Note: Hello !
Ce chapitre est prêt depuis dimanche, mais je l'ai pas mal retravaillé avant de le juger bon. Je préfère prévenir, vous allez vivre un certain ascenseur émotionnel et être surpris de certaines choses (enfin, je pense). Soyez attentifs aux cheminements de pensées des personnages, c'est assez révélateur de pourquoi il se passe ce qu'il se passe ;).
C'est encore une brique haha.
Présence d'une courte scène de sexe aussi (mais pas entre Kanda et Allen haha).
Je recommande de lire la note de fin :p.
Bonne lecture à vous !
RAR :
Akane29 : J'ai pas abandonné, en effet, SOS aura bien une fin :) j'espère que cette fic continuera à te plaire ! Merci pour ta review !
Tandis qu'Allen dormait sur l'épaule d'un Lavi étrangement silencieux malgré ce qu'il avait vu dans la chambre d'hôtel, Kanda regardait dehors. Ils n'étaient qu'au début de leur long voyage en train. Il était sûr que le rouquin allait dire une connerie. Quand, ça, c'était un mystère. Le contraire l'aurait étonné. Pour le moment, il profitait de ce répit. Le paysage obscur défilant ne l'endormait pas encore, ça viendrait plus tard. En attendant que le sommeil le prenne, Kanda pensait. Il se faisait la réflexion qu'il était arrivé à une conclusion étonnante. Ça l'apaisait autant que ça lui posait problème.
Kanda voulait être avec Allen. Ça devenait clair comme de l'eau de roche. Il ne pouvait plus fermer les yeux sur ce qu'il ressentait. Il avait assez de conviction en lui-même pour avoir pris la décision de le lui dire, tout à l'heure, dans la chambre. Il avait besoin d'en parler avec lui. Ce qui lui posait problème se devinait sans mal ; comment honorer sa promesse faite à la femme de son ancienne vie, comment être sûr qu'il ne répéterait pas la même erreur qu'avec Alma en devenant trop proche de lui s'il devenait un Noah, comment concilier ses propres obstacles avec ceux d'Allen, et l'idée de lier sciemment son destin au sien avec le reste. Malgré tout ça, tout ce qui aurait dû le freiner et l'avait freiné jusqu'à lors, Kanda était obligé de voir l'évidence.
Il était en train de tomber amoureux de cet imbécile. Et Kanda n'était pas du genre à blaguer avec l'amour. Il prenait ça très au sérieux. Son ancien amour était, après tout, la seule chose qui l'avait maintenu en vie pendant des années.
Aimer Allen voudrait dire qu'il aurait des responsabilités envers lui. De telles responsabilités devaient être mutuelles. Comme celle de ne pas jouer avec lui tant qu'il n'était pas sûr que c'était ce que l'oméga voulait également. Il avait eu tellement envie de l'embrasser, ce n'était pas la première fois qu'ils cédaient à ces pulsions.
C'était ça, le plus dérisoire quand il analysait les choses logiquement, qui le gênait.
Ils étaient pulsionnels, mais aucun d'eux ne disait ce qu'il y avait derrière. Kanda venait de comprendre qu'il y avait quelque chose. Il ignorait ce qui se tramait en Allen.
Moyashi avait demandé à être son partenaire. Il sentait bon dès que Kanda le touchait, dès qu'il faisait mine de l'embrasser, de lui donner de l'affection. Il était content de leur relation, il lui montrait son attachement à son tour et ils essayaient de faire fonctionner ce qu'ils avaient autant l'un que l'autre. Pourtant, Allen n'avait rien dit qui laissait sous-entendre que c'était plus que le lien, plus que l'instinct. Il se montrait très précautionneux dans sa manière de parler de leur relation, trop, même, et Kanda avait l'impression qu'il était seul à ressentir ça. Il avait la sensation qu'Allen voulait leur laisser une chance surtout car le lien ne s'en irait pas.
Kanda ne voulait pas d'une relation basée sur ça. Il avait besoin d'authenticité.
Il se fichait que ses propres sentiments ne soient pas réciproques, il ne comptait pas non plus embarrasser Allen en se déclarant d'emblée à lui comme un crétin. Mais il lui fallait plus que ça. Plus que le lien. C'était une évidence. Il désirait avant tout savoir pourquoi Allen avait demandé ça, plutôt que se fier à son propre ressenti qui pouvait très bien être erroné. Une part de lui aurait aimé qu'il ait tort.
Allen se plaignait qu'il ne disait pas ce qu'il pensait vraiment, mais Kanda non plus n'était pas dans sa tête, même s'il sentait ses émotions. Son essence émotive aurait été le terme le plus exact. Il ne savait pas toujours ce qu'il fallait interpréter. C'était un indicateur, pas un foutu livre ouvert.
Toujours est-il que Kanda refusait de se lancer dans une relation sans qu'ils ne soient clair sur leurs attentes et sur l'état d'esprit avec lequel ils l'entamaient. Idéalement, il aurait préféré qu'ils aient les mêmes. Ça n'aurait pas été gênant si tant est qu'ils désiraient aller vers un résultat similaire, mais quelque part, Kanda craignait qu'une inégalité soit présente, si lui avait des sentiments et qu'Allen non. Il s'en serait accommodé pour sa part, cependant, il connaissait assez Allen pour imaginer qu'il se sentirait affreusement coupable si de son côté, les sentiments ne venaient pas. La chose qui plaisait à Kanda dans tout ça était qu'Allen considérait l'idée sérieusement, s'il s'était vexé que Kanda ne l'ait embrassé qu'à cause du rêve, la dernière fois, sans réfléchir à ce que ça signifiait juste avant sa demande — c'était contradictoire avec le reste des signaux qu'il lui envoyait.
Kanda n'était pas assez idiot pour ne pas caresser l'idée que, peut-être, il y avait quelque chose en plus derrière tout ça.
Moyashi était sérieux, quoiqu'il se cache dans sa foutue tête. Ce pourquoi Kanda ne voulait pas non plus qu'Allen n'éprouve une quelconque pression à cause de ce qu'il ressentait. Ça sentait la situation épineuse et ils n'avaient pas besoin de ça.
Ce pourquoi une discussion s'imposait. Allen avait eu raison, c'était mieux de le faire quand ils auraient faits une nuit correcte. Leur mise au point de tout à l'heure avait été assez intense comme ça.
Kanda n'était pas très doué pour ce genre de choses — pour les conversations tout court, aurait-il dit il y a quelques mois. Merde, il l'avait même dit à Allen pendant ses foutues chaleurs. Il s'améliorait. Il en était surpris autant qu'Allen.
La suite serait compliquée. Nécessaire, pourtant.
Kanda croisa le regard de Lavi, le rouquin lui fit un sourire avant de fermer les yeux. Comme il lui en voulait encore — ce con avait le chic pour débarquer aux mauvais moments même quand ce n'était pas voulu, il n'y avait que pour Allen qu'il n'avait pas été lui faire sa fête, Kanda grogna.
Il choisit de piquer un somme à son tour.
Lorsqu'ils arrivèrent à Londres, il était à peine plus de dix heures du matin, et il leur manquait encore le trajet jusqu'à l'Ordre Noir. Ils avaient tous le dos en compote, les jambes engourdies et la tête pleine des cahots de leurs moyens de transport. Allen offrit un grand sourire à Kanda en posant sa tête sur son épaule dans la calèche. Il décidait de se reposer sur lui au lieu de sur Lavi. Bien sûr, le kendoka ne le repoussa pas. Il se satisfaisait de sentir son odeur. Lavi les couvait d'un oeil tendre sans dire quoique ce soit.
Kanda arborait sa tête de "tu n'as pas intérêt à moufter", l'oeil noir, le dos droit comme un I, la mâchoire crispée dans sa direction. Au moindre mot de travers, il dégainait Mugen. Ça calmait même les plus audacieux.
Allen le sentit sans détour, commençant à s'endormir en agrippant son bras. Il était mignon, bordel. Bien sûr qu'il était mignon. Il le fut moins quand il commença à ronfler, Lavi ouvrant son oeil unique. Kanda avait sursauté — bercé par les odeurs, il avait failli succomber au sommeil lui aussi. Il ne savait pas combien de temps il avait somnolé. Inspirant et expirant doucement, Kanda se remit à fixer par la petite fenêtre, Lavi s'étirant de son côté. Ils n'étaient plus très loin, il commençait à situer les environs. Allen ronfla de nouveau. Kanda dut lui caresser le crâne en éloignant doucement son visage de son biceps dans lequel il s'enfouissait le nez. Sa respiration fut alors plus paisible. En gémissant, Allen s'agita pour finalement aller poser sa tête sur les genoux de Kanda. Ses ronflements reprirent lorsqu'il eut le nez contre ses cuisses.
Foutu Moyashi.
Lavi rigola en voyant Kanda tout faire pour ne pas le réveiller et essayer de bouger subtilement sa tête, qu'Allen venait reposer immédiatement dans le même angle. Kanda se connaissait, si Allen recommençait à lui ronfler dessus, ça allait l'irriter et le Moyashi passerait par la fenêtre.
Aussi adorable soit-il à se reposer contre lui.
« Il est têtu, notre petit Allen. »
Kanda grogna pour toute réponse. Lavi se gratta l'arrière du crâne, soupirant.
« Allez, Yû, tu vas pas m'en vouloir éternellement, si ?
—T'en fais des belles depuis qu'on est sur cette mission. Et m'appelle pas comme ça. »
Fronçant les sourcils, Lavi croisa les bras tout en soulignant :
« Celui qui m'a juré qu'il allait me tuer si on ne trouvait pas Allen l'autre soir, c'était qui, Kanda ? »
Se renfrognant, Kanda faillit lever le ton, interrompu par le ronflement d'Allen qui venait comme ponctuer la répartie de Lavi. Kanda croisa les bras à son tour.
« On va pas revenir là-dessus.
—Non, mais reconnais que je suis pas le seul à agir bizarrement. »
Kanda fronça les sourcils. Il ne savait pas trop où le rouquin amenait cette conversation. Ou alors trop.
« Qu'est-ce que tu essaies de me dire ? »
Lavi sourit. Plus détendu, il décroisa les bras et les ramena derrière sa nuque, s'appuyant contre ses mains en s'étirant encore. Ses muscles craquèrent. Kanda songea qu'il aurait peut-être besoin de s'étirer aussi, certains endroits de son corps commençait à lui peser. Il se sentait noué dans le dos.
« En fait, je suis juste... content pour toi. T'as accepté Allen et ça te fait du bien, dis pas le contraire. »
Kanda se sentit alors embarrassé. Ouais, même lui, Kanda Yû, pouvait ressentir ce genre de conneries. Surtout quand il pensait il n'y a même pas quelques minutes qu'il tenait à Allen d'une façon particulière.
« Si tu parles d'être son partenaire, j'ai pas encore donné ma réponse. Oublie ce que t'as vu dans la chambre, d'autant que je vois pas en quoi ça te regarde, » se contenta-t-il de rétorquer tout bas, froidement. « Mêle-toi de tes affaires. T'en as assez fait. »
Pour cacher sa frustration et sa gêne, il se remit à regarder dehors, fixant froidement l'extérieur, une main sous le menton, le coude contre l'habitacle de manière désagréable mais qu'il ignora scrupuleusement. Il rongea littéralement son frein.
Et Allen ronflait encore plus fort contre lui.
Bordel.
Lavi émit un soupir.
« Ouais, pardon, j'ai pu être maladroit. Je me suis pas excusé auprès de toi, j'aurais dû. Mais Yû, sans déconner. Que tu en aies conscience ou pas, pour moi, t'es un ami. Et pour Lenalee aussi. On veut ton bien. Et je pense que quoique tu décides pour ce qu'Allen t'a demandé, ce sera la bonne décision. »
Kanda haussa un sourcil. Il ne put s'empêcher d'être un peu sur le cul. Lavi lui souriait idiotement, avec la même façon dont il s'adressait habituellement à ses deux compères. Une telle bienveillance l'étonna. Pour être franc, Kanda trouva qu'il n'avait rien fait de spécial pour mériter ça.
« Comment tu peux être sûr ? Vous avez l'air de drôlement vouloir qu'on se mette ensemble, lui et moi, avec Lenalee. Alors que ça vous concerne pas, putain. On se tue à vous le dire. Il est assez idiot pour vous raconter des trucs mais pas moi. »
Il était content d'avoir l'occasion de le préciser. Sentant tout de même l'hypocrisie dans ce genre de propos, Kanda poursuivit avec un sourire cynique, chuchotant pour ne pas réveiller Allen :
« Me dis pas que si je disais non, tu trouverais pas que je prends une mauvaise décision. Me la fais pas. »
Ce n'était pas vraiment dans ses plans, ça dépendait surtout de ce que lui dirait Allen. Mais ça, ça ne regardait pas Lavi.
Ce con finirait par le savoir s'ils étaient un couple. Le plus tard possible, cependant, et Kanda mettrait les choses au clair avec son abruti personnel concernant ce point.
Lavi haussa les épaules.
« Je sais que ça nous regarde pas, promis, on veut pas interférer. C'est pour ça que je te dis tout ça. En vrai, j'en sais trop rien, mais je pense que tu tiens assez à lui pour faire attention et quoiqu'il arrive, ce sera ce qu'il faut. »
Kanda se sentit alors bizarre. Lavi... ne se cachait pas derrière la plaisanterie. Il était sincère. Ce foutu embarras revenait.
« Si tu le dis. »
Il se remit à fixer dehors, se mordant la lèvre pour chasser les sentiments diffus qui montaient en lui. Bordel, il n'aimait pas ça. Et l'autre couillon qui se mettait à baver sur sa cuisse à force de ronfler comme un porc ! Kanda souleva le visage d'Allen en grondant, dépité.
« ... Eh ben dis donc, t'es un peu tout rouge, Yû. Qu'est-ce qui t'arrive ? »
Kanda eut du mal à ne pas gueuler de rage, surtout pas alors que le maudit pionçait tout son soûl.
« Toi, quand on arrive à l'Ordre, je te fais ta fête, » appuya-t-il en changeant sa position.
Allen consentit enfin à mettre sa tête dans un angle qui ne le faisait pas ronfler. Lavi rit encore.
« Lors d'un entraînement si tu veux, mais pas aujourd'hui, j'ai du sommeil en retard, si t'as pas remarqué.
—Si je te bute t'auras tout le temps de dormir, t'en fais pas pour ça.
—Des menaces, Yû, toujours des menaces. Sois un peu plus sympa. J'y peux rien, si tu rougis, moi. »
Kanda ne retint pas le "je t'emmerde" franc, venant du coffre, qui monta dans sa gorge. Allen gémit contre lui un mélange de sons inintelligibles avec un "qu'est-ce qui se passe". Il se redressa, une main sur le front, avisant la tension présente entre Lavi et Kanda. Enfin, de Kanda envers Lavi, surtout. Fidèle à lui-même, le rouquin n'en avait pas grand-chose à faire, de se faire râler dessus par Kanda.
On aurait même dit, à s'y méprendre, qu'il aimait ça.
« Vous vous disputez encore ? Mais c'est pas vrai, ça ! » s'agaça Allen. « Lavi, qu'est-ce qui se passe encore ?»
Lavi ne put s'empêcher de se marrer. D'habitude, c'était à Allen et Kanda à qui on disait ce genre de trucs.
« Ben, écoute, tu lui baves dessus, et je crois que ça fait de l'effet à Yû... Regarde son visage ! Il est cramoisi. Je trouve juste ça marrant. »
Il n'était pas rouge à ce point — ou c'était de la colère. Kanda fut saisi d'une honte singulière qu'il n'aima pas ressentir en croisant le regard d'Allen. Ainsi que d'une envie de meurtre beaucoup plus familière. Immédiatement, ressentant sans aucun doute la même honte que lui, Allen se confondit en excuse :
« Mince, pardon, Kanda, j'ai pas voulu... »
Rien à foutre. Kanda l'ignora en portant la main à son katana. La lame de Mugen ne tarda pas à luire en quittant son fourreau. Lavi se recula, comprenant qu'il avait encore été trop loin... mais trop tard.
« Je vais te tuer, le Baka Usagi, je vais t'étriper dans cette voiture même. J'te jure que tu vas t'en rappeler, de cette mission.
—Kanda, c'est bon, il plaisante ! C'est pas grave !
—On verra s'il rira encore avec la tête en moins. »
Lavi se recula à l'autre bout de la banquette, mettant ses mains devant son visage et relevant ses jambes, prêt à donner des coups de pieds.
« Alors, sache que la décapitation, pour tuer quelqu'un, c'est quitte ou double, surtout avec un katana. Faut être très doué et savoir où passer entre les os, sinon, tu devras t'y reprendre à plusieurs fois et j'ai pas trop envie de mourir comme ça.
—Je peux toujours t'éventrer, menaça Kanda en s'avançant, attrapant la cheville de Lavi qui glapit. je suis sûr de pas manquer mon coup.
—Mais je peux mettre plusieurs minutes à agoniser ! J'te jure, c'est un tout aussi mauvais plan.
—Pour toi. »
Secouant la tête, le rouquin perdit sa malice lorsque Mugen fut pointée contre sa pomme d'Adam.
« Pour toi aussi, tu devras supporter mes gémissements de douleurs. Le sang et les tripes, ça pue, en plus. »
La main sur l'épaule du kendoka, en dépit de son propre agacement, Allen finit par rire de la manière dont Lavi négociait sa vie à l'aide de ses connaissances sur les techniques d'assassinats. Même Kanda finissait par avoir un petit sourire, la scène devenait plus amusante qu'autre chose.
« Oui, épargne-nous ça, Bakanda, intervint le maudit. On est tous trop fatigués pour ça. »
Lavi se redressa doucement contre la porte derrière lui, Mugen glissant contre son plexus solaire. Il porta une main à sa gorge, à peine rougie.
« T'as vu, même Allen veut pas voir ça ! » Plaintif, il ajouta : « Pense à lui, ne le traumatise pas, il est si jeune !
—Va te faire voir, Lavi !
—Mais dis-lui, Al, qu'il baisse son épée !
—Si tu joues à l'énerver, et à m'énerver aussi, c'est ton problème.
—Faux-frère ! »
Allen leva les yeux au ciel et posa sa main sur le bras de Kanda, prononçant son nom avec un ton doux, destiné à le pacifier. Sur un énième grondement, Kanda soupira.
« C'est bon, fermez vos mouilles.
—On peut plus rien dire, j'vous jure.
—Lavi, des fois, faut arrêter. »
Secouant la tête, le maudit envoya à Lavi un regard appuyé, son visage effaré suggérant plutôt deux fois qu'une qu'il en faisait vraiment trop. Le prochain éclat de Kanda ne serait pas gratuit. Le borgne saisit le message puisqu'il ne dit plus rien. À la bonne heure. Kanda n'aurait pas la patience de supporter cet énergumène éternellement. Il commençait à arriver à saturation de son humour lourd-dingue, surtout à ses dépens.
Rangeant Mugen, Kanda signala ainsi à Lavi que c'était la dernière fois. Ils se rassirent dans le silence, la voiture s'engageant dans les petites routes menant vers le port. Ils traverseraient jusqu'à l'île où se trouvait le QG des Exorcistes. Ils n'en avaient plus pour longtemps. Allen caressa Timcanpy tout en soupirant, visiblement content d'être presque arrivé. Kanda ressentait la même chose. Son lit lui avait manqué, malgré l'habitude des missions longues avec les retours tout aussi crevant.
Cette fois-ci était particulière.
Kanda désirait tout de même profiter du sommeil pour enchaîner avec une méditation bien méritée. Il voulait faire le vide et vérifier que ses résolutions étaient bonnes.
Il n'avait que peu de doute, mais agir avec un esprit avisé était toujours mieux que de foncer tête baissée. Quand bien même il pouvait faire autant l'un que l'autre selon les circonstances, Kanda n'était pas si idiot. Allen avait beau croire qu'il était du genre à ne réfléchir qu'après ses actes, c'était faux.
Pas quand c'était aussi important.
Lavi n'avait jamais été aussi heureux de retrouver Howard.
À peine arrivés sur la terre ferme, le rouquin avait laissé Allen et Kanda en arrière. Du coin de l'oeil, il avait pu remarquer que l'alpha et l'oméga ne s'étaient pas plus adressés la parole que ça, partant chacun en direction de leur chambre sur un signe de tête mutuel. Lavi n'avait rien dit du reste du trajet, il avait bien compris que Kanda était encore sous tension. Tout à l'heure, ses paroles avaient été sincère. Il faisait confiance à Yû pour prendre une décision qui lui conviendrait à lui — car s'il adorait l'emmerder, Lavi n'avait pas que le bien-être d'Allen en tête — sans blesser Allen quoiqu'il arrive. Il ne se faisait pas trop de souci avec ce qu'il avait failli voir — ces deux-là étaient adorables — mais on ne pouvait pas savoir.
De toute façon, Yû avait encore une fois raison : ça ne le regardait pas.
Ses propres tourments, eux, le regardaient en revanche beaucoup plus.
Il savait qu'il aurait dû aller saluer son grand-père resté à l'Ordre le premier. La seule personne qu'il voulait voir, c'était Howard.
Il avait fait le tour du quartier général pour le trouver, parcourant les grands couloirs, le jardin central, jusqu'à se rendre à la bibliothèque, essayant de se montrer discret car il ne voulait toujours pas que Bookman le repère s'il travaillait ici.
Parcourant les rangées, il finit par trouver son amant, attablé dans l'endroit le plus reculé, une pile de dossier sur son bureau et une petite assiette avec un sandwich juste à côté. Un verre d'eau rempli lui tenait compagnie.
Lavi l'observa avec une affection qu'il ressentit puissante : sa tresse dans son dos remontait de quelques millimètres lorsque sa tête pivotait au gré de sa lecture, et son front plissé témoin de sa concentration telle qu'il ne l'avait pas entendu. Il ne le remarquait pas non plus, debout sur le côté, à le regarder. En tant qu'alpha, il aurait dû percevoir le son de ses pas. Il ne prêtait donc aucune attention à son environnement quand il était happé par son travail.
Un sourire joueur aux lèvres, à pas de loup, Lavi se vint se placer debout derrière Howard, se penchant de manière à ce que sa bouche soit proche de son oreille.
« Salut, toi... »
Si son approche était teintée de romantisme, presque sensuelle — pas sa faute, sa libido s'était réveillée à la vue d'un tel sérieux qu'il désirait entacher, elle fut vite tuée dans l'oeuf lorsque le blond glapit, se redressant si vite que son crâne se cogna au nez de Lavi. On aurait dit que le blond venait de se prendre un seau d'eau froide dans le dos. La douleur aigu dans son nez calma la fougue du jeune archiviste.
Il se tint le visage à deux mains, de petites larmes aux coins des yeux. Non, il en était carrément rendu à chialer.
Si ce n'était pas le karma qui le rattrapait pour ses moqueries envers Kanda, il ne savait pas ce que c'était.
« Oh, bon sang, Lavi ! Tu m'as fait une de ces peurs.
—Mon nez l'a bien compris... »
La douleur lui était remontée dans le cerveau et il avait de la chance de ne pas saigner.
Pour une tentative de séduction, c'était pour le moins raté.
Réalisant soudain ce qui venait de se passer, Howard afficha dans la seconde un air désolé. Il avisa la figure blessée de Lavi, doublé de la façon dont il se tortillait en sifflant entre ses dents. Howard porta une main à l'épaule de Lavi, le maintenant en place tandis que son autre main dégagea les siennes pour observer son nez. Un peu rougi, il n'avait pas pris un coup si violent, ça ne saignait toujours pas. Ça le lancerait un peu quelques instants, rien de grave.
« Je suis vraiment désolé. Ça va ? » Avant que Lavi ne réponde, son visage blasé étant éloquent, Howard attrapa son verre : « Tiens, bois un peu d'eau. »
Lavi s'exécuta.
Il avait encore la tête qui tournait, mais ce n'était rien de méchant. Howard l'embrassa sur la joue. Tout de suite, ça allait mieux. Loin de se contenter d'une affection si chaste, Lavi attira sa bouche contre la sienne, ne tardant pas plus que ça à passer le bout de sa langue entre les deux lèvres d'Howard. Il fut repoussé gentiment, un autre baiser, cette fois-ci sur le front, lui étant administré.
« Je n'ai pas le temps de batifoler, Lavi. J'ai toute cette montagne de dossier à examiner, et j'ai une réunion dans deux heures. »
Il porta un regard à son poignet, regardant sa montre-bracelet — un véritable objet de luxe, ça ne faisait même pas dix ans qu'ils avaient commencé à en fabriquer, il était tellement chanceux d'en avoir une !
« Putain, il me reste même pas une heure. »
C'était si rare d'entendre Howard jurer que ça fit rire Lavi.
« Allons, je peux peut-être t'aider. C'est un peu ma fonction, à moi aussi, de fouiller des documents chiant. Qu'est-ce que tu cherches ? Une information précise ?
—C'est secret défense, chéri. Tu n'es pas habilité à être au courant. »
Lavi rougit. Il était encore embarrassé dès qu'Howard l'appelait "chéri". Il ne détestait pas ça. C'était une forme d'affection bienfaisante. Il avait beau en être surpris, ça se faisait si naturellement. Ça le tuait encore plus de se dire qu'il était lié à cet enfoiré de Mikk, parce que sa relation avec Howard était si parfaite. S'il y pensait froidement, c'était pourtant bien avec Tyki qu'il devrait, en toute logique, avoir ce type d'échange... Bordel, l'idée d'appeler ou de se faire appeler "chéri" par Tyki Mikk, ça lui donnait une envie de rire et de vomir... en même temps.
Il eut du mal à ravaler le dégoût qui montait en lui, bien qu'en face de lui, ce soit Howard Link qui lui souriait gentiment et qui n'avait absolument rien dit de mal.
Lavi étira ses lèvres en un sourire factice.
« Trop de secrets, toujours, avec toi... Je suis un Bookman, tu pourrais m'en parler ! »
Howard se laissa retomber sur sa chaise en prenant son sandwich dans lequel il mordit avec rage.
« Si tu crois que ça me fait plaisir. Luberrier refuse qu'on vous mette au courant de ça. Pas maintenant. Et il me fait fouiller tout les rapports existants de l'Ordre depuis des mois. Il me fait voyager dans toutes nos branches, je ne suis encore allé ni en Océanie ni au Moyen-Orient et j'ai déjà failli y rester à la branche Asiatique. »
Lavi fronça les sourcils.
« Y rester ? Comment ça ? »
Howard haussa les épaules. Il avait englouti son sandwich d'une traite.
« C'est encore quelque chose dont je ne peux pas te parler. Tout ce que je peux dire, c'est que ce projet m'agace. »
De plus en plus intriguant. Howard serait une tombe, insister ne servirait à rien. Lavi avait déjà essayé, surtout en arguant que comme maintenant, soit il acceptait de lui en dire plus parce qu'il en révélait trop — parce que merde, il voulait comprendre — soit pas assez.
Plissant les yeux, Lavi passa un doigt sous le menton du plus âgé, le caressant subrepticement.
« ... Tu aurais peut-être besoin de batifoler pour oublier. Tu diras que tu n'as pas avancé une fois à ta réunion, parce qu'il y a encore trop de recherches à faire. Ta pile est immense, ça passera crème. Crois en l'expert, tu descendras jamais tout ça en une heure. Je dis ça, je dis rien. »
Lavi lui adressa un clin d'oeil, tentant de nouveau sa chance. Riant, loin de se vexer, le blond but dans le verre d'eau à son tour.
« Tu t'éloignes de moi quelques jours et tu n'en peux déjà plus. Tu vas me supplier, bientôt ? »
Il ne fallait pas exagérer, pourtant, Lavi rentra son jeu.
« Si je te dis oui, ça te plaît ou ça t'offusque ?
—Ça me plaît. Viens par là. »
D'un même geste, Howard balaya la pile de dossier, la faisant glisser sur le côté, et attira Lavi contre lui. Il l'embrassa avec passion, mêlant sa langue à la sienne. Il s'arracha à leur baiser, venant glisser sa tête dans son cou. Ses mains commencèrent à déboutonner son pantalon et sa chemise. Lavi n'était pas du genre à ne pas initier de geste en retour, mais il n'en avait pas le temps. Howard prenait le contrôle, il était — malgré lui — sa poupée de chiffon. Et il bandait déjà. Son érection se dressa davantage dans son pantalon lorsque son amant commença à descendre petit à petit sur son torse. Sa bouche mordilla ses tétons, la sensation fraîche le faisant hoqueter, avant de se poser au milieu de son ventre.
Lavi frissonna.
Howard libéra sa queue de son pantalon, et l'engloutit sans sourciller, jusqu'à la garde. Sans aucune sommation.
Au comble de l'excitation, Lavi renversa sa tête en arrière, ne retenant pas son gémissement de plaisir. Ses sons ne tardèrent pas à se succéder. Howard avait deviné ce dont il avait besoin sans même qu'il n'ait à le verbaliser.
Ses cuisses tremblèrent, tout son bas-ventre et son sexe stimulé de la meilleure des façons, et Lavi oublia tout. Il n'y eut plus que la bouche humide de Howard, sa tresse longue à laquelle il s'agrippait, sa fichue langue qui épousait sa queue.
Au moment où l'orgasme commença à l'emporter, les yeux de Lavi se posèrent par inadvertance sur une des pages du dossier de l'inspecteur, encore suffisamment proche d'eux pour qu'il arrive à lire.
Le choc qui l'envahit le désarçonna, alors que son plaisir explosait. Howard choisit cet instant précis pour caresser son anus d'un doigt humide. Lavi éjacula, fermant les yeux.
Howard avala sa semence, continuant de le sucer jusqu'à ce que ses sursauts s'arrêtent, le tremblement de ses cuisses s'évanouissant avec lui. Il se redressa alors pour grignoter son cou avec une possessivité flagrante. Lavi ne se remettait pas de son orgasme, pas plus que de sa découverte. Il haletait, hagard, le corps tremblant de plaisir.
Loin de sa préoccupation, Howard avait d'autres idées.
« Suce-moi, toi aussi, et prends mon noeud jusque dans ta gorge, » ordonna-t-il contre l'oreille de Lavi. « Fais-toi jouir à nouveau au moment où il grossira. »
Le rouquin hocha vivement la tête, son excitation s'en trouvant accrue. Il ne l'aurait pas dit à haute voix, pourtant, il adorait quand l'Allemand lui donnait des ordres.
Lavi avait beau adorer se faire doigter ou sucer, il ne laissait toujours pas Howard le prendre, c'était toujours lui qui était au-dessus, ça n'avait pas changé. Il appréhendait le nouage avec son anatomie de bêta, ou du moins, c'était ce qu'il croyait jusqu'à présent. Il aurait bien tenté le risque s'il n'était pas sûr qu'Howard ne risque pas de le blesser et de découvrir quelque chose en lui qu'il ne connaissait même pas. Ç'aurait été le pire, qu'Howard constate comme ça qu'il avait un autre statut. Ça aurait détruit la confiance entre eux, Lavi n'aurait même pas su s'expliquer. Ça aurait été terrible.
Étrangement, Howard n'essayait pas de négocier pour qu'ils essaient, il semblait avoir compris que Lavi n'était pas prêt à ça et que ça n'arriverait pas.
Une part de Lavi s'en voulait de ne pas s'offrir entièrement et désirait pouvoir s'abandonner en ne craignant qu'une douleur. L'autre était toujours terrifié.
Ça ne l'empêcha pas de se dévouer durant sa fellation comme Howard s'était dévoué pour lui.
Il avait aussi à réfléchir, car ce qu'il avait lu ne lui disait rien qui vaille.
Lavi ne comprenait pas quelle chimère Luberrier avait décidé de réveiller, ni pourquoi.
Allen avait facilement dormi jusqu'à 16 heures de l'après-midi. Il fut réveillé par Link qui déposa un plateau rempli de nourriture avec un verre de lait sur la table de chevet. L'odeur alléchante le mit d'une humeur encore meilleure que celle avec laquelle il avait émergé. Les membres ankylosés, de probable poches sous les yeux, il s'étira, Timcanpy commençant déjà à virevolter autour des plats dès qu'Allen fit mine de tendre la main pour attraper un sandwich.
« Laisse-moi en au moins un, » demanda Link en s'asseyant à côté d'Allen. « Je sors d'une réunion épuisante et j'ai pas eu trop le temps de manger, j'en ai aussi pris pour moi. »
S'il aurait pu tout engloutir comme un mal propre, Allen sourit à pleine dents en tendant son sandwich à Link. Évidemment qu'ils allaient partager ! Il était vraiment content de le revoir, encore plus de prendre un encas à ses côtés. Il n'osait toujours pas demander pourquoi diable il ne le surveillait plus autant, et si ça lui faisait bien sûr plaisir de se retrouver un peu seul, notamment avec Kanda, il aimait la compagnie de Link. Il se doutait que s'il avait été présent sur cette mission, il l'aurait au moins engueuler autant que Kanda. L'image d'un Link se joignait au kendoka pour lui expliquer à quel point il était un abruti écervelé lui fit remercier le ciel qu'il n'ait pas été là.
« Tu as l'air de bien bonne humeur, malgré ça, » sourit-il. « Ça s'est bien passé ? »
Link eut les joues un peu roses. Allen ne comprit pas bien pourquoi.
« On va dire que ma maigre pause m'a ressourcé. La réunion... s'est passé. »
Allen rit gentiment. Il sut qu'il ne devait pas en demander plus, l'agacement de Link se dessinant dans sa mâchoire à la pensée de ce mauvais moment. Il posa sa main sur la sienne, souhaitant ainsi lui transmettre du réconfort.
« Je suis content que tu aies pu au moins te détendre un peu. Ça me fait plaisir de te revoir. »
Il le verbalisait sans problème. Après tout, Link et lui avaient dépassé ce stade.
« Moi aussi. »
Attendri, le blond vint lui caresser la tête. Allen appréciait cette forme d'affection. C'était bizarre à dire, mais Link prenait soin de lui presque comme un parent l'aurait fait. Avec ses inconvénients et ses bons côtés. Suffisamment bon pour qu'Allen l'accepte sans broncher, là où, venant de quelqu'un d'autre, ça aurait pu le vexer.
Ils mangèrent, discutant de choses et d'autres. Allen voyait bien le stress sous-jacent dont le plus âgé était victime. Ses épaules se raidissait, il semblait avoir un point dans le dos à la manière dont il tentait de se remettre un muscle des omoplates en place. Il avait ce réflexe assez régulièrement pour que ça saute aux yeux. S'était-il vraiment blessé ? Ça le faisait s'interroger encore plus quant à ce sur quoi il travaillait. Il aurait aussi bien aimé aussi le questionner par rapport aux gardiens, Link connaissait des secrets de l'Ordre, après tout. Toutefois, comme Lavi le lui avait dit, cette information était sensible, il ne pouvait pas faire confiance à Link pour être sûr que ça ne reste qu'entre eux.
Ça devenait frustrant, car Allen n'aimait pas ne rien comprendre. Comme pour beaucoup de choses, il était obligé d'apprendre à faire avec cette frustration. Ça restait quelque chose de profondément contrariant.
Link finit par le prévenir qu'il voulait faire une sieste. Il en avait bien besoin. Allen jugea qu'il serait préférable de le laisser tranquille, annonçant qu'il allait de toute façon voir si Kanda était réveillé. Il sentait son ventre se tordre, mais ce n'était pas si désagréable. Cette fois, ils seraient seuls, et s'il devait s'embrasser ou discuter, personne ne les interromprait. Il se demandait toujours ce que voulait dire ce baiser avorté. Une douce chaleur se réinstallait dans son ventre quand il y pensait.
« Tu sens un peu fort, Walker. Il y a un problème ? »
Allen se recula à peine, sous la surprise. Il oubliait parfois que Link était un alpha, en plus d'être assez proche de lui pour pouvoir détecter un afflux de phéromones importants. Il troqua vite son bref étonnement pour un sourire, touché par l'intérêt de Link. Il refoula la pointe de gêne derrière sa façade aimable.
« Oh, non, tout va bien.
—Tu en es sûr ? Mon nez ne me trompe pas. »
Opinant, Allen se dirigea vers la porte.
« T'inquiète pas. Bonne sieste, Link. À tout à l'heure. »
Si Link ne fut pas dupe, il s'allongea sur son lit sans batailler.
Allen n'était pas encore angoissé. Il ne savait même pas s'ils allaient en parler aujourd'hui. Kanda le voulait, et lui aussi, surtout avec leur rapprochement. Malgré ça, l'idée de laisser la question en suspend l'avait en fait apaisé. Kanda avait eu raison. Allen le ressentait ainsi — encore maintenant, il aurait préféré reporter tout ça. Et c'était, quelque part, une certaine lâcheté qui se comprenait autant qu'elle était ridicule. Allen peinait à dépasser ce stade. Si Kanda initiait la chose, Allen s'y plierait à son tour.
Si Kanda se montrait finalement plus réservé, Allen prendrait son mal en patience. Ils auraient le temps.
Le baiser aurait pu faire pencher la balance. Ça ne semblait pas si pertinent de ne se fier qu'à ça. Kanda l'avait déjà embrassé pour "essayer", alors qu'Allen l'avait fait lors d'un moment de courage où il avait cru pouvoir se déclarer, la réaction du kendoka faisant s'écrouler sa confiance. Allen ne savait pas si pour Kanda, c'était de la pulsion, de l'affection platonique qui prenait une dimension telle à cause des désirs du lien, ou... autre chose. Il fallait demander, il le ferait. Ça ne lui divulguait rien de sa réponse. Kanda était... imprévisible, tout en l'étant parfois trop.
Il y avait encore des points qui le faisait réfléchir, quand il pensait à leur discussion à l'hôtel. Le "peu importe" de Kanda, quand Allen avait dit qu'il ne souhaitait pas que l'alpha se méprenne sur ses sentiments pour lui, ou plutôt qu'il les comprenne en vérité. Ça pouvait vouloir dire tellement de choses. Le fait que Kanda avait déclaré qu'il serait investi, qu'il était déjà investi, s'il disait oui. Il avait dit ces mots avec tant de naturel ! N'était-ce pas un moyen de sous-entendre qu'il l'acceptait ?
En y pensant sous cet angle, Allen ne voulait pas y croire, ça l'aurait rendu tellement heureux. Il aurait aimé que Kanda ressente ça aussi. Ça l'aurait rassuré. Il n'aurait eu aucune raison d'avoir peur que leur relation ne soit entaché par sa faute.
Il culpabiliserait de lui imposer des sentiments non réciproques. Ce serait aussi horrible que d'affronter son rejet.
Il fallait bien en avoir le coeur net, tout ça ne pouvait pas rester en suspend éternellement. Allen attendrait quand même d'aviser la position de Kanda avant d'entrer dans le vif.
D'abord, il devait le trouver.
Ce ne fut pas bien difficile. Kanda n'était pas ni à la salle d'entraînement, ni dans le jardin, ni dans une salle de loisir... cela signifiait donc qu'il méditait.
Allen aurait pu se sentir coupable de déranger sa séance de méditation. Au détail près qu'il décidait, pour une fois, d'y participer pour de vrai. La porte était ouverte, le tatami vert brillait, et sur la petite table, une tasse de thé fumante. D'habitude, Kanda s'enfermait pour que ni lui ni Lenalee ne vienne l'ennuyer. Qu'il ne l'ait pas fait lui donnait l'impression que Kanda l'attendait. Allen n'était pas prétentieux au point d'imaginer que c'était le cas.
Il donna un toc timide à la porte, et alla s'asseoir à côté de Kanda. Le kendoka ne réagit pas. Le message était clair, il se concentrait.
Fermant les yeux à son tour, il croisa les jambes, imitant la position de Kanda, et fit le vide. Il parvenait à sentir l'odeur de l'alpha, se laissant apaiser par celle-ci. Le silence l'engloutit. Avant qu'il ne s'en rende compte, Allen recommença à s'endormir. Il avait vraiment mal récupéré du voyage et ses habitudes de sommeil désastreuses se faisait ressentir — encore une fois, dès qu'il en avait l'occasion, Allen aimait dormir. Ça ne l'empêchait de ne se reposer trop souvent qu'entre cinq et six heures par nuit, entre les missions, les fois où il s'angoissait et celles où il culpabilisait bêtement de se reposer. Il s'obligeait à utiliser ce temps libre pour s'entraîner.
Link l'avait déjà morigéné sur le sujet, bien que là-dessus, vu le nombre de fois où il dormait à la bibliothèque et sans doute pas du tout à cause de Lavi, il n'était pas mieux.
Allen s'autorisait rarement à se reposer à ce point. Il somnola donc un moment.
« Mais c'est que t'es parti loin, » se moqua la voix de Kanda.
Il réveilla ainsi Allen en un sursaut, accompagné d'un geignement peu gracieux. Cela tira un rire moqueur à Kanda, si le maudit rougit de honte en ayant une moue.
« J'ai peut-être pas que médité, en effet. Te moque pas. Désolé. »
Il reprit la position, et ferma les yeux de nouveau. Kanda posa une main sur son épaule, Allen levant son regard.
« J'ai terminé, si t'as envie de discuter. »
Ah.
Alors Kanda n'y allait donc pas par quatre chemin. Allen sentit cette pointe d'anxiété revenir, pour laquelle il se gronda : il n'était pas si lâche, alors tant pis, il encaisserait. Il n'allait pas avoir peur du Bakanda, à la fin. Ni de ses réactions. Pas à ce point. Ça restait Kanda. Si on lui avait dit, il y a plus de six mois quand tout avait commencé, qu'ils en seraient là, Allen n'y aurait pas cru. De même si on lui avait parlé de ça au début de son arrivée à l'Ordre. Que quelqu'un comme Kanda et lui aient ce type de lien... dans tout les sens du terme... il y aurait été farouchement opposé. Mais maintenant, avec ses sentiments et ce qu'ils connaissaient l'un sur l'autre, tout était différent.
Allen ne jouait pas non plus qu'une relation amoureuse avec Kanda. Il jouait une amitié sincère battit sur du concret qu'il ne voulait pas perdre. Quelque chose de profond et d'indicible qui dépassait leur lien d'alpha et d'oméga.
Il déglutit, forçant un sourire.
« On peut. Ici ?
—Tch. Je sens tes odeurs, si t'es toujours pas prêt. »
Allen secoua la tête.
Ça l'irritait, mais il n'y pouvait trop rien.
« C'est juste un réflexe idiot, pardon. Je n'ai pas de raison de m'inquiéter. »
Kanda fronça les sourcils, aussi, Allen craignit de l'avoir vexé... pour une raison qu'il ignorait, ou à l'inverse, la pensée le traversa comme un spasme électrique, et la peur le saisit à l'idée de donner l'impression à Kanda qu'il pensait, à cause de leur baiser avorté, avoir compris ce qu'il dirait. Il se mordit la lèvre, s'empressant de se corriger :
« Je veux dire, j'accepterai ta décision, quelle qu'elle soit, et je ne veux pas que tu penses que je veuille que tu dises oui en quoique ce soit. Je suis prêt à ce qu'on discute. »
Il espérait ainsi poser une base qui mettrait Kanda en confiance et ne le placerait pas lui-même en difficulté. Kanda croisa les bras à son tour. Il hocha la tête, calmement.
« Justement, ma réponse c'est qu'avant de décider quoique ce soit, je veux savoir ce que, toi, tu attends honnêtement de moi, avec tout ça. »
Cette parole sur ce visage indéchiffrable.
Allen se sentit perdu par cette entrée en matière. La manière dont Kanda s'exprimait... C'était une question légitime en soit, d'accord... sauf qu'il ne comprenait pas bien ce que Kanda voulait dire par-là. Ce qu'il avait exprimé au début lui semblait assez, il creusait alors que ce n'était pas son genre. Il n'avait pas dit qu'il avait pris une décision, à l'hôtel ? Pourquoi ne lui disait-il pas juste s'il le voulait ou non ? C'était simple. Pourquoi l'interroger ainsi quand il était clair qu'Allen cherchait juste à savoir s'ils pouvaient honorer leur lien, en l'état actuel des choses ? Pourquoi poser ces questions si précises ?
Il se sentit mal à l'aise, poussé dans ses retranchements.
Une sensation d'angoisse lui montant à la tête, Allen sentit qu'il avait soudain chaud. Il tenta de conserver son calme.
« Hm... Je... comprends pas ce que tu veux dire, » dit-il honnêtement. « Tu m'as dit que tu avais une réponse à donner. Si c'est pour me dire non, tu peux y aller. Il n'y aucun problème. Je t'ai dit ce qui me poussait à demander ça, tu peux donner ton avis. »
J'aimerais bien savoir pourquoi tu as failli m'embrasser, de mon côté, en tout cas.
En ayant prononcé ces paroles, Allen réalisait qu'il était encore plus paumé. Dans son esprit fusait encore le flash du baiser qu'ils avaient failli échanger. C'était quelque chose de bizarre, merde, Allen se mettait vraiment à croire que c'était juste une pulsion du moment à laquelle l'idiot sans cervelle que pouvait être l'alpha avait succombé. Regrettait-il, maintenant ? Pourquoi se moquer de lui et faire tout un théâtre si l'issue était un simple non ?
Il se sentit triste, un peu en colère, et frustré. Encore. Allen comprit ainsi quelque chose : ces baisers sans communication préalable, c'était une erreur.
Kanda dut le sentir puisqu'il gronda doucement. Assez fort pour qu'Allen l'entende.
« C'est ça, ma réponse. Je veux savoir pourquoi tu m'as posé cette question, » devant le regard d'Allen, il développa : « Tu veux qu'on construise quelque chose, et tu veux que si on se rapproche, on choisisse ce que sera notre relation. D'accord, c'est nécessaire. Surtout quand tes chaleurs reviendront. Il faut qu'on soit clair sur ce qu'on fera ou pas avant. Mais si tu veux être mon partenaire, c'est avec quelles intentions ? Tu veux construire quoi ? »
Kanda tapait encore une fois dans le mille et Allen paniqua, oubliant toute contenance. Il se mit à bégayer, ne trouvant pas ses mots, Kanda le fixant avec une expression imperturbable. Allen se fichait de ça, d'habitude. Parfois... il aurait aimé que Kanda soit plus expressif. C'était compliqué, de lire en lui.
Pour sa part, il avait la sale impression d'avoir été percé à jour, il en fut persuadé, et la peur qu'il ressentit fut réelle. Kanda commençait à se fâcher, s'il se fiait à son grondement. Était-ce son incertitude manifeste qui l'irritait ou autre chose ? Allen prit une inspiration. Il ne souhaitait pas que ça se passe comme ça. Il fallait qu'il reste détendu, il n'y avait pas de raison de poursuivre cette conversation dans la panique, surtout qu'hier, tout s'était passé bien entre eux. Il se rassérénait, car si Kanda le sentait trop agité, il le deviendrait aussi de frustration. Il commençait à comprendre que l'autre garçon réagissait ainsi face à ses émotions trop brutes.
Il devait arriver à faire la part des choses, et la faire bien.
Toujours, les questions de Kanda étaient légitimes. Il devait garder la tête froide. Même s'il avait vraiment la trouille que ses faux pas fichent tout en l'air...
Allen tortilla sa lèvre inférieure entre ses doigts. Il réfléchissait à la manière de formuler ses propos. De façon à être clair pour Kanda et à prendre le moins de risque possible.
« Je ne sais pas vraiment s'il y a plus que tout ça. Ça me semble assez. »
Il rit nerveusement. Cette entrée en matière était en demi-teinte, il n'aurait rien ressenti qu'autre que de l'amitié pour Kanda, ça aurait pu être vrai et tout aussi sincère. Refouler ses sentiments avait un côté amère. Kanda eut une expression éloquente, les traits bas, blasé. Allen haussa alors les épaules, cherchant ses mots.
« En fait, ça va pas plus loin que ce que je t'ai dit. »
Ce mensonge lui coûtait. Mais Allen ne pouvait pas dire la vérité. Pas sans être sûr que ça serait bien accueilli. Tant pis pour la sincérité, il ne voulait pas perdre Kanda.
« J'ai la même chose à te dire que quand je t'ai posé cette question. On s'entend bien, et le lien ne part pas, mes chaleurs vont arriver, on veut nous marier... Je me dis que ça serait plus simple, et je veux qu'on prenne une décision sur ce qu'on va devenir plutôt que de subir les effets secondaires du lien. J'en ai besoin. »
Une vérité, noyée dans le reste.
« Je pense qu'on... peut avoir un avoir une relation platonique même si on honore le lien, tant qu'on la définit, et si on ne le fait pas, c'est mieux qu'on reste amis et qu'on définisse aussi ce qui est acceptable entre nous et ce qui ne l'est pas. C'est toi qui vois, mais je ne veux pas d'un flou. Je ne veux pas d'ambiguïté. »
Allen disait vrai pour ce dernier point. Ce ne serait sain pour personne.
Si Kanda lui disait non, Allen laisserait tomber l'idée d'être accepté par lui. Il ne serait pas assez naïf et persistant pour espérer que ça change si à ce stade rien n'arrivait. S'il avait tut le sujet jusqu'à présent, Allen laissa sa frustration ressortir :
« Et, à ce propos, tu as failli m'embrasser hier. Je comprends pas bien pourquoi moi non plus. Tu peux m'expliquer ? Soyons franc tous les deux, tu as raison. »
Pour ça, Allen ne put s'empêcher de pointer un visage agacé en direction de son comparse. À son tour de montrer sa réserve, un peu. Kanda lui soufflait du chaud et du froid. Soit c'était très maladroit, soit c'était très idiot, soit... il ne savait pas. Kanda ignorait peut-être ses propres émotions à cause des siennes. Ça ne l'aurait pas surpris. C'était déjà arrivé. Pendant ses chaleurs, certes...
Il n'avait pas envie d'en faire les frais, surtout pas avec ses sentiments.
Kanda recula, piqué au vif.
« Je n'ai pas failli t'embrasser. On a failli s'embrasser. »
Allen secoua la tête. Il était d'accord, dans les faits. Mais le premier, ça avait été Kanda. À part lors de ses chaleurs et lorsqu'il s'était senti poussé des ailes avant leur mission, Kanda avait intenté le geste en premier, pour ce baiser.
« C'est toi qui a initié, » souffla-t-il à juste titre.
Plissant le front, Kanda resserra ses bras entre eux.
« Si tu voulais pas, fallait me repousser.
—C'est pas la question, Bakanda. Je veux dire... Pourquoi, toi, tu as fait ça ? Dis-moi. »
Son coeur battit plus fort à ces mots. Sa tension monta en flèche aussi. Kanda soupira.
« J'aurais pas dû. J'ai merdé, et je me suis laissé emporté. »
Alors Allen avait vu juste. Il serra les dents.
« C'est pas une vraie réponse, Kanda. Tu t'es laissé emporté par quoi ? »
Allen se mordit les joues. Il ne voulait pas encore se disputer avec lui, pas après tout ce qui s'était passé, et l'effort qu'il faisait pour ne pas se montrer trop impatient avec Kanda était surhumain à ses yeux. Le kendoka devait ressentir la même chose avec lui, ça l'apaisait de se dire qu'ils faisaient ces efforts-là tous les deux.
Kanda haussa les épaules. Allen ne fut pas sûr de comprendre ce qu'il voyait sur son visage. Il semblait... déçu ? Mais déçu de quoi ? Qu'Allen mette en avant l'idée qu'ils pouvaient accepter le lien, finalement ? Ou bien, ce crétin croyait qu'il avait été indisposé par ses baisers ?
C'était tout l'inverse. C'était juste compliqué à verbaliser pour Allen.
« J'sais pas quoi te dire. On en a envie tous les deux. C'est pour les mêmes raisons que toi, je suppose. »
Ça m'étonnerait.
Allen soupira alors que Kanda n'affichait rien. Il se renfermait encore plus que d'habitude, lui qui baissait la garde, il avait l'impression de retrouver le Kanda d'il y a encore quelques mois.
Les paroles du plus vieux résonnèrent creuses en Allen. Ses odeurs durent refléter son désarroi pour lui.
« Ne m'envoie pas des odeurs comme ça, ajouta-t-il dans un souffle désabusé, sans même penser à demander ce que signifiait sa foutue odeur. Ça me semble évident. On est parfois dominé par cette saloperie. »
Avant qu'Allen ne songe à insister encore sur le pourquoi il avait eu cette envie malgré tout, Kanda le questionna le premier, coupant court à ce sujet :
« Laissons ça de côté. Ce que je veux surtout savoir avant de trancher, c'est si y a une autre raison que le lien qui t'a poussé à me le demander. »
Allen bégaya :
« Une autre raison ? Comme quoi ?
—Ne te fais pas plus idiot que tu ne l'es, Moyashi. »
Oh.
Le maudit devint blême.
Alors il avait raison de s'en faire, Kanda se posait des questions sur ses sentiments.
La bouche beaucoup trop pâteuse, une envie de vomir lui montant progressivement dans la gorge, il se contracta.
Il aurait pu tout dire.
Une part de lui le voulait.
Celle qui avait peur gagnait, parce qu'elle était plus forte.
« Il n'y en a pas, je te le jure, asséna-t-il d'une voix blanche. Ne t'en fais surtout pas pour ça. Je ne t'embarrasserais pas avec ce genre de choses. Rassure-toi, on est toujours tous les deux d'accord qu'entre nous, les sentiments... ça n'est pas possible. »
Allen n'était pas vraiment en train de mentir. C'était bien pour ça qu'il ne disait rien à Kanda.
Comme frustré de sa réponse — Allen le connaissait assez pour savoir que Kanda se montrait perspicace et décelait certain de ses mensonges, si, bien sûr, pas tous, Kanda secoua la tête. Il eut le regard froid.
« C'est vraiment le cas ? Y a rien d'autre ? »
Allen eut envie de pleurer et de fuir, tant il se sentait coincé. Il détesta vraiment cette sensation. Ses peurs se confirmaient. Kanda ne le croyait pas, il semblait énervé, il commençait à sentir des phéromones agacées, et ça l'effrayait tellement que ça n'en vienne là sans qu'il ne soit prêt. Il avait beau essayer de se couper de ce qu'il ressentait au mieux pour ne pas que Kanda n'en détecte trop — il ne savait pas si c'était la bonne solution, c'était difficile. Il arrivait à garder la tempête de ses émotions en lui. Il n'était pas sans ignorer que pour ça, il était impuissant, il ne parviendrait jamais à se camoufler autant que Kanda à cause du lien entre eux. Parce qu'il le sentait. Kanda ne donnait pas l'air de détecter quoique ce soit qui l'interpelait, ou pas assez pour qu'il n'en parle, alors ça devait marcher... pour l'instant.
Allen était proche d'une explosion à tout moment. Il prit une inspiration discrète.
Il regretta d'avoir eu cette demande en premier lieu. Il ne comprenait pas non plus ce que Kanda attendait de lui avec cette inquisition, pas plus qu'il ne comprenait son attitude. À part s'il avait compris ses sentiments — et dans ce cas, pourquoi ne pas le repousser une bonne fois pour toute ? — Allen ne voyait pas la raison de son insistance.
Il déglutit, passant une main dans ses cheveux blancs, expirant pour faire le vide. Leur conversation se passait... relativement.. bien, malgré tout. Il fallait continuer.
« Pourquoi tu ne me crois pas, Kanda ? C'est la vérité. Je tiens tout de même assez à toi pour me sentir assez à l'aise à l'idée de vouloir essayer. C'est si grave ? Ça te met en colère ? »
Allen ne pouvait pas refouler son angoisse, cette fois.
Lui qui avait cru que tout se passerait, certes, pas parfaitement comme il aurait souhaité, ça non... mais une part de lui se disait qu'étant donné qu'ils avaient réussi à se réconcilier, le reste serait... facile.
Ce n'était pas le cas. En fait, c'était maintenant le plus dur.
C'était à la fois décevant et stupide. Allen se sentit fébrile.
« C'est pas ce que je dis, persiffla Kanda. Je pose des questions, c'est tout. On a dit qu'on définissait les choses. Comment tu veux faire ça si on n'en parle pas ?
—Tu as raison, excuse-moi. »
Allen acquiesça. Il essaya de se calmer. Il le laissa parler, ne sachant toujours pas ce qu'il dirait avec tout ça. Kanda voulait sa réponse avant de trancher, et maintenant qu'il l'avait eu... Allen n'avait qu'à attendre sa décision, à lui.
Buvant son thé d'une traite, Kanda le fit claquer sur la table basse, transmettant sa rage sur l'objet. C'était mauvais signe.
« Écoute... Tout ça m'avance pas plus que ça. Je suis désolé, mais je crois qu'en fait, je peux pas décider de ça encore. J'sais pas ce qu'on doit faire, et je suis encore paumé. »
Cela adoucit Allen. Kanda avait la décence de s'exprimer sans détour, contrairement à lui. Il culpabilisa, mais le refoula. Il préférait ça, en l'état. Ça aurait pu l'énerver, et une part de lui avait envie de dire à Kanda qu'il se foutait de lui, que c'était une saleté de blague, de lui dire qu'il avait décidé et d'offrir une réponse comme ça. Pourtant, Kanda semblait sincère. Et sa sincérité ne donnait pas lieu à de la colère. Allen le comprenait. Il préférait ça plutôt qu'une réponse à la hâte.
Il dut tout de même puer, puisque Kanda vint poser sa main au-dessus de la sienne.
Ou bien, c'était ce qu'il allait ajouter qui en serait la cause.
« Tout ça me dérange, y a rien de naturel là-dedans. Comme quand tu voulais qu'on couche ensemble pour tes chaleurs, alors que t'es loin d'être prêt. On a décidé de ne pas le faire finalement. Là, c'est pareil. On va vers un truc qui nous convient pas. »
Allen haussa les sourcils, puis eut une expression contrite, Kanda venant de souligner quelque chose avec lequel il était bien obligé d'être d'accord, aussi.
Kanda reprit :
« Je pense qu'un jour, il faudra qu'on reparle de tout ça. Mais pas avant un moment. J'ai besoin de plus temps. On verra si le lien reste, et si c'est pertinent de prendre une autre décision. Jusque là... je préfère que ce soit non. On arrête toute ambiguïté, t'as raison, c'est de la merde. Si on est potes, on est potes. Moi aussi, j'veux pas qu'on fasse n'importe quoi, comme s'embrasser ou des trucs que des potes font pas. Ça vaut mieux. »
Alors il répondait malgré tout, en fait.
Rien ne put préparer Allen à cette douche froide en entendant ces mots. Il aurait aimé mieux y réagir.
Ça semblait logique, comme décision. Qu'elle soit ponctuelle ou définitive.
Il fit de son mieux pour refouler sa déception, il avait promis à Kanda qu'il ne le serait pas, et se rendre compte qu'il avait eu une attente malgré lui le faisait se sentir égoïste, stupide, en plus d'hypocrite. Il n'avait pas eu le droit d'espérer. Il n'avait pas le droit non plus d'être fâché contre Kanda. Il n'avait pas le droit non plus d'être déçu qu'il veuille limiter les contacts physiques avec lui. Il avait quand même la sensation d'avoir causé une réaction de défense chez l'alpha, sans même le vouloir. Sans même qu'il n'ait dit quoique ce soit.
Kanda avait-il compris à cause de ses odeurs ? Allen ne voulait pas en parler le premier, pour ne rien confirmer. Il ressentait une tristesse tellement profonde qu'elle ne l'atteignait même pas.
Il ne sut pas quoi lui dire.
Kanda ne retira pas sa main. Ses odeurs devaient être infâmes.
« Ça veut pas dire que ça, » il fixa leur mains noués, n'arrivera plus jamais. « Ni les échanges d'odeurs. Mais plus j'y réfléchis, plus je ne veux pas d'une relation basée sur le lien. On se laisse balloter. C'est pas bon. Prenons du recul. »
La voix nouée, Allen répondit doucement, conservant une expression relativement neutre :
« C'est vrai que si on ne contrôle plus nos pulsions, ça n'a pas de sens. Mais on est bons amis, aussi, » Allen se mordit la lèvre, amer. « Je ne te l'aurais pas proposé sinon.
—Ouais, rétorqua Kanda, mais si on se met ensemble maintenant, ce sera pas par pour notre amitié, ça sera pour ce foutu lien. Je veux pas de ça. Et si y a aucune autre raison en plus de ça, ça ne vaut pas le coup. On doit pas se laisser avoir par nos pulsions s'il n'y a que ça. »
Que ça. Putain, il me tue.
Ça faisait mal au coeur à entendre. Allen pouvait tout de même comprendre la pensée de Kanda.
Que pouvait-il dire ? Si l'alpha ne l'aimait pas, c'était comme ça. Allen était persuadé d'une chose : à ce stade, Kanda n'aurait toujours pas été plus ouvert à ce qu'il lui confie son amour.
Peut-être plus tard. Ou peut-être jamais. Il allait devoir faire le deuil. Ce serait difficile, mais il était habitué à refouler ce genre de choses car il fallait bien avancer. Les émotions les plus profondes y compris. Avec Kanda, ça devenait différent. Déjà à cause du fait qu'il puisse le sentir, et détecter sa tristesse, sa colère, entre autre choses. Ils avaient néanmoins besoin de recalibrer leurs émotions et leur relation, à force que le lien et leurs propres sentiments compliquent tout. Ce serait... une bonne chose, sans doute. Allen avait de toute façon eu la sensation que s'il ne se sentait pas capable d'être transparent, c'est que ce serait dur de bâtir quelque chose de sain de toute manière.
Ce refus — qu'il soit ponctuel ou éternel — était pour le mieux.
Allen voulait penser comme ça. Ça consolait son coeur abîmé. Il ne savait plus ce qu'il ressentait. Il n'avait même pas envie d'y penser, de peur de craquer, là, tout de suite.
« C'est ça que tu comptais me dire, depuis le début ? »
Allen eut un regard dépité. Kanda se renfrogna.
Allen ne comprenait pas pourquoi tant de réactions défensives, alors que c'était lui qui, selon toute vraisemblance, se prenait un râteau.
« Je comptais demander pourquoi. Et décider selon ta réponse. »
Perdu, Allen réfléchit une minute, la voix hésitante :
« Si j'avais dit autre chose, tu aurais eu un autre avis ? »
Kanda eut un mouvement de recul, pris de court. Il secoua la tête promptement, une expression qu'Allen analysa comme une sorte de dégoût.
Le maudit se dit qu'il avait posé ce type de question trop tôt. Ce visage était toutefois bien éloquent : Kanda n'aurait pas aimé la mention de sentiment.
« Non. Je suis désolé, si hier, je t'ai donné de fausses impressions. Tu dis que non, mais je sens bien que tes odeurs sont mauvaises. Tu peux être fâché, j'ai merdé. C'est pour ça qu'on fait bien d'arrêter tout ça tant qu'on sait pas quoi faire de ce foutu lien. Mais ça change rien entre nous. »
Allen ressentait exactement la même chose que lui, sur le dernier point.
Ça l'incita à se calmer.
« Du tout, j'ai juste eu du mal à suivre... Les pulsions, comme tu dis. Faut qu'on arrête de les laisser gagner. Ça ne change rien, de toute façon. On s'était déjà mis d'accord. Mais je crois que toi aussi, tu ne m'as pas tout à fait suivi. Il riait sans énergie. Tu as raison, on fait mieux d'en rester là. Ça ne change rien, en effet. »
Allen l'espéra.
Kanda se releva, lui souriant sans afficher quoique ce soit de plus. Il lui ébouriffa les cheveux, se dirigea vers l'entrée et attrapa sa veste.
« Je te revois en entraînement demain avec l'autre clébard, j'imagine. »
Allen sourit en retour. Le retour à l'Ordre signifiait le retour des synchronisations, il avait failli oublier.
« Ça marche. »
Et Kanda disparut, sans doute un peu trop rapidement pour que ce soit innocent.
Allen comprenait un peu. Il l'avait fait réfléchir à quelque chose d'inutile à ses yeux, il avait usé de l'énergie pour des idioties, s'il adoptait cette logique, il y avait de quoi vouloir couper court, surtout avec leur fatigue.
En se retrouvant seul, il ne réussit même pas à pleurer. Il n'en avait pas envie. Peut-être que si. Il avait été tellement éteint durant cette discussion... Il était surtout fatigué de ces prises de tête. Si un jour, il devait dire à Kanda ce qu'il ressentait, ça viendrait naturellement. Cette peur qui le paralysait ne lui plaisait pas, il voulait qu'elle disparaisse. Il avait beaucoup de choses à recentrer et de recul à prendre. Ce n'était pas grave, ce n'était rien qui changeait quoique ce soit entre eux, Kanda l'avait dit, et Allen le pensait aussi. C'était douloureux, il avait peur qu'ils soient moins proches, bien sûr, mais cette ambiguïté ne leur servait vraiment pas, si elle apaisait les besoins du lien et les leurs.
Allen était content qu'ils reviennent à la simplicité du début, au fond.
Qu'est-ce que je dis ? Bien sûr que non, j'aurais voulu être avec lui. Je l'aime. Ça fait mal. Il n'a pas dit un non définitif, mais qui me dit qu'il en sera un jour au même point que moi, ou quelque part dans cette direction ?
Si ça n'arrive jamais, c'est mieux comme ça, c'est le destin. On est peut-être vraiment pas faits pour être ensemble. Je le prends mieux que prévu.
C'est pas grave.
Allen cessa de penser. Il fonça jusque dans sa chambre, faisant aussi discrètement possible pour ne pas réveiller Link qui dormait, et s'aspergea la tête d'eau froide sous la douche pour faire évacuer tout les sentiments complexes qui l'envahissaient.
Il ne sut s'il y avait bel et bien des larmes qui coulaient au milieu du jet d'eau, tant il était toujours dans un espèce de suspend d'émotion intense qui n'explosaient pas. Quelque chose s'était effondré. Mais Allen avait la sensation que ça irait. C'était inéluctable, ils avaient pris la meilleure décision.
Allen ferma les yeux. Il se recroquevilla sur lui-même. L'eau gelée coulait toujours sur sa tête.
Il se mit à pleurer, réalisant que c'était bel et bien mort avec Kanda, malgré tout ce qu'il avait pu espérer.
Il entrait dans ce qu'on pourrait communément appeler une phase de chagrin d'amour.
À suivre...
Note : On finit sur une note pas joyeuse. X) Pas taper les personnages, ni l'auteure. Je me doute que ça va décevoir des lecteurs mais ça faisait sens que ça se passe ainsi, je vous laisse avec une note avec des infos complémentaires pour ceux qui veulent, ça faisait longtemps X).
J'avoue, même pour moi à l'écriture ce fut frustrant, mais comme je vous l'ai dit il y a quelques chapitres, ils vont encore galérer un peu. Ça reste un Yullen, ils finiront ensemble, pas d'inquiétude.
Cet "arc" a été imaginé pour parodier les moments dans les romances où ça se tourne autour sans communiquer et où ça part en quiproquo de malade alors que ça paraît clair que les protagonistes se kiffent, on sera d'accord que ce sont des schémas narratifs un peu chiant quand c'est purement gratuit.
Mais je pense que ce chapitre illustre bien le pourquoi du comment c'est logique ici : ils ont peur de dépasser les limites de l'autre. C'est le retour du lien d'âme-soeur en antagoniste principal, aussi XD. Cette fic est pensée pour montrer à quel point ça peut être effrayant comme concept et à quel point les personnages sont dans une situation complexe, peu importe combien ils essaient de ne pas laisser le lien avoir de l'emprise et de se trouver eux-mêmes, c'est tout aussi logique que ça pèse sur leurs épaules et leur liberté d'interaction. Ils savent qu'ils sont littéralement enchainés l'un à l'autre, et que s'ils se lâchent une révélation pareille, leur relation va en pâtir.
Dans une autre note, il y a aussi leur perception l'un de l'autre dans laquelle ils sont prisonniers, sans qu'ils ne réalisent à quel point ils peuvent être à côté de la plaque tous les deux. Kanda est persuadé de savoir lire en Allen depuis le début, d'autant plus en sentant ses odeurs émotives, mais il ne sait pas ce qui se passe vraiment en lui et il interprète mal certaines de ses réactions. De même, Allen se rend compte que Kanda est franc et qu'il peut communiquer mieux que lui, mais il oublie qu'il n'est pas l'homme de pierre qu'il prétend être et qu'il est loin d'être aussi fermé qu'au début. Il y a aussi l'ampleur de sa peur d'être abandonné, dont il prend conscience.
Ils se cherchent encore, et ils vont se trouver, même si c'est compliqué.
Cette fin de chap' est encore une fois peu joyeuse, je peux toutefois vous dire que le prochain chapitre vous donnera le POV de Kanda et sera un peu plus léger, sans pour autant ne pas développer les conséquences du rejet qu'ils ont vécu mutuellement.
Un avis ?
Si vous avez quelque chose à dire, envie d'envoyer une tomate ou une fleur, une envie de se plaindre de la chaleur de l'été D:, n'hésitez pas à commenter ! :D
J'espère que ça vous a plu malgré tout ! x3
Merci d'avoir lu !
