Note : Hello !

Contrairement à l'autre chapitre qui était assez court, celui-ici fait à peu près 23 pages soit 11k de mots. Pas la pire brique possible mais c'est quand même du gros, où couper n'aurait pas été pertinent.

Je vous promettais du lourd, vous serez (j'espère) pas déçus. Et surpris, peut-être :p.

Bonne lecture !


Partie 2 — Almost

Kanda parcourait la forêt. Il s'était enfoncé dans l'un des sentiers, à la recherche d'un endroit paisible où méditer loin de ses camarades. Vu qu'ils ne partaient que dans la soirée, il ne pourrait pas couper à leur présence toute la journée. Il se serait bien offert un déjeuner, lui aussi, mais... il savait qu'Allen et Lavi se rueraient dans la salle de restauration à peine vêtus. Il n'avait pas envie de leur parler. Lavi ne lui avait rien fait, il se montrait injuste avec lui. Kanda avait... stupidement... reporté sa frustration sur le jeune archiviste, durant leur recherche désespérée. Il avait littéralement perdu les pédales. Il ne s'attendait pas à réagir si fortement. Ce n'était pas seulement le fait qu'Allen soit un idiot, qui l'avait fait paniqué.

Ça, ça l'avait seulement énervé. La colère, il connaissait bien cette émotion. C'était celle avec laquelle il se sentait le plus en phase. Celle qu'il s'autorisait le plus facilement. Non, la raison de sa panique était toute autre.

Pour la première fois depuis des mois, l'odeur d'Allen avait été introuvable dans l'air alors qu'il savait qu'il n'était pas loin. Comme si elle n'avait jamais existé. Et ça l'avait effrayé. Il y avait eu un vide, un vide immense. Comme si le lien n'était plus. Il avait eu l'impression que pendant cette nuit, ça avait été le cas. Et il ne comprenait pas comment c'était possible.

Kanda aurait pu se sentir libre. Il l'avait tant voulu.

Ça n'avait pas été le cas. Car si c'était vrai, ça ne voulait dire qu'une chose. Une chose que Kanda n'aurait pas été prêt à accepter, surtout pas maintenant, pas comme ça. Au lieu d'être heureux, il ne s'était pas débarrassé de cette angoisse. Pour que le lien se soit barré, il faudrait qu'Allen meure.

Allen était toujours là, il ne pouvait pas avoir disparu, Kanda refusait d'y croire. Pas comme ça, pas d'un seul coup. Allen était forcément quelque part. C'était ce qu'il s'était répété, dans un état d'anxiété qui ne lui ressemblait absolument pas et qui n'avait fait que péricliter à mesure que les heures passaient. Ils avaient cherché partout, ça avait été comme si Allen leur avait été dérobé, envoyé sur un autre plan de l'existence. Kanda n'avait pas senti un air pur, non pollué de fragrances et d'émotions d'un autre, depuis longtemps. Kanda avait l'intuition que le lien n'était pas bêtement parti comme ça. Il y avait une raison. Cette pensée l'avait obsédé.

Il avait refusé d'envisager le pire, mais sa panique, elle, l'avait fait à sa place.

Moyashi s'est fait buter. Allen s'est fait buter. Ce con a foncé au-devant du danger et il s'est fait avoir. Putain, je veux pas. Je dois le trouver. Je dois à tout prix le retrouver. Je raserai toute cette forêt s'il le faut.

Kanda n'avait que rarement eu peur comme ça. Ça l'avait terrifié. Déchainé, il était devenu exécrable. Il n'avait fait que passer ses nerfs sur Lavi et sur les pauvres Traqueurs qui ne trouvaient rien. Cette intense émotion se révélait familière. Ce qu'il avait ressenti de plus similaire s'apparentait à son violent traumatisme de découvrir qu'Alma avait tué tout le monde, quand il l'avait attaqué, et quand il avait dû le tuer. Il se revoyait à pleurer la mort d'Alma quelques années auparavant. Il ne voulait pas faire le deuil d'Allen. Bien sûr, tout allait bien, à présent. Kanda avait pourtant eu si peur de le perdre.

Il avait été paumé sur le moment, maintenant encore plus. Les odeurs d'Allen, les retrouver, même lorsqu'elles étaient infâmes comme la veille et aujourd'hui, l'avait rassuré. C'était comme s'il pouvait penser plus librement. Ça aurait dû être l'inverse. Quelque chose dans son cerveau s'était bel et bien déverrouillé lorsqu'il avait paniqué d'être arraché au carcan que le lien y avait inséré. C'était comme voir le soleil après des années passées dans le noir. C'était aveuglant. Terrifiant. L'obscurité familière semblait réconfortante.

Était-ce donc ça, que le lien leur avait fait ?

Kanda croyait avoir compris. Où il en était, où ses propres sentiments se trouvaient, où l'instinct d'alpha, de protection, s'arrêtait. Maintenant, il était encore plus paumé. La seule chose qu'il savait, à laquelle il pouvait s'accrocher, c'est qu'en étant libéré, ne serait-ce qu'un bref instant, il n'avait pas arrêté de tenir à Allen. Son affection n'avait pas disparue, elle était même forte pour qu'il réagisse ainsi. Une part de lui aurait pu croire que ça arriverait. Que tout s'évanouirait en lui. La part d'artifice existait. Cette sensation d'être de nouveau plein l'avait frappé, il n'avait pas eu assez de temps et assez de tranquillité d'esprit pour y penser. Comme il n'était plus rassuré par les odeurs quant à l'état de son lié, ça avait été pire, de tenir à lui.

Ça voulait définitivement dire qu'un truc avait dû arriver quand même, mais quand ce connard était revenu la gueule enfariné, puant la fierté, l'allégresse, alors que lui s'était senti comme ça toute la nuit, qu'il avait vécu dans une angoisse submergeante... Kanda avait eu envie de le tuer. Littéralement. Il n'avait même pas eu le réflexe de lui poser des questions, alors que des tas tournaient dans sa tête. Sa rage avait pris le dessus. D'autant qu'avec sa répartie vicieuse, Allen avait tapé là où ça faisait mal.

Il y avait plusieurs conclusions possible, que Kanda effleurait avec une relative assurance.

D'une, le lien avait laissé une empreinte dans leur cerveau, elle serait toujours là, même s'il disparaissait un jour. À quoi pouvaient-ils se fier, alors... ? Kanda choisissait de croire en lui. Il ne faisait pas les choses à moitié. Jamais. Il était à 100% tout ou rien. Les compromis avec Allen avaient été nécessaire, mais quand il l'avait repoussé, il était sérieux. Dès l'instant où il avait choisi de l'accepter, il l'avait été aussi. Malgré tout, il y avait de nombreuses incertitudes. Elles revenaient à chaque fois que le lien leur démontrait sa toute-puissance, son caractère absolu qui les enchaînait. Kanda ne pouvait pas y échapper. N'importe qui dans sa situation se serait demandé les mêmes choses à maintes reprises, aurait douté, aurait tranché au hasard ou en aurait été incapable.

Avec le temps, Kanda avait, au fond, été prêt à accepter, bien que l'idée même lui provoque un vif sentiment de rage, que le lien l'ait changé plus qu'il ne l'ait voulu, que certaines de ses réactions soient contrôlées. Qu'il ne soit pas à chaque fois lui. Ça expliquait une partie de sa réserve avec Allen, en plus de ses autres dilemmes.

Comme, avec le même genre de haine farouche, il acceptait qu'on l'ait ramené d'entre les morts pour revenir dans ce monde horrible où seuls la souffrance et la colère composait son quotidien. Parce qu'il ne pouvait rien y faire.

Il réalisait tout de même, avec plus de soulagement qu'il n'aurait pensé en ressentir, que c'était lui. Il commençait à comprendre où il était vraiment. Et ça le faisait sourire, parce que le lien perdrait sans que Kanda ou Allen ne perde, s'ils en étaient capables. Toutes les pensées intrusives, fugaces, si rapides qu'il n'y prêtait pas attention, telle que "je devrais le repousser", "il m'agace", "je n'ai jamais aimé quand il était comme ça, alors pourquoi ça m'attendrit maintenant ?" ou à l'exact opposé "Je l'apprécie" "Je veux sa compagnie" "J'ai changé d'avis" n'étaient bel et bien pas que le lien. C'était tout autant lui, ses pensées qui se muaient, se transformaient au fil du temps, des mois. L'alpha en lui ne le contrôlait pas. L'instinct et les sentiments étaient différents, similaires mais dissociables. Kanda était simplement un être vivant qui ne subissait plus mais avançait sans vraiment savoir où il voulait aller. L'important était qu'il y aille.

Là-dessus, il acceptait d'emprunter la même vision de la vie qu'Allen possédait. Car ça faisait du bien, d'aller de l'avant. Autant que ça pouvait faire mal, parfois.

Il en avait eu l'intime conviction. Une confirmation, c'était autre chose.

Quant à une conclusion directe, Kanda ne savait pas ce qu'il devait ressentir. Il naviguait entre deux océans très distincts.

Il était énervé des conneries qu'avaient dit le Moyashi, bien sûr. Il allait vouloir en découdre avec lui. D'autant qu'il l'avait entendu chialer dans la nuit. Ça l'avait rendu furieux. Ce gamin de merde osait pleurnicher comme un bébé après s'être conduit comme la dernière des enflures... Un jour, Kanda lui filerait la foutue rouste qu'il lui avait promise pendant ses chaleurs. Allen lui en ferait une jaunisse, mais ce serait mérité. Pas parce qu'il était un oméga, son oméga qui plus est, non. Mais parce que des fois, Allen était juste ça : un sale gosse mal éduqué. Touché malgré lui par sa honte et sa culpabilité, il en avait reniflé la moindre foutue fragrance, il avait dû lutter contre la pulsion de se glisser avec Allen pour le consoler — jurant totalement avec sa colère qui lui soufflait de le corriger.

Il n'avait pas foncièrement envie d'être indulgent, ça, c'était cet enfoiré de lien. Il ne l'avait pas fait, de toute façon, parce qu'il conservait sa volonté. Il n'était pas prêt à pardonner à Allen à ce moment-là, pas plus qu'il ne voulait que ce soit effacé comme ça. Kanda aussi avait un mauvais caractère. Puis, vu les efforts qu'Allen avait fait pour étouffer ses pleurs, ce n'était même pas sûr qu'une telle initiative aurait été bienvenue.

Ce qui occupait son attention, à présent, ce n'était pas cette engueulade. Fallait pas déconner, ça tournait dans son esprit aussi, relégué à une priorité inférieure pour le moment. Ce qui l'accaparait petit à petit tout entier, prenant le contrôle de ses émotions, c'était le fait d'avoir une réponse aux questions qui le bouffaient depuis longtemps.

C'était un sentiment étrange, comme le deuil d'une illusion néfaste, comme d'être libéré d'une chaîne tout en sachant qu'elle avait laissé une cicatrice, et l'acceptation d'une vérité salvatrice.

Kanda n'était pas qu'un pantin, en fin de compte. Lui aussi avait du pouvoir.

Il finit par comprendre quel était le sentiment qui l'envahissait progressivement. De la stupide joie. Et... une forte affection, mêlée à une certaine gratitude : ce petit couillon de Moyashi était à claquer, certes. Il était toujours vivant, et pour ça, Kanda remerciait le ciel.


« On essaie de trouver Yû, ou on essaie de l'éviter ? » demanda Lavi. « T'es prêt à le croiser sans que ça parte en pugilat ? »

Il le taquinait.

À présent, le rouquin était joyeux comme un larron. Allen était... rassuré. Voir son ami craquer lui avait fait de la peine. Lavi faisait son possible pour se reprendre le plus vite possible. Là-dessus, ils étaient pareils. Ils avaient cette volonté de masquer leurs faiblesses en commun en résultante d'une obligation intérieure. Pourtant, ils arrivaient à s'ouvrir ensemble, ils n'étaient pas si proches pour rien. Allen se sentait petit à petit prêt à discuter avec Kanda. En fait, il avait hâte de régler le problème et de s'excuser platement, quitte à enfin baisser sa fierté qui lui avait joué des tours. Il voulait arranger les choses. Il était prêt à attendre ses torts devant Kanda, comme il l'avait fait avec Lavi.

C'était plus facile avec ses amis car ils étaient... plus indulgents et moins brutaux que Kanda, en plus des autres raisons pour lesquels Allen peinait à se montrer ouvert à ses critiques, auxquelles il avait déjà réfléchi. Non, il le ferait quand même. Allen était résolu à l'endurer, dans la mesure de l'acceptable. Parce qu'il savait qu'il avait été trop loin. Et qu'il lui devait des excuses pour ses mots... et pour tout le reste.

Allen savait qu'il devait agir comme un grand garçon, et non comme un gamin entêté.

Il offrit un petit sourire à son ami.

« Cherchons Kanda.

—Génial. J'ai envie de l'emmerder un peu.

—Me le mets pas de mauvais poil, je t'en prie. »

Lavi rit franchement.

« Promis, ce sera pas le cas. Je vais le taquiner sur ses activités manuelles, rien d'autre.

—Ça suffira, s'il s'est déjà réveillé énervé.

—En même temps, souligna Lavi avec un ton calme, faut le comprendre. Il s'était tellement inquiété. »

Loin de mal le prendre, Allen acquiesça, bien conscient de tout ça. Il savait bien aussi que Lavi aurait pu dire "on", et se mordit la lèvre à la pensée.

« Je sais. J'ai tort, dans l'histoire. Pour être franc, j'ai peur qu'il... me déteste maintenant.

—Oh, je pense pas que ce sera le cas. Pas après ce que j'ai vu cette nuit. Au pire, il te fera la gueule quelques jours. Mais il ne te déteste pas, c'est pas possible. »

Allen se mit à rougir, sentant son cœur se serrer. Lavi lui semblait beaucoup trop sûr de son affirmation.

« Comment ça... C'était à ce point ? Et justement, j'ai pu détruire tout ça avec ce que j'ai dit... »

Le maudit commençait à baisser la tête. Lavi répliqua dans la seconde :

« Allen, non. Il a littéralement harcelé les Traqueurs toutes les demi-heures pour savoir où tu étais... et j'en ai pris plein la figure au moindre de mes mots, crois-moi, l'ambiance était... fabuleuse. Il aurait tout retourné pour te retrouver. Yû n'a jamais paniqué comme ça. Pour personne. Je veux pas m'avancer, mais pour moi, c'est clair... il peut pas te détester. »

Hoquetant, Allen fut à peine amusé à l'idée d'imaginer Kanda râler sur Lavi dès qu'il ouvrit la bouche — pour le coup, vu la tendance de Lavi à blaguer en étant un peu agaçant, il pouvait sympathiser avec sa résistance —, mais surtout choqué d'entendre qu'il avait paniqué à ce point. Il avait déjà bien compris quel sentiment son départ avait inspiré à Kanda et Lavi, bien sûr, mais... Kanda se comportant ainsi, dans un état sans précédent ? C'était... ahurissant. Allen sentit son cœur se gonfler, il eut presque envie de pleurer à nouveau, d'émotion, d'empathie pour l'alpha, et de cette foutue culpabilité qui ne se faisait que plus forte à chaque fois.

Il s'arrêta pour conserver son calme, une main devant la bouche et le nez pour ravaler ses sentiments. Il prenait conscience de l'ampleur de ce qu'avait enduré Kanda.

Lavi se mordit la langue, se retournant vers lui — il marchait devant, les bras derrière la tête, dans un sentiment d'insouciance qui s'envola lorsqu'il n'entendit plus ses pas derrière les siens.

« J'aurais peut-être pas dû te dire ça, réalisa-t-il soudain, pardon. Al, c'est bon, t'en fais pas.

—Lui dire quoi ? Pourquoi il fait cette tête-là ? »

Allen sursauta. Kanda venait d'apparaître derrière lui. Il marchait comme un chat, aucun d'eux n'avaient entendu le craquement de ses pas sur le chemin.

« Yû, tu es là ! »

Lavi eut une exclamation surprise. Allen rougit de honte, s'essuyant rapidement les yeux en reprenant un visage naturel.

« Je ne fais aucune tête, Bakanda ! » Mauvais réflexe. Allen se mordit la lèvre, reprenant plus doucement : « Lavi et moi, on était à ta recherche. »

Kanda marmonna un "hm" d'assentiment, loin d'être dupe pour autant. Il toisa Allen avec insistance, ce dernier essayant de tenir le coup en ayant l'air le plus neutre possible. C'était dur face au visage impassible de l'alpha, il avait vraiment du mal à soutenir son regard sans se sentir comme le pire des imbéciles. Allen finit par baisser les yeux, détournant la tête, se battant contre lui-même à tous les niveaux. Lavi ne disait rien, il les laissait tranquillement se dépatouiller en jouant avec Timcanpy.

Allen l'en remercia.

Il ne voulait pas montrer à Kanda que ça l'atteignait autant, et ça aussi, il s'en voulait de le prendre de cette manière, car laisser son orgueil l'emporter lui causait du tort, mais c'était... si complexe.

Lorsqu'Allen se redressa, il planta un visage presque défiant sur Kanda. Le défi s'adressait plus à lui-même qu'à son ami. Allen finit par détendre ses traits, se tenant prêt à assumer son ressenti et surtout à affronter celui de Kanda. Tant pis si c'était douloureux, il fallait en passer par là.

Le kendoka finit par ouvrir la bouche.

« Moyashi, relève la tête. Rentrons à l'hôtel, on doit parler. »

Allen coula un regard sur Lavi. Ils avaient prévu de se balader, ils avaient à peine commencé, et il n'avait pas envie de l'abandonner tout seul maintenant. Ça aurait vraiment été un manque de considération de sa part, avec l'état dans lequel il se trouvait tout à l'heure. Allen était en revanche content que Kanda lui propose de parler. Ça voulait dire qu'il n'était plus si mal disposé, ou qu'il était en train de prendre sur lui, ce qui signifiait beaucoup. Le maudit ressentit une pointe d'embarras à se dire que Kanda devenait meilleur que lui à tout ça. Il la chassa vite, se concentrant sur le positif.

« On peut traîner encore un peu, on a le temps. »

Il offrit quand même un sourire à Kanda, montrant qu'il ne fuyait pas la conversation et qu'il n'y était pas opposé non plus — ça aurait été gonflé de sa part.

Lavi sembla comprendre ce qui décidait Allen, et lui posa gentiment la main sur l'épaule.

« T'inquiète, Allen. Allez-y. Je vais pas me faire bouffer par la forêt. Il n'y a plus de problème, maintenant. »

À la réflexion, Allen se demandait bien où était parti le gardien.

Il l'avait laissé vivre, mais pouvait-il être sûr que cette créature était bienveillante et qu'elle ne tuerait pas l'un des leurs s'il était isolé des autres, ou même qu'elle ne les attaquerait pas tous les trois si elle les croisait à nouveau ? Lavi avait été effrayé, quand il lui en avait parlé. Il devait y avoir une raison. Des choses qu'Allen ignorait, et dont il n'aurait pas plus de connaissances avant un moment. Peut-être même jamais.

Allen hésita, puis se rapprocha de Kanda, qui ne disait rien, toujours gentiment. Il tenait vraiment à faire un effort.

« J'ai bien envie qu'on marche encore un peu, » dit-il à l'adresse de Lavi, remarquant bien que ce dernier eut un faible sursaut d'humeur, comme touché qu'Allen ne veuille pas le laisser. « Tu nous ferais l'honneur de ta compagnie, Bakanda ? »

Il taquinait un peu, mais le contraire aurait été étonnant.

Kanda marqua un silence.

« Ok. Tâche de pas puer, par contre. »

Allen se mordit la lèvre, soupirant. Kanda ne lui rendait pas les choses faciles.

« Je ne puerai pas, je suis de bonne humeur ! » Il mentait à moitié, ça agacerait Kanda mais ce dernier ne releva pas. « On parlera après, je te le promets. Merci. »

Allen tendit la main vers celle de Kanda, très lentement, pour lui laisser le temps de se dégager. Kanda n'en fit rien, Allen donnant ainsi une caresse sur le dos de sa main en lui souriant.

C'était une façon d'instaurer la paix avant leur conversation. Kanda les suivit lorsqu'ils se remirent en marche. Et si au début, seul le silence les accompagnait, il fut bien vite rompu lorsque Lavi demanda à Kanda s'il avait pensé à leur garder des bûches pour allumer un feu. Allen rit malgré lui, le kendoka grognant qu'il aurait dû en garder une pour l'assommer.

Les jeunes exorcistes s'enfoncèrent davantage dans la forêt, accompagnés par le ciel bleu, d'où se dissipaient petit à petit les nuages. Allen fut rassuré. Il n'y avait aucune brume, et à en juger par la façon dont Kanda réagissait aux piques de Lavi, il était lui aussi d'une humeur relativement cordiale.

Ils ne rentrèrent qu'aux environs de midi, après avoir reçu une transmission par Golem des Traqueurs qui se demandaient où ils étaient.

Une fois qu'ils présentèrent leurs excuses aux hommes, Lavi blagua qu'ils venaient de faire "une Allen", ce qui fit protester le concerné et tira un reniflement amusé avec un soupçon de moquerie à Kanda. Ils continuèrent à discuter, se charriant joyeusement.

Allen se sentit mieux, rien qu'avec ça, et plus serein quant à sa conversation à venir avec Kanda. Ils venaient de passer un bon moment.


Le repas leur fit à tous le plus grand bien. Allen s'en était mis plein la panse, il n'avait même pas laissé Lavi piocher dans son assiette, pas plus que Timcanpy. Les Traqueurs les informèrent qu'une diligence les escorterait à partir de 17h30, le train les attendrait à 19h, le trajet était de toute façon long entre la gare et cette ville qui n'en comportait pas. Sans parler des heures en train jusqu'à Londres... Si les agents de l'Ordre décidèrent d'un accord commun d'en profiter pour dormir quelques heures, ce qui était somme toute judicieux, Lavi déclara qu'il allait de nouveau se balader, laissant ainsi Allen et Kanda seuls. Il adressa au blandin un sourire encourageant.

Allen était finalement encore nerveux. La conversation serait corsée. Nécessaire, pourtant. Kanda avait emprunté les escaliers le premier, lui coulant un regard. Lorsqu'Allen planta ses yeux dans les siens, Kanda lui fit un signe du menton, depuis la première marche où il se tenait. Il n'avait pas envie que ça traîne. Kanda n'avait jamais été patient, et Allen aussi préférait que ce soit vite terminé. Le maudit le suivit. Ils montèrent en silence.

Allen ne savait même pas où commencer, ce qu'il dirait, comment s'exprimer, sachant aussi que depuis cette mission, depuis ce foutu rêve même, ils étaient paumés. Kanda changeait, Allen aussi, ils ne savaient pas comment se positionner, avec des pas en avant et en arrière. Il était temps qu'ils le fassent, avec un tant soit peu de jugeote.

La porte de la chambre apparut, Kanda l'ouvrit, et ils y entrèrent, sachant qu'ils ne seraient pas dérangés. Seuls. Allen offrit un sourire de convenance, s'attendant à ce que Kanda l'engueule pour cela, mais ce ne fut toujours pas le cas. Allen n'était visiblement pas le seul à prendre sur lui pour que tout se passe bien. C'était rassurant. Ils voulaient la même chose.

Se passant la langue sur les lèvres, Allen s'assit sur le lit, tapotant une place à côté pour que Kanda s'y place. C'était encore cet instinct d'oméga ridicule, mais sentir ses odeurs l'apaiseraient. Être côte à côte, ça leur ferait du bien aussi. Allen pensait au moment où Kanda avait dormi avec lui, ça lui manquait bêtement. Il avait besoin de sa proximité. À cause du lien, mais aussi, chose à laquelle il se mit à penser en se disant qu'il ressemblait vraiment à un garçonnet mièvre, à cause de ses sentiments. Ça le fit rougir comme un crétin. Il se sentait si stupide, parfois. Il ne savait pas du tout comment se situer en lui-même avec les sentiments qui le déchiraient intérieurement envers Kanda.

Allen savait bien qu'au fond, il n'avait encore que 16 ans et demi. Des choses à apprendre de la vie, il en avait plein. Comment se comporter en amour et comment analyser ce sentiment en faisait partie. Se sentir à l'aise avec ses propres affects également.

Kanda dut interpréter sa réaction comme quelque chose d'autre que ce qu'elle était, puisqu'il lui donna un coup de coude en lui jetant un œil étrangement réprobateur.

« Tu sens bizarre. Qu'est-ce qui t'arrive ? »

Allen déglutit, encore plus cramoisi.

« C'est rien, j'ai juste... »

Autant dire qu'il ne pouvait vraisemblablement pas lui dire "je me sens amoureux et stupide, ou plutôt stupidement amoureux". Allen se reprit, affectant un air neutre :

« J'étais dans ma tête, c'est rien.

—Si tu le dis. »

Kanda ne le croyait pas. Allen s'en moquait un peu. Autant ne pas tourner autour du pot.

« Je... ne sais pas comment amorcer cette conversation, » Allen décida d'être honnête, passant une main dans ses cheveux. « Kanda, je suis vraiment... désolé. Pour ce que je t'ai dit, sur tes réactions. »

Allen chercha son regard, il voulait que Kanda perçoive la sincérité dans ses propos. Il hésita avant de tendre la main, sans toucher Kanda, seulement de façon à l'approcher de lui dans l'espoir que l'autre garçon accepte son contact. Il en avait envie, de son côté. Kanda ne se rebiffa pas. Il ne recula pas sa main. Allen en fit de même. Ce serait suffisant.

Allen poursuivit, essayant de rester composé malgré les émotions qui commençaient à monter dans sa poitrine :

« C'était bas de ma part. J'ai été… con. Je m'en veux énormément, et je comprendrais que tu m'en veuilles aussi. J'aurais jamais dû dire ça. Je suis heureux que tu me montres que tu tiennes à moi, vraiment. » Il ne lui aurait jamais demandé d'être son partenaire le cas échéant. « Kanda, pardon. »

Il baissa la tête. Allen était convaincu qu'il devait bien puer, pour une bonne raison. Kanda ne disait toujours rien.

« Kanda ? Tu... Tu m'en veux vraiment, c'est ça ? »

Allen plaqua ses mains sur ses cuisses, serrant nerveusement le tissu de son pantalon. Il devenait angoissé. Ça commençait à devenir pénible, mais il ne voulait ni se renfermer à nouveau, ni pleurnicher comme un bébé. Il inspira, continuant à observer la silhouette de Kanda. L'alpha fixait le sol face à lui, perdu dans ses pensées. Il finit par soupirer à son tour.

« Ça m'a pas plu, ce que t'as dit, ouais. »

Allen s'y attendait. Sa joue s'en souvenait aussi. Il opina, Kanda ne semblant toujours pas en colère. Pas comme Allen avait peur qu'il le soit. C'était mieux. Ça l'encourageait.

« Je suis toujours en rogne que tu m'aies dit ça.

—Je comprends, lui assura Allen, je te jure que mes mots ont dépassé ma pensée. Kanda, je te demande vraiment pardon. »

Kanda lui jeta un regard de biais.

« Tu l'as dit, j'ai compris. Je sens tes odeurs, je t'ai entendu chialer dans la nuit. Je sais que tu te sens coupable. »

Rien n'aurait pu préparer Allen à ce sentiment de chute qui l'envahit. Alors il n'avait pas réussi à être discret. Bon sang, Kanda n'y allait vraiment pas de main morte avec lui. Il s'y attendait plutôt deux fois qu'une, pourtant… Il se crispa malgré lui.

« Ce qui me met en rogne, commença-t-il, et ce qui m'a rendu fou de rage au cimetière, c'est que t'es arrivé comme un héros avec ta putain d'Innocence dans les mains. T'en avais rien à foutre de nous. J'avais le droit d'être énervé. »

Ça faisait mal, un reproche si brutale dans la bouche aimée. Allen l'encaissa. Il avala sa salive, restant calme, et prit une autre inspiration.

« Je te jure que ce n'était pas le cas, Kanda, je vais pas me répéter, mais je m'en veux que tu aies ressenti ça. Je comprends que ça ait pu te mettre si en colère. Lavi m'a expliqué que t'étais... très inquiet, cette nuit. »

Allen ne voulait pas employer des mots trop fort, il redoutait que Kanda se braquerait.

Il poursuivit :

« J'imagine que tu as... je ne sais pas, » il avait toujours la trouille que de le dire à voix-haute ait un effet répulsif sur Kanda, « tu as eu peur, et tu as dû être énervé, je... n'ai effectivement pensé qu'à moi, c'était nul. »

Kanda pesta soudain, tournant un visage meurtrier dans sa direction. Surpris, Allen recula, son expression reflétant toute sa confusion.

« T'imagines, tu dis ? Je crois pas que tu imagines. Je sentais plus le lien, bordel. Je sais pas dans quelle merde tu t'es foutu, mais j'ai cru que t'étais mort. Alors oui, j'ai eu peur. Pas qu'un peu. »

Allen fut médusé, son corps se figeant dans son mouvement.

Pourquoi n'avait-il pas ressenti la coupure de son côté ? Il avait peut-être eu la sensation d'être plus léger, mais c'était tout. Il avait cru que c'était l'instinct, le désir de combattre.

Allen ressentit le fourmillement dans son bras. Il fut frappé par la compréhension. Crown Clown l'avait protégé. C'était peut-être pour ça qu'elle avait été moins performante. Il la sentait plus distante que d'habitude, il avait cru que c'était à cause du gardien, ça aussi... Merde, alors Kanda avait encore plus de quoi lui en vouloir qu'il ne l'avait cru.

Il était pathétique, il se blâmait peut-être plus que de raison mais ça lui donnait encore plus l'impression d'être littéralement le pire... Il sentit ses larmes monter, de même que Kanda commençait sérieusement à s'énerver, il le voyait bien. L'alpha soupira méchamment, secouant la tête en le regardant.

« J'en peux plus, que t'oses me dire que j'ai avoir peur, que j'ai être énervé, comme si c'était pas évident, comme si t'en étais pas sûr. J'ai envie de t'en foutre une autre, même cinq, je te jure. T'es vraiment con, Moyashi. T'es vraiment un connard. » Il appuyait ses propos, de même qu'Allen écarquilla les yeux. « T'as absolument rien compris. »

Allen comprenait sa frustration, sa colère. Cependant, qu'il ose lui reprocher de ne pas savoir ce qu'il ressentait ? Vraiment ? Perdu, il secoua la tête, levant la voix :

« Mais c'est simplement pas évident pour moi ! J'imagine pas ce que t'as pu ressentir, vraiment, j'aurais été terrifié moi aussi si j'avais cru la même chose que toi, mais c'est pas facile de savoir comment tu vas réagir ni ce que tu ressens, Kanda ! »

Allen craquait à son tour, et il commença à pleurer, essuyant ses larmes rapidement mais toujours au bord du précipice.

« T'as dit que tu étais mon alpha, et que tu tenais à moi, mais t'as jamais voulu t'attacher, tu me l'as toujours dit. Tu m'as accepté comme ami, j'imagine que pour toi ça veut dire beaucoup, mais... je sais pas dans quelle mesure tu es attaché à moi, et j'ai pas envie que tu décides que je n'en vaux plus la peine ou de me croire trop important.

—Et tu m'as demandé d'être ton partenaire, espèce d'abruti, » rugit l'alpha. « Pourquoi ça, si tu es à ce point sur tes gardes ? »

Sa façon de le dévisager était violente, sans pitié, il le forçait à considérer toutes les contradictions qui l'habitaient. Allen sentait qu'il était désarçonné. Cette confrontation était vraiment difficile. Il le savait. Il voulait qu'ils trouvent le point d'encrage pour communiquer sainement. Mais ils avaient visiblement pas mal d'autres abcès à crever avant. Kanda gronda sévèrement :

« Qu'est-ce que tu crois que ça impliquera si je te dis oui, putain ? Que je vais pas m'investir ? Tu me connais pas si tu crois ça. Je suis déjà investi. Ose pas me dire l'inverse. »

Au fond, c'était vrai : Allen ne le connaissait pas à ce point-là.

« Mais t'as pas dit oui ! » Allen leva encore la voix, confus de la façon dont la discussion s'amorçait. Il se força à se modérer, Kanda ayant un geste de recul à son tour. « Justement, Kanda, je ne veux pas que tu penses que je tiens à toi plus que tu ne le voudrais ou que je ne le devrais. »

Et là, Allen mentait. Il sentait le tremblement dans son corps, son sang bouillir, parce qu'il... était incapable d'assumer, de dire à Kanda qu'il l'aimait, il avait trop peur de le faire fuir, de le perdre, ça le terrifiait. Et il se rendait compte que c'était quelque chose sur lequel il devrait commencer à travailler aussi. Cette peur d'être abandonné. Il savait que ça existait en lui, il l'avait évoqué durant ses chaleurs avec Kanda, mais... c'était toujours là. Concernant leur relation, spécifiquement, il avait du mal à faire confiance à l'alpha à cause de la distance qu'il s'était acharné à mettre entre eux. Même si Kanda avait consenti à ce qu'il se rapproche de lui, Allen avait vraiment peur qu'il se rétracte un jour ou l'autre. Comment pourraient-ils avoir une relation saine s'il était aussi apeuré à cette idée ?

Allen s'en inquiéta.

Kanda balaya ses pensées avec un autre grondement.

« Peu importe. »

Comment ça, peu importe ? aurait voulu dire Allen.

« Moyashi, je tiens à toi. Je te l'ai dit. Je ne me répéterai pas une fois de plus. » Allen retrouvait bien Kanda là-dessus. « Je suis attaché, putain. Alors oui, que t'ailles faire le con sans nous concerter, ça me met en rogne, surtout si je peux plus te sentir. »

Allen ne put rien dire. Il écoutait, la tête basse.

« J'en suis responsable, reconnut Kanda, si à cause de ce que j'ai pu te dire, t'as toujours l'impression que c'est pas le cas et que ça te fait flipper, mais sache que je te mentirai pas. J'en ai aucun intérêt. Surtout pour avoir des odeurs comme les tiennes dans le nez. Alors fais-moi confiance. J'en ai marre, de te le répéter.

—C'est pas ma faute, les odeurs, Kanda... » Allen s'exaspéré à son tour, aussi ému que démuni. « Je suis désolé pour tout ça, je te crois. Je sais que tu ne mens pas, mais... »

Cette peur en était encore au stade irrationnelle. Elle commençait toutefois à s'atténuer, partiellement. Les mots de Kanda le rassuraient. Ils passaient du baume dessus. Pénétreraient-ils en profondeur, ça, telle était la question...

« La chose qu'il faut que tu comprennes, » expliqua Allen, changeant ainsi de sujet, « c'est que j'ai seulement pas envie d'être couvé et protégé. J'ai pas envie que tu me penses incapable. Je sais, me fais pas ces yeux-là, que c'était pas le cas hier. C'est juste ce dont j'ai eu l'impression sur le coup. Et ça m'a fait mal. C'est normal que vous vous soyez inquiété, mais... vous ne m'écoutiez pas. Je suis un oméga, j'ai l'habitude qu'on me sous-estime. Et j'ai besoin d'y arriver. Je suis sûr que sans être un oméga, je serai comme ça. Je ne veux pas rester en arrière à attendre les ordres. Tu me suis ? »

Kanda croisa les bras sur sa poitrine. Limite si une veine ne battait pas sur son front.

« Ouais, j'te suis. Tu crois que t'as des choses à prouver. Tu crèveras au combat comme un abruti si tu fais ça.

—Tu fonces tête baissée tout le temps, te fous pas de moi ! »

Kanda secoua la tête. Un rictus au coin des lèvres, il eut un reniflement méprisant.

« Pas toujours. Pas quand je sais pas ce qui m'attend. J'ai un instinct de survie plus développé que ce que tu crois. Tu ferais pas mal d'en prendre de la graine. »

Allen se mordit la lèvre pour éviter de rétorquer quelque chose qu'il regretterait.

« Peut-être, avoua-t-il, tu as raison. Mais si je fais ça, c'est parce que je refuse de fuir. Je ne suis pas un lâche.

—C'est pas fuir de penser deux secondes, couillon ! cracha Kanda, lui aboyant presque littéralement dessus. Tu m'emmerdes à te faire chier avec ton statut à la con. T'es un abruti qui fait pas la différence entre progresser et foncer tête baissée, quitte à prendre des risques pour ta vie. »

Il lui assénait ces paroles comme un soufflet supplémentaire, de plus que ça, Allen le savait déjà. Kanda ne décolérait pas.

« Tu peux pas accepter que les autres s'en fassent pour toi, sans penser que c'est parce qu'on te trouve faible, connard ? Tu peux pas penser une seconde qu'on soit fâché pour une bonne raison, putain ? T'es un sale égocentrique. »

Allen savait aussi qu'il avait raison, il l'avait déjà pensé lui-même et s'en blâmait bien assez. Ça le fit bondir quand même d'être en train de se faire morigéner comme un gamin.

« Arrête de me faire la morale ! Tu peux pas comprendre que mon statut me met dans cette situation ? C'est à cause de ça, tout ce qui nous est arrivé, et j'en ai souffert... Et si, je peux l'accepter ! C'est pour ça que je m'excuse, c'est pour ça que j'essaie de discuter avec toi ! »

Pour le moment, on pouvait dire que ça ne se passait pas bien. Allen en était le premier déconfit.

« Mais tu fais que t'énerver, on peut pas communiquer avec toi sans que tu en viennes à l'agressivité, tu m'insultes, ça me braque, moi ! Mets-toi à ma place, tu crois que tu aurais aimé que j'agisse comme ça ? Tu m'as littéralement sauté dessus hier, Kanda !

—Je vais pas changer pour tes beaux yeux. »

S'il s'agissait ici d'une expression, Allen rougit tout de même. Il grinça des dents. Ce caractère inflexible était un trait typique de Kanda. Quant à cette combativité, ils la partageaient. Allen s'indigna, amer :

« Et moi, alors, je devrais changer pour les tiens ?

—J'ai pas dit ça. »

Kanda se renfermait. Allen souffla entre ses dents. Son dépit prenait le dessus sur tout autre sentiment.

« C'est ridicule, Kanda. On change, toi, et moi aussi, et si on parle de communiquer, de faire des efforts, c'est pas destiné qu'à moi ou qu'à toi.

—J'vais vachement communiquer avec quelqu'un qui me trouve trop sensible, » le railla Kanda, Allen déjà gonflant les joues pour tempêter, « tu t'es excusé, mais tu l'as pas volée, celle-là. »

Allen aurait bien aimé lui dire que les rôles avaient déjà été inversés avec Kanda d'une tendance beaucoup moins conciliante que la sienne. Il laissa tomber ça, sachant que ce serait la porte ouverte pour une guerre quant à déterminer qui était le plus crétin. Ils n'avaient pas besoin de ça.

« Donc, on arrête de parler ? se résigna le maudit. Ça ne va nulle part si on se renvoie la balle indéfiniment. »

Allen n'avait pas envie d'abandonner. Mais il ne pouvait pas en faire plus tout seul.

« Non, trancha Kanda. Non, on arrête pas. Merde. »

Allen le laissa réfléchir, encore pris de court. Kanda se passa une main sur le visage. Il essayait lui aussi de retenir sa colère. Et ça toucha Allen. Kanda prenait réellement sur lui, pour lui, parce qu'il prenait en compte ce qu'il disait. C'était... plus que ce qu'il n'aurait jamais pu imaginer de lui.

« J'ai eu peur. »

Allen se tut. Kanda le lui avait déjà dit, mais plutôt que de le lui signaler, il n'en fit rien. Il imaginait que Kanda disait ça pour... commencer à s'exprimer. Sa voix n'était plus agressive. Il se montrait vulnérable. Allen tendit de nouveau la main vers la sienne. Et encore une fois, Kanda ne se recula pas. Sa paume rasa même la couette du lit en s'avançant vers la sienne. Allen sentait la chaleur de sa main contre ses doigts.

« Je suis désolé aussi, de t'avoir agressé. Putain, c'est compliqué.

—Je sais. » Allen le ressentait bien également, ils partageaient les mêmes démêlés. « Je t'écoute et je suis content que tu fasses cet effort, Kanda, tu peux prendre ton temps. »

Allen n'avait pas envie de le braquer en se montrant trop accompagnant à son tour. Kanda râlait contre lui quand il disait qu'il ne voulait pas être couvé, mais pour ça, ils étaient pareils. Kanda toujours plus farouche que lui, du moins, sur certains points.

« Quand j'ai cru que t'étais mort, ça faisait comme si une partie de moi avait disparue. J'étais fou. »

Ce putain de lien, oui. Les légendes sur les liens brisés disaient que ça rendait souvent les liés désespérés, on racontait que certains en mourraient. Personne ne savait si ça existait, qu'un lien se brise réellement. Des racontars sans véritable confirmation. Une quête de vérité semblait impossible. Allen écoutait, posant finalement sa main sur celle de Kanda, résolu à le consoler — c'était surréaliste pour lui, mais oui, Kanda, Kanda Yû, le Bakanda qui se montrait toujours si fort lui étalait maladroitement une part de sa fragilité. Alors qu'il aurait pu totalement se renfermer, avec son attaque vicieuse. Allen était tellement touché de la confiance que lui faisait Kanda pour s'exprimer ainsi. Il était ravi aussi qu'il lui laisse prendre cette place pour lui.

Jusqu'à présent, Allen avait été cet oméga qui demandait de l'aide à son alpha, quelque chose qui, bien que ce ne soit pas forcé entre eux, restait dans les schémas habituels de leur type de relation. Ça s'était déroulé ainsi parce qu'Allen avait eu besoin d'aide, mais ça aussi, ça l'avait convaincu qu'il devait tout faire pour ne pas que ça se reproduise, pour ne pas être un oméga faible. Ce n'était pas nécessairement la bonne conclusion à faire, Allen se doutait qu'il devait faire preuve d'indulgence envers lui-même, car en le faisant, il aurait déjà une clé pour rebondir. Ce vers quoi ils allaient, c'était une réalisation que l'importance n'était pas, fondamentalement, dans le schéma absent ou présent, c'était que les choses se passent à condition que ça fasse sens pour eux ou qu'elles ne se passent pas quand ça n'en faisait pas. La même logique s'appliquait au lien.

Arrêter d'avoir peur de ce qu'ils étaient ou n'étaient pas, mais être sans se battre contre eux-mêmes.

Tout de même, que Kanda, en tant qu'alpha, accepte de sortir de son rôle sans complexe... Allen... s'en sentait encore plus charmé. Ça le convainquit que leur relation prenait au moins un bon chemin, malgré les faux-pas.

« Kanda, je suis tellement désolé. Si j'avais su que ça te ferait ça... »

Il s'inquiétait aussi de ce qu'il ressentirait si ça lui était arrivé. Une telle détresse... Allen était sûr qu'il aurait été incapable de se battre dans un état pareil. Il remerciait Crown Clown d'avoir réussi à lui épargner ça. Tout en se posant des questions. Mugen n'avait pas réussi à protéger Kanda ? Était-elle seulement apte à le faire ? Était-ce parce que Allen était symbiotique ? Ou bien, parce que, d'une certaine façon, il avait été en danger de mort ? Il ne comprenait rien à tout ça.

Tout ce qu'il comprenait, c'est que plus il analysait la situation, plus il se sentait mal. Il avait blessé Kanda et il ne se le pardonnait pas.

Allen tentait vraiment de lui transmettre son affection, sa douceur, en tenant fermement sa main. Il voulait que Kanda sente sa sincérité. Il la méritait, de plus.

« Comment ça se fait que t'as rien senti ? » Kanda n'avait pas besoin de lui poser la question, ça se voyait. « Qu'est-ce qui s'est passé ? Raconte-moi. »

Allen ne savait pas ce qu'il pouvait dire à Kanda, quant à sa rencontre avec le gardien. Il ne pouvait pas lui mentir complètement. Il avala à nouveau sa salive.

« Je... J'ai rencontré cette créature étrange. Je ne sais pas trop ce que c'est, pas vraiment du moins. Honnêtement... Lavi m'a dit de pas en parler, je... sais juste qu'il est possible que j'aie bel et bien disparu, mais je comprends même pas comment. C'est tout ce que je peux te dire. »

Le regard sombre de Kanda fut plus éloquent que tout discours. Allen eut limite envie de rire. Il préjugeait que ça aurait été peu apprécié, donc il se contint.

« C'est bon, Kanda, je sais ce que tu penses...

—Que t'es le roi des cons. Tu t'es foutu dans une merde sans nom. Ce truc aurait pu te tuer. Si ça t'avait fait disparaître pour de bon ? »

Allen se demandait si c'était aussi possible. Il fit claquer sa langue.

« Je le sais, et j'ai failli y passer en l'affrontant, si tu veux tout savoir. La créature m'a épargné, mais... j'ai eu de la chance, même Lavi me l'a dit. J'ai eu tort. Je peux rien te dire de plus. Je... me rends compte que j'ai pas mal de choses à régler, en moi. Je suis désolé que tu en paies les pots cassés. Je te présente mes plus plates excuses. »

Kanda se tut. Il garda le silence quelques instants. Allen aussi. Ils réfléchissaient. Allen avait pas mal baissé sa fierté, finalement. Il était... content de lui-même. Bien sûr, c'était difficile de se mettre dans cette position. D'avouer tout ça. Il avait tout de même la sensation qu'il fallait le faire.

Le plus vieux lui offrit un autre soupir, mais pas comme expression de colère, non. Allen eut l'impression qu'il y avait autre chose derrière cela.

« C'est bon. Pas besoin d'être si formel, abruti. Je te pardonne. » N'en croyant pas ses oreilles, Allen ne put se détourner de la silhouette rigide du kendoka. « Je suis mal placé pour te juger pour ça, j'ai aussi des choses à régler. T'as pas tort sur le fait que je devrais rester patient, au lieu de m'énerver. Mais pas pour le genre de connerie que t'as fait hier, rêve pas. »

Alors celle-là, si on avait dit à Allen qu'il l'entendrait un jour, il n'y aurait jamais cru. Il était ébahi, ses grands yeux et sa bouche à demi ouverte le reflétaient pour lui.

« Kanda, tu me surprends tellement. »

Ce n'était pas la première fois qu'Allen ressentait ça. La sensation ne le quittait pas. Kanda était méconnaissable. Ou alors... Peut-être qu'il n'avait pas vraiment changé. Allen découvrait juste des aspects de sa personnalité, que Kanda ne soupçonnait sans doute pas lui-même. Il ne s'altérait pas, il se révélait. Ce n'était pas une métamorphose, juste un avancement. Allen aurait pu en tirer une fierté égoïste, se dire qu'il en était à l'origine, et c'était partiellement vrai, s'il ignorait toute fausse modestie. Néanmoins, celui dont il était fier, c'était de Kanda. Ça aussi, c'était étrange, parce que Kanda ne lui demandait rien, et qu'il n'avait pas à valider ou non sa façon d'être, au fond. Allen se sentait tout de même satisfait de le voir s'épanouir d'une manière qui convenait avant tout à Kanda.

Allen ignorait toujours son passé, il ne savait pas énormément de choses sur lui. Ce qu'il savait en revanche, c'est que peu importe ce qui le hantait, ce qui l'avait poussé à être odieux pour éviter sa proximité, ça s'apaisait petit à petit. Son caractère merdique persistait, comme celui d'Allen. Il y avait du mieux. Ça prenait son temps, mais ils progressaient.

Le maudit était heureux que Kanda avance dans la même direction que lui.

« Toi aussi. »

Kanda avait fini par parler. Rougissant encore une fois, Allen déglutit.

« En quoi ? »

Kanda sembla réfléchir, marquant un silence, avant de déclarer calmement :

« Tu fais preuve de beaucoup plus de recul qu'avant, sur certains points. Même si tu restes une stupide pousse de soja.

—Bakanda ! Je suis pas une pousse de soja ! »

Allen consentit tout de même à lui sourire, un rictus moqueur en miroir au sien. C'était vrai. À force de passer par toutes les épreuves que leur infligeait le lien et leur vie d'exorciste, il prenait en maturité. Il avait toujours cette volonté d'avancer, de faire les bons choix, et de surpasser ses difficultés. Kanda vint lui caresser le crâne, le flattant sans brusquerie. Allen se laissa faire, toujours aussi confus.

Il pria pour que ça continue ainsi.

« On va pouvoir se parler sans s'engueuler, maintenant ? » osa demander Allen.

Kanda opina. Il avait un toujours son sourire moqueur aux coins des lèvres, car ils savaient tous deux qu'Allen n'était pas en reste.

« Moyashi. Je ne le dirai pas deux fois, mais je n'aurai pas dû te frapper. »

Sa main était toujours sur son crâne. Allen se laissa aller sous les caresses, ça avait vraiment des vertus apaisantes, le fourmillement dans son crâne était une sensation excellente.

« C'est clair que t'aurais pas dû, Bakanda. J'avoue, celle-là, je l'ai cherché. Mais... merci de reconnaître que t'as eu tort. »

Kanda déplaça ses doigts au creux de sa nuque, juste à la base des cheveux. Allen ferma les yeux malgré lui en sentant ses ongles raser gentiment sa chair. Il avait trouvé l'endroit parfait. Lorsque Kanda se déroba, Allen lui jeta un regard presque courroucé.

« Je peux pas te promettre que ça arrivera plus, que je me mette en rogne si tu refais un coup pareil. Merde, je ne me fiche simplement pas de ce qui t'arrives. Penses-y, avant de faire le con. »

Allen était d'accord avec lui. Les joues roses, il passa sa langue sur ses lèvres, désireux d'un verre d'eau, soudain.

« Je vais le prendre en compte, je te jure. Tu m'aurais dit tout ça sans me sauter à la gorge, ça serait passé. Tu peux me dire que j'ai été écervelé et que j'ai fait l'idiot, mais je ne veux pas que tu te fâches contre moi de cette façon.

—Très bien. »

Son ouverture à ses remarques... Bordel, Allen était en train de fondre.

Il ne reconnaissait plus Kanda et il était autant désarçonné qu'il aimait ça. Parce que Kanda avait tellement progressé, il ne faisait que confirmer ses pensées, y compris celle qu'il mûrissait même plus que lui par nombre d'aspects. Allen se sentait était à la traîne. . Il le ressentit comme un coup à son orgueil, par instinct, mais il était jaloux de son évolution. La jalousie fut vite surpassée par un sentiment de bienveillance. Cette fameuse fierté envers son lié.

Va falloir que je me bouge, et que je le rattrape.

Allen fut déterminé. Il devait encore progresser quant à la gestion de ses émotions et à sa propre capacité à se remettre en question. Kanda développait ces capacités avec tant de naturel, tant d'abandon…

Allen aimait ce qu'il lui montrait. Il n'aurait pas pu l'aimer davantage.

Kanda continua :

« J'ai agi par instinct. » Allen fronça les sourcils, aussi, Kanda secoua la tête. « Pas que mon instinct d'alpha. J'ai laissé ma rage gagner. Je n'aurai pas dû.

—Ton instinct est idiot. »

Bien sûr, le maudit le poussait un peu. Il ne pouvait pas s'en empêcher. Kanda croisa les bras sur sa poitrine.

« Tch.

—Kanda, même si je suis un oméga, que tu veux me protéger, je peux accepter ça. Ne me traite pas comme si j'étais fragile, s'il te plaît. C'est la seule chose que je te demande. »

Allen insistait à ce propos parce que ça lui importait.

« Je le sais, ça, Moyashi.

—Allen ! Appelle-moi aussi par mon prénom. »

Kanda lui offrit un haussement de sourcil insolent.

« Peu importe. » Ah non, cette réponse-là, pas encore ! Allen voulait qu'il dise son foutu nom un jour. « Je sais que tu n'es pas faible, t'es juste con. La prochaine fois, je te crierai dessus sans te frapper. »

Allen se sentit frustré, bien conscient qu'ici, il n'avait effectivement pas brillé par son intelligence.

« Je ferai attention à ne plus prendre de risque inutiles et à réfléchir. En échange, j'aimerais que tu aies confiance en mes décisions, Kanda. Je veux que tu me soutiennes.

—C'est pas une question de ça, putain, j'ai simplement pas envie de te perdre, j'ai pas encore envie de perdre un être cher ! »

Kanda s'arrêta. Il lui offrit une expression fermée, se rétractant en effet en se rendant compte de ce qu'il venait de dire. Submergé par l'émotion, Allen ne put s'en empêcher : il prit sa main. Il gardait en mémoire que Kanda lui avait parlé de quelqu'un qu'il avait aimé qui n'était plus là. Allen pouvait comprendre sa détresse. Ça nourrissait sa culpabilité, mais il était touché que le kendoka tienne à ce point à lui, qu'il le considère comme un être cher. Il se promit de ne plus douter de son attachement, ainsi que de faire plus attention.

Il ne pouvait pas piétiner les sentiments de la personne qu'il aimait de cette façon à nouveau, ça aurait été impardonnable.

Allen serra sa main dans la sienne.

« Je comprends, » dit-il, alors que Kanda se crispa. « C'est très touchant, ce que tu dis. Je te promets que je vais faire très attention. Je n'oublierai pas ce que tu m'as dit.

—Va te faire foutre. »

Kanda rougit. Allen en fut ébahi, jusqu'à ce que le plus vieux reprenne son sérieux.

« Tu sais ce que je pense des promesses. Tu les honores ou tu ne les fais pas.

—Je sais. Crois-moi. Je ne te mentirai pas. »

Kanda consentit à lui faire une sorte de sourire. Ça donnait quelque chose de singulier sur son expression, pourtant c'était sincère. Avec douceur, il se pencha sur Allen et l'embrassa sur le front. L'oméga sentit son cœur exploser dans sa poitrine, de la meilleure des façons. Kanda initiait le premier ce genre de geste, tout comme il avait été le premier à lui proposer de le rejoindre dans son lit pour le détendre, lorsque le gardien était venu l'observer. Allen se rendait compte que Kanda était capable d'anticiper ses besoins, d'une certaine façon. De le rassurer, et de lui montrer une affection certaine.

Allen ne voulait pas espérer que ça veuille dire que lui aussi ressentait ce qu'il ressentait.

Kanda souriait vraiment, cette fois, un fin sourire tendre, rempli d'affection.

Ça n'aurait pas pu être plus parfait.

« Je suis content que tu sois en vie, petit connard.

—... Bakanda, faut toujours que tu gâches tous les moments comme ça. »

Allen éclata quand même de rire. Kanda consentit à rire aussi. Un rire bref.

« Je comprends pas comment tu peux être si doux et si brutal à la fois.

—Si tu parles de cette gifle, même s'il me semble qu'on est d'accord que tu l'as mérité, t'auras qu'à me la rendre en entraînement. T'as dit que c'était là qu'on se battrait. »

L'imbécile l'avait bien retenu. Allen lui tira la langue. Il secoua la tête, donnant un coup d'épaule à l'alpha.

« Tu sais que c'est pas de ça que je te parle. »

Puis, Allen tendit sa main vers le visage de Kanda, caressant doucement sa joue. Il ne fut pas repoussé. Kanda s'appuya même dans sa main. Il n'était nullement gêné.

« Juste comme toi, tu peux être mature et vouloir qu'on parle, mais bouder comme un gamin si je vais pas dans ton sens.

—Arrête de taper là où ça fait mal à chaque fois.

—Je sais, je suis trop précis. Y'a pas que Mugen qui est tranchante, ma langue aussi. »

Allen ne put s'empêcher de frissonner, ne le réprimandant même pas pour cette arrogance. Il avait envie d'embrasser Kanda. De sentir sa langue contre la sienne. Merde, la tentation était beaucoup trop grande.

Ce n'était absolument pas le moment, en plus... Il se reprit, se mordant l'intérieur de la joue. Il n'avait pas envie que Kanda sente son désir.

« Je suis content qu'on ait réussi à parler.

—Moi aussi. »

Allen rit à nouveau, joyeux, soulagé, tout ça à la fois. Il... espérait qu'ils arriveraient à mieux communiquer, à partir de maintenant.

« Je vais faire des efforts pour ça, tu sais, » dit Allen.

Comme Kanda fronçait les sourcils, ne suivant pas, il ajouta :

« La partie où je boude quand tu n'es pas d'accord... je vais faire des efforts. C'est une autre promesse que je vais honorer, comme tu dis. »

Kanda eut un sourire en coin.

Allen sentit la connerie arriver. Et il n'eut pas de quoi être déçu.

« Si tu romps ta promesse, et je parle surtout de la première que tu m'as faite, je te jure que tu termines sur mes genoux, et que je te mets une bonne fessée. »

Réagissant au quart de tour, le maudit fut ulcéré, son visage reflétant toute l'indignation qu'une telle idée lui inspirait.

« Kanda, tu déconnes, j'espère ! Tu oserais me faire un truc pareil !? »

Nonchalant, le visage du kendoka n'exprimait rien d'autre qu'une envie de se foutre de sa gueule. Peut-être teintée de vérité, Allen en avait vaguement l'impression — surtout que ce crétin l'avait délibérément taquiné sur ça pendant ses chaleurs, sachant que ça l'énerverait. Comme il se doutait que Kanda désirait se moquer de lui, il ne tempêta pas plus fort sur l'instant. Mais... rien que l'idée l'horrifiait.

« Tch. Va savoir. J'en aurai bien envie si t'es de nouveau un sale merdeux. »

Allen croisa les bras sur sa poitrine, boudeur.

« Mais c'est pas une raison, je suis pas d'accord ! C'est ça qui m'attend si je deviens ton oméga ? »

La question était légitime, malgré son apparition dans un moment plus taquin que sérieux. De tout ce que Kanda lui montrait jusqu'à présent, il n'en avait nullement l'impression, ça le tranquillisait. Kanda lui colla une pichenette, abandonnant les railleries...

« Non. C'est ça qui t'attendra si tu fais trop le merdeux. Et je suis sûr que t'aimerais, blague à part. »

... de moitié.

Allen réagit à nouveau au quart de tour :

« Je te demande pardon ?! »

Kanda lui décocha une œillade, Allen devenant cramoisi car c'était faux et en plus, bizarre. Oh, il avait bien entendu des choses malgré lui, vu les milieux qu'il avait fréquentés et son maître absolument peu subtile ou discret. Il n'était pas ignorant quant au fait qu'il existait des façons de s'amuser au lit qui n'étaient pas forcément... conventionnelles, ou au contraire, étaient une manière de s'amuser de ces conventions en les personnifiant. Depuis qu'il s'était mis à la lecture, il était tombé sur quelques ouvrages érotiques dont disposait l'Ordre Noir — fait très étrange — et des gravures que Lavi lui avait montré. Il avait vu des femmes, des hommes, de tout statut confondus, dans des situations charnelles qui dépassaient de très loin ses propres interdits.

Allen était curieux, somme toute, de certaines pratiques, mais il n'était clairement pas assez à l'aise avec l'idée de la sexualité qu'il approchait à peine pour être totalement à détendu avec ces plaisanteries — surtout depuis leur rêve partagé. Il n'appréciait pas totalement que Kanda se paie sa tête sur un tel sujet, même en le connaissant assez pour savoir que son but était de le provoquer. Une manière de le bousculer en représailles sans passer à l'acte pour de vrai. Il n'y avait pas d'autre dessein que celui de l'ennuyer. Allen ne lui en tenait pas entièrement rigueur, bien que ce soit assez fourbe, il ne put s'empêcher de grogner entre ses dents malgré tout lorsque Kanda poursuit.

« Dans un contexte de jeu, ça te plairait peut-être. Pendant tes chaleurs, tu aimais que je prenne le dessus quand je te touchais, tes phéromones faisaient des trucs bizarres quand je t'ai mis une tape. Et là, tu sens bizarre.

—C'est pas ma faute, tout m'excitait ! Et oui, je sens bizarre, tu me gênes ! Tu sais que j'ai peur de perdre le contrôle, si on avait des relations sexuelles, alors me parle pas de me mettre dans une situation où je ne l'ai clairement pas. T'es un idiot, Kanda. »

Kanda marqua un silence tandis qu'Allen fulminait, un sourcil levé, en bougonnant. Ça l'avait mis en rogne. Kanda avait de la chance qu'il lui fasse confiance et qu'il sache que c'était une plaisanterie ou du moins une situation dans laquelle il le forcerait jamais. Il avait beau s'améliorer, Kanda restait un rustre quand il le voulait.

Il sembla se rendre compte de son indélicatesse, doublé de l'embarras que ça causait à Allen.

« Excuse-moi. J'ai été trop loin ? »

Il lui ébouriffa les cheveux, comme s'il continuait un peu à se moquer de lui, la douceur de son sourire effaça toutefois cette impression. Allen fut content qu'il considère son reproche. Il souffla, haussant les épaules.

« C'est bon, mais vraiment, je veux pas jouer avec ça. Je vais rompre ma deuxième promesse et m'énerver si tu continues. Ce serait dommage que tu me pousses à bout si vite. »

Et il le toisait avec un air de défi, qui lui fut rendu. Allen n'ignorait nullement qu'il avait un contrôle sur ses réactions et que Kanda ne serait pas responsable s'il décidait d'agir bêtement à nouveau. Lui aussi voulait le narguer un peu, pourtant.

« Dans ce cas, viens sur mes genoux, maintenant. »

Allen s'étouffa avec sa salive, son sang palpitant jusque dans sa tête, jetant un oeil perdu sur Kanda :

« B-Bakanda ! Tu te fous de moi ! Sans rire, K-Kanda, sérieusement, tu me demandes pas de... »

Si Kanda éclata de rire à son tour, c'est bien qu'il était fier de son petit effet.

« Non, je parlais pour un échange d'odeur, Baka Moyashi. Mais si tu réagis si fortement, je peux changer d'avis.

—Bon dieu, Kanda. T'es le pire ! »

Parfois, il pouvait aussi être le meilleur.

Allen ne savait vraiment pas sur quel pied danser avec cet abruti. Il boudait en conséquence.

Pourtant, lorsque Kanda l'attira à lui, prenant sa main pour l'inciter à venir plus près, Allen se laissa faire. Il grimpa docilement sur les genoux de Kanda, se tenant assis sur lui. Ainsi, il passa ses bras de chaque côté de ses épaules pour l'étreindre, plongeant sa tête dans son cou. L'allégresse de le sentir si proche le saisit, il respira son odeur à plein poumon. Il en avait eu envie et besoin depuis qu'il avait survécu au combat. Il étreignit Kanda avec plus de fougue qu'il ne le voulut initialement.

Craignant de l'étouffer avec son étreinte, il détendit ses membres, adressant à son ami un sourire d'excuse.

Kanda ne fit que presser son corps contre le sien en retour, prouvant une dernière fois que ce désir de communion était partagé.

Allen en fut comblé.

Ça, il adorait. Plus que les plaisanteries de mauvais goût de cet imbécile de Kanda.

Rien ne put le préparer à sa surprise lorsque le susnommé releva sa tête et posa son front contre le sien.

« Écoute. J'ai réfléchi à ce que tu m'as dit.

—Comment ça ? »

Ils s'étaient dit plein de choses, à tel point que c'était finalement apaisant qu'ils puissent échanger leurs odeurs sans parler. Allen n'avait pas envie de rompre ce moment. Kanda non plus, puisqu'il parlait bas et ne pressait pas les choses. Sauf son corps, ses mains venant chercher ses hanches pour attirer son bassin contre le sien.

« Quand tu m'as demandé d'être ton partenaire. »

Oh... déjà.

Allen n'espérait pas une réponse si tôt. Il commença à avoir peur.

Était-ce le moment ? Ils venaient à peine d'instaurer une communication agréable, entre deux taquineries, est-ce que c'était vraiment maintenant qu'il fallait...

Kanda dut ressentir sa panique qui montait puisqu'il l'embrassa sur la joue, à gauche, juste à la pointe de sa cicatrice. Allen se détendit malgré tout bon sens. Malgré tous ses sens qui le faisait doucement mais sûrement vriller.

« On reste comme ça quelques instants, mais après, il va falloir qu'on parle.

—Kanda, tu n'es pas obligé de me répondre si vite, quand je dis que je te laisse du temps, je... On a pas mal parlé, ça peut attendre. »

Allen ne voulait pas faire le lâche, alors pourquoi essayait-il de dévier la conversation ?

Cela le fit s'en vouloir. Il était stupide.

Kanda secoua la tête, la plongeant dans son cou. Allen sentait l'os pointu de son menton lui rentrer dans l'épaule, c'était modérément agréable, mais lorsque ses lèvres rasèrent le creux de sa nuque, il oublia tout.

« Si t'es pas prêt, on attendra. Avant que tu dises quoique ce soit, c'est pour que tu sois à l'aise. J'insinue rien d'autre. »

Cette fois, le maudit n'eut pas envie de protester, de le prendre contre lui. Parce que la façon dont Kanda pensait à lui... était adorable.

Allen hésita. Suivre son orgueil qui lui soufflait de ne pas être idiot et d'anéantir toute ambiguïté maintenant, ou ce dont il avait vraiment besoin ?

« Je crois que ce serait mieux si on en parlait quand on sera rentré, à la maison. Tu dois avoir besoin qu'on respire un peu, toi aussi, non ? »

Il adressa au kendoka sourire doux. Allen pouvait imaginer que Kanda aussi ressentait ça, il était même surpris qu'il ne le ressente pas plus que lui. Il était curieux de sa réponse, il voulait l'entendre. Cependant, il craignait que ça soit dur à digérer, en plus du reste.

« T'as pas tort. On sera plus reposé.

—Avec la nuit dans le train, j'en suis pas certain... »

Ils échangèrent un sourire de connivence.

Allen serra Kanda contre lui, à la fois pour se rassurer, à la fois pour apprécier le moment. Il fit pivoter sa nuque, se trouvant face à Kanda, posant de nouveau son front sur le sien. Et il l'embrassa sur la joue, peut-être un peu trop proche de la lèvre. Allen rougit, bégayant déjà des excuses, juste au moment où Kanda lui rendit son geste. Exactement le même baiser. Au même endroit.

Allen sentait ses joues rougir davantage. Kanda avait même une toute petite teinte rosée sur les pommettes.

Merde, est-ce qu'ils allaient vraiment s'embrasser ? Encore ?

Allen fut plongé dans leur étreinte par Kanda, qui retourna coller sa tête dans son cou, le sentant sans retenue.

Pour quelqu'un qui lui avait dit que ses odeurs d'oméga puaient...

« J'aime ce qu'on devient, » observa Allen.

Kanda hocha la tête contre lui. Il ne dit rien. Il ne fit que relever la tête, l'air d'hésiter à quoique ce soit. Allen visa le coin de sa lèvre, tombant un peu trop proche de la commissure.

« Tu n'es pas obligé de répondre quelque chose. »

S'il acquiesça, Kanda étala sa main contre le bas de ses reins, l'autre soulevant à nouveau sa tête.

Allen comprit.

Il allait l'embrasser encore.

Cette fois, il espérait vraiment que ce n'était pas une putain de façon de tester pour « de vrai ». Sinon, c'était lui qui en collerait une à ce crétin de Kanda.

«... LES GARS, CESSEZ LE FEU, J'AI TROUVÉ UNE SUPER BELLE CASCADE, FAUT QUE VOUS ALLIEZ VOIR ÇA ! »

C'était sans compter sur Lavi qui venait d'ouvrir la porte à la volée comme un mal propre, hurlant à plein poumon, absolument inconscient de ce qu'il était en train d'interrompre.

Le temps fut comme suspendu.

Si Lavi fut effaré, murmurant un "Yû, Allen..." choqué, Kanda et Allen eurent tous deux envie de s'enterrer vivant. La scène était comique, Kanda à deux centimètres du visage d'Allen, lequel attendait, la bouche ouverte, qu'il se joigne à la sienne. Cela, et leurs corps au plus proche, les mains de Kanda sur lui, celles d'Allen contre sa nuque...

Bordel, ça n'aurait pas pu être plus gênant.

Enfin, si, ça aurait pu, mais Allen préférait mourir plutôt que de penser à quelque chose comme ça.

Allen sauta brusquement en arrière, manquant de se prendre les pieds dans Mugen que Kanda avait déposée à côté du lit, pendant que Kanda darda un œil meurtrier sur Lavi.

Le rouquin sourit.

« Ah, j'ai interrompu quelque chose. Vous pouvez reprendre, content de voir qu'il n'y a pas de mort. À plus ! »

S'il partit aussi vite qu'il était arrivé, comme un ouragan, Kanda et son expression folle firent flipper Allen.

« ... À quel point t'y tiens, à ton putain de pote ?

—Je l'aime énormément. Kanda, calme-toi.

—Tu veux pas l'échanger contre un ragoût de lapin, t'es sûr ? »

Comme il commençait à agripper son épée, Allen le retint en se mettant devant la porte.

« Il faudra me passer sur le corps pour sortir de cette chambre.

—Pas bien dur, Mo-ya-shi. »

Cette fois, Allen tempêta. Kanda et lui se chamaillèrent, finissant par se bagarrer gentiment — Allen avait quand même fait un vol plané sur le lit, sautant vite sur le dos de Kanda qui se mettait à énumérer les façons de faire cuire du lapin.

Ils finirent par rire à gorge déployée. Allen, du moins, frappé par le ridicule de la situation, surtout en remarquant qu'il avait — très vaguement — le dessus sur Kanda malgré ses vains efforts pour se débarrasser de lui et poursuivre Lavi. Kanda ne consentait guère à se calmer, bien qu'Allen argua que Lavi n'avait pas fait exprès, qu'il ne pouvait pas savoir. Et que non, ça n'était pas la peine de le noyer dans sa cascade.

Kanda ne s'apaisa qu'en lui claquant qu'il était encore plus chiant que le rouquin, et lui demandant de reprendre l'échange d'odeur pour le détendre avant qu'il ne fasse deux meurtres au lieu d'un. Allen râla, mais s'y plia volontiers.

Ils ne parlèrent pas, et il n'y eut aucune tentative de baiser de la part de Kanda. Allen n'osa pas.

L'atmosphère presque romantique avait été tuée dans l'œuf. Allen espérait que c'était pour le mieux, malgré tout.

L'heure passa, et enfin, ils reprirent la route pour repartir au QG. Cette mission les avait tous lessivés.

Allen avait tout de même de l'espoir. Il avait hâte de connaître la réponse de Kanda.

À suivre...


Note : Ce chapitre aura marqué une énorme avancée pour eux (même si oui, me jetez pas des pierres, on s'arrête un peu en queue de poisson) et j'espère vraiment que ça vous aura plu !

Je suis vraiment curieuse de savoir ce que vous pensez de leur évolution, de leur discussion etc... À ceux que ça pourrait surprendre, oui, Kanda est celui qui est le plus "transformé", ça me semble plausible avec son évolution dans le canon (sans spoiler) puis toutes les situations dans cette fiction qui le font évoluer prématurément. J'attire votre attention sur le fait qu'ils ne sont quand même pas encore tout à fait à point, comme le montrent bien certains dialogues, mais ça va venir.

Alors à votre avis, Kanda va-t-il tuer Lavi dans son sommeil ? ;) Blague à part, que pensez-vous qu'il va dire à Allen ? :p

N'hésitez pas à me partager vos opinions sur ce chapitre x3

Merci d'avoir lu !