Salut!

Je vous laisse avec un nouveau chapitre. J'ai essayé de prendre de l'avance ce mois ci, car je vais être très chargé.e cet été mais ça a été un échec... J'espère que ça va le faire!
En attendant, j'espère que vous apprécierez ce chapitre, et il me tarde de lire vos retours!

Bonne lecture!


Je mets deux jours à réussir à me forcer à écrire à mes parents. Je déteste ça. Et puis, je n'arrive pas trop à trouver mes mots. Quoi leur dire ? Au fait, je sais que je suis déjà hyper cheloue, que je suis sorcière et que mon esprit n'est pas du tout celui d'une gamine, mais en bonus je n'ai pas envie d'avoir de boobs ? Je n'arrête pas de soupirer en écrivant la lettre. Ça ne les regarde pas, tout ça. C'est personnel. Intime. Je hais tellement le fait d'être bloquée dans un corps d'enfant, assujettie à toute ces règles concernant les mineurs. Ça fait tellement longtemps que j'ai réussi à gagner beaucoup d'indépendance, à force de travail, que me retrouver renvoyée en arrière me donne le sentiment d'être piégée. Ce sentiment est la raison pour laquelle je me coupe, ce soir là. Mais au moins, j'ai réussi à finir de rédiger ma lettre, et je l'ai envoyée. Advienne que pourra.

Le samedi, l'entraînement de Quidditch se passe assez mal. Je suis frustrée, et je n'arrive pas à me concentrer sur le jeu. Pourtant, Alphonse annonce à la fin que c'est moi qui jouerai contre Serdaigle dans quelques semaines. Lily Potter va être ravie de savoir que son entreprise de lobbying a fonctionné. Malgré mon échec lors du dernier match, l'annonce n'est pas trop mal accueillie. J'imagine que m'avoir vue jouer en conditions réelles a au moins eu le mérite de montrer que je n'étais pas pire que Jenkins. En parlant de lui, il n'accepte pas la décision d'Alphonse, et un ou deux de ses amis se regroupent autour de lui pour faire connaître leur opinion à notre capitaine. Ils sont toujours entrain de lui hurler dessus lorsque je quitte le terrain avec un regard d'excuse. Rester ne ferait qu'envenimer la situation. Et puis, Al' a été rejoint par son partenaire de la chasse aux lucioles et nos batteurs qui l'entourent face au petit groupe de rageux.

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L'information fait rapidement le tour du château, car le soir même, alors que j'attends Ewald dans la grande salle, Scorpius vient s'asseoir à côté de moi, accompagné de sa troupe habituelle.

« Il paraît que c'est toi qui joue contre Serdaigle ?

-Alphonse l'a annoncé à l'entraînement, oui. »

Les yeux des jumeaux s'agrandissent :

« Vous allez perdre. » me dit Albus

« Lily est effrayante quand elle s'y met, et elle veut se venger depuis des mois. » ajoute Severus

Je hausse les épaules.

« On verra bien ce qu'il se passera.

-Moi, je trouve ça super cool que ton capitaine fasse confiance à une première année. » fait Scorpius « Mais c'est vrai que tu voles bien. » ajoute t'il avec une pointe de jalousie.

Le reste du repas se déroule sur le même ton. Eva se garde bien de participer à la conversation alors que Scorpius parle avec envie des matchs qu'il a vus et de son analyse des équipes de Poudlard. Les jumeaux essayent de me donner des conseils pour affronter leur sœur. J'ai l'impression qu'ils ont envie que je la batte, tout en étant convaincus que je n'ai aucune chance. C'est… gentil je suppose ? En tout cas, le match pour eux est clairement un duel entre elle et moi plutôt qu'un événement inter-maison.

À un moment, Lily passe près de notre table et m'adresse un sourire victorieux. Ça fait froid dans le dos. Malgré moi, je commence à être piquée. J'adorerais lui montrer de quel bois je me chauffe.

J'ai l'occasion d'en discuter avec Alphonse, le lendemain. J'ai le sentiment que lui aussi a un peu peur de Lily, même si il ne l'admettra jamais. Il me donne beaucoup trop de conseils. Mais il est déterminé à gagner, et c'est tout ce que je demande. Arthur et Ewald, moins impliqués, se contentent de me féliciter d'avoir été choisie pour jouer.

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C'est le lundi matin que je reçois la réponse de mes parents. Je la mets dans mon sac sans la lire, préférant attendre le soir, d'être tranquille, pour l'ouvrir. Je sais qu'Ewald et Arthur l'ont remarqué, mais ni l'un ni l'autre ne fait de remarque. C'est déjà ça.

La journée se déroule sans problème particulier, à peine un accrochage avec une fille de mon dortoir vite réglé par un regard intimidant. J'ai une réputation, maintenant. Une fois n'est pas coutume, Cian se joint à nous pour le repas du soir. Elle ne parle presque qu'à Arthur et Ewald. Ce n'est pas vraiment qu'elle m'ignore, non, mais le malaise est palpable. Elle semble ne pas savoir comment me traiter, clairement incapable de faire abstraction de mon âge apparent, mal à l'aise lorsque je parle normalement (pour moi). Je déteste l'expérience. Je me demande pourquoi elle est là. De fait, je fuis rapidement la grande salle au final, juste pour me retrouver à devoir lire la lettre de mes parents, ce qui ne promet pas d'être mieux…

Au final, leur réponse est courte. Ils ne comprennent clairement pas de quoi il est question.

« Ma chérie,

Ta mère et moi sommes contents d'avoir de tes nouvelles.

Néanmoins, nous devons admettre être un peu confus vis à vis de ton envie d'arrêter ta puberté. Nous avons du mal à comprendre d'où te vient cette idée, et nous craignons que tu ne prennes de décision hâtive.

Il est normal d'appréhender les transformations que ton corps traverse et va traverser. C'est un âge difficile, et tout change. Au vu de ta maturité, nous ne t'avons peut-être pas suffisamment préparée, présupposant à tort que tu accueillerais ces changements avec joie. Il n'y a rien à redouter, ton corps s'épanouit pour faire de toi une femme, même si la transition n'est pas très agréable.

C'est un grand bouleversement, c'est certain. Si nous pouvons t'aider à l'aborder, nous le ferons avec plaisir.

Tu nous dis que ton infirmière scolaire a arrêté temporairement ta puberté, et je dois avouer que cette décision, prise sans nous consulter, nous inquiète un peu. Tout le monde doit grandir un jour, et nous craignons que ça soit pour toi une manière de contrebalancer la précocité dont tu as toujours fait preuve. Si c'est le cas, nous tenions à te rassurer. Tu seras toujours notre petite fille, et nous continuerons à t'aimer au fil des changements de ta vie.

Nous viendrons avec plaisir à ton école pour discuter de tout ça avec toi et ton infirmière.

Bisous,

Papa »

Je pose rageusement la lettre par terre avant de laisser échapper un gémissement de rage et de frustration mêlée. Voilà pourquoi je ne voulais pas leur en parler ! Ils ne comprennent rien ! Ils vont m'empêcher de faire mes choix, juste parce qu'ils ne comprennent rien ! C'est tellement injuste qu'ils aient du pouvoir sur moi, sur mon corps. Lentement, je commence à suffoquer. Je me griffe les bras, essayant de me calmer, de contenir la colère en moi, de me retenir de hurler… J'échoue. Je n'ai même pas envie de me couper, pour une fois, tellement ma colère est dirigée à l'extérieur de moi. Je leur en veux. Comment on peut être stupide comme ça ?! Je me sens insultée par leur lettre, d'une certaine façon, comme si je ne savais pas ce que je voulais, comme si j'avais peur du changement. Je tourne en rond dans ma tour avant de décider sur un coup de tête de sortir. Je ne vais pas me calmer si facilement.

Mes pas me mènent jusqu'à la tour de Gryffondor où je trouve la personne que je cherchais. Il semble surpris de me voir, encore plus quand je me plante devant lui, interrompant sa discussion avec deux de ses amis qui étaient en train de faire leurs devoirs devant la cheminée.

« Tu veux venir faire du saut sur balais avec moi ? »

J'ai parlé en français et les deux mecs me regardent avec un air encore plus perdu.

« Euh, à cette heure ci ? Tout va bien Viv' ?

-J'ai juste besoin de me défouler. »

Je réponds à Alphonse, toujours en français. Il soupire d'un air faussement dramatique avant de se lever.

« Le devoir m'appelle ! » fait il en anglais d'un ton théâtral à l'adresse de ses compagnons.

« C'est ce que tu vas dire à Urgalt ? » marmonne l'un d'eux.

Al' fait semblant de n'avoir rien entendu et m'emboîte le pas.

Nous nous dirigeons dans une partie reculée du château pour sauter. Il reste encore une bonne demi-heure avant le couvre feu, mais autant être prudents. Nous nous amusons à sauter pendant un bon quart d'heure, sans que mon ami ne me pose de question. C'est pour ça que je suis allée le voir, sans doute. C'est quelque chose que j'apprécie vraiment avec lui. Il se concentre sur le moment présent sans être trop curieux.

Finalement, nous entendons des bruits de pas se dirigeant vers nous à toute allure, et choisissons prudemment de nous cacher. Bien nous en prend, car nous voyons le concierge passer la tête par la fenêtre d'où nous venons de sortir deux secondes plus tard. Il regarde en bas, et nous avons eu la présence d'esprit de nous envoler vers le haut. Par réflexe, je tire le capuchon de ma cape, imitée par Alphonse. Juste à temps, car il lève les yeux, et nous voit. Sans perdre une seconde, je démarre en trombe, suivie par mon compagnon. Je ne prends pas le temps de regarder en arrière. Nous filons entre les tours, frôlés par un ou deux sortilèges inconnus. Nous trouvons refuge dans ma tour, plus proche que le dortoir des Gryffondor, où nous nous dissimulons du mieux qu'on peut, en nage. Ce concierge est terrifiant.

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Une fois sûrs qu'il ne nous trouvera pas, nous éclatons de rire, la tension volant en éclat. J'offre un large sourire à Alphonse, qui me le rend.

« Il est taré, de viser des élèves sur un balais, non ?

-J'ai reconnu les sorts, grimace Al'. C'est une sorte de sort grappin. On serait pas tombés, mais il nous aurait ramenés vers lui. Je l'ai déjà vu à l'œuvre... »

Je frissonne. Je n'ai pas envie d'en savoir davantage alors qu'on vient à peine de lui échapper. Ça m'a vraiment fait du bien, en tout cas, cette escapade. C'est pour ça que je réponds :

« C'était fun en tout cas !

-Carrément ! » sourit mon interlocuteur.

Je détourne le regard avant d'avouer :

« Mes parents m'ont saoulée.. J'avais vraiment besoin de ça.

-Ils ont fait quoi ? »

Je soupire. Comment lui expliquer ? Je n'ai pas envie de l'entendre dire que je suis bizarre, ou me faire la morale sur la puberté. Bon, là dessus je doute qu'il dise quoi que ce soit mais on sait jamais.

« En gros je leur ai parlé d'un truc qui concerne mon physique, ils ont rien compris, et comme c'est mes parents bah apparemment ça leur donne le droit de m'imposer des décisions sur mon corps.

-Tu leur a parlé de…

-De quoi ? » je demande, un peu inquiète

« Les coupures ? »

J'éclate presque de rire tellement Alphonse est à côté de la plaque. Comme si j'allais leur parler de ça un jour !

« Non, pas du tout. Tu vas sans doute trouver ça chelou, mais en gros je n'ai pas envie d'avoir de poitrine.

-Euh, okay. Et pourquoi tu dois en parler à tes parents ?

-Il y a des moyens magiques d'arrêter la pousse de la poitrine. Sauf que pour ça, il faut leur accord, vu que je suis mineure. Pour l'instant, madame Pomfresh a stoppé temporairement ma puberté, mais elle peut pas faire plus tant qu'elle n'a pas l'accord de mes parents. »

J'ai prononcé ces derniers mots avec un humour grinçant clairement audible. Al' fronce les sourcils.

« Je vois… Et du coup ils sont pas d'accord ? »

Je hausse les épaules avant de lui tendre la lettre. Il la parcourt rapidement, avant de me la rendre d'un air dégoûté.

« Ah ouais, putain, je comprends que ça t'aie mise en colère ! Mais madame Pomfresh, va t'aider, non ?

-J'espère… Elle avait l'air compréhensive quand je l'ai vue. Mais si ils comprennent pas, ils peuvent m'empêcher de faire ce que je veux, juste parce que c'est mes parents ! »

Al' hausse les épaules.

« Pour l'instant tu vas bien voir ce qu'ils disent quand ils la verront. Mais ça va le faire, Viv' ! Tu es très forte pour obtenir ce que tu veux ! Et si ils comprennent pas, je t'aiderai !

-Tu vois ça comment ? » je demande, haussant un sourcil sceptique.

« J'irai les voir ! » répond bravement mon ami, et j'ai un petit rire en l'imaginant sonner chez eux. Il prend un air menaçant, faisant craquer ses phalanges, et j'éclate de rire.

« Merci, Al'

-À ton service ! »

On reste silencieux quelques instants, puis il reprend la parole avec davantage de sérieux.

« C'est injuste que ça soit comme ça. Mais ça va aller. On s'assurera qu'ils comprennent, d'accord ? »

Je souris.

« De toute façon, c'est pas comme si j'allais leur laisser le choix. »

Et c'est la vérité. Je trouverai bien un moyen de parvenir à mes fins. J'ai vécu pire. J'ai un petit rire intérieur en réalisant qu'Alphonse a réussi à me remonter le moral.

En parlant de lui, il remue un peu sur place.

« Je devrais rentrer bientôt, il commence à être tard.

-C'est vrai. » je souris « Merci pour la soirée.

-C'était un plaisir. » sourit-il en retour.

J'ai l'impression que la conversation est finie, pourtant il ne se lève pas, continuant à remuer avec l'air un peu mal à l'aise. Je finis par craquer.

« Qu'est-ce qu'il y a ? »

Il sursaute presque.

« Comment tu sais qu'il y a quelque chose ? »

Je lève les yeux au ciel.

« Tu n'es pas exactement la personne la plus subtile que je connaisse, Al'. Sans vouloir t'offenser.

-C'est vrai » Admet-t'il avec un pauvre sourire

Il se tortille encore un peu avant de lâcher.

« Tu continues à te couper ? »

Je soupire. C'était ça le problème ? Je hausse les épaules, refusant de donner une réponse verbale.

« Je ne comprends pas pourquoi Ewald te laisse faire. »

Là, je suis surprise. Pourtant, je ne devrais peut-être pas. Ça expliquerait le froid que j'ai senti entre eux, si Alphonse le blâme. Pourtant, ça n'a aucun sens.

« Qu'est-ce qu'il vient faire la dedans ?

-Depuis qu'on est rentrés à Poudlard j'ai l'impression qu'il en a plus rien à foutre, qu'il n'essaye même plus de t'aider. »

Choquée, je ne réponds rien pendant quelques secondes, que le Gryffondor met à profit pour continuer à parler.

« Je veux dire, avant il faisait tout pour t'en empêcher, et ça marchait, et là c'est comme si il avait jeté l'éponge.

-Pour clarifier tu le blâmes lui pour quelque chose que je fais moi ? T'as conscience que ça n'a aucun sens ? »

Alphonse prend un air buté.

« C'est le seul qui aie réussi à t'aider. Il ne devrait pas laisser tomber comme ça. »

Ça sort tellement de nulle part que j'ai du mal à trouver mes mots.

« J'ai du mal à comprendre ce que tu lui reproches. Il fait ce qu'il veut, non ? Et c'est complètement injuste de le blâmer alors que tu ne fais rien. »

Aussitôt que ces mots sont sortis de ma bouche, je les regrette. Al' donne un coup de poing dans le mur. Je tressaille.

« Mais je ne sais pas quoi faire, Vivian ! Lui, il sait. Lui, il arrive à te parler, il comprend ce qui te passe dans la tête. Moi je suis trop con pour ça ! Je suis démuni. C'est pour ça que je… que je trouve ça injuste. »

Il me regarde, pantelant, les poings serrés. Je suis perdue. Je ne m'attendais ni à son excès de rage, ni à ses mots.

« Ça va, Alphonse ? Tu m'inquiètes. » j'admets, doucement.

« Je ne sais pas. Je m'inquiète pour toi, et j'ai l'impression que ça sert à rien, ce qu'on fait. Que ça change rien. Et je sais que c'est injuste de blâmer Ewald, mais je ne peux pas te blâmer toi d'aller mal ! Et lui, il est toujours si sûr de lui, si capable. Je veux que t'ailles mieux, bordel, c'est pas difficile à comprendre, mais je sais pas comment faire ! »

Pendant quelques instants, je ne dis rien. Je ne m'attendais pas à ça, surtout de la part d'Alphonse. Encore une fois, je culpabilise de ce que je fais traverser à mes amis. J'ai aussi une vague de tendresse envers lui. Je rassemble mes mots avant de lui offrir, hésitante.

« Je ne sais pas par quoi commencer. Ton problème, ce n'est pas vraiment Ewald je crois. Hmm… Déjà, tu m'aides. Vraiment. Tu n'as pas besoin de faire plus. Par exemple, ce soir, tu as réussi à me redonner le sourire alors que c'était vraiment pas gagné avec mes parents ! Je savais que tu étais là, que tu serais partant pour me suivre, et c'est… C'est précieux pour moi d'avoir cette confiance. Je sais pas si t'as conscience d'à quel point c'est rare pour moi. Je… J'allais mal et je savais que je pouvais compter sur toi. » j'ai un petit rire amer. « Je ne crois pas que tu saches à quel point c'est important pour moi. Mais tu peux me croire, à défaut de comprendre. Ensuite… Ne crois pas qu'Ewald ne doute de rien, je pense surtout qu'il le cache bien. » je n'ai pas envie d'en dire plus, et moi même je commence à peine à comprendre à quel point son assurance est de façade. « Pour ce qui est des coupures… Je ne vais pas te mentir. Je continue à le faire, et je doute que je m'arrête bientôt. Mais pour autant, je le fais de moins en moins. Il me faut du temps, Al'. Juste du temps. Mais si tu es trop frustré, je recommanderais que tu arrêtes de te préoccuper de ça. Je ne vais pas mourir, de toute façon. Ça ne sert à rien que tu t'inquiètes pour des choses sur lesquelles tu agis déjà, au mieux que tu peux. Tu comprends ? »

Le Gryffondor m'a écouté en silence. Il grimace, mais ne reprend pas la parole immédiatement.

« Tu penses vraiment ce que tu dis ?

-Oui. » je réponds, un peu incertaine de savoir ce qu'il cherche avec sa question.

« Ça fait plaisir d'entendre que je suis utile, mais franchement c'est pas l'impression que j'ai la plupart du temps. » Il soupire. Je m'apprête à lui certifier que si, il m'aide, mais il reprend la parole. « Je te crois, Viv'. Mais c'est juste que j'ai l'impression de ne pas faire assez. Je suis maladroit, et grande gueule, et des fois j'ai vraiment l'impression de ne me résumer qu'à ça. Je fonce tout droit sans me soucier des sentiments des autres, sans réfléchir.

-Tu sais que ce n'est pas vrai, pourtant. Je crois que dès que c'est important, tu agis différemment. »

Al' me regarde, attentif.

« Pense à Azmi, par exemple. Tu es tellement prudent quand il s'agit d'elle ! J'ai fait les recherches avec toi, je t'ai entendu parler de ton dilemme. Ne va pas me raconter que tu as foncé sans réfléchir. Et avec moi… On a eu plusieurs discussions intéressantes, non ? Oui, tu es impulsif. Mais dès qu'on te connaît, on voit bien que tu n'es pas juste un train qui fonce sans réfléchir. »

Il laisse échapper un petit rire à la comparaison, avant de sourire. Ce n'est pas son grand sourire habituel, mais il est sincère. Je le trouve émouvant dans sa vulnérabilité.

« Merci, Vivian... »

Obéissant à une impulsion, je le serre brièvement dans mes bras. Même si il est surpris, il me rend mon étreinte avant de me laisser me dégager.

« Ça va aller ?

-T'inquiète. » sourit-il, me volant ma réplique préférée du même coup.

Il se lève enfin pour partir, et je me lève à sa suite, prête à passer la trappe pour regagner ma chambre. Il s'arrête sur le pas de la porte avant de se retourner vers moi.

« J'aimerais vraiment que tu arrêtes de te faire du mal. Viens me chercher, les prochaines fois, d'accord ? » plus bas, il ajoute « J'imagine que je dois des excuses à Ewald... ».

Enfin, il sort pour de bon. Je monte dans ma chambre et me change rapidement, l'esprit encore à la scène qui vient de se jouer.

Une nouvelle fois, Alphonse m'a surprise. Je suis contente d'avoir passé ce moment avec lui, mais je ne me doutais pas de comment il se sentait. J'ai un reniflement d'auto-dérision. C'est moi le train ici. Je me fais, pas pour la première fois, l'impression d'une barbare piétinant un jardin sans même le remarquer. Je suis impulsive, moi aussi, ce n'est pas un secret. Et je devrais faire plus attention à mes amis. Enfin… L'avantage de cette interaction, c'est que je ne repense pas à mes parents ce soir là.

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Le lendemain matin, Alphonse se joint à nous pour le petit déjeuner, et je réalise que ça faisait un certain temps qu'il ne l'avait pas fait. Aucun de nous ne fait référence à notre escapade de la veille, et ça me convient très bien. Même Arthur est avec nous, et ça fait plaisir d'être tous réunis. Ça m'avait manqué. Je passe la matinée à la bibliothèque avec Arthur, et Ewald qui nous rejoint un peu plus tard. Le Poufsouffle ne nous quitte qu'à l'heure du repas, pour rejoindre Cian. Je suis reconnaissante qu'elle ne se joigne pas à nous.

Ewald et moi nous installons à la table des Serdaigle pour manger, dans un coin bruyant rempli de première années. Je pense au début que c'est le fruit du hasard, avant de me raviser lorsque son esprit effleure le mien. J'ouvre la connexion, surprise.

« Tu as eu une discussion avec Alphonse ? »

Je transmets mon sentiment de surprise et de curiosité en réponse à sa question, avec une confirmation sous-jacente.

« Il est venu me présenter des excuses, ce matin. »

Cette fois, c'est un sentiment de satisfaction que je transmets à Ewald. Je ne fais pas semblant de ne pas savoir de quoi il s'agit, mais j'ai besoin d'une confirmation.

« Pourquoi ?

-Pour m'avoir blâmé de te laisser te couper. »

Il y a une certaine retenue dans les pensées d'Ewald, que je ne comprends pas vraiment. Il y a quelque chose d'autre.

« Il a bien fait. C'était stupide.

-Il n'avait pas complètement tort.

-Comment ça ? »

La réponse d'Ewald se passe de mots. Il retient une partie de ses émotions, je le sens, mais me montre la culpabilité qu'il ressent à m'avoir ignorée depuis notre retour, jusqu'à notre discussion, et à n'avoir plus rien fait pour m'empêcher de me couper. La tristesse aussi. Je sens la dureté avec laquelle il se juge. Je sais à quel point il est exigeant avec lui même.

« Je vais te répéter ce que je lui ai dit : ça n'a pas de sens de te blâmer toi pour quelque chose que je fais moi. Surtout que ne m'y as jamais encouragée, au contraire. Je fais mes propres choix. »

Le vert et argent soupire.

« Je sais tout ça, rationnellement. » me dit il, à voix haute.

« Mais ? » parce que je sais qu'il y a un mais

« Mais je ne peux pas vraiment contrôler ce que je ressens, et je persiste à penser qu'au moins une partie est fondée. » Il rebascule vers la légilimancie pour finir sa pensée.

« Je t'ai fait du mal en te laissant tomber.

-Tu avais besoin de recul après ce que je t'avais fait. Et tu t'es déjà excusé.

-Comme je t'ai dit que je t'en voulais parce que tu as trahi ma confiance en sachant ce que ça me ferait, je m'en veux de t'avoir ignorée pendant des semaines alors que j'avais fini de digérer ta dernière tentative de suicide. C'est comme ça.

-Ce qui est fait est fait. »

Je sens son assentiment à travers de notre lien, même si j'ai bien conscience que ça ne l'empêchera pas de s'en vouloir. Mais je comprends ça. Je comprends son raisonnement, et je ressens ce qu'il ressent. Il y a des choses qu'on peut comprendre et pardonner, sans qu'elles cessent d'être sensibles pour autant. J'aurais juste aimé qu'il ne souffre pas à cause de moi. Un vœu pieu. Absurde, étant donné qui je suis et la façon dont je survis.

Nous restons tous les deux plongés dans nos pensées pendant un certain temps, puis Ewald rompt le silence.

« C'était important, la lettre que tu as reçue hier ? »

C'est marrant, avant Noël il aurait sans doute laissé glisser. Il aurait gardé l'information pour lui, en attendant qu'elle soit utile. Je ne sais pas trop quoi lui répondre, prise au dépourvu. C'est un peu ridicule que j'hésite à en parler, alors que les deux autres sont au courant. J'ai peur de lui dire. Je ne sais pas comment il va réagir. Je botte en touche.

« C'était une lettre de mes parents. »

Ses yeux me disent « Tu n'as pas répondu à ma question. ». Je soupire.

« Je t'en parlerai plus tard, d'accord ? C'est rien de grave… Mais oui, c'est important. Je crois. »

Il accepte ma réponse, parcourant du regard les tables surpeuplées autour de nous. Nous finissons de manger dans un silence confortable. J'ai envie de le serrer dans mes bras. Je ne peux pas, pas en public. Je réalise que depuis Noël on a eu très peu de contact alors que pendant les vacances, on s'était beaucoup habitués à ça. Ça me manque. Je m'en veux, en même temps, de ressentir soudain ce manque violent. Je me dépêche de finir de manger. Je devrais lui dire. Lorsque je lève les yeux de mon assiette, il me regarde. Comme souvent, j'ai l'impression qu'il voit à travers mes masques. Je grimace. Son esprit effleure le mien. Comme une invitation. Je me hais de me sentir si vulnérable. Maladroitement, je lui transmets mon envie. Je retiens mes émotions un poil trop tard, et je sais qu'il ressent brièvement mon sentiment de culpabilité et ma honte à être à nouveau si vulnérable. Qu'importe qu'il m'aie vue dans mes pires états. Il me transmet des sentiments apaisants, et ses doigts effleurent discrètement les miens sur la table. J'ai fini de manger, mais je reste là, à attendre qu'il aie fini aussi, parce que de toute façon il sait, maintenant.

Au final, je l'accompagne jusqu'à son club de potions. Nous ne parlons pas de ce que je lui ai transmis, mais je le suis dans un détour par notre QG où il me prend dans ses bras. Son odeur familière me fait monter les larmes aux yeux et m'apaise dans le même temps. Il me sourit en se détachant de moi. Nous ne parlons pas jusqu'à ce que je l'abandonne devant le laboratoire du club.

Je ne sais pas trop quoi faire de tout ça. Repenser aux vacances m'a rappelé notre proximité physique quasi permanente, en particulier les nuits qu'il a passées à veiller sur moi. C'était tellement égoïste de ma part. Ça m'a fait tellement de bien. Je sais que je ne peux pas en demander trop. Je sais aussi que ça va me manquer. Je ne sais pas comment trouver un nouvel équilibre. Ma trahison est comme une cassure, le retour à Poudlard a redéfini les distances entre nous. Ce n'est pas mon frère, c'est juste un septième année qui s'est lié d'amitié avec une première année bizarre. On a rien à faire ensemble, à la base. Alors se donner la main, se faire des câlins… Il va quitter Poudlard, l'an prochain, avec les autres. Qu'est-ce que ça va être, la solitude ? Alphonse sera encore là, c'est vrai, mais juste un an. Et puis, on a rarement des conversations comme hier. Il ne voit pas les choses que je ne sais pas dire, comme Ewald, ou même Arthur. Le Poufsouffle est étonnamment perspicace en vrai, juste… un poil envahissant. Je chasse tant bien que mal ces pensées de ma tête. Si je continue à penser à ça, je vais paniquer.

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Le lendemain, il est déjà temps pour mon rendez-vous avec madame Pomfresh. Cette fois-ci, j'y vais seule. Arthur a bien proposé, plus ou moins subtilement, de m'accompagner, mais ça serait suspect je pense. C'est mon problème, aussi. Il m'a suffisamment aidée. Et normalement elle n'aura pas besoin de me lancer de sorts de diagnostic, vu que le traitement n'est à contrôler qu'une fois par mois. Je me retrouve à nouveau dans son bureau, et elle après m'avoir demandé comment je vais (je mens allégrement) elle aborde le sujet qui fâche.

« Avez-vous pu discuter avec vos parents ? »

Je grimace.

« Oui madame. Ils n'ont pas vraiment compris. » admirez mes talents en diplomatie et en maîtrise de l'euphémisme…

« Qu'on-t'il dit exactement ?

-Ils se sont persuadés que j'ai peur de grandir et restent fixés sur le blocage de la puberté. Apparemment ils se sont persuadés que je veux rester bloquée en enfance pour compenser ma précocité ou je ne sais pas quelles conn-âneries » je grogne, sarcastiquement. L'infirmière me regarde avec l'air un peu surpris. Faut que je me calme sur les réponses, j'imagine, elle pense que j'ai onze ans. Enfin, en vrai c'est pas comme si j'en avais quelque chose à foutre.

« Je vois. Ont-ils dit si ils acceptaient de venir en discuter ?

-Oui, ils sont d'accord.

-Bien, c'est déjà une bonne nouvelle. Comment vous sentez-vous par rapport à tout ça ?

-Je suis toujours certaine de ne pas vouloir de poitrine, si c'est la question. » je réponds du tac au tac.

L'infirmière s'éclaircit la gorge.

« Je cherchais surtout à savoir ce que les mots de vos parents vous font ressentir. J'ai l'impression que vous êtes en colère.. ? »

Je soupire, essayant au maximum de masquer mon agacement. Merci capitaine Obvious.

« Je suis en colère de devoir quémander leur autorisation pour quelque chose qui concerne mon corps, mais il me semble que j'ai déjà rendu ça évident à notre premier rendez-vous. » Je cherche une façon diplomatique de dire « Leur stupidité est extrêmement frustrante. » mais je ne trouve rien. L'infirmière ne dit rien, gardant un silence qui se veut sans doute encourageant, même si je décèle la pointe de malaise qu'elle ressent en m'entendant parler. La force de l'habitude.

« Écoutez, ils n'ont pas tort sur le fait que je sois précoce. J'ai l'habitude d'être assez indépendante, et c'est très frustrant pour moi que mon bien être soit conditionné à leur bon vouloir, surtout quand ils ne semblent même pas comprendre de quoi il est question. Je sais ce que je veux. Je sais aussi que je n'ai pas peur de grandir, au contraire. Mais j'ai la chance de savoir comment je veux grandir. Ils devraient le respecter plutôt que de m'infantiliser parce que j'échappe à leur compréhension, non ? »

Le malaise de l'infirmière se fait plus marqué, tout en se teintant d'un intérêt tout professionnel.

« J'entends ce que vous me dites, miss Mackson. Effectivement, à vous entendre vous exprimer je ne doute pas que vous soyez particulièrement mature, et sûre de vôtre choix. Avez-vous effectué des tests pour évaluer votre intelligence dans votre enfance ?

-J'ai été diagnostiquée comme HPI. »

L'infirmière m'offre un sourire encourageant.

« Savez-vous depuis quand vous présentez des aptitudes et réflexions en avance sur votre âge ? »

Je soupire discrètement.

« Depuis toujours, madame. Mais ce n'est pas important pour le sujet qui nous préoccupe, si ? »

Le pincement des lèvres de l'infirmière me fait réaliser que ma formulation frôle l'insolence. Je plante mes ongles dans mon bras, sous la table. Il faut vraiment que je me calme, et que j'apprenne à fermer ma gueule. Inconsciente de mes réflexions, madame Pomfresh me répond avec un sourire maternel horripilant.

« Vous avez raison, miss Mackson. Je vais donner rendez-vous à vos parents pour discuter de tout ça, d'accord ? Ne vous faites pas trop de souci, ce n'est pas la première fois que je dois expliquer ce genre de chose à des parents. Si jamais ils ne donnaient pas leur accord, il y a d'autres solutions. Mais je doute que nous en arrivions à ce genre d'extrémités. Rassurez-vous. »

Elle me sourit à nouveau. Je commence à trouver ça agaçant. Devant mon manque de réaction, elle enchaîne.

« Je vous avais dit la semaine dernière que j'aimerais vous faire rencontrer un élève concerné par la transidentité. Est-ce que c'est toujours ok pour vous ? »

Je hausse légèrement les épaules, toujours pas convaincue par la pertinence du schmilblick.

« Oui madame.

-Fantastique ! » me sourit-elle. « Est-ce que vous pourriez revenir ici vers quatre heures ? Il devrait être disponible.

-Pas de problème. » je réponds, un peu saoulée de perdre du temps comme ça.

Juste avant de prendre congé, une question me vient :

« Vous me préviendrez quand il y aura la réunion avec mes parents ?

-Bien sûr, miss.

-Je pourrai être là ?

-Si vous le souhaitez, oui. Vous êtes la première concernée ! Mais ne vous forcez pas si vous pensez que ça peut être éprouvant pour vous.

-Je tiens à être là.

-C'est entendu alors ! »

Et sur ces bonnes paroles, elle me laisse quitter l'infirmerie.

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Toujours un peu agacée par cette histoire, je tente de sécher le repas de midi. Je dis bien « je tente », parce qu'Ewald ne l'entend apparemment pas de cette oreille. Il me trouve dans ma tour, une demi-heure après le début du repas, et me force à l'accompagner pour manger quelque chose. Il ne me pose pas de question, se contentant de me faire comprendre qu'il ne me laissera pas sauter des repas alors que je suis en pleine croissance. Si il savait… Apparemment, il considère qu'il a été trop laxiste ces derniers temps. J'avoue que je m'inquiète du changement soudain de comportement du Serpentard, mais je ne pose pas de question. Je n'ai pas trop envie d'avoir une énième discussion sur mes coupures, par exemple. Je crois qu'il se sent toujours coupable pour les deux derniers mois. Sa main dans reste dans la mienne jusqu'à ce qu'on commence à croiser d'autres élèves, et ce simple contact me fait un bien fou.

À seize heures, comme convenu, je retourne à l'infirmerie. Lorsque j'arrive, madame Pomfresh est dans son bureau. Son assistant la prévient de mon arrivée, et elle arrive en compagnie d'un Serdaigle que je n'ai jamais vu, mais qui transpire la classe. Il a les cheveux rasés sur un côté, bleu vif, et un tatouage en forme d'éclair sur la joue gauche. Il a laissé le col de son uniforme entrebâillé, cravate desserrée, un peu comme j'ai vu Alphonse ou d'autres mecs « cool » le faire. Il est assez grand, sans doute dans ses dernières années d'études. La voix de madame Pomfresh me tire de mon observation.

« Miss Mackson, je vous présente Mister Rogers. Vous pouvez discuter dans mon bureau si vous voulez être tranquille, mais vous faites comme vous le préférez, d'accord ? »

Le regard bleu du Serdaigle se pose sur moi avec bienveillance, et il a un petit sourire un poil crispé.

« Je pensais qu'on pourrait peut-être aller dans le parc, si ça te dit ? »

Il s'adresse directement à moi, et je hausse les épaules. C'est sans doute mieux que de rester coincée à l'infirmerie, je suppose.

« Pourquoi pas. »

Il me retourne un sourire sincère. Bonne réponse, j'imagine. Je le suis sans discuter, assez mal à l'aise de me retrouver avec ce mec que je ne connais pas. Il marche à grandes enjambées, mais ralentit lorsqu'il s'aperçoit que je dois trottiner pour rester à sa hauteur.

« Désolé ! Je n'aime pas traîner dans le coin, j'ai des mauvais souvenirs liés aux hôpitaux. Tu t'appelles Vivian, c'est ça ?

-Ou Éris, comme tu préfères. Juste pas les deux en même temps, mes parents ont un goût désastreux en matière de prénoms ! »

Mon interlocuteur rigole.

« Oh, je te comprends ! Si tu savais le deadname qu'ils m'ont donné ! Je suis Ocean.

-J'adore ton prénom ! Et tes cheveux, d'ailleurs. » je m'exclame, avec sincérité. Le sourire qui me répond est le plus resplendissant qu'il m'aie adressé depuis le début.

« C'est quoi, un deadname ? »

Ocean a un rire un peu nerveux.

« Pomfresh ne mentait pas en disant que tu n'y connais rien en transidentité ! Désolé, j'ai pas trop l'habitude de faire le prof. Le deadname, c'est le prénom qu'on te donne à ta naissance. On est pas obligé d'en changer, mais souvent tu le fais quand t'es trans. »

Il passe sa tête dans ses cheveux, l'air embarrassé.

« Je sais pas trop par où commencer, ça te va si on attend d'être dehors pour que je t'explique un peu ?

-Pas de souci. » je réponds, continuant à marcher avec lui.

Le soleil brille fort, et il fait plutôt bon pour la saison alors que je suis mon compagnon jusqu'à une souche qu'il métamorphose en deux fauteuils pour qu'on s'assoit. Il commence ensuite à m'expliquer, avec beaucoup plus de pédagogie que je n'en aurais attendu, ce qu'est la transidentité. J'ai beaucoup de mal à comprendre le besoin pour les gens de transitionner d'homme à femme et vice versa, au début, mais au fur et à mesure de son explication les choses commencent à faire davantage sens. Ce qui m'intéresse le plus, c'est la distinction qu'il fait entre la biologie, ce à quoi ressemble le corps, et le genre en tant que construction sociale, comme l'ensemble de croyances et de préjugés attachés à un sexe ou un autre.

« J'avoue que j'ai jamais compris le délire du genre. Pour moi, c'est pas tes organes génitaux qui vont déterminer quoi que ce soit de tes goûts ou de ta personnalité.

-On est bien d'accord.

-Mais du coup, je comprends pas pourquoi on voudrait passer d'homme à femme, ou l'inverse… Je veux pas te vexer, mais je ne comprends juste pas l'intérêt. Tu fais ce que tu veux de toute façon, non ?

-On vit dans une société genrée, qu'en le veuille ou non. Et moi, par exemple, je m'identifie davantage aux codes de la masculinité que de la féminité. Je me sens plus à l'aise si on me genre au masculin. Je corresponds à la case « homme ». Ça veut pas dire que j'aime la bataille explosive, le whisky pur feu et les Abraxans pure race ! Mais je me retrouve dans ce genre. »

Je réfléchis un instant à ça réponse. C'est logique. Mais…

« Pour moi, ça a aucun sens de dire qu'une activité est un truc de fille, ou un truc de garçon… Il y a juste des activités, et des gens. Et chacun aime des choses ou d'autres… Pourquoi mettre des attentes et des catégories ? Je sais pas, si je devais me mettre une étiquette je ne suis pas un homme, c'est sûr. Mais je ne suis encore moins une femme, je crois, dans le sens de genre.

-Il y a des personnes entre les deux ! Ça s'appelle être non binaire. Mais ça peut aussi être ne pas avoir de genre. Il y a des personnes qui alternent entre deux genres, aussi, ou plus, c'est être genderfluid. Mais tout ça est regroupé sous l'appellation non binaire. »

Je retiens une chose de son discours :

« Ah, donc c'est possible de pas avoir de genre ?

-Oui. » sourit-il « Ça s'appelle être agenre. Et c'est vrai que vu ce que tu me dis, ça pourrait peut-être te correspondre. Ce sont des personnes non binaires qui ne se reconnaissent dans aucun genre. Mais tu as le temps de voir comment tu te sens par rapport à ça, tu n'est pas obligée de mettre un mot sur ce que tu ressens.

-Bien sûr. » je souris « Mais je trouve que les mots aident à définir les choses.

-C'est vrai. Moi, en tout cas, c'est quand j'ai pu mettre en mot ma transidentité que j'ai compris que je n'étais pas fou ! »

Il a un petit rire, mais je sens la sincérité et le poids derrière ces mots.

Après ça, nous discutons encore longuement de genre, de transition, et même de changements médicaux. Je suis assez hésitante au début, mais il réussit à me mettre à l'aise, et m'explique qu'il vaut mieux que je lui pose des questions à lui, qui est prêt à y répondre, qu'à quelqu'un qui ne s'y attendrait pas. Je lui explique mon désir de ne pas avoir de poitrine, sans pour autant masculiniser mon corps, et je dois admettre qu'avec ses explications sur le genre on peut voir ça comme un désir de dé-genrer mon physique. Ça aurait du sens, je crois. Il me parle un peu des procédés médicaux qu'il a pu expérimenter, semblant oublier que je suis censée avoir onze ans de plus en plus au fur et à mesure de la conversation. Il me parle aussi de genrage, de changements de prénom, d'état civil, etc. Lorsque nous nous séparons ma tête me tourne presque, saturée de nouvelles informations. Ocean en a bien conscience, car il me raccompagne jusqu'au château en s'excusant.

« Je suis désolé si je t'ai donné trop d'informations, je ne sais pas doser. Mais hésite pas si tu as d'autres questions, d'accord ? Faudrait aussi que je te parle d'expression de genre et d'orientation sexuelle à l'occasion. En tout cas, c'était cool de discuter avec toi. Je m'en veux un peu, je suis arrivé avec plein de préjugés mais t'es quelqu'un de super !

-Comment ça ? »

Le malaise est de retour dans les yeux de mon interlocuteur.

« Bah, tu sais… Y a des rumeurs sur toi, on t'appelle Baby Monster et tout. Mais j'ai vraiment honte d'avoir écouté, je vois bien que t'es pas comme les gens disent. Je suis vraiment désolé.

-Y a pas de mal. » je réponds, un peu vexée, même si j'essaye de le cacher.

Ses explications jettent un léger froid, mais je prends quand même la peine de le remercier avant de le quitter à l'entrée de la grande salle.

« Merci encore pour toutes tes explications, Ocean. C'était vraiment intéressant de parler avec toi. Et tu me donneras la marque de ta potion colorante, okay ? »

Il acquiesce gaiement, et je sens son malaise se dissiper alors qu'il se dirige vers ses amis. Pour ma part, je rejoins Alphonse et Ewald qui se sont installés à la table des Serpentard. En me voyant arriver, le Gryffondor me demande :

« Tu fraternises avec l'ennemi ?

-Comment ça ?

-Tu as conscience que tu viens de faire ton entrée avec le gardien de l'équipe de Serdaigle, là ? Il te voulait quoi ?

-Oh ! Euh, ça n'avait rien à voir avec le Quidditch. » je rougis un peu, et j'ajoute, en français, parce que c'est Alphonse et qu'il ne va pas lâcher l'affaire. « On parlait de transidentité.

-Ah ! » après ça, il ne dit plus rien, retournant à son repas.

Pressentant la réaction d'Ewald, je lui glisse, par voix mentale :

« C'est lié au truc important mais pas grave dont je dois te parler, je te raconterai plus tard d'accord ? J'ai pas mal à penser. »

Le vert et argent me transmet son assentiment, mais je sens sa curiosité, teintée d'une pointe d'inquiétude. J'imagine qu'il va vraiment falloir que je lui explique… Dans ma tête, de nouveaux concepts tournent en boucle, et un mot se détache. Agenre.

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« Quand j'étais enfant, on m'a dit que les filles avaient peur des araignées. J'ai mis un point d'honneur, à partir de ce jour là, à les ramasser sur mes mains et à les laisser se promener sur mon bras. On m'a aussi dit que le rose était la couleur des filles et le bleu celle des garçons. Depuis ce jour, le bleu a toujours été ma couleur préférée. »

-Extrait d'un SMS entre Aurore Berger et Quentin Lemage-


Et voilà pour ce chapitre, vous en pensez quoi? (revieeeews please)
J'avais pas du tout prévu ça quand j'ai commencé cette histoire, à l'origine, mais au fil du temps j'ai découvert ma propre transidentité et ça me semblait faire sens^^
Une fois n'est pas coutume, je profite d'avoir abordé le sujet pour glisser à celleux qui habitent en France que les droits des personnes trans mineures sont particulièrement en danger en ce moment à cause de nouvelles propositions de loi. Si vous en avez le temps, je vous recommande de vous informer sur le sujet. Il y a pas mal de manifestations prévues ces temps ci, et de pétitions qui tournent.

Bref, sur ce, je vous dis au mois prochain :)