Bonjour bonjour !
Alors navrée, je sais que ça fait pile deux ans que cette histoire n'a pas été update alors que j'avais annoncé revenir régulièrement dans le chapitre précédant après une absence de plusieurs mois. Certains en reviews s'étaient inquiétés, mais je vais bien. (Désolée à ceux à qui je n'aurais pas répondu, je vais régulariser ça aussi) Vous connaissez le dicton, le temps est l'éternel problème des auteurs. Les études, la vie, le travail... Quand j'ai du temps libre, écrire est parfois complexe en fonction de comment je m'organise IRL et de mon level de fatigue. J'ai continué tout les jours, sur différents fandoms, j'ai eu mes phases, mais il a été parfois compliqué de me poser sur un seul chapitre pour le finir en sachant que je n'aurais pas le temps d'enchainer direct (surtout sur des projets longs comme SOS et Honeymoon qui demandent de l'énergie et de la concentration).
Je n'abandonne pas SOS pour autant, c'est mon petit bébé. Je ne sais pas si je vais être hyper régulière, bien moins qu'avant c'est sûr, mais au moins un chapitre par mois ça me semble cool.
Au vu du temps de publication, je me permets de vous faire un résumé des chapitres précédents pour que vous ne soyez pas déroutés des problématiques que celui-ci aborde. N'hésitez pas à aller relire si vous avez la foi, et sinon j'espère que mon résumé sera suffisamment complet !
Allen et Kanda ont eu un rêve partagés où ils ont consommé leur lien, et cela a traumatisé Allen qui a eu une forte réaction de rejet envers Kanda. Ce dernier l'a confronté, ce qui a amené à une communication un peu malhabile qui a pourtant permis de libérer un tabou, celui du sexe, entre les deux liés. Allen reste choqué, éprouve des remords et des doutes. Entre temps, ils restent stressés à l'idée d'un mariage forcé entre eux à cause du Vatican, et du lien qui influe sur leurs Innocences parce qu'elles se synchronisent. Du côté de Lavi, ce dernier reste choqué après une interaction troublante avec Tyki, et il a entamé une relation avec Link. Lavi, Allen et Lenalee partent en mission rechercher une Innocence.
En espérant que malgré tout ce temps cette histoire continuera de vous plaire, je vous remercie énormément pour toutes vos reviews, vos follows et vos favoris, ça me fait super plaisir !
Gros kissou à Ookami97 pour sa bêta !
Bonne lecture !
Un cahot suivit d'un court bruit sourd firent trembler le train. L'impression que la terre s'ouvrait en deux, Allen s'éveilla en sursaut. Ils venaient de freiner et avaient atteint une gare annexe avant leur lieu de destination. Le garçon pivota sa tête, analysant l'espace qui l'entourait, reconnaissant la cabine de voyage et ses amis qui l'accompagnaient. Il essuya son œil droit, d'où une petite larme avait coulé par la fatigue. Se raclant la gorge, le garçon bailla ensuite, disséquant les faces de Lavi et Lenalee, lesquels le toisaient avec amusement. Il leur adressa un sourire gêné, sachant qu'il venait de se payer un petit moment de solitude avec sa réaction. Lavi, à ses côtés, sur lequel il avait manifestement dormi en bavant à moitié, lui donna un coup de coude.
« Alors, on manque de sommeil, Al ?
—La ferme, » baragouina le maudit d'une voix agacée, en un réflexe qu'il regretta, reculant son corps qui était un peu trop près de celui du rouquin, « j'ai juste… ouais, j'étais fatigué. »
Il se passa la langue sur les lèvres et se gratta la tête avec gêne.
« Désolé… pour ça… » du menton, il désigna son épaule. Il faisait aussi référence à sa répartie mal lunée.
Lavi secoua la tête.
« Tranquille, mec. Ça me dérange pas le moins du monde, tu le sais bien. »
Son clin d'œil l'agaça autant qu'il l'attendrit, mais Allen ne répondit à sa tentative d'humour.
« Oui, je suppose que je suis un peu à l'ouest, en ce moment.
—C'est la mission qui t'inquiète, Allen ? » l'interrogea gentiment Lenalee.
Entre les plis de son manteau long, elle déposa le dos d'un ensemble de cartes. Lavi en tenait un même nombre dans sa main. Le reste du jeu complet, encore un bon tas, se trouvait sur le siège à côté du sien, collé à ses cuisses. Link n'était pas venu lors de cette mission, encore pour raison d'une affaire avec Luberrier, les adolescents étant seuls. Ils avaient joué pendant qu'Allen dormait et avaient eu de la chance que les cartes ne tombent pas éparpillées sur le plancher de la cabine étroite. Dehors, le ciel était couvert. Le bâtiment de la gare grisâtre en pierres délavées en dissimulait une partie tandis que la vapeur de la locomotive se confondait aux nuages. Une telle atmosphère n'inspirait rien de bon pour la journée pourtant fraîchement commencée. Quelques passants sortaient du train, bousculant ceux qui y entraient. Allen aperçut une petite fille qui faisait tomber son doudou, un ourson à l'oreille mâchonnée, sur le sol. Un homme, qu'il identifia comme son père, la tira en avant lorsqu'elle voulut se retourner. La gamine commença à pleurer. Réalisant son erreur, il se tourna pour regarder l'enfant, apercevant la peluche, il laissa la petite le récupérer. Toute contente, l'enfant sourit et l'homme lui caressa la tête.
Le blandin esquissa un sourire, avant de se concentrer sur la voix de son amie qui le hélait de nouveau.
Embarrassé, il bredouilla :
« En fait, je… Je suis un peu fatigué, et c'est un peu compliqué. Ne vous inquiétez pas.
—Tu sais que tu peux compter sur nous, si besoin. On est là et on ne te jugera pas. »
Allen hésita. Ils l'avaient beaucoup aidé l'autre fois, quand il disait qu'il ne savait toujours pas s'il était prêt à aller plus loin avec Kanda, quand ils s'étaient disputés. Il s'imagina tout leur dire, l'espace d'un instant. Mais il avait peur de fondre en larmes. Ça lui aurait fait du bien, peut-être. Mais ici, dans le train… il avait honte. De plus, il avait déjà pensé qu'il voulait attendre de prendre du recul. À côté de ça, il avait maintes fois constater que se confier lui faisait du bien. S'il ne voulait pas courir dans les bras de ses amis déverser son malheur, c'était peut-être aussi idiot que de se ronger les sangs tout seul. Il se mordit la lèvre, sentant des larmes chaudes lui brûler la rétine.
Semblant comprendre que ça n'allait pas, Lenalee déposa ses cartes à côté d'elle et vint s'agenouiller devant lui. Le train partit, quelques passagers traversant le couloir. Elle lui prit la main.
« Allen, tu t'es encore disputé avec Kanda ? »
Le blandin leur avait bien dit qu'ils étaient réconciliés, ainsi, ils étaient contents pour eux et connaissant leur deux caractères, ainsi que ses sentiments, c'était assez logique qu'ils penchent vers l'hypothèse d'une autre dispute.
Sa voix se noua.
« Non. Non, pas du tout. »
Il hésita d'autant plus. Comment pouvait-il dire ça ? C'était si intime, si gênant… Kanda et lui… Il sentit une larme couler. Merde, il n'arriverait pas à…
Il secoua la tête, impuissant en sentant Lenalee qui lui serrait la main, laquelle échangeait un regard alarmé avec Lavi, qui se débarrassa lui aussi de ses cartes qu'il posa contre les plis de son pantalon, pour l'attraper par l'épaule. Son œil unique était bienveillant, son orbe verte adoptant une courbure tendre. Les couettes de la brunette bougeaient au rythme des cahots.
« Hé, Al, doucement, d'accord ? Explique-nous. On est là. »
Allen voyait bien qu'il ne pouvait pas garder ça pour lui plus longtemps encore. À peine il pensa à former une phrase qu'il éclata en sanglots. Lenalee, de surprise, se tourna vers Lavi en agrippant sa main plus fort dans la sienne, sa chaleur se transmettant à lui d'une manière si incongrue. Ils accoururent pour le prendre tous deux dans leur bras. Le blandin gémit entre ses larmes, se sentant pathétique. Il n'arrivait pas à respirer.
Enfin, il craquait. C'était dur, et s'il avait tenté de prendre sur lui, ça ne marchait pas… Lenalee et Lavi étaient ses amis. Il devait leur faire confiance et s'abandonner un peu devant eux.
Le maudit déglutit, honteux, confus. Les autres s'étaient précipités sur lui pour le prendre dans leurs bras. L'oméga se laissa aller dans l'étreinte. Il souffla pour tenter de reprendre un peu d'air, d'évacuer les sanglots qui lui crevaient le cœur. Il pleurait vraiment fort. Lenalee s'éloigna doucement, lui donnant une caresse sur l'épaule. Elle se dirigea sur la fenêtre, qu'elle baissa.
« Viens prendre un peu d'air, et calme-toi. »
En accord avec l'initiative de la jeune femme, Lavi le poussa à se relever, pour qu'il puisse s'accouder à la fenêtre du wagon. Ses jambes tremblaient, son esprit était si embrumé qu'il se laissa faire. Il se sentait, de nouveau, complètement détruit. Il savait que ça passerait mais… ça faisait mal. Le lien. Chaque fois qu'il se disait qu'il pouvait l'accepter, ça continuait de l'agresser.
Il pleura un moment. Lenalee lui frottait le dos, Lavi lui caressait la tête. Dans son malheur, il avait de merveilleux amis pour le soutenir. Il mesurait sa chance alors que petit à petit, ses larmes se tarissaient un peu et que le silence allié aux respirations des deux bêtas le rassérénait. Leurs odeurs, aussi. Ils faisaient partie de son entourage proche et les omégas appréciaient d'être confrontés aux odeurs des proches. Les autres l'avaient visiblement compris.
Le maudit inspira profondément. Honteux, il baissa la tête.
« M-Merci…
—Aucun problème. »
Ses amis avaient répondu d'une même voix. Ils le poussèrent à aller s'asseoir, laissant la fenêtre ouverte. Lavi se redressa pour fouiller dans la valise dans le porte-bagage au-dessus des sièges, sortant une gourde de son sac. Il la lui tendit, Allen s'en emparant puis buvant à pleine bouche. Il eut l'impression de mieux respirer. Fermant les yeux, il inspira en effet, tentant de ne pas de nouveau paniquer, perdre son calme. Il voulait se maîtriser. Pour ce qu'il désirait leur dire. Il ne voulait pas être effondré comme un enfant.
Il prit, une énième, une grosse inspiration, jusqu'à la sentir enfler dans sa poitrine serrée, comme si ça allait exploser.
« Je… ne me prenez pas pour un fou, d'accord ? Ça va être très bizarre mais… Il y a quelques temps, j'ai… » Il se mordit la langue. « J'ai eu un rêve sur Kanda et moi. »
Lenalee et Lavi froncèrent les sourcils, Allen ne se sentant pas très loin de recommencer à pleurer.
« Qu'est-ce qui se passe ? Ce rêve t'a autant perturbé que ça… ?
—Le problème, c'est que ce n'était pas vraiment un rêve. C'était le lien. On a vécu ça tous les deux. Il me l'a dit, et… »
Il marqua une pause, ses larmes se remettant à couler, les deux autres le dévisageant avec des sourcils froncés.
« Dans ce rêve, on… lui et moi… » Il laissa sa phrase en suspens, les sanglots grouillant dans sa gorge comme une nuée d'insectes déchaînés. « On a… Je… je voulais pas que ça se passe comme ça…
—Oh, Allen ! »
C'était Lenalee qui venait de s'exclamer, comme si elle avait compris. Le reprenant de nouveau contre elle, la jeune fille l'enlaça, de sorte que l'oméga enfouisse sa tête dans sa poitrine. Lavi demeurait interdit. Il bégaya quelques paroles inintelligibles, comme quoi il n'avait jamais entendu que ça se produisait, semblant interdit de son côté, mais il lui caressa la tête avant de l'attirer lui aussi dans ses bras. Ils s'étreignirent tous les trois, dans un semi-silence ponctués de sanglots. Allen pleurait plus fort, laissant ses amis le consoler. Leurs odeurs étaient douces, ça le rassurait considérablement, il se sentait moins seul. Parce que c'était si désarçonnant que ça le perturbait. Il était terrifié à l'idée que ça se reproduise encore.
Il les entendait lui chuchoter des paroles réconfortantes, lui caresser l'épaule et le serrer contre eux, de sorte que leur chaleur se répandait dans son corps. Ça lui faisait du bien. Finalement, il ne regretta pas de s'être confié, parce qu'il n'aurait jamais réussi à retenir tout ça. C'était trop pour lui de porter ça seul. Il n'aurait simplement pas pu endurer le voyage dans ces conditions.
« Al, » chuchota Lavi, tout en lui massant le dos, « excuse-moi, mais…. Yû et toi, vous avez… dans ce rêve ?
—Ce n'était pas qu'un rêve, Lavi, » réussit à dire Allen entre ses sanglots, « on l'a fait, Kanda et moi, on l'a... tous les deux… vous comprenez ? »
Et il s'effondra de nouveau, entre honte et affliction. Lenalee jeta des gros yeux à l'attention du roux.
« Calme-toi, le berça-t-elle de sa voix douce, c'est fini, calme-toi. »
Le maudit s'écarta doucement.
« Je… je suis désolé… je n'arrive pas à…
—Mais ne t'excuse pas, Allen, tu as le droit de pleurer ! » s'exclama Lenalee. « On est là !
—Parfaitement, » ajouta doucement Lavi. « C'est un choc pour toi… Bon sang, Al, j'arrive pas à imaginer... Excuse-nous si on sait pas trop quoi te dire… ça doit être vraiment… »
Il ne put finir sa phrase, semblant perdre ses mots. Pour une rare fois, Lavi était bouche bée. Le blandin se raccrocha à leur étreinte, comprenant et acceptant leur tentative de soutien. Ça lui suffisait amplement. Il se sentait coupable, en fait. Un câlin, des odeurs et de l'écoute. Il les aimait vraiment, ça lui faisait si plaisir qu'ils soient là pour lui.
« C'est pas grave… Je ne crois pas qu'il y ait grand-chose à dire de toute façon… Désolé…
—On est là, si tu veux t'exprimer. Sache-le. Même si tu veux pleurer dans nos bras, on est là. » Lavi lui caressa gentiment le crâne. Lenalee, elle, lui frotta le dos. « Tu peux te laisser aller, n'aie pas peur.
—Merci, c'est adorable. »
Allen réussit à sécher ses larmes un moment. Il tremblait encore, de peur, de sentiments contenus, de besoin de réconfort, de craintes, d'angoisses non contenues.
« Je… je suis perdu, en fait. Complètement. Je voulais pas qu'on le fasse dans ces conditions… Je voulais qu'on soit nous-mêmes. Pas que ça se passe comme ça.
—Allen, si je peux me permettre, » avança doucement Lavi, lui frottant l'épaule, « ça reste un rêve. Vous l'avez fait tous les deux grâce au lien mais ça ne rend pas la chose réelle. »
Allen secoua brutalement la tête.
« J'ai ressenti tout comme si ça se passait. Lui aussi. » Il recommença à pleurer. « On s'est presque noués. On l'a vécu. Et je me suis donné à lui dans une vulgaire sale d'entraînement, je me suis fait prendre comme une salope, je…
—ALLEN ! »
Lenalee avait levé la voix. Elle saisit ses deux mains, le garçon éclatant encore en sanglots, les épaules voûtées. Allen s'en voulait. Il se doutait d'à quel point ses amis devaient être perdus, mais il ne pouvait pas garder ça pour lui. Il avait tellement de sentiments conflictuels qui bouillaient en lui ! Il fallait que ça sorte, sans quoi, il allait exploser.
« Allons, » reprit la jeune fille, « ne dis pas ça. C'était un rêve, enfin tu… tu rêvais, tu ne savais pas ! Ce n'est pas de ta faute, et même si c'était vrai, ça ne fait pas de toi une 'salope' ! Tu as eu envie de lui, il n'y a rien de mal à ça !
—Je sais, » murmura Allen, « je sais. Mais je…
—Al, Lena a raison. Tu ne peux pas t'en vouloir, ou même en vouloir à Yû pour ça… Vous ne saviez pas. Ça doit beaucoup vous perturber, tous les deux, surtout que c'est un sujet compliqué pour vous deux, mais vous ne pouviez pas savoir. »
Le maudit opina. Il prit une inspiration douloureuse, et s'essuya les yeux, bien que les larmes y perlaient encore. Ça piquait si fort.
« Tu as raison. Le truc, c'est que je ne comprends pas pourquoi, alors que ce n'était pas un vrai rêve, je me suis montré aussi entreprenant. J'arrête pas d'y penser. J'ai initié le truc. J'ai été vraiment…
—Temps mort, » apposa Lavi, levant les mains en l'air. « Ni Yû ni toi n'avez forcé l'autre dans ce rêve, hein ? C'était consenti ? » Allen acquiesça. « En plus, lien ou pas, rêve partagé ou pas, ça reste un rêve. Vous avez été plus libres. Il y avait moins d'entraves. Peut-être que vous pouvez le compter comme interaction, que vous l'avez ressenti comme réel, mais en vrai, c'est vous qui décidez.
—J'ai envie de penser comme ça. Quand on en a parlé, j'ai évoqué ça. Mais c'était tellement vrai, Lavi… Je ne peux pas m'empêcher de me dire que j'ai fait ma première fois avec lui sans que je le veuille réellement… Ça fait comme pendant mes chaleurs… je ne maîtrise rien.
—Je sais. »
Lenalee, en retrait, continuait à lui donner du soutien par des caresses douces. Faisant de même de son côté, Lavi reprit :
« Je sais, et je comprends. Sincèrement. Je ne suis pas à ta place mais je peux imaginer combien ça doit être difficile à encaisser. Mais même si c'est dur à dire, à entendre peut-être, il faut vraiment dédramatiser. Dissocier ce qui est le rêve et ce qui s'est passé réellement.
—C'est si difficile, je ne dramatise pas, j'ai…
—Hé, c'était pas un reproche. C'est normal, ne te blâme pas pour ça. Essaie juste quand même d'y réfléchir différemment. Tu l'as vécu, vous l'avez vécu, mais ça restait dans vos têtes. Le jour où vous serez tous les deux prêts, où ça arrivera réellement, vous l'aurez décidé. C'est peut-être trop tôt maintenant, mais vous aurez vu que ce n'était pas si dur de s'abandonner et que vous pouvez vous faire confiance. Et surtout, dans ces circonstances, je pense que ce serait mieux que d'ici tes prochaines chaleurs, vous ne couchiez pas ensemble. C'était déjà un trop gros stress pour toi, prends le temps de digérer. »
Allen opina. Comme toujours, Lavi avait des paroles sages. Et ça aussi, il l'avait évoqué avec Kanda. Il avait juste tellement de mal à se sortir de la tête que non, non, ça c'était passé, qu'ils l'avaient vécu. Et qu'il n'arrivait pas à voir quoique ce soit de positif à ça, ou qui pourrait lui servir.
« J'arrête pas d'essayer de me dire ça, sauf que j'y arrive pas. Je m'en veux tellement… Mais oui, on a décidé de pas le faire, en tout cas. Je… On s'est beaucoup disputé quand on s'en est rendu compte et je lui ai tout avoué. Tout ce que je ressentais. Je sais que je n'aurais pas dû m'énerver mais je me suis tellement senti… violé par le lien…, » il tremblait, « que je… »
Lavi et Lenalee l'étreignirent, Allen cessant de parler. Il n'arrivait plus à pleurer, à ce stade. Il avait juste si mal.
« Comment Yû le vit, lui ? »
Sans relâcher leur étreinte, ils avaient posé cette question. Allen se racla la gorge. Il prit une profonde inspiration, et il leur expliqua tout. Du moment où il s'était réveillé, de la discussion avec Link, de sa course effrénée dans les vestiaires, de Kanda qui forçait pour qu'il parle et qui initiait la confrontation, de leur bagarre à leur confession, et de lui s'endormant dans les bras du plus âgé. Lavi et Lenalee demeurèrent patients, attentifs, sans le juger. Allen évoqua le fait que, donc, il n'avait pas pu vraiment demander beaucoup à Kanda ce qu'il ressentait, et qu'il se sentait extrêmement coupable. Que ce dernier avait laissé sous-entendre qu'il n'était pas gêné par le sexe mais plus par la notion de rêve partagé, ce qui, en soit, effrayait aussi Allen.
« Je suis vraiment horrible, conclut Allen, quand je vous dis tout ça, j'ai l'impression de ne penser qu'à moi et d'être stupide. Sans mes peurs, mes complexes à la noix, ça n'aurait pas été compliqué pour Kanda et moi. Je suis le pire oméga.
—Wow, wow, wow, » firent en même temps Lavi et Lenalee, « pas du tout ! »
Le maudit les fixa, les bras ballant.
« Kanda a raison sur le fait que tes chaleurs, ça t'a énormément choqué vu qu'il s'agissait de toi, de te laisser toucher par un autre, par Kanda en plus, alors que vous ne vous aimiez pas plus que ça… Tu as été extrêmement vulnérable mais vous vous êtes rapprochés et ça a été dur. De son côté, il est évident que ça a dû lui faire la même chose, et qu'il a beaucoup pris sur lui. Ça devait aussi être bizarre de te faire ça pour lui et de… enfin, voilà. Je pense qu'il a des peurs, lui aussi, et qu'il doit être anxieux, mais avoir moins de mal à le cacher et à relativiser. » La Chinoise continua. « Mais tu t'inquiètes pour lui, plusieurs fois, tu lui as demandé si ça allait, tu nous l'as dit. De plus, s'il ne t'a pas dit lui-même que ça l'a blessé lui aussi alors que vous en parliez, tu n'en es pas responsable.
—Il a peut-être eu l'impression que ça ne comptait pas…
—Je pense qu'il sait que non, Allen. Dans le pire des cas, il voulait peut-être te préserver, rien ne t'empêche de lui demander une prochaine fois. Mais tu ne peux pas t'en vouloir et te traiter comme le pire égoïste alors que tu avais ton propre stress à gérer ! S'il a insisté pour que tu parles, c'est qu'il voulait que tu te reposes sur lui. Ça lui a peut-être fait du bien. »
Allen se tut. Il se sentit soulagé à l'idée. Avant de se dire que justement, il s'était peut-être trop reposé sur Kanda… Lenalee dut capter son regard.
« En soit, tout ça, on ne peut pas le savoir. C'est mon hypothèse, de ce que je connais de lui. Si ça te travaille, demande-lui.
—Je sais pas…
—Ne faites pas de ça un tabou, » intervint Lavi, « comme pour tes chaleurs. Ça ne vous aidera pas. Ça ne servira à rien d'en parler tout le temps, et ce ne serait pas très sain, mais s'il y a des choses à régler, c'est important de le faire une bonne fois pour toute. »
Le blandin hocha la tête. Ils avaient raison. Ça le stressait, mais c'était vrai. Puis, il ne voulait pas faire comme si de rien était avant de demander à Kanda comment lui allait. Il était hors de question qu'il l'ignore si jamais son ami avait besoin de parler. S'ils devaient rester liés, être amis, et si un jour, un jour… ils formaient un couple… Allen ne voulait pas rester éternellement celui qu'il fallait protéger, qu'il fallait soutenir. Il voulait partager ce rôle. C'était plus sain, et c'était dans sa nature d'épauler ses proches, lui aussi. Si actuellement, il n'en était peut-être pas tout à fait capable… il le voulait.
« Merci pour tout. Je vais tenter d'appliquer vos conseils. Quand je pense à ça, j'ai juste… peur. De l'avoir déçu. De ne pas l'avoir soutenu moi aussi ou de…
—Tu as peur de ce que le rêve signifie, des conséquences sur toi et de celles sur Yû… tu ne peux pas être partout, Al. Sois moins dur avec toi-même. »
Ça, c'était compliqué. D'autant qu'Allen restait convaincu qu'il avait merdé.
« C'est vrai. Tout tourne en boucle dans ma tête.
—Laisse tout juste digérer, Al. On est là en attendant. » Lenalee ajouta : « Peut-être que ma question est déplacée mais… tu as dit que Kanda était gentil, avec toi, dans ce rêve partagé et que tu avais aimé avant de savoir de quoi il en retournait ? »
Allen baissa la tête.
« Quoique tu en penses, dis-toi que parce qu'il y avait une part de toi… il y avait aussi une part de lui. Et s'il t'a bien traité, que tu t'es senti bien, quand ce sera réel, comme te l'a dit Lavi, ça sera sans doute encore mieux. Vous saurez que ça peut bien se passer. Accroche-toi à cette idée. »
Encore, Allen opina.
« Je n'ai jamais eu peur que Kanda ne me traite pas bien, juste… ouais, de pas me contrôler, de me sentir mal…
—Et tu t'es senti mal dans ce rêve ? demanda le borgne.
—Pas du tout, non. J'étais confiant… Si confiant… Trop, même.
—Alors ne t'en veux pas. Allen, il n'y a pas de mal à s'abandonner. Quand tu seras prêt. Laisse-toi le temps. »
Déglutissant, le maudit sourit. Lenalee et Lavi étaient géniaux. Il leur tendit les bras timidement.
« Je peux avoir un câlin ?
—Bien sûr ! »
Allen rougit. Il se laissa aller dans leurs bras. Il respira leurs odeurs, ravi. Lenalee lui embrassa le crâne, Lavi tapotant gentiment son épaule.
« Ça va un peu mieux ? » murmurèrent-ils, Lenalee reprenant. « On espère avoir su t'aider.
—Vous avez su parfaitement aider. Je vous remercie énormément. Je… merci. »
L'étreinte se prolongea, les cahots du train retentissant. Ils avaient encore trois heures de route. Les deux autres lui proposèrent de dormir. Retissant au départ, Allen finit par s'allonger sur ses deux meilleurs amis, la tête sur les genoux de Lenalee, Lavi l'ayant couvert de sa veste. Rassuré, il essayait de se calmer, de se détendre. Ses rêves emportaient le reste. Il n'était plus habité par l'angoisse, pas plus que par la peur. Un peu, mais il était surtout complètement vidé. Parler à ses amis lui avait permis d'y voir plus clair par contre, il ne regrettait pas, se sentait ravi de s'être confié à eux, réellement. Ça n'aurait pas pu lui faire davantage de bien. Il avait juste à libérer ses pensées, juste à se laisser aller, à se lâcher, à s'endormir…
Plus tard, lorsqu'il se réveilla, les deux autres étaient plongés dans une discussion silencieuse, à voix basse. Il avait les yeux enflés, les tempes lourdes, et le nez prit par une envie d'éternuer. C'était désagréable.
Lenalee et Lavi lui adressèrent un sourire, qu'Allen leur rendit maladroitement, un peu embarrassé en pensant à la façon dont il s'était confié à eux pour pleurer ensuite comme un bébé.
« On est bientôt arrivés ?
—Encore deux arrêts, je crois. Tu veux jouer aux cartes avec nous ? »
Le blandin opina du chef. Il se mordilla la lèvre.
« Dites…. Merci, pour tout à l'heure. Et désolé… encore.
—Y'a pas de mal, Allen. On est là pour ça. »
Lenalee lui souriait avec bienveillance et Lavi approuva. Le maudit ne put que dodeliner la tête en guise de remerciement, le visage chaud. Le rouquin lui tira la joue, Allen ne s'y étant pas attendu poussant un petit cri endolori.
« Si je t'entends encore t'excuser, je te fracasse la tête, Al.
—J'allais pas le faire ! »
Allen se frotta la joue, que le roux avait arrêté de pincer. Il darda à Lavi son regard le plus meurtrier. Ce dernier lui ébouriffa les cheveux.
« Mieux vaut prévenir que guérir. »
Le blandin lui tira la langue. Ok, il se serait peut-être à nouveau excusé si Lavi n'avait rien fait… mais et alors, il avait bien le droit ! Boudeur, Allen croisa les bras sur sa poitrine.
« Ok pour les cartes. »
Même Lenalee ricana devant sa mine renfrognée.
Toutefois, Allen était à présent soulagé. Il allait pouvoir se concentrer sur autre chose, et jouer avec ses amis était l'occasion idéale.
Sincère, il leur sourit. D'un sourire lumineux et affectueux qui valait bien tous les merci du monde.
Le terminus survint tard. Depuis les fenêtres du train, ils avaient une vue sur les étoiles. Elles nimbaient la ville d'une lueur bienveillante, mais faible. Comme l'étaient leurs paupières. Ils débarquèrent en tenant leurs valises à bout de bras, pressés de regagner l'auberge. Seul Lavi chantonnait tandis que Lenalee s'agrippait au bras d'Allen, à moitié endormie. Les trois amis, accompagnés des Traqueurs, fendirent la nuit. Heureusement pour eux, leur hébergement se trouvait à quelques rues de la gare, pas besoin d'emprunter une calèche ou de s'embêter à marcher longuement.
Ils s'enregistrèrent, montèrent dans leur chambre, Allen se vautrant sur l'un des deux lits de la pièce, Lavi, qui marchait à sa suite, faisant pareil quelques secondes après. Ils étaient morts, ils n'avaient même pas mangé, mais à ce stade, ils s'en fichaient pas mal. Seule la satisfaction d'avoir un drap et un matelas sous son corps était jubilatoire. Ceux de la chambre sentaient un peu l'usé, ils étaient propres, mais le tissu rude, signe qu'ils avaient vécus. Le maudit s'en ficha complètement. Il entendit Lavi s'en plaindre, l'ignora car il sombrait dans le sommeil.
Au petit matin, Allen fut le premier éveillé. Il vit sur l'horloge qu'il était encore tôt, pas plus de 4 heures du matin. Ils ne faisaient pas des grâces mat' lors des missions, mais quand même. Ça lui laisserait le temps de flemmarder, et de réfléchir.
Lenalee et Lavi l'avaient beaucoup réconforté hier. Ils avaient été géniaux. Plus encore, Kanda lui manquait. Mais ils avaient raison, un peu d'espace leur ferait du bien. Au moins le temps de la mission. Après ça, ils pourraient avoir une vraie conversation. Allen avait hâte. Même si, tout bêtement, il avait juste envie de se blottir contre lui comme un bébé, de s'excuser pour ses réactions et de lui demander comment il allait de son côté.
Allen avait remonté la couverture jusqu'à ses yeux, ses pieds battant la mesure sous les draps. Il se demandait ce que faisait Kanda. C'était ridicule, mais il lui manquait vraiment énormément. Il se sentait comme un enfant. Au détail près qu'il était un jeune adolescent fou amoureux malgré lui. Il se passa la langue sur les lèvres. Ses mains se posèrent sur son ventre, sous le tissu de son pyjama. Il avait un peu mal, à cause du stress, de l'angoisse, des questions en boucle qui nouaient son estomac. Mais petit à petit, lorsqu'il pensait à Kanda, à leurs étreintes, le nœud se desserrait. Il se disait qu'il aurait peut-être dû faire comme les autres omégas qui amenaient un habit ou quelque chose de leur alpha avec eux quand ils s'en éloignaient. Il en était frustré parce qu'il n'avait pas envie d'être soumis au lien comme ça, ou d'agir comme un enfant à qui il manquait son doudou avec l'alpha. Il n'était pas si pathétique. Enfin, dans les circonstances actuelles, ça restait compliqué pour lui.
« T'es réveillé, Al ? »
La voix de Lavi le tira de sa légère torpeur réflective. Il sursauta un peu, se tournant vers son compagnon de chambre.
« T'es déjà debout ? »
Vu l'heure, rien d'étonnant à ce qu'il ne lui retourne la question. Lavi sourit.
« En fait, je sens une odeur étrange, et ça m'a réveillé. Je me demandais si toi aussi, tu l'avais sentie.
—Une odeur ? »
Allen ne sentait rien. À part l'humidité ambiante à cause de la pluie d'hier, sans doute renouvelée durant la nuit grâce à un clapotement audible depuis la fenêtre, et la chaleur du bois de cheminée, rien.
« Ça vient peut-être de ton lit ? Les draps sont un peu fripés, donc…
—Non, non, ce n'est pas une odeur normale.
—C'est-à-dire ? »
Allen fronça durement les sourcils. Lavi eut une expression similaire, sans répondre à sa question. Le maudit s'inquiéta. Il ouvrit la bouche, s'apprêtant à relancer son ami, mais celui-ci se pinça l'arête du nez.
« Laisse, ça doit être moi. Excuse'. »
Le blandin se tut, se doutant que Lavi n'avait pas envie d'être asticoté. Il se contenta de se recoucher à plat, et remonta la couverture sur lui.
« Essaie de te rendormir, Lavi. Si jamais cette odeur t'inquiète, on en reparle tout à l'heure.
—Ouais. Toi aussi, dors. Au lieu de cogiter. »
Le rouge aux joues, le plus jeune bougonna.
« Comment tu sais que je fais ça ?
—Je te connais, Mo-ya-shi.
—LAVI ! »
Un ricanement s'éleva dans la nuit. Allen se retourna, murmurant des insultes dans sa barbe. Il s'apprêtait à fermer les yeux malgré tout lorsqu'il sentit un corps s'allonger à côté du sien. Il haussa les sourcils, interloqué.
« Lavi… ?
—L'odeur me rappelle un truc. Je peux rester avec toi ? J'suis pas serein. »
L'oméga ne broncha pas. Ce n'était pas le genre de Lavi, sauf en cas de problème grave… et… il le sentait trembler ?! Allen s'inquiéta.
« Il y a quelque chose que tu ne me dis pas… ? »
Le regard du rouquin fut fuyant. Il secoua la tête.
« Lavi, je suis là pour toi comme tu l'es pour moi, tu sais.
—Je sais, Allen. Mais je ne suis même pas sûr de ce que je sens. Je peux rester, s'il te plaît ? »
Le plus jeune opina.
« Oui, bien sûr. »
Complaisant, Allen se colla à lui après lui avoir tendu les bras. Le rouquin s'y plongea avec un petit sourire. Ils s'endormirent, peu de temps après, tous deux vaincus par le sommeil.
Allen s'était réveillé le premier. Lavi était blotti contre lui, encore tremblant. Inquiet, il l'avait secoué, puis ils s'étaient préparés comme si de rien était, dans un silence pesant. Ils avaient rejoint Lenalee, déjeuné à l'auberge, et patrouillé. La mission commençait. Mais toute la matinée, Allen avait bien vu les regards anxieux de son ami. Bien remarqué qu'il guettait que quelque chose ne se trouvait pas derrière lui à chaque coin de rue. Comme s'il se sentait épié. Ça sentait mauvais. Il y avait un truc qui ne collait pas. Le blandin n'osait pas l'interroger – il avait évidemment déjà essayé, sans succès. Même Lenalee s'était aperçue de son manège. Les Traqueurs lui lançaient des regards.
Le maudit ne comprenait pas pourquoi Lavi s'obstinait à nier, si ça avait une importance. Lenalee, qui était parfois directe, choisit de lancer l'offensive.
« Lavi, tu es poursuivi par un fantôme, ou quoi ? »
Immédiatement, le rouquin se figea. Lena venait de taper dans le mille. Allen se contenta de froncer les sourcils, dans l'attente de la réaction de leur ami. Son regard devint incrédule, bas. Ça ne dura qu'une fraction de seconde. Il se reprit, se contentant de se gratter le menton avec indifférence.
« Non, j'ai... une vague impression d'être observé. Je suis désolé. »
Allen ne voulut pas insister, mais le regard que Lenalee et lui échangèrent fut parlant. Ils voulurent changer de sujet, la contrariété sur le visage de leur ami méritait qu'ils le laissent tranquille. Ils traversèrent la chaussée, le rouquin prenant la tête.
Au même instant, une attaque survint. Derrière eux, une bombe s'écrasa contre la toiture d'une maison. La charpente s'effondra sous la déflagration, de la fumée s'éleva, les passants hurlèrent. Les garçons n'eurent pas le temps de dire quoique ce soit fidèle à elle-même, comme une flèche, Lenalee se dirigea vers la bâtisse, suivie de près par Lavi et Allen qui s'efforçaient de la talonner tant bien que mal : il y avait beaucoup de trop de vapeur, les émanations débordaient de partout, envahissaient la place, jusque dans la rue et ils ne parvinrent plus à voir leur amie.
Bien vite, le son d'autres bombes explosant se répandirent en écho. Ce fut la panique du côté des villageois. Allen avait du mal à respirer, il toussait. Même Lavi, il n'arrivait plus à le voir. Des passants se ruaient dans tous les sens et les heurtaient. La situation devenait petit à petit hors de contrôle. Il hurla le nom de Lenalee, celui de l'apprenti Bookman, grognant de frustration entre ses dents.
Fait chier !
Soudain, son œil réagit. Il repéra l'Akuma. Sur la pointe d'un vieux toit, un niveau 4 se tenait, ricanant. Allen grinça des dents. Kanda et lui avaient peiné à battre le dernier qu'ils avaient affronté, ils ne devaient qu'à la synchronisation leur survie. Et quand on voyait comment ils avaient fini… ça s'avérerait ardu. Il s'obligea toutefois à faire le vide. Transforma son bras. Pris de l'élan. Sauta hors de la fumée, grimpant la rue pour prendre de la hauteur. Par chance, le village pentu permettait un point d'observation parfait.
L'oméga fonça utilisant son Innocence, il planta la pointe de l'épée au sol et se propulsa pour grimper sur un demi-mur dont il se servit comme tremplin. Il atteignit ensuite le toit, se rapprochant dangereusement de l'Akuma. Allen voulait le mettre hors d'état de nuire, au moins l'affaiblir, tant qu'il n'avait pas fait de victimes. La créature riait toujours, il se moquait d'eux. De lui. Allen ne comprit pas immédiatement pourquoi. Puis, entre la marée ondoyante de fumée, le garçon aperçut quelque chose à ses pieds. Il se rendit compte trop tard qu'il s'agissait de quelqu'un.
Son visage refléta l'horreur à l'état pure.
Lenalee gisait au sol. Il la retenait par l'une de ses couettes, la jeune fille gémissant de douleur contenue. L'Akuma appuya durement son pied contre son dos, en une posture de domination. Elle cracha une gerbe de sang. Devant la scène, Allen sentit son sang ne faire qu'un tour. Il ne pouvait pas laisser faire ça.
Le poing du level 4 se levait, il projetait de la frapper de nouveau.
« Lenalee ! »
Paniqué, le maudit se précipita. L'épée brandie en l'air, il donna un coup violent en avant. L'Akuma dût libérer la brunette pour l'esquiver, celle-ci commençant à dégringoler du toit. C'était mauvais. Blessée, inconsciente, elle ne survivrait pas à une chute d'une telle hauteur. Allen n'hésita qu'une fraction de seconde avant de s'éloigner de l'Akuma pour secourir son amie. Au moment où il vérifiait qu'il n'était pas poursuivi, il entendit un cri rageur. Lavi les avait retrouvé. Son marteau s'abattit violemment sur le niveau 4.
Soulagé, Allen se consacra à rattraper la brunette dans sa chute, se jetant devant elle pour faire barrage à quelques centimètres de la gouttière. Ils continuèrent à glisser. L'ayant reçue de plein fouet, Allen agrippa son corps de toute ses forces en comprenant qu'ils allaient tomber. Il s'écrasa avec elle sur le sol, roulant lourdement. Le choc résonna dans tous ses os, il avait mal. Il voulut protéger la tête de son amie, la retenant contre son torse, et grimaça en sentant les éraflures qui striaient sa peau le piquer méchamment.
Lorsqu'ils arrêtèrent de dévaler la rue, il poussa un grognement de douleur. Son bras humain était ouvert sur toute la longueur, en plus de le piquer. C'était probablement déchiré, il avait de la chance que ça ne soit pas brisé. Dans sa panique, son bras gauche avait regagné sa place initiale. Quant à elle, Lenalee avait des graviers logés dans une plaie superficielle, mais ensanglantée, sur la cuisse. Le sol pierreux lui avait grignoté la peau. Il s'aperçut qu'une de ses jambes était tordue en un angle improbable, ce qui lui souleva un haut le cœur. Sa tête n'avait rien, Allen pensant qu'il avait de la chance que ce soit également son cas. Ils étaient tous deux couverts de bleus.
Pire, la jeune fille était inconsciente entre ses bras, comme une poupée de chiffon.
La chair tendre ouverte l'élançait déjà. Il n'eut pas le temps de se ressaisir, il se releva, Lenalee dans les bras, et demanda à un passant de la conduire à l'hôpital. Il ne pouvait pas laisser Lavi seul contre cet Akuma.
Courant, Allen remonta sur le toit et se rua de nouveau sur l'Akuma avec qui joutait Lavi dans les cieux. Son bras le faisait souffrir, mais il avait connu pire, il ne pouvait pas abandonner maintenant.
« Lavi ! » hurla-t-il en consolidant son appui, le borgne pivotant dans sa direction. « Il faut qu'on le transperce, et qu'on soit synchronisé au maximum avec nos Innocences ! Il n'y a que comme ça qu'on pourra… ! »
Il ne put finir sa phrase, l'Akuma donna un violent coup à son ami qui fut projeté dans sa direction. A nouveau, ils roulèrent, mais cette fois, ils réussirent à se rattraper aux tuiles, s'arrachant des ongles dans la foulée. La piqûre de la douleur fut remplacée par de l'agacement.
« Ça va être chaud, » dit Lavi dans un souffle rauque, fracassé sur le dos, un pied dans le vide, soulignant l'évidence, « il nous épuise, et dans cet état, augmenter sa synchro… »
Allen ne pouvait qu'acquiescer. Il savait. C'était dangereux. Leur santé en pâtirait, leur habilité au combat, leur résistance, jusqu'à la résonance elle-même. C'était, néanmoins, le seul moyen de les vaincre.
« Il va falloir qu'on ait une stratégie, murmura-t-il en se relevant, ne devant qu'à son équilibre de ne pas basculer en arrière, on le charge chacun d'un côté, et on tente de le prendre en même temps.
—Je valide. Faut se dépêcher, que l'enfoiré n'aie pas le temps d'hurler. Lena est à l'abri ? Tu vas t'en sortir, mec ?
—Ouais. »
Il répondait aux deux questions. Voyant que son ami clopinait pour se mettre debout, Allen fronça les sourcils, tendant les bras pour le soutenir. Lavi sourit. Bien que la fatigue se lisait sur ses traits, il n'y avait plus cet éclat terrifié désormais. Le maudit en fut soulagé, quelque part. Le combat semblait avoir réveillé le Lavi qu'il connaissait.
« Allons-y, Moyashi.
—Lavi, bordel ! »
Sur un clin d'œil, le borgne bondit, lui donnant une claque dans le dos. Ouille. L'imbécile oubliait qu'il avait fait une chute de 3 mètres, lui. Il le suivit, s'élançant à son tour. L'Akuma en profita pour commander aux niveaux 2 et 3 de cibler des maisons, ainsi que l'attroupement de citadins qui les zyeutaient. Ça devenait mauvais. S'ils ne le neutralisaient pas vite, ils ne pourraient pas intervenir avant que les autres fassent des dégâts. Ils devaient en faire leur priorité. Si seulement Lenalee n'était pas blessée… Il choisit de foncer le plus vite possible pour retrouver son assaillant, et jouta violemment dans sa direction. Il fut esquivé avec facilité, ayant affaire à un ricanement narquois. Son ami chargea à revers, il fondit l'air avec la pointe de son marteau.
La créature, comprenant qu'elle était cernée, prit de la hauteur et se retrouva à environ 5 mètres au-dessus d'eux. Il fut clair qu'il allait crier et ils paniquèrent. Allen pivota vers Lavi. Il se propulsa en avant avec Crown Clown, échangeant au préalable un regard avec lui. Il valsa dans les airs, sentant son poids lui échapper et se transférer à son épée qui portait, en plus, la force de son élan.
Lavi fit de même, étendant la lance de son marteau pour qu'elle soit plantée au sol, arrivant de plein fouet sur l'Akuma. S'il avait bien vu Allen, ce fut si soudain qu'il ne put esquiver les deux. S'étant concentré pour être le plus possible synchronisé à l'Innocence, Lavi le heurta de plein fouet, l'envoyant en direction d'Allen qui put le poignarder en plein cœur. L'Akuma cria. Même s'il n'avait pas la force de Kanda avec lui, même s'il était suspendu dans les cieux en ne devait qu'aux ailes de l'Akuma de garder l'équilibre, il força sur la garde de son arme.
Son bras le faisait souffrir le martyr, finalement, il se demandait s'il ne s'était pas cassé un truc, lui aussi.
Ils ne tardèrent pas à perdre de l'altitude. Allen sentit que l'Akuma plantait ses griffes dans son bras, alors qu'il se mettait à hurler de plus en plus fort. Ses oreilles… il avait mal, il sentait Crown Clown flancher. Il ne tiendrait pas longtemps comme ça. Lavi vint vite l'aider. Perché sur un autre toit, il utilisa son marteau comme une perche, et atteignit l'Akuma par derrière. Allen vola lui aussi lorsque l'onde de choc les frappa tous deux.
Il finit encastré dans le sol, le dos craquant au milieu d'une grande fissure, l'Akuma planté sur son épée. Allen utilisa ses dernières forces pour les transmettre à l'Innocence, tandis que Lavi vint appuyer derrière pour embrocher l'Akuma sur toute la longueur de la gigantesque épée. Coincée, la créature ne put plus lutter. Elle avait arrêté de hurler, se désintégra petit à petit.
Les deux garçons soupirèrent à l'unisson, Lavi se laissant tomber à côté d'Allen, et fermèrent les yeux.
Lorsqu'ils les ouvrirent, ils étaient dans un lit d'hôpital. Les murs blancs inondés de lumière frappaient la rétine, les infirmiers s'attroupant autour d'eux sans bruit. Allen ne se réveilla qu'en deuxième. Il eut soif, cela lui fut refusé, mais on vint prendre sa température, vérifier sa perfusion. Lavi, couché dans le lit voisin, maugréait entre ses dents qu'il s'ennuyait, s'arrêtant bien vite quand une jolie infirmière vint s'occuper de lui. Cela aurait fait rire Allen s'il avait été moins dans le coaltar. Il voulut se gratter le front, ses membres refusant de lui obéir.
Les deux bras d'Allen étaient bandés, apparemment, il ne s'agissait que d'une foulure qui cicatrisait bien, grâce à son statut de symbiotique, il pourrait sortir d'ici une à deux semaines, et Lavi avait lui aussi quelques égratignures. Lenalee, en revanche, en avait pour un mois de convalescence. Sa jambe était dans un plâtre. Le rouquin continuerait la mission seul jusqu'à ce qu'Allen puisse sortir. Il n'utiliserait sûrement pas au complet son temps de repos, il n'en était pas question. Leur amie serait rapatriée s'ils avaient fini entre temps, elle n'avait pas le choix de rester alitée, et il ne voulait pas lui aussi rentrer sans avoir pu se battre, ainsi que tout reléguer à Lavi. Au vu de son état, ça ne serait pas juste. Allen prendrait donc sur lui.
Au bout de quatre jours, il eut Komui au téléphone pour un rapide rapport, et même, à son grand choc, Kanda. Il pensa d'abord à une raison toute simple que Link l'avait encore chargé de le surveiller à distance, puis il se dit que finalement, ça aurait été bête, sinon, l'alpha serait venu sur la mission. Le cœur lourd, mais d'une pression heureuse, il écouta Kanda lui demander comment il allait.
« Ça peut aller, Lenalee, un peu moins. On m'a dit que tu voulais me parler, tu avais quelque chose à me demander ? s'interrogea-t-il.
—J'étais juste inquiet, entendit-il à l'autre bout du fil d'une voix placide, j'ai su que vous en aviez chier, j'voulais savoir si tu te remettais. »
Kanda paraissait blasé par ses propres mots. Ils émurent pourtant Allen, presque aux larmes. Quand il pensait, encore, à leur dernière altercation… Il se doutait que c'était pour ça que Kanda s'inquiétait autant, néanmoins… Il avait ressenti tant de choses fortes qu'il eut du mal à parler.
« Je… merci. Ça me touche.
—Bah, j'suis ton pote, c'normal, non ? »
Sa propre voix trahissait une remise en question. Bien qu'il ne puisse pas le voir, Allen secoua la tête.
« Ça l'est, oui. Tu fais des progrès en sociabilité, Kanda.
—Espèce de petit… »
Le coupant, le maudit rit. Il ne voulait pas le froisser, seulement le taquiner. C'était un moyen de dédramatiser.
« Je plaisante. Merci, Kanda. Et toi…, risqua-t-il, tout va bien ? »
Un rire sec lui répondit à l'autre bout de la ligne, le maudit serrant le combiné près de son oreille, la main tremblante. Avec ses blessures, c'était presque douloureux.
« C'est pas moi qui ai fini à l'hosto, Moyashi.
—C'est Allen, idiot. Et certes, mais…
—Ça va. J'te laisse, fais gaffe à toi, imbécile. »
Et il raccrocha, sans même qu'Allen n'ait pu dire quoique ce soit.
Tout ce qu'il pensa fut que, aussi idiot que ça puisse paraître, Kanda s'inquiétait pour lui. Ça le rendait heureux. Il avait, bien entendu, les mêmes sentiments. Le kendoka s'était montré évasif quant à son état, néanmoins, s'il lui disait que ça allait, il lui faisait confiance. Ils auraient bien le temps d'en parler en profondeur. Il avait envie de penser comme ça, du moins. Ça soulageait son cœur. Il n'y avait pas la tension, le malaise, auxquels il s'était attendu.
Le maudit avait ensuite rejoint Lavi, qui veillait Lenalee. Lorsqu'il pénétra dans la chambre, il lui faisait des blagues et la jeune fille boudait, fortement agacée par son comportement. Les bras croisés sur la poitrine, elle tournait dédaigneusement la tête, feignant de l'ignorer. Ce qui ne décourageait nullement le rouquin, bien au contraire. Son village s'illumina cependant lorsqu'elle vit Allen. Elle lui sourit, Lavi attrapant une chaise pour qu'il vienne s'asseoir.
Sa veste au coin du coude, Allen rendit son sourire à Lenalee, s'approchant d'un pas fatigué. Il bailla discrètement, s'effondrant à côté de ses amis.
« Comment ça va aujourd'hui, Lenalee ? » demanda-t-il d'une voix douce.
La jeune fille se redressa un peu plus.
« Ça va, j'essaie de survivre aux blagues de Lavi, » taquina-t-elle, ce dernier poussant un soupir faussement outré, « Et toi, tu as eu mon frère et Kanda au téléphone, c'est bien ça ?
—On ne peut rien te cacher…
—Et mes blagues sont très bien ! » renchérit immédiatement Lavi.
Lenalee lui tira la langue, Allen riant franchement en réponse. Lavi se désintéressa rapidement de sa joute verbale avec la jeune fille pour se tourner également dans sa direction.
« Ça a été, avec Yû ?
—Eh bien, oui, il voulait de mes nouvelles. »
D'un geste embarrassé, Allen se gratta l'arrière du crâne. Il esquissa un rictus, sachant que les autres allaient lui poser la question.
« C'était adorable de sa part, ça m'a fait plaisir.
—Tu vois ! » s'exclama Lenalee. « Pas de tension, pas de problème, tu n'as pas à te torturer l'esprit !
—Oui, je me dis qu'on aura le temps de reparler de tout ça calmement. »
Il était, encore une fois, clairement rasséréné. Un poids dont il n'avait pas eu conscience s'était enlevé de ses épaules. Lavi lui tapa dans le dos.
« C'est super, alors, c'est de bonne augure pour votre conversation. »
En face, Lenalee acquiesçait aux mots du rouquin. Allen haussa gentiment les épaules, se doutant qu'en effet, ils avaient raison, et encore une fois, ça le tracassait beaucoup moins. La jeune fille montra toutefois du sérieux, s'intéressant à l'autre échange téléphonique.
« Sinon, Komui a de nouvelles directives ? »
Allen hocha la tête.
« Il est inquiet pour toi, il veut que tu te reposes. Lavi et moi, on va devoir aller dans un village voisin demain pour enquêter sur de nouvelles attaques. Mon bras est presque guéri, les médecins acceptent que j'y aille. Je me remets mieux que prévu.
—Des niveaux 4, encore ? Vous allez vous en sortir… ? »
Le visage de Lenalee reflétait la contrariété, ainsi que l'inquiétude. De toute évidence, rester clouée au lit ne lui convenait pas. Elle ressentait un mélange d'agacement, de culpabilité, et de peine. Lavi lui caressa la tête, Allen lui prit la main.
« Ça ira, on est de grand garçons.
—Oui, d'accord, mais…. Les niveaux 4…
—Lena, tout va bien se passer. »
Lavi adopta une voix ferme. La jeune fille soupira. Allen lui tendit les bras. Elle se laissa aller dans son étreinte, rejointe bientôt par celle de Lavi. Bien sûr, confronté de nouveau à des Akumas de niveau 4, ils allaient avoir du mal. Mais l'autre jour, ils n'avaient pas été préparés. Dorénavant, ils savaient à quoi s'attendre. Allen était convaincu qu'ils pouvaient se débrouiller. Naturellement, être trois, ça aurait été mieux. Ils préféraient tous deux ne pas le faire ressentir à Lenalee. La brune se passa une main sur le visage, essuyant quelques larmes.
« Si vous avez besoin que je vienne, je peux me débrouiller pour sortir plus vite moi aussi. Je refuse de vous laisser seuls.
—Ce n'est pas ce que disent les médecins, Lena, » rétorqua gentiment Lavi. « Tu ferais mieux de te reposer.
—Lavi a raison. Ne te tracasse pas, Lenalee. »
Sur ces paroles, ils étreignirent encore leur amie et sortirent ensuite, faisant coulisser la porte derrière eux. Le couloir était désert, Lavi vint s'asseoir contre le mur, tandis que le maudit se laissait aller contre la porte, étouffant un soupir contrarié.
Allen était peiné de voir Lenalee dans un tel état. Il jugeait toutefois que c'était mieux dans l'état actuel des choses. Lavi et lui devraient mettre au point une stratégie en cas de confrontation avec des Akumas de niveau 4. Ils allaient devoir être très prudents. Mais ce n'était pas insurmontable.
À l'image de la jeune fille dans le lit d'hôpital à se faire un sang d'encre, le cœur d'Allen se serra encore. Lavi posa une main sur son épaule.
« Elle ira mieux. »
Comme s'il avait su lire en lui, et parce qu'il était son meilleur ami, bien sûr qu'il savait lire en lui, il le réconfortait. Le maudit déglutit. Ils allaient bien devoir avancer bon gré mal gré.
S'approchant de son ami, il finit par s'asseoir à côté de lui, lui offrant un petit sourire.
Le borgne n'y répondit pas pendant plusieurs secondes occupé à fixer le vide, Allen s'inquiétant face à son air inexpressif. Si Lavi le connaissait, la réciproque était vraie. Il avait l'intime conviction que quelque chose n'allait pas avec Lavi depuis le début de la mission. Il aurait fallu être aveugle pour ne pas s'en rendre compte. Toujours, il n'osait pas mettre le doigt dessus, craignant de le blesser, de le mettre mal à l'aise. Une seule chose était sûre : il ne se faisait pas d'idées. Lavi n'aurait jamais ignoré un sourire pour fixer le vide auparavant.
Au contraire. Il aurait fait une blague, aurait émis une hypothèse de stratégie, pas ce silence mortel.
« J'ai une sensation bizarre, tu sais, » finit par répondre le rouquin, le coupant dans ses pensées au moment où une infirmière traversa le couloir.
Allen se tourna vers lui, soudainement interloqué.
« Comment ça… ?
—L'odeur dont je t'ai parlé dans la chambre. Elle me suit. »
Une sensation de déjà vue fugace envahit Allen. Il était loin d'être suffisamment idiot pour ne pas comprendre. Surtout quand son ami le fixa avec les larmes aux yeux.
« C'est exactement la même que quand je l'ai vu.
—Que quand tu as vu qui… ? Link… ? »
Ç'aurait été cohérent. Avec ce qui se passait entre eux, ça paraissait même fort probable. Leurs deux positions étaient complexes, ça aurait expliqué la détresse de Lavi. Mais Link était resté à l'Ordre, lors de cette mission. Ça ne pouvait pas être…
« Tyki Mikk, ce foutu Noah. »
Allen dut se retenir pour ne pas hoqueter. Il ne voulait pas montrer son choc alors que Lavi était si perturbé. Déglutissant, il posa sa main sur son épaule au moment où Lavi s'essuya le bout du nez en reniflant, refoulant ainsi ses larmes.
« On trouvera l'Innocence, Lavi. Si les Noah sont ici, j'en informerai Komui. Lavi, tu es sûr qu'il s'agit de lui ?
—Je crois bien. »
Le maudit lui offrit son étreinte. Ils ne pouvaient être sûrs de rien. Ce n'était peut-être qu'une coïncidence. C'est ce qu'il entreprit de chuchoter à Lavi qui se jeta contre lui en étouffant un sanglot. Il avait aussi envie de lui demander ce qui s'était passé entre eux. Bien que la perspective qui entourait Lavi était suffisante pour le rendre dans un tel état, il sentait que quelque chose s'était produit. Quelque chose de plus.
Ils rentrèrent à l'auberge et le lendemain, ils partirent.
Quatre jours à bourlinguer d'un village à l'autre, et un énième trajet plus tard, les deux exorcistes commençaient à désespérer. Ils étaient enfin arrivés sur place après ce trajet interminable vers un nouveau village, et quand la calèche s'arrêta, Allen crut bien qu'il allait vomir. Il faisait beaucoup trop chaud depuis avant-hier, le mercure grimpait, la température brûlait.
Lavi et lui en sortirent, figés par la chaleur qui faisait mur avec leur corps de façon impitoyable.
Le climat n'était pas très clément avec eux. Entre le ciel qui les arrosait dans un premier temps, le soleil de plomb, leur enquête qui piétinait… Allen craignait qu'ils ne soient venus pour rien, s'il espérait trouver quelque chose qui expliquerait la présence d'Akumas de niveau 4 dans le coin. Lenalee et Lavi, eux, en étaient à moitié persuadés, il y avait une explication.
Autant chercher une aiguille dans une motte de foin.
Le reste de la journée se passa sans grand chamboulement d'aucune part. Une coordination entre les traqueurs postés dans ce village et les exorcistes, une enquête de voisinage infructueuse. Ils savaient encore moins où ils en étaient. Lavi blagua sur le fait qu'être exorciste constituait en grande majorité à mimer le comportement d'un mineur : taper bêtement jusqu'à trouver de l'or, du diamant, pour ne récolter que du charbon.
Allen avouait qu'il était bien d'accord. Ils n'avançaient pas. Et la présence éventuelle de Tyki Mikk ne faisait que le conforter dans l'idée qu'ils avaient été attirés dans un piège — ils avaient menti en disant l'avoir aperçu. Lavi ne pouvait décemment pas expliquer cette histoire de sensation, et l'Ordre ne devait surtout pas savoir… Allen sentait son cœur se serrer en songeant à quel point son ami se trouvait dans une situation périlleuse s'il s'avérait que Tyki et lui… Il n'arrivait pas à y croire. C'était secondaire à côté de l'incidence de sa présence sur les phénomènes paranormaux. Que cherchaient-ils ? Allen l'ignorait. Komui n'avait pas plus d'hypothèse. Lui non plus. La seule bonne nouvelle était que depuis hier, Lavi semblait se sentir mieux malgré tout ça.
Il riait, blaguait, son regard se perdait parfois dans le lointain, mais il ne semblait plus sur le point de fondre en larmes au moindre tournant, comme dans la peur de ce qu'il verrait.
Le maudit se rendait compte que lui aussi fixait l'horizon avec la crainte de voir Tyki, ou n'importe lequel des Noah. Il était anxieux, et surtout, inquiet pour son ami. Ils n'avaient rien dit à Lenalee. Dans son état, elle aurait craqué, ça n'aurait pas été bon. De toute façon, Allen jugeait qu'il n'appartenait qu'à Lavi de décider d'en parler. Il imaginait à quel point ça avait dû être dur de se confier à lui.
« Al, » l'interpella son ami, descendant la rue sur un geste de main, la mine dépitée, « aucun résultat de mon côté. Toi ?
—Non plus. »
Les deux jeunes garçons piétinaient sur place, agacés. Lavi remit une mèche de cheveux en arrière, derrière son bandeau. Un coup de vent bienfaiteur agita leurs uniformes. Lavi enleva un bouton de sa chemise, Allen gardant sa veste le long de son bras gauche, la chemise remontée jusqu'au coude. D'un accord commun, ils se déplacèrent jusqu'à la fontaine, sur la petite place, où ils s'assirent.
C'était sans doute une fausse alerte. Ou bien, le Comte était en train de créer des Akumas par ici. C'était aussi une hypothèse qui ne disait rien qui vaille aux Exorcistes.
« Al. » Lavi l'interpella soudain. « Merci, pour hier.
—Hier ? Oh, mais… c'est normal, voyons. »
Le rouquin se gratta l'arrière du crâne.
« Je sais pas quoi faire… »
En toute honnêteté, Allen ne savait pas non plus. Il ignorait quoi penser, que conseiller à son ami, et quel moyen pour éviter ça… Car lui n'avait pas réussi lorsque ça avait été son cas. Il eut toutefois le réflexe de lui prendre la main. Déjà que cette mission éprouvante se voyait être énergivore au possible, ça n'aidait pas Lavi avec l'immense pétrin qui lui tombait dessus.
« Si ça se sait, poursuivit le rouquin, angoissé, mon papy, il va me renier, et l'Ordre Noir me tuera, je…
—Lavi, j'y ai réfléchi hier, et c'est peut-être un malentendu. Tu es un bêta, et peut-être que Tyki porte un parfum que tu reconnais, que c'est simplement qu'il est là et que…
—Non, Al, déconne pas, ça peut pas être un putain de parfum. On sait très bien ce que ça veut dire ! Et tu sais bien que je ne suis pas un bêta comme les autres. Tout le monde me le dit depuis des mois. »
Le maudit se pinça la lèvre.
« Certes, mais ça aussi, c'est des choses qu'on ne comprend pas… Un Noah, je ne pense pas que vous puissiez être….
—Il m'a senti, tu sais. Et je crois que je comprends mieux son comportement avec ce que je sens moi aussi. Et s'il me cherchait ? »
Fronçant les sourcils, Allen releva le visage angoissé de son ami, un nœud dans son estomac se serrant.
« Il t'a senti… tu veux dire, il t'a fait quelque chose ? »
Haussant les épaules, le rouquin se déroba à son regard et baissa la tête.
« C'est rien que les alphas ne font pas aux omégas. Un peu moins aux bêtas, je dois l'avouer. »
La voix tremblante, Lavi se mit à renifler à nouveau, le regard flou. Allen l'étreignit, déposant sa veste sur ses genoux.
« Lavi, mon dieu, je ne… il n'avait aucun droit de… Tu en as parlé à quelqu'un ?
—Non. T'es le seul. S'il te plaît, dis rien à personne.
—Bien sûr. Je ne dirai rien. Mais Lavi, je suis tellement désolé de ne pas avoir été là, de ne pas t'avoir soutenu… »
Exhalant un soupir de frustration, le rouquin haussa derechef les épaules.
« T'aurais pu rien voir. J'ai rien dit. Et personne aurait pu faire quoique ce soit. C'est pas si terrible, il m'a pas molesté non plus. C'était juste… agressif, comme approche. Il a… je sais pas, il m'a touché le ventre en inspirant mon odeur, la main sur ma gorge ? Bordel, c'était tellement chelou. J'ai rien compris, j'ai tellement flippé, je… Mais c'est moi qui suis…
—C'était pas juste agressif, tu trembles. Kanda est agressif, mais ni toi ni moi n'avons jamais tremblé devant lui. Et Lavi, ce n'est pas rien…
—Ça lui aurait fait trop plaisir, à Yû, qu'on tremble. »
Lavi eut une sorte de rire, regardant ses mains qui, en effet, tremblaient. Il ricana encore, remontant sa jambe droite sur sa cuisse, et se tenant fermement la cheville, comme pour s'empêcher de partir. Allen raffermit sa main posée sur la sienne, voulant le rassurer.
« On va rentrer et bientôt retourner à l'Ordre. Tu ne le verras pas.
—Ouais. J'espère bien. »
Intérieurement, Allen espérait aussi. Mais il décida de se montrer confiant. Les jeunes garçons se relevèrent, jetant un œil vers le ciel qui se couvrait soudain.
Encore un jour en dent de scie, encore une sale journée de finie.
Le soir, à 22 heures passées, Lavi décida de rester au bar de l'auberge. Allen était remonté se coucher, fatigué après un dîner copieux qu'il avait englouti à toute vitesse pour se sentir mieux. Lui était trop pensif pour le suivre dans l'immédiat. Il avait envie de se bourrer la gueule. Alors il avait commandé une bouteille. Tout ce qu'il voulait se trouvait là-dedans, dans cette chope au liquide carmin. Le désir d'oublier, de crever. Il ne s'était jamais senti aussi mal de toute sa vie, et pourtant, des moments pas chouettes, il en avait vécu à la pelle. Toute sa vie n'avait été faite que de mauvais moments, que d'épée de Damoclès au-dessus de sa tête.
En tant que Bookman, il y avait eu du mieux. Mais c'était toujours aussi dur. De la pression, du savoir, ne pas s'attacher… Lavi n'y parvenait pas. Il avait échoué à quelque chose de si simple. Ça pouvait encore passer inaperçu. Il prendrait sur lui, ce n'était pas la première fois. Avec les filles qu'il voyait sans que ça n'aille plus loin, avec les rencontres fortuites d'amis de passage, avec les règles de son grand-père, il n'avait jamais d'autre choix que de prendre sur lui. De se laisser porter par les notes du passage de la vie, dont il portait cruellement le nom français cette fois.
Quitte à s'échouer face contre terre. À ramper dans la boue. À se perdre.
Il avait cru que les soupçons sur une éventuelle nature d'oméga le concernant était la pire chose possible. Il ne suffisait que de ça pour faire chuter le faible château de carte qui composait la stabilité de son existence. Pour le déposséder de tout jusqu'à sa raison d'être, jusqu'à son statut de Bookman. Il se croyait déjà condamné, qu'un jour, quelqu'un irait lui chercher des poux là où il n'en avait pas — parce que c'était faux, bien sûr que c'était faux — juste à cause d'un dysfonctionnement hormonal et qu'il serait mis à pied.
Son grand-père tenait à lui, du moins Lavi le croyait. Il ne savait pas s'il le virerait comme ça pour chercher un autre apprenti du jour au lendemain. Ce serait sûrement une décision difficile. Qu'il serait néanmoins capable de prendre, en tant que Bookman. Il ne s'agissait pas d'une première, un apprenti renvoyé.
Il ne voulait pas en être. Il ne voulait pas rejoindre la liste des morts ou des reniés. Le cœur serré, les poings noués, le ventre creux de peur, il avait encore pris sur lui.
Mais là, là… C'était trop. Il voulait, ô, tellement, croire Allen quand il lui clamait que ce pouvait être un malentendu. Autre chose. Que, le mot était si dur à sortir, un lien ne pouvait pas s'être formé entre eux. Les alphas sentait fort. Il lui était déjà arrivé de sentir l'aura de Kanda, de Link. Pas comme Allen pouvait sentir Kanda, et pas comme un lié pour Link. Toutefois, comme pour lui, il pouvait y avoir une raison quelconque.
Sauf que l'odeur mêlant le de tabac, la sauge, les fleurs de madère du Portugal… avait quelque chose de corporel. Et il les sentait encore.
Il était fini. Dans la merde jusqu'au cou, rien ne pourrait le sauver cette fois. Alors il but un verre, un grand, cul sec. Le goût de l'alcool remonta dans son nez et il s'étouffa. Toussant, il but un autre verre, plus doucement, pour reprendre contenance.
Le tenancier de l'auberge le fixait avec de grands yeux. Lavi répondit d'un œil noir. Il n'avait pas la force de jouer au gentil, cette fois. Ni d'être poli. L'homme abandonna.
L'esprit embrumé, Lavi se mit à pleurer.
Pas de gros sanglots, pas d'éclat, mais des larmes qui coulaient le long de ses joues alors qu'il essayait de cacher son profil du mieux qu'il le pouvait.
Il avait honte. Réagir comme un gosse pleurnichard, en public, bien qu'il n'y ait pas grand-monde en bas… Si son grand-père l'avait vu, il l'aurait frappé. Il fautait à conserver son masque.
Le verre dans sa main lui semblait lourd. Il avait les bras engourdis et les jambes en compote à force d'avoir couru partout. Peut-être qu'il aurait mieux fait d'aller rejoindre Allen directement dans la chambre au lieu de faire ça. Finir la soirée arraché ne résoudrait rien.
Il se gratta la tête, se tâtant clairement à remonter avant de vomir son stress et d'emmerder Allen sans le vouloir en foutant le bordel dans la chambre, ou à rester là toute la nuit. À commander une autre bouteille. L'auberge accueillait des clients tard, le bar resterait ouvert, on ne le virerait pas. Demain ça allait piquer, mais ce serait une autre histoire.
La mission n'avançait pas, de toute façon. Quitte à passer une journée à rien faire, autant que ce soit dans un lit.
Il aurait beaucoup aimé avoir Link au téléphone, ou qu'il soit là. Son absence s'expliquait par des affaires entre lui et Luberrier, ce qui augurait sans doute d'autres difficultés pour l'Ordre et pour Allen. Ça craignait, ça aussi. Quoiqu'il en soit, Lavi aurait eu besoin de lui. Leur relation lui faisait du bien. Il n'irait pas dire qu'il était amoureux, mais il y avait quelque chose.
Quelque chose que cette merde d'odeur pouvait détruire… Son cœur se resserra de nouveau, détruit par l'affliction de sentiments infâmes.
Il avait eu tort. Le pire, c'était maintenant. Il avait vraiment touché le fond. Il ne pourrait pas être plus dans la merde qu'à présent.
Engloutissant un troisième verre, son regard se posa dans le lointain. Il réalisa qu'il avait tort. L'odeur semblait plus insistante ce soir. Il n'y avait eu personne quand ils étaient rentrés, à part le barman et un type au fond de la salle à il n'avait pas fait attention. L'homme était parti le temps qu'il prenne sa bouteille.
Ça ne changeait rien au fait qu'il ressentait une désagréable sensation. Comme celle de ne pas être seul. D'être observé. Ça pouvait être un effet de l'alcool. Il tenta de ne pas y faire attention.
D'un naturel observateur, Lavi choisissait néanmoins de se fier à son instinct. Il sentit bientôt un regard insistant sur son corps, sur lui. Ces choses-là se remarquaient, on le pressentait. Ça le fit paniquer.
Il se releva, et chercha vers le fond de la salle, s'il s'agissait de l'homme de tout à l'heure qui était revenu. Ça l'aurait rassuré. Il ne trouva rien dans le coin reculé de la salle, et voulut revenir s'asseoir lorsqu'il entendit un craquement, suivi d'un bonsoir laconique du barman à l'adresse d'un nouveau visiteur.
Lavi fut tenté d'en rire. Il se faisait vraiment des idées.
En se retournant, il tomba pourtant nez à nez avec un visage qu'il ne reconnaissait que trop bien, tombant aussi des nues.
Tyki Mikk…
« Te voilà. Ça fait longtemps que je te cherchais, apprenti Bookman. »
Lavi ressentit la peur, le frisson du dégoût, qui le terrassa dans toute son âme, son cœur battant soudain à grand coups.
Tyki. Tyki était derrière lui.
Et quand il se rappelait de leur dernière rencontre, du probable lien qui les unissait, il n'arrivait pas à contenir ses tremblements.
À suivre...
Honnêtement cette petite interlude Tyki/Lavi risque de faire du bien après la tension psychologique des conflits internes entre Kanda et Allen, ça promet d'être assez amusant ;). Quand j'ai fait mon scénario, j'avais super hâte de cette partie.
Bien sûr, le Yullen ne disparait pas :p.
Une petite review ?
N'hésitez surtout pas, ça fait plaisir, et ça motive :3 !
Merci d'avoir lu, et à la prochaine !
