Éreintée par l'ampleur de la situation dans laquelle elle avait plongé sa famille, Candice redescendit les escaliers en soufflant. L'horloge du four affichait désormais 14h. Finalement, c'était une heure à faire la sieste. Mais la blonde avait le cerveau trop dynamique pour songer au sommeil qui préférait laisser place aux ruminations et pensées complexes. Pour limiter les dégâts, elle préféra prendre place en cuisine où elle se saisit de la bouteille pour remplir son verre d'eau.

« Alors ? demanda une jeune femme depuis la terrasse.

- Il vient de s'endormir… expliqua-t-elle en reposant son verre sur le comptoir. J'ai réussi à me défaire de ses bras sans trop le réveiller… Il voulait plus me lâcher… sourit-elle timidement.

- Il avait vraiment pas l'air bien… Il s'est excusé quand même ?

- Oui… Fin voilà quoi, il a explosé en plein vol… C'était évident de toute façon…

- Il t'a rien dit ?

- Nan… Je le laisse se reposer un peu et je tenterai d'aborder le sujet après… Je veux pas le brusquer. Faut déjà qu'il récupère.

- Hum… acquiesça-t-elle. J'espère que ça ira.

- Ouais…

- Euh sinon, on se disait que ce serait bien si en fin d'après-midi on allait se balader dans le centre-ville. On n'a pas encore acheté de souvenirs et avec la rando de demain, on sera sûrement crevés…

- C'est une bonne idée oui !

- Suzanne veut déjà acheter plein de trucs en plus… Les bracelets, les pinces pour ses cheveux, les porte-clés, les cartes postales…

- Ah ça ! Ça va ravir son père… ironisa-t-elle en ouvrant la poubelle pour jeter sa bouteille vide. Bah… C'est quoi ça ? s'étonna Candice en osant mettre sa main dedans.

De quoi ? »

Emma approcha, intriguée par le tas de tissus que tenait sa mère. Et cette dernière comprit bien vite de quoi il s'agissait. En même temps, vu l'état du tee-shirt, cela laissait peu de doutes sur son propriétaire. Donc Antoine avait jeté sa tenue de la veille à la poubelle. Un acte symbolique, songea-t-elle. Et là, c'en fut trop pour la blonde qui se laissa envahir d'une haine colossale. Bah oui ! Savoir son chéri dans cet état, sans en connaître la raison, était tout bonnement insupportable. Elle balança les vêtements sur le sol et s'empara de son téléphone avec énervement.

« Allô ? Y a un problème ? l'interrogea Gondar avec surprise.

- Oui… Y a un problème oui… répondit-elle sèchement.

- Qu'est-ce qui se passe ?

- Il se passe que vous m'avez rendu un Antoine qui fonctionne mal et j'aimerais bien comprendre pourquoi…

- Pourtant le bilan médical est ressorti sans problème, je…

- Même d'un point de vue psychologique ? Nan parce qu'il va pas bien du tout et il refuse de parler en fait…

- Il doit surtout être fatigué…

- La fatigue, bien sûr… Il puait l'alcool et l'essence ! Il en vient à ne pas vouloir dormir de peur de revivre des cauchemars de cette nuit ! Alors elle a bon dos, la fatigue !

- Je… Je suis au courant de rien…

- Arrêtez ! Vous savez très bien ! Vous le ramenez sans rien m'expliquer… Vous m'avez même pas prévenue que vous l'aviez retrouvé alors que c'était le deal ! Et maintenant je dois affronter un mur complètement fermé ?! Comment je fais, moi, pour l'aider, si j'ai pas le contexte ?

- Antoine m'a demandé de ne rien vous dire pour ne pas vous inquiéter. J'ai donné ma parole. Il vous expliquera quand il sera prêt.

- Donc c'est grave ?!

- Disons qu'Antoine ne s'est pas juste perdu dans la forêt… Il est tombé sur des braconniers. Pour la suite, je ne dirai plus rien…

- Ils lui ont fait du mal ?

- Vous l'avez vu, il est sain et sauf ! C'est le temps qu'il se remette de ses émotions.

- Ok… Je…

- La seule chose que vous avez à faire, c'est de rester près de lui ! »

. . . . .

Attaché à un tronc d'arbre à proximité d'une cabane insalubre, Antoine fixait devant lui, les yeux écarquillés malgré la nuit tombée. L'angoisse… Celle qui l'avait investi depuis qu'il avait croisé la route de la fameuse bande de ce Jojo méconnu. Elle ne le quittait plus. Elle s'accrochait, tenace. Autour, des rires gras perçaient ses tympans. Des rires remplis d'alcool et de nicotine, vu l'odeur qui émanait de la table ronde accolée à une vieille tente trouée. C'était simple, tout ici le débectait. Des individus au mobilier. Du visible à l'imperceptible. Tout. Et vu l'état d'enivrement dans lequel étaient plongés ces hommes, le risque encouru était gros. Ils n'avaient plus de filtre, plus de contrôle, plus de remords non plus. Et ça c'était inquiétant. Très inquiétant même. Alors comme un bon petit mouton, Antoine écoutait.

Bouge pas !

Ferme ta gueule !

Regarde devant toi !

Crève !

Le dernier ordre était peut-être un peu plus difficile que les autres à effectuer. Et c'était sûrement parce que crever par soi-même semblait bien compliqué. Pour ça, fallait être aidé. Et manque de bol, Antoine était tout seul face à l'adversité. Alors non, il n'allait pas crever tout seul… Et il fallait prier pour qu'aucun n'ait la lucidité de le comprendre. Merci les deux bouteilles de rhum qui venaient de disparaître dans leur gosier… songeait Antoine, apeuré. Il ferma les yeux, intériorisant la multitude de sentiments qui le traversait. De la haine à l'angoisse. De la colère à la panique.

Ne rien laisser paraître… Jamais… C'était la règle d'or !

Soudain, tout alla très vite. Un barbu se pointa devant lui, arme en main. Il rigola goulument et pointa le pistolet sur la tempe du commissaire qui perlait à vue d'œil.

Se taire… Ne rien dire pour ne pas énerver… Silence…

L'homme appuya sur la gâchette et un bruit sourd retentit. Tout était fini.

. . . . .

« NON ! » hurla le commissaire en se relevant en sursaut. À ses côtés, la blonde se précipita pour le rattraper, optant pour des gestes rassurants. Il souffla, perdu entre sa réalité et son inconscient.

« Tout va bien… Tout va bien… Je suis là mon amour… chuchota-t-elle en l'attirant dans ses bras.

- Je…

- Respire !

- Ça va… Ça va…

Émue, Candice l'allongea délicatement sur le dos et essuya son visage rempli de sueur.

- C'était un mauvais rêve ! C'est rien… sourit-elle en embrassant sa joue avec tendresse.

- Ouais ! acquiesça-t-il en récupérant peu à peu ses esprits. »

Candice laissa le silence s'installer, préférant laisser au commissaire le loisir de parler si l'envie lui prenait. Mais visiblement, il préféra embrasser le mutisme et détourna le regard pour éviter d'exposer sa vulnérabilité. Loupé… Bah oui ! Sa compagne n'était pas dupe…

« Tu te sens reposé ?

- Un peu… Il est quelle heure ?

- Presque 16h. Ça fait 2 heures que tu dors…

Silence, Antoine acquiesça doucement.

Tu me racontes ?

- Ça sert à rien, c'est le passé… Je suis là c'est l'essentiel…

- Sauf que j'aimerais bien savoir ce qui a rendu mon amoureux dans un tel état… chuchota-t-elle tendrement en caressant son torse.

Silence à nouveau… Le brun ferma doucement les yeux, montrant sa récalcitrance.

Je suis au courant pour les braconniers chéri…

- C'est Gondar c'est ça ?! souffla-t-il agacé.

- Il a pas voulu m'en dire plus… mais j'aimerais que ce soit toi qui me racontes…

Hésitant, il détourna le regard, peu fier d'exhiber ses angoisses.

Une fois que tu t'es séparé de Martin, qu'est-ce que t'as fait ?

- Je… J'étais crevé. Martin suivait son programme d'entraînement et il lui restait encore quelques kilomètres à faire. Je voulais pas le retarder alors on a convenu que je fasse demi-tour. Je suis reparti de mon côté et j'ai direct remarqué que 2 mecs me suivaient.

- Pourquoi t'es pas rentré à la villa ? Ou pourquoi t'es pas allé chercher du secours en ville ? On t'aurait aidé, on…

- Parce qu'on était quand même assez loin ! Et… J'avais pas envie de vous mettre en danger alors j'ai vu la forêt, j'ai pas réfléchi et j'ai commencé à avancer. Mais je m'attendais pas à ce que ce soit un labyrinthe comme ça !

- Sauf que c'est pas la forêt des Pierres blanches là, Antoine ! Évidemment que c'était dangereux ! pesta-t-elle.

- Oui bah j'avais pas vraiment le temps de réfléchir hein…

- Bon et après ?

- Après j'ai continué à m'enfoncer dedans. Je t'ai envoyé le message mais on captait pas. Puis je me suis pris le pied dans une racine énorme. Je suis tombé et j'ai dégringolé une pente sur une quinzaine de mètres. Je me suis tué la cheville sur le coup mais la douleur est passée et au moins j'avais réussi à les semer… Sauf que quand je suis arrivé en bas, j'avais plus de portable…

- C'est Gondar qui l'a retrouvé. Il a dû glisser de ta poche au moment où t'es tombé.

- Ouais…

- Et t'as pas essayé de remonter ?

- J'ai attendu… histoire d'être sûr de pas tomber sur eux quoi. J'ai essayé de remonter mais c'était pas possible… Le terrain était trop humide et ça glissait. Et là tu vois, j'ai compris que j'allais passer pas mal de temps dans ce bourbier…

- T'as eu peur ?

- Nan… sourit-il. Fin' au début ça allait, il faisait jour. J'avais toujours espoir de sortir de là ou de trouver des randonneurs pour qu'ils m'aident mais… je me suis épuisé à marcher pour rien. Puis j'étais mort de faim en plus, le dernier repas que je m'étais fait c'était celui du restau !

- Oh… souffla-t-elle de culpabilité. En plus tu m'avais laissé ton dessert pour me faire plaisir je… Je suis désolé… Tu devais me détester !

- Mais non ! J'avais autre chose à penser sur le moment…

- Hum… acquiesça-t-elle. Et quand la nuit est arrivée ? Qu'est-ce que t'as fait ? »

Antoine détourna le regard, signe évident d'angoisse. Le récit du jour, ça allait parce que l'enjeu était mince mais celui de la nuit, c'était une tout autre histoire. Celle où tous les dangers s'étaient exprimés… Celle où sa vie avait été mise en jeu. Au sens littéral du terme, en plus. Alors pour éviter de remettre tout ça sur le tapis, Antoine se ferma. Parce que raconter c'était se rappeler, et se rappeler c'était paniquer…