Note : Hello !
Un bon chapitre de 5k, histoire qu'on reste dans du format mi-court mi-long. Ce chapitre est donc découpé en deux parties, ça me fait de quoi poster la semaine prochaine x3.
Bonne lecture !
Lorsqu'ils étaient arrivés, Kanda dormait déjà.
Lavi observa Allen se coucher, l'air fatigué comme s'il s'était battu toute la nuit alors qu'ils n'avaient rien entendu, même en faisant une bonne partie de la forêt à pieds. Elle était grande, forcément, ils n'étaient pas passés par tous les endroits, mais ils étaient cinq à chercher leur ami, avec les Traqueurs. Lavi ne comprenait pas où avait disparu Allen. Pour la défense du maudit, il avait visiblement eu des choses à leur expliquer, mais ils n'avaient daigné l'écouter ni l'un ni l'autre. Lavi... se disait encore une fois qu'il s'investissait trop, en avisant de ses propres réactions. Parce qu'au lieu d'écouter les informations de l'oméga, il n'avait rien fait pour calmer Kanda qui lui dégueulait sa colère au visage, il n'avait pas cherché à atténuer leur querelle pour se concentrer sur ce qui était important.
Il avait en revanche bel et bien remarqué ce qui se tramait entre Yû et Allen. C'était troublant, que Kanda exhibe un tel instinct de protection envers Allen. Ça devenait de plus en plus naturel entre eux, et évident. Lavi était sûr que Kanda était juste trop bête pour s'apercevoir qu'il tenait autant à Allen que ce dernier tenait à lui. Ce n'était pas qu'un alpha qui appréciait un oméga avec qui il était lié par "erreur". C'étaient deux garçons attachés l'un à l'autre qui se cherchaient dans une relation. Et Allen était trop bête pour laisser sa fierté de côté, ce qui leur éviterait des engueulades. Lavi... les enviait un peu, à vrai dire, pour ce lien qu'ils avaient réussi à créer malgré leur situation respective.
Non, quand il voyait sa propre situation, Lavi était carrément jaloux de la chance qu'ils avaient. Leurs idioties le rendait d'autant plus exaspéré. Il s'en voulait de ressentir ça vis-à-vis d'Allen, de son meilleur pote, il se sentait coupable, parce qu'il savait qu'ils en avaient bavé tous les deux, leur lien continuait de leur faire du mal, mais il avait envie de les secouer. Leur apparente difficulté alors que tout aurait pu être simple le faisait sauter au plafond.
Ça non plus, ce n'était pas bon, pour un Bookman. Lire entre les lignes des comportements, oui. Les juger, non. Il n'en avait pas le droit.
Pour être franc, il comprenait tout de même Yû pour sa colère. Quand Allen avait disparu, Lavi lui-même s'était vite mis à paniquer au lieu de réfléchir de manière sensée.
Ça faisait longtemps qu'il avait arrêté d'avoir la posture de celui qui ne faisait qu'observer.
Entre sa liaison avec Link qui avait des accents bien sérieux, l'écharpe qu'il portait autour de son cou à cause des suçons que lui faisaient l'alpha en témoignait — même si ça ne l'empêchait pas de flirter un peu ailleurs de temps en temps, comme avec la fille au marché —, le fait que Lenalee, Allen et lui partageaient énormément de choses ensemble, qu'ils se soutenaient avec une amitié authentique comme Lavi n'aurait jamais pensé avoir. Il n'aurait même jamais osé en rêver, avant de le vivre. Il fallait dire que l'Ordre Noir était l'endroit où il était resté le plus longtemps. Le jour où le vieux lui dirait "Junior, prépare tes affaires, on s'en va." Lavi savait qu'il aurait un mal de chien à se faire à l'idée.
Et ça arriverait.
Rien que d'y penser, il avait ce sentiment de vide, son coeur qui se déchirait. D'un autre côté, ça l'aurait peut-être sauvé. Lavi... n'en pouvait plus. De sentir Tyki tout le temps. Il était sûr que ce connard le traquait, qu'il jouait à graviter autour de lui, comme un chat s'amusait avec une souris, et ça le rendait cinglé.
Allen lui avait proposé de parler de ce qui le tourmentait. Ça devait se voir qu'il allait mal, peu importe ses efforts pour le cacher. Ça faisait chier Lavi que ça ressorte à ce point, pour parler vulgairement. Quant à se confier, Lavi aurait pu en avoir envie, il aurait eu besoin d'exprimer sa détresse. Mais qu'est-ce que ça aurait changé ? À part emmerder son pote qui galérait déjà avec son propre lien, bien que leur situation soit très différente, il n'aurait rien obtenu.
C'était éreintant, d'être lié. Lavi aurait préféré que ce salopard de Mikk vienne le voir une bonne fois pour toute, qu'il lui dise enfin ce qu'il attendait de lui, et qu'ils arrêtent de tourner autour du pot. Ces jeux le détruisaient à petit feu.
De son côté, il avait encore trop peur d'aller le confronter. Il avait compris que sa perte de contrôle était... un "malheureux accident". Lavi savait que l'instinct des alphas était fort, ça n'excusait toujours rien, comme il l'avait dit au Noah. Quand ils s'étaient parlés, Mikk jouait à le draguer de façon totalement inappropriée, un poil dégueulasse, et maintenant à le faire flipper en tournant dans son orbite. Il n'y avait rien de rassurant. Le mec ne faisait rien pour qu'il arrête de le craindre. Ou c'était son nez qui l'imaginait. Ça l'aurait encore plus inquiété. Parce que son odeur lui manquait, malgré lui, malgré tout bon sens.
Tyki campait peut-être bel et bien dans l'ombre, à l'observer, à espérer qu'il viendrait le voir avant l'heure. Comme s'il espérait que ses piteuses excuses à demi-mot ait fait passer ça, avec la façon dont ça l'avait traumatisé. Lavi voulait aussi qu'il lui dise ce qu'il était. Il semblait le savoir. Ça le torturait toujours autant. Alors tant pis, s'il devait endurer sa conversation et sa compagnie dans un mois à Londres, le rendez-vous que Tyki lui avait donné.
Lavi... pensait de plus en plus à y aller.
En attendant, pour se changer les idées, et ne surtout pas se faire avaler par le trou noir béant de l'anxiété, il demanderait demain des explications à Allen, en espérant que Kanda et lui ne se disputeraient pas trop.
Allen remua dans son sommeil, sous le coup d'un cauchemar violent. Il revoyait sa dispute avec Kanda. Cette fois, elle tournait encore plus au vinaigre. Kanda disait qu'il le détestait, qu'il ne l'avait jamais que toléré, qu'il ne voulait plus avoir affaire à lui. Si c'était un rêve, la façon dont son cerveau se représentait les accès de colère qui avaient pu saisir son ami par le passé était basée sur du concret, de quoi donner un trop plein de réalisme à son rêve. Allen se réveilla en sursaut, des larmes silencieuses aux coins des yeux. Il eut besoin d'un moment pour se calmer, tandis qu'il voyait les corps de Lavi et Kanda se soulever avec leur respiration dans les lits voisins. L'obscurité silencieuse de la chambre le calmait. Tout allait bien. C'était faux. Ça aurait pu arriver malgré tout. Parce qu'Allen l'avait cherché, et il le savait. Il serra la couverture contre lui, honteux, ramenant aussi ses jambes contre sa poitrine.
Il se sentait en posture d'insécurité. Perdu, l'adolescent ignorait comment réagir. Il n'avait pas voulu blesser Kanda, ni lui dire tout ça. Il s'était laissé emporté. Il allait vraiment falloir qu'il apprenne à calmer l'impulsivité qui le saisissait souvent en situation critique. Même ses amis le lui avaient reproché, il ne réfléchissait pas toujours à l'impact que ses actions auraient sur les missions lorsqu'il décidait de partir en avant. Il fallait dire qu'Allen avait longtemps été habitué à faire cavalier seul, déjà tout petit au cirque, où personne ne s'occupait de lui mis à part pour le rosser. Par la suite, même s'il était social et qu'il se faisait facilement des amis en voyageant avec son maître, il n'avait jamais noué de lien comme ceux qu'il avait avec Lenalee, Lavi... et même Kanda. L'Ordre Noir était l'endroit où il avait appris à travailler en équipe. Ça ne faisait qu'à peine un an qu'il y était arrivé. Quand il était question d'agir, Allen avait été entraîné à se débrouiller seul, à la fois par la vie et par Cross. Définitivement, c'était difficile de se défaire de ses habitudes.
Là-dessus, il avait un autre point commun avec l'alpha, et ça lui coûtait de l'admettre. Il avait beau apprécier la compagnie des autres, être ce jeune homme sociable et poli, il... était avant tout quelqu'un qui avait été seul longtemps. Si ça lui avait mal, qu'il était heureux que ce ne soit plus le cas, les réflexes qui en avaient découlé ne partaient pas comme ça. Il oubliait en effet parfois qu'il ne l'était plus, et il se mettait en danger car il ne comptait que sur lui-même. Ça avait vexé Lenalee, ça inquiétait Lavi bien qu'il ne l'exprime pas, ça lui avait déjà valu quelques remontrances de Link, ça avait mis en colère Kanda. Et comme il s'agissait de Kanda, qu'il l'avait attaqué brusquement au lieu de se mettre à sa portée, Allen n'avait pas eu le réflexe de baisser ses propres barrière.
Au point de contrattaquer, comme d'habitude. Alors qu'ils auraient tous deux voulu avoir dépasser ce stade. Il restait agacé que Kanda ressente ce besoin de le protéger, comme s'il avait besoin de l'être ! Pendant ses chaleurs, ça avait été le cas, et parfois, Allen regrettait que Kanda l'ait vu ainsi, il avait peur que ça ait modifié la perception qu'il avait de lui. Bien sûr, ça avait dû forcément le faire, et heureusement, pas de la façon dont il aurait pu le penser. Ils en avaient déjà discuté. Kanda avait compris que c'était une passade dans la vie d'Allen, il lui assurait qu'il n'était pas faible, Allen le savait lui-même, mais pour ça aussi, sa vie lui avait appris à prouver qu'il savait se débrouiller seul à la fois en tant que petit garçon dans un monde beaucoup trop dur pour lui et aussi en tant qu'oméga.
Accepter que Kanda s'inquiète pour lui, s'en sentir flatté, avoir besoin de son affection, de son attention, accepter qu'il prenne soin de lui, qu'il en ait lui-même besoin... ça pouvait coexister avec son besoin d'être indépendant, d'être fort, de se débrouiller, d'être respecté en tant que personne. Il en avait l'intime conviction, il y avait déjà réfléchi pendant ses chaleurs, et après aussi. Ce n'était pas foncièrement incompatible. Tout n'était pas tout blanc ou tout noir avec ces choses-là. Mais il avait... ce besoin de prouver des choses. Il n'était pas encore arrivé au stade où il se sentait assez à l'aise avec lui-même pour accepter sa propre contradiction humaine, factuelle, sans le ressentir comme un coup porté contre sa fierté.
C'était ça, aussi, l'effet secondaire que lui avait apporté son parcours : cette fierté. C'était la seule chose qui lui avait permis de tenir quand d'autres avaient voulu le rabaisser.
Il savait qu'en aimant Kanda, s'il était accepté par lui en tant que partenaire, il devrait la baisser. Devant lui plus que devant quiconque, ce qui était dur vu les antécédents entre eux, cette tendance qu'ils avaient à se provoquer, et que la réciproque devrait exister. Ça aurait été inenvisageable il y a quelques mois. Et maintenant, ils essayaient. Avec autant d'échecs que de moments de réussites. Allen savait aussi qu'il devrait lui faire confiance pour être son partenaire et ne pas croire que ses inquiétudes légitimes étaient une attaque ou une manière de lui renvoyer un préjugé de faiblesse au visage.
Quelque part, Allen avait déjà réussi à le faire. De moitié. Il venait chercher Kanda quand il voulait sa présence, à l'Ordre, tandis que Kanda acceptait de méditer avec lui, de s'entraîner à ses côtés. Leurs taquineries étaient agréables, il y avait cette tendresse qui était née pendant ses chaleurs et ne partait pas. Elle s'amplifiait. Cet aspect-là de leur relation était... génial, aux yeux du jeune homme. Et parfois, il y avait leurs deux tempérament entêtés, leur tendance à s'énerver mutuellement par des traits de leur personnalité qui n'avait pas disparue non plus. Elle serait sans doute toujours là, bien qu'ils communiqueraient mieux dessus. Allen connaissait, en théorie, l'importance de la communication, il essayait de la transmettre à Kanda, mais parfois c'était... plus facile à dire qu'à faire, n'est-ce pas. Encore une fois, ils avaient leurs défauts, et ils étaient mutuellement au courant de ceux de l'autre.
Un bon pas en avant pour s'accepter, pour se comprendre, quand on savait discuter. Ils avaient encore à apprendre.
Allen savait, s'il regardait la vérité en face, qu'il s'était montré égoïste, imprudent, et vraiment méchant avec Kanda, tout ça parce qu'il n'avait pas supporté qu'il l'engueule, chose dont il se blâmait de plus en plus.
Il avait dépassé les bornes et il ne savait pas comment se faire pardonner ni comment arranger les choses. Il ne ferait pas le fier le lendemain, c'était le moins qu'on puisse dire.
Pour le moment, après son cauchemar et ses émotions en vrac, il avait juste... envie de pleurer, roulé en boule dans le lit. L'alpha était à côté et pouvait le sentir. Il devait bien puer, comme il aurait dit. De plus, ni Lavi ni lui n'étaient sourds. Allen n'avait pas envie de les réveiller pour qu'ils le voient comme ça. Ça aurait enragé Kanda, il le connaissait assez pour en être persuadé. Entre ses larmes, ça le fit sourire un bref instant en imaginant sa tête constipée, puis, le sentiment de détresse, sa peur que Kanda lui en veuille autant que dans son rêve... rendit sa vue plus que floue.
Il finit par se rendormir, ses larmes étouffées par l'oreiller contre lequel il enfouit son visage.
En se réveillant, Allen entendit du bruit dans la chambre. Il refusa d'ouvrir les yeux, se couvrant dans un geste de protection.
Présumant que ses camarades étaient déjà levés, il se préparait mentalement à devoir prendre sur lui, pour ne pas envenimer les choses même si Kanda était un imbécile à son tour, et à être de meilleur humeur de manière générale, parce qu'il n'était pas non plus stupide, ce ne serait pas agréable pour Lavi d'essuyer les pots cassés de toutes ces âneries. Lavi se montrait plus jovial, il avait l'air de prendre aussi sur lui. Et si ça inquiétait toujours autant Allen qu'il soit passé d'un état mental peu reluisant à son habituel comportement de blagueur invétéré, si ça lui avait fait un pincement au coeur quand il s'était lui-même traité d'imbécile, Allen n'avait pas envie d'insister ni de lui mettre le couteau sous la gorge pour qu'il parle. La meilleure chose qu'il pouvait faire, c'était de le laisser hors de ses histoires avec Kanda.
D'autant qu'il fallait vraiment qu'il lui raconte sa rencontre avec le gardien.
Allen s'étira d'abord doucement, se dégageant à peine trop lentement de la couverture, à la recherche de l'origine des doux sons lui parvenant aux oreilles. Nullement surpris, il découvrit Lavi en train de s'habiller, mal réveillé avec ses cheveux en batailles. Le lit de Kanda était vide. S'il se fiait à la lumière sous la porte de la salle de bain, et au fin écoulement d'eau qu'il percevait, il se douchait.
« Ah, Allen ! Je t'ai réveillé ? Désolé, j'ai trébuché dans mes bottes ! »
En effet, au lieu de s'asseoir sur son lit, comme l'aurait fait une personne sensée pour enfiler ses chaussures, Lavi s'amusait à être à cloche pied sur la première botte qu'il avait mise, les lacets encore défaits, galérant avec la deuxième jusqu'à se cogner contre le mur derrière lui. Allen eut un petit sourire amusé, malgré la tristesse qui alourdissait son coeur.
« C'est pas grave, assura-t-il. Tu... sais vers quelle heure on part ? Vu que la mission est terminée, on doit avoir eu des Ordres du QG. »
Le jeune bookman opina du chef.
« Ouais, ils ont pu nous avoir un train que ce soir. J'ai décidé d'aller explorer les environs, maintenant qu'il n'y a plus de danger. Tu auras peut-être... envie de venir avec moi. »
Allen ne fut pas étonné, même si ses sourcils se froncèrent. Ça voulait dire que Kanda s'était levé de mauvais poil.
Génial.
Était-ce surprenant ? Pas du tout.
La porte de la salle de bain s'entrebâilla lentement. L'alpha débarqua dans la chambre avec un regard meurtrier, terminant d'enfiler son manteau d'exorciste. Allen posa un oeil hésitant sur lui, sa culpabilité toujours vive. Il n'aima pourtant pas sa propre indécision, Kanda n'allait pas le bouffer, ou il aurait le retour, de toute façon. Comme il l'avait prédit, devant sans doute sentir son odeur attristée, le kendoka lui jeta un oeil mauvais, grognant un 'tch' tout en prenant Mugen qui l'attendait sagement à côté de la porte qu'il ouvrit à la volée. Il disparut dans le couloir, sans un regard.
Tout juste s'il n'avait pas claqué la porte derrière lui.
« Ouais, donc, » reprit Lavi, avant même qu'Allen ne réagisse, « t'as peut-être envie qu'on aille explorer le coin, tranquille, dans une bonne ambiance, quoi. Quelque chose qui fait plaisir de bon matin.
—Ça me semble préférable, en effet. »
Lavi avait enfin réussi à enfiler sa botte, qu'il attacha sommairement avant de se rapprocher de lui. Il lui ébouriffa gentiment les cheveux, Allen se reculant en réflexe. Il sourit quand même. Lavi faisait vraiment de son mieux pour lui remonter le moral.
« Tel que je le connais, il va trancher quelques arbustes dehors, il sera de meilleure humeur quand il reviendra.
—J'espère, j'ai pas envie de me faire tuer aujourd'hui. »
Il avait déjà failli y passer hier soir, ce serait dommage de retenter le sort.
Les deux amis échangèrent un sourire de connivence. Allen se dépêcha d'aller prendre une douche, sachant que ça le revigorerait.
Ce fut totalement le cas. Sentir l'eau qui dévalait son corps détendit ses muscles. Cela le mit de bonne humeur, l'apaisant là où tout autre chose aurait échouée. Lavi l'avait attendu gentiment, lorsqu'il sortit. Le rouquin lisait, jetant un coup d'oeil anxieux dehors de temps en temps. Si Allen fut tenté de lui demander ce qui lui arrivait, il lui proposa simplement d'aller déjeuner avec lui avant de se promener. Ils parleraient à ce moment-là. Les repas déliaient toujours les langues.
Son estomac criait famine, de plus. Le gargouillement dans celui de Lavi répondit au sien, preuve qu'il n'était pas seul à avoir besoin de manger.
Une fois en bas, ils rejoignirent la salle de restauration, peu surpris l'un comme l'autre de ne pas y voir Kanda. Il était vraiment parti raser la forêt là où le gardien avait échoué pendant leur combat, le ventre vide. La salle était vide, ils allèrent au comptoir passer commande, sachant qu'ils auraient l'embarras du choix concernant les places. Ils repérèrent juste au coin de l'entrée une double banquette proche de la fenêtre, parfait pour un déjeuner éclairé du ciel grisâtre de l'Écosse.
Allen décida de se venger, comme souvent, sur la nourriture. Pendant qu'il décida de se faire plaisir, tandis que Lavi opta pour quelques scones et un café, Allen fut ravi de ses gaufres chantilly, son énorme bol de riz — ils avaient accepté d'en préparer rien que pour lui si tôt, ses viennoiseries en tout genre, ses quelques gâteaux et son bon chocolat chaud. Il en commanderait peut-être d'autres si ça ne suffisait pas... à le détendre totalement.
Lavi et lui dialoguèrent de tout et de rien tout d'abord, le temps qu'on leur serve la totalité de ce qu'avait choisi Allen. Lorsque ce fut le cas, ils vantèrent ensuite le bon goût des plats, puis... Le maudit décida qu'il était temps de mettre les deux pieds dedans.
« Dis-moi, Lavi... Tu as déjà entendu parler des gardiens des Innocences ? »
Portant le café à sa bouche et buvant doucement pour ne pas se brûler, Lavi resta en suspend quelques secondes, avant de le reposer sur la table.
Quelques clients commençaient à arriver, il y avait deux couples, et les Traqueurs les rejoindraient sous peu. Autant qu'ils discutent tant qu'il n'y avait pas grand monde. Ils pourraient finir dehors, de toute façon.
« Hm, comme Hevlaska, tu veux dire ?
—Oui, mais... quelque chose d'autre. Je ne sais pas, une créature, qui protège les morceaux importants de l'Innocence ? »
Ça semblait ridicule, dit comme ça, tout comme l'était l'imprécision de ses connaissances. Allen n'avait que ça. C'était déjà suffisamment clair pour que ça parle à Lavi s'il était au courant.
Le borgne le toisa en écarquillant les yeux.
« C'est ça, ce que tu as affronté ? Et tu as... gagné ? »
Alors Lavi savait bel et bien quelque chose. Vu son air effaré, sa mâchoire proche de se décrocher, il n'en croyait pas ses oreilles. Allen fut convaincu qu'il avait échappé à une mort certaine si ce machin s'était battu sérieusement contre lui.
S'il me fallait une autre preuve que je suis débile, je l'ai.
« Disons que ça m'a laissé vivre. J'ai eu de la chance, je suppose. »
Sous le froncement de sourcil de son ami, Allen baissa la tête, mordant dans une gaufre.
« Je sais, j'ai été idiot, tu vas me dire que c'était de la folie, et je sais très bien que c'est vrai.
—C'est surtout que... Avec Papy, on est pas sûr que ça existait. Il faudra vraiment que je fasse des recherches. C'est quelque chose d'énorme ! »
Allen fut interloqué. Lavi ne tenait plus en place.
« À ce point-là ? Tu as des informations que je n'ai pas ? »
Gêné, passant une main dans ses cheveux roux, Lavi hésita.
« Je suis pas certain de pouvoir en dire plus, mais disons que oui... J'en parlerai avec mon grand-père avant d'en parler à Komui, si j'en ai le droit, mais... Putain, c'est fou ! »
Allen savait que les Bookman étaient tenus au secret quant à ce qui concernait certaines affaires. Il aurait bien aimé être dans la confidence pour celle-ci, ayant été au première loge, mais il se doutait que Lavi n'aurait pas pu aller contre la volonté de Bookman s'il voulait garder ça entre eux trois. Les informations les plus confidentielles entre eux deux, ou pour lui-même. Il était clair que le vieillard ne disait pas tout à son successeur.
« Je... peux te demander si c'est quelque chose de dangereux ? Dont il faut se méfier ? »
Lavi hocha la tête.
« Non, mais ça remet bien des choses en question. Je t'en dirai plus si je peux, je te le promets. Ça explique pourquoi on te trouvait pas, aussi. »
Le maudit fronça les sourcils.
« Comment ça ?
—Apparemment, les gardiens auraient tendance à distordre le temps. C'est pour ça que... Je t'en dis déjà trop, merde, faut que je ferme ma gueule. »
Allen se sentit sous le choc.
Lavi se renfrognait quant à lui, le visage pincé, frustré de sa propre tendance à penser à voix haute. En vérité, ses révélations involontaires auraient expliqué bien des choses. Allen se rappelait de la sensation que le combat avait duré des heures. Ça avait bel et bien été long, mais il est vrai qu'à la réflexion, il ne se souvenait même pas d'avoir vu les nuages nocturnes bouger, aucun oiseau, aucun animal, sauf la chouette avant qu'il ne rencontre le gardien. Ça pouvait s'expliquer par la grandeur de la créature qui avait tout du prédateur, elle les aurait fait fuir, mais ce combat lui évoquait un sentiment d'étrangeté.
« Désolé, se reprit Lavi pendant qu'il réfléchissait, je t'en dirais plus si je peux.
—Pas de souci. Ça me rassure. »
Lavi se tortilla alors sur sa chaise, comme mal à l'aise. Cela interloqua Allen, car il semblait vraiment gêné, à la façon dont il regardait à la fois autour d'eux pour revenir à lui tout en se mordant la lèvre.
Il avait quelque chose d'autre à dire, un quelque chose qui le mettait dans tout ses états. Il se repassa la main dans les cheveux, et se racla la gorge avant d'essuyer ses paumes moites sur son pantalon, sous la table. Il jeta un dernier regard à son café, Allen devinait son hésitation à reprendre une gorgée d'espresso en guise de courage.
« Lavi... ? Tout va bien ? C'est à propos des gardiens ? »
Lavi secoua la tête.
Soupirant, il décida de finalement lâcher la vérité :
« Non, pas du tout. Je... Merde, j'hésitais cette nuit, je voulais pas t'emmerder avec ça, mais... Tyki, il est toujours là. Je le sens, en ce moment même. »
Allen hoqueta.
Toujours pas idiot, il s'en doutait fortement, mais pas comme ça. Il se retrouva à regarder autour d'eux, comme un crétin, comme si le Noah du plaisir se trouvait dans un coin, à guetter leurs faits et gestes. Il n'était sans doute pas tapis dans l'ombre, encore moins caché sous une nappe à les espionner avec un sourire diabolique comme l'antagoniste d'une pièce de théâtre, mais Allen savait, pour être lié, que si Lavi sentait Tyki autant c'est... qu'il se trouvait dans le périmètre, ou qu'il l'avait été il n'y a pas longtemps. Il se souvenait tout de même que Kanda et lui étaient beaucoup plus dérangés par les odeurs du temps où ils s'évitaient. Peut-être était-ce une réaction du lien, il décuplait ses propres effets pour les pousser à se rapprocher.
Possible.
Allen n'en était pas sûr.
En revanche, il comprenait la détresse de son ami.
Instinctivement, Allen tendit la main dans sa direction pour lui transmettre son soutien.
« Tu ne m'emmerdes pas, Lavi. Tu l'aurais vu ici, en ville ? »
Lavi secoua la tête de nouveau. Il s'accorda une gorgée de café.
« C'est ce que j'ai failli te dire dans le train. Je l'ai vu lors de notre dernière mission et... il sait ce que je suis. Pourquoi je sens différemment des autres. Allen, je crois que... je suis pas un bêta. Ça me torture. Je sais pas qui je suis, bordel. »
Allen ne lâcha toujours pas sa main. Lavi était à deux doigts de pleurer, il s'essuya d'ailleurs l'oeil en devenant plus rouge.
« Papy m'a menti, il a rien voulu me dire quand je lui ai demandé. Et ce salopard de Mikk, il m'a fait des sous-entendu obscènes, je crois qu'il attend qu'une chose, me sauter. Que je sois d'accord ou pas. Il veut jouer avec moi. J'ai peur. »
Allen ne pouvait pas imaginer ce que devait vivre Lavi. Il ne savait même pas comment l'aider concrètement. Ça l'horrifiait. Il se représentait la terreur que subissait son ami, à craindre pour sa sécurité physique à cause d'un lien, à risquer d'être marqué contre son gré. C'était ce qu'il avait toujours redouté, en tant qu'oméga. Malgré ses disputes avec Kanda, il avait bien de la chance d'être tombé sur lui. Lavi avait sans doute le pire lien possible. Allen ne savait pas quoi penser de Tyki. Il était capable d'être adorable avec les petits enfants des rues qu'il avait protégé, mais il l'avait lui-même abîmé avec violence et son sadisme n'était plus à prouver. Il voyait Lavi comme une proie. Rien de cela n'était bon.
« Lavi, je... pense qu'il faut que tu en parles à Link, tu es toujours avec lui, non ? »
Lavi eut un éclair de honte dans les yeux. Allen ne s'embarrassait plus avec les faux-semblants, il montrait à son ami qu'il devinait bien ce qui se passait même s'il n'en parlait pas. Le but n'était pas de le coincer, simplement de lui signaler que son partenaire actuel pouvait l'aider, lien ou pas.
« Ou à ton grand-père, ajouta-t-il. Ils ont peut-être une solution... Si Link est là, il empêchera Tyki de faire quoique ce soit. Et ton grand-père...
—Link va me larguer, si je suis lié ailleurs, c'est comme ça que notre relation fonctionne, » se lamenta Lavi, répondant ainsi à sa question. « Et papy va me déshériter. Je suis lié à un Noah, merde ! Ils me traiteront comme un paria ! »
Lavi tremblait, il avait chuchoté les mots mais sa voix était bien sûr montée, faisant tourner la tête du petit couple assis non loin d'eux. Ils venaient de terminer leur café et s'apprêtaient à partir. Tant mieux. Les cuisiniers ne s'occupaient plus d'eux, la salle devint vide. Allen sentait les tremblements de son ami dans son propre bras depuis sa main fébrile dans la sienne. Lavi paniquait.
« Respire, Lavi, respire, il faut que tu souffles. Link ne te larguera pas. Je suis convaincu que...
—Comment tu peux en être sûr, Allen ? Tu vois le bon chez tout le monde, mais Link est un cinglé avec ses foutus protocoles. Même moi, je tiens à lui, j'ai droit à une facette différente de lui que ce que tu as, et je suis pas certain qu'il me vendrait pas à Luberrier s'il pensait pas que c'est le mieux. »
Là-dessus, Allen ne rétorqua pas. Ça faisait mal de l'admettre, mais bien sûr, même lui n'avait pas une confiance aveugle en Link. Il pensait juste que Link avait un bon instinct de protection et qu'il aurait fait en sorte que Lavi soit en sécurité. Pas de la meilleure façon, cependant. C'était fort possible que Link pense l'aider mais fasse fausse route. C'était déjà arrivé, avec Allen. Il ne changerait pas.
Quant au grand-père de Lavi, c'était aussi fort probable qu'il pense pour sa part à trouver un autre successeur. La simple possibilité qu'il le fasse mettait Lavi en danger. Allen comprenait à quel point son ami était coincé. Il ne pouvait rien faire, à part l'écouter, être là pour lui. Aussi faible que soit l'aide qu'il puisse lui apporter dans cette situation épineuse.
« C'est pas le pire, poursuivit Lavi sur un fin reniflement.
—Il t'a touché ? »
Allen paniqua à son tour, évidemment, vu les antécédents entre eux, c'était une autre horrible possibilité. Lavi haussa les épaules. Cela ne rassura pas Allen.
« Pas comme l'autre fois. Il a voulu me montrer que le lien était puissant, en se rapprochant de moi, il a posé sa main sur mon visage. J'ai cru qu'il allait m'embrasser. J'ai rien fait pour le repousser. J'en avais envie, bordel. Toute ma peau me brûlait, je n'ai jamais ressenti ça avant. Je voulais ça. Je voulais tout. »
Ça, Allen pouvait le comprendre. Il ressentait la même chose dès que Kanda posait ses mains sur lui. Il se rendait compte à quel point, dans le cas de Lavi, ça devait être horrible, de ne pas le vouloir au fond mais d'être forcé à l'accepter. Il ne pouvait pas seulement imaginer les sentiments qui envahissait l'autre garçon. Allen les avait eu. Et ça lui paraissait soudain bien dérisoire à l'image de la situation de Lavi.
Les lèvres pincées, submergé par l'empathie, Allen se redressa. Il contourna la table pour se mettre à côté de son ami et le prendre dans ses bras. Étonné de son geste, Lavi éclata en sanglots contre lui, abandonnant sa retenue de rigueur en lui faisant totalement confiance. Leur solitude dans la salle de restauration aidait. Les plats seraient froids, mais tant pis. Allen caressa gentiment les cheveux de Lavi, le laissant pleurer jusqu'à ce qu'il finisse par avoir une respiration plus régulière.
Cela dura un moment assez long, où, fort heureusement, personne n'entra pour les déranger.
« Je crois qu'on va quand même aller la faire, cette promenade, finit par déclarer Allen lorsque Lavi se calma.
—Ouais, on va finir par aider Yû à éclater des trucs. »
Allen eut une petite moue malgré lui. Il n'était pas sûr que ce soit une bonne idée, mais il aurait été partant. Lavi en aurait eu besoin.
Tandis qu'Allen l'observait, jugeant de s'il semblait aller mieux, Lavi sécha ses larmes, venant l'étreindre à son tour.
« Merci. Vraiment, ça m'a fait du bien de te parler. Je suis désolé que ça ait fini comme ça, avec moi qui pleurniche comme un pauvre couillon... »
Allen secoua la tête. Il ressentit un pincement au coeur. Il ne voulait pas entendre son ami se rabaisser ainsi.
« J'ai aussi pas mal pleurniché, depuis mon rêve partagé avec Kanda. J'étais dans tout mes états... c'était pathétique. Je m'en veux beaucoup pour ça aussi. Je peux pas te jeter la pierre.
—T'as rien de pathétique ! s'exclama Lavi. Ça t'a choqué et vous avez du mal à savoir quoi faire de votre lien, le sexe t'effraie, c'est compréhensible, Al... Je suis un Bookman, je devrais être neutre, je ne devrais pas... laisser le lien me toucher, je devrais pas me montrer si émotif. Je suis vraiment la honte des miens, à me laisse aller.
—Lavi, tu as largement le droit de te sentir mal aussi vu ce qui t'arrive. On va trouver une solution. Je combattrais Tyki s'il le faut. »
Allen était très sérieux. Son dernier combat avec Tyki n'avait pas été très concluant, il avait la fâcheuse tendance à se faire éclater contre un adversaire sérieux. Ça voulait bien dire qu'il devait se renforcer davantage. Loin de lui faire descendre son estime de lui-même, Allen se dit au contraire que c'était une motivation. Il fallait qu'il avance encore plus vite pour protéger ses proches, il avait de plus en plus de raisons de le vouloir.
Lavi lui offrit un sourire. Il attrapa sa tasse pour la boire d'une traite et s'attaqua aux scones.
« On mange et on va explorer les environs ? » dit-il, redevenant le joyeux garçon qu'il était toujours, comme si rien ne s'était passé.
Allen sourit aussi. Loin d'être dupe, il se doutait que c'était une façade. Il comprenait que Lavi avait besoin que ce moment s'estompe.
« Vendu. »
Sur ces belles paroles, Lavi demanda un autre espresso. Histoire d'avoir les yeux rougis pour une bonne raison, disait-il.
À suivre...
Note : On repart un peu sur Lavi, c'est pas pour vous faire flipper mais le pauvre est pas au bout de ses peines. Cette fiction reste une histoire dramatique haha.
Le prochain chapitre va contenir du lourd, j'ai assez hâte de le poster.
Qu'avez-vous pensé de cette partie ?
N'hésitez pas à me le dire ;).
Merci d'avoir lu !
