés dans la pièce et sont venus lui parler. Ils n'ont pas fait gaffe à ce qu'il faisait, comme si tout était normal, mais sa distraction m'a permis de bouger. Je suis partie sans m'arrêter, sans penser, je me souviens à peine du chemin de retour, juste du moment où je suis sortie et j'ai réalisé que je n'avais pas changé. Que j'étais toujours incapable de me défendre. »

J'entends l'amertume dans ma voix. Je passe discrètement ma main le long de mon flanc pour planter mes ongles dans ma paume sans être vue. Je me souviens de tout, je ressens encore tout ça en le racontant.

« Ça a été un déclic pour moi. J'ai compris que je ne pourrai jamais échapper au passé. Ce soir là, mes souvenirs sont revenus en force. Je me suis coupée sans souci de discrétion, et j'ai pris des somnifères dans l'armoire à pharmacie pour pouvoir dormir. J'en ai pas pris trop, parce que je ne voulais pas mourir par accident. J'ai envoyé un sms à Quentin, mais il ne m'a pas répondu parce qu'il dormait déjà. En attendant que les somnifères fassent effet, j'ai commencé à réfléchir à comment me tuer. J'y avais déjà pensé très souvent, j'avais déjà fait plein de choses dangereuses, pour le plaisir, et parce que j'en avais rien à foutre de vivre ou de mourir, mais cette fois là c'était plus seulement de l'abstrait. J'ai commencé à réfléchir à un plan. Parce que ça ne servait à rien de vivre pour toujours revivre les mêmes choses. »

Je sens la main d'Ewald décrisper mes doigts, toujours plantés dans ma paume, et se glisser doucement contre ma main pour la prendre délicatement. Je me laisse faire, pour ne pas que les autres remarquent le mouvement, et un peu aussi parce que je suis surprise. Je poursuis néanmoins mon histoire. Il ne reste plus grand-chose à dire, et il me tarde d'avoir terminé.

« J'ai revu Quentin lundi, avec les autres, et quand il a vu l'état de mes bras il m'a prise à part pour me parler. J'avais essayé de les cacher pourtant, mais il a compris que je m'étais faite de nouvelles coupures à mon comportement, et il s'est débrouillé pour voir. Je lui ai expliqué un peu ce qu'il s'était passé, et il a essayé de me réconforter, mais ça n'avait pas de sens pour moi. Il ne pouvait pas comprendre. Il a parlé de porter plainte, tout en disant que c'était bien que Lucas ne soit pas allé plus loin, qu'il était fier de moi pour avoir réussi à partir. Mais il ne comprenait pas que je n'aurais pas été capable de l'empêcher de me violer si il l'avait voulu. Je lui ai dit que je ne pouvais pas échapper au passé, et il m'a servi des mots creux, m'affirmant que tout passait, que ça irait mieux. Sauf que ça ne va pas mieux, quand on est piégé dans sa tête. Je lui ai dit que je voulais mourir, il m'a dit de ne pas le faire, comme d'habitude. Je crois que ce jour là, Élias et Maeva aussi m'ont posé des questions sur mon état. Élias surtout, il était inquiet. Je m'en suis voulue qu'ils s'inquiètent. J'ai dévié les questions de Maeva et évité Élias jusqu'à la fin de la journée. Le soir, comme je ne pouvais pas dormir, j'ai continué à penser à mon suicide. Je voulais sauter dans le vide, parce que j'ai toujours rêvé de voler. Mais je savais de mes expériences d'escalade plus ou moins légales que je serais incapable de me laisser tomber volontairement dans le vide. Du coup, j'avais décidé de boire du liquide de cigarette électronique pour m'empoisonner, en espérant que quand la douleur serait trop forte je serais capable de sauter. J'avais appris par hasard que la dose de nicotine dans le e-liquide pouvait être mortelle. C'était mon plan. Je ne savais pas quand et où je le mettrais à exécution, mais au moins j'avais quelque chose. Ça m'a permis de donner le change plus facilement le lendemain, même Quentin avait l'impression que j'allais mieux. Apparemment c'est classique chez les personnes suicidaires, de paraître aller mieux lorsqu'on a un plan. Mais à l'intérieur, j'étais morte. À nouveau, j'avais du mal à ressentir les choses, et je ne parvenais pas à oublier. Le mercredi matin, j'ai croisé Lucas dans un couloir qui rigolait avec une bande de potes à lui. C'est ça qui m'a fait me décider à mettre mon plan en œuvre, je crois. J'ai profité de la pause de midi, avant l'association sportive du lycée, pour aller m'acheter l'e-liquide. Heureusement, certains au lycée en dealaient, parce que comme je n'avais pas dix-huit ans j'aurais pu avoir des problèmes pour en acheter en magasin. Ça m'a fait du bien d'avoir le flacon, et puis j'ai réalisé que rien ne m'empêchait de mourir le jour même. Du coup, au lieu d'aller faire de l'escalade, je suis rentrée chez moi. Mon père était au travail, j'en ai profité pour brûler certains documents, et réfléchir à ce que j'allais laisser. J'ai écrit un testament, puis une lettre d'adieu pour Quentin. J'ai rangé un peu ma chambre, pour m'assurer que je n'avais rien à faire disparaître. Pendant que je faisais ça, ma mère a proposé de me récupérer à la sortie de l'escalade pour qu'on mange ensemble. Je me suis dit que c'était l'occasion de la voir une dernière fois, alors je l'ai rejointe, en jetant au passage mes lames de rasoir dans une poubelle du quartier. Je ne voulais pas que mes parents apprennent des choses qui allaient les blesser en plus de ma mort. J'ai laissé le testament et la lettre pour Quentin sur le bureau de ma chambre, et j'ai dit à mon père que je mangeais chez ma mère et qu'on ne se croiserait sans doute pas le soir. J'ai mangé avec ma mère, mais je m'en souviens à peine. Je pensais au flacon qui dormait dans ma poche. À l'aller, j'avais repéré un immeuble assez haut dont les portes étaient ouvertes à chaque fois que je passais par là pour voir ma mère, j'ai décidé que j'irai voir là-bas en premier si je pouvais monter sur le toit. En plus, c'était à côté d'un hôpital, ce qui voulait dire que des allées et venues n'inquiéteraient personne. Il fallait juste que je m'assure de ne pas me louper, parce que ça aurait été bête que quelqu'un me trouve, ç'aurait été trop facile de me sauver. Quand j'ai quitté ma mère, je suis allée directement à l'immeuble. Il commençait à être un peu tard. La porte d'en bas était ouverte, comme je l'avais prévu, et j'ai pu atteindre le dernier étage en grimpant les escaliers. Je n'ai croisé personne, c'était facile. Arrivée en haut, l'échelle qui permettait d'accéder à la trappe et donc au toit était accrochée au mur par un cadenas, mais j'ai réussi à me servir d'un pot de fleurs et de la rambarde du haut de l'escalier pour atteindre la trappe. Heureusement pour moi, elle n'était pas verrouillée, et j'ai réussi à monter sur le toit, même si j'ai bien galéré. À ce moment là, j'étais bien contente de faire de l'escalade. »

Je vois distinctement Arthur et Alphonse se tendre au fur et à mesure que je décris ma dernière journée. Ils redoutent la chute (je sais, je suis très drôle) mais pas autant que je me languissais d'elle à l'époque. Pas autant que je rêve de crever à l'instant.

« Une fois en haut, j'ai posé mes affaires de façon bien ordonnée, j'avais gardé ma carte d'identité pour qu'on puisse facilement identifier mon corps. J'ai pris le temps d'admirer le coucher de soleil, et de me demander si je voulais vraiment mourir. Parce que bon, tant qu'on est en vie on peut toujours mourir. Mais normalement quand on est mort c'est pour de bon. Il faut croire que je suis maudite. Mais pour moi, la réponse était claire. Je n'attendais que ça. Pourtant, j'ai appelé Quentin. Pour lui laisser une chance, pour qu'il me retienne, peut-être… Il a décroché, mais son attention était surtout sur sa copine, qui dormait chez lui, et qu'il devait retrouver. Je sentais bien que je le dérangeais. Alors, je lui ai dit adieu, et j'ai raccroché en avalant le poison. Et puis, comme je l'espérais, la douleur a suffi à me donner l'élan pour sauter. Et c'est comme ça que je suis morte. »

xxx

The silence changed me
All the words unspoken
All the hurt and the pain
There's so much they don't see

And I keep on pretending
But I am haunted by the past
I can't escape anything
Only the pain can last

-Poème extrait du carnet bleu de Vivian-Éris-


Et voilà pour ce chapitre, il me tarde d'avoir vos retours sur toutes les fautes inattention que ma fatigue a dû laisser passer, et surtout sur le background de Vivian. J'imagine que pas mal de questions trouvent des réponses dans ce chapitre...
Je serais curieuse de connaître vos théories quant à la suite des événements...

Bonne nuit et à la prochaine,

singé: un.e zombie