C'était un soir comme les autres, et il faisait froid. Elle qui était pourtant si frileuse, bouillonnait. Sa simple veste en cuir lui suffisait, à tel point qu'elle l'avait déposée - ou plutôt jeté - à quelques mètres d'elle.
La seule chose qu'elle entendait présentement, était son cœur qui avait du mal à ralentir sa course endiablée, entamée il y a quelques minutes.
"N'en fait pas tout un plat, c'était pour le bien commun."
Cette phrase tournait en boucle dans sa tête, alors qu'elle peinait encore à reprendre sa respiration, seule sur le Wickerly Bridge. N'en fait pas tout un plat.
Stefan, l'être qu'elle tenait en plus haute estime dans son être, venait tout simplement d'essayer de la tuer. Mais après tout, il ne fallait pas qu'elle en fasse tout un plat.
Un torrent d'émotions livrait présentement bataille dans son fort intérieur. La peur, la tristesse, la déception, la colère et l'incrédulité s'enlaçaient pour mener une danse endiablée rythmée par les battements en chamade de son cœur.
Elle se sentait vide. Et en même temps si pleine. Et elle se demanda, à ce moment précis, si c'est ce que ses amis avaient ressenti lors de leur transition. Ses sens étaient aux aguets, ses émotions sans dessus dessous et elle était simplement tétanisée à l'idée de tenter de remettre de l'ordre là dedans. Une envie soudaine de vomir la prit, et elle s'élança au bord du pont pour s'agripper fermement à sa rambarde. Sa sécurité. Sa protection. Elle eut un rictus à cette pensée. Ironique de se dire que l'élément le plus rassurant pour elle ce soir était constitué d'un amas de pierres.
Cela faisait peut-être une heure, ou trois, qu'elle était plantée sur ce pont. Depuis que Stefan l'avait laissé plantée au milieu de celui-ci, en lui demandant de ne pas en faire tout un plat.
Démunie de son téléphone, tombé de sa poche en voiture, elle n'avait pu contacter personne. Elle n'avait voulu contacter personne. Le silence pour simple salvation.
"Hello Love" entendit-elle, bien des heures plus tard. Cela ne la fit esquisser aucun mouvement. N'articuler aucuns mots. Elle sentit cependant une présence se rapprocher d'elle. Un moment se passa avant qu'elle ne reprenne le dessus.
"Je ne vois pas de grande blonde avec un sourire à tomber sur ce pont." Un rictus retenti sur ce pont trop silencieux à son goût, qui lui arracha des frissons. Elle ne saurait dire s'il s'agissait de terreur ou de froid. Mais elle avait eu son lot d'angoisse pour la soirée.
"Bien que la description soit parfaitement identique à son image, je m'adressai bel et bien à toi, Love." Cela lui arracha un sourire amer. Et sans se tourner vers son interlocuteur, elle répondit.
"De longs cheveux et une détresse intense peuvent donc déclencher chez toi un peu de compassion. C'est noté." Elle crut entendre un rire, mais elle s'était sûrement méprise. La fatigue lui infligeait de drôle d'idées ce soir.
"Ne te méprends pas, si je t'avais retrouvée recroquevillée en train d'à nouveau t'apitoyer sur ton sort, tu n'aurais été qu'une maudite doppelganger. Estime toi heureuse, tu as été surclassée." Étonnamment, cette réplique lui arracha son premier rire de la soirée et se tourna enfin vers l'original, ses yeux se fixant dans les prunelles dans les siennes.
Une pointe d'émotion qu'elle n'aurait su qualifier s'éclaira dans les yeux de l'hybride. Cette même émotion le poussa, probablement, à combler l'espace qui les séparait pour attraper son menton fermement et passer son doigt sur ses lèvres. Elle se rappela alors qu'elle n'avait même pas pris le temps de s'essuyer le visage du sang que Stefan l'avait forcé à avaler, avant de tenter de la jeter du pont. Celui-ci devait être séché, ce qui le rendait plus difficile à faire partir puisqu'elle sentit une le touché de Klause exercer une plus grosse pression sur ses lèvres.
"Non pas que je n'aime pas ton nouveau rouge à lèvres, Love, mais tu aurais pu l'appliquer plus soigneusement." Cela la prit par surprise, et elle se mit à rire. Une douce mélodie qui surprit l'originel lorsqu'il se rendit compte qu'il appréciait ce rire.
À vrai dire, il n'avait pas prévu de se rendre sur ce pont. Mais à force d'entendre la ville à feu et à sang car les petits copains de la jeune femme s'inquiétaient mortellement pour elle et que Stefan ne voulait pas lâcher le morceau sur l'endroit ou la trouver, il avait fini par céder au cinquante-sixième appel de Caroline qu'il avait décliné.
Il savait pertinemment que Stefan n'avait pas mis son plan à exécution. Mais une Elena introuvable et des appels incessants avaient eu raison de lui. La graine de baobab qu'il avait négligée commença à prendre racine, et il fallait qu'il ait le cœur net que la doppleganger n'était pas devenue l'une des leurs.
Après tout, il était le seul à savoir là où le vampire l'avait laissé. Cela ne lui coûtait rien d'aller effectuer une vérification de son état. Il avait alors enfilé l'un de ses long manteau et s'était dirigé à vitesse vampirique vers le pont où elle avait été déposée quelques heures plus tôt.
Il ne s'était pas trop approché, l'inspectant de loin. Il entendait son coeur battre, ce qui était une bonne chose. Il pouvait sentir du sang, de là où il était. Mais il se doutait bien qu'il ne s'agissait pas du sien, elle ne se tiendrait pas inerte sur ce pont si elle était blessée. Il l'avait observé de loin, pendant près d'une heure. Elle n'avait pas bougé d'un millimètre. Son cœur n'arrivant pas à calmer sa danse endiablé. Lui qui s'attendait à la retrouver recroquevillée sur elle-même à pleurer, puisque c'était la seule chose qu'elle savait faire, il avait été interrogé par cette vision.
Elle était droite. Vaillante. Le cœur vacillant, certes. Après tout, elle venait à nouveau d'échapper à une mort certaine. Elle ne pleurait pas. Elle n'était pas désemparée. Elle n'avait pas cherché à se conforter dans les bras de quelqu'un. Elle portait sa douleur, sa tristesse et sa solitude seule. Étonnamment, il se fit la réflexion qu'il la trouvait majestueuse ce soir. Il finit par se décider à la rejoindre, une fois qu'elle se jeta contre l'une des rambardes du pont. Non pas qu'il pensait qu'elle était en capacité de sauter, mais il voulait s'assurer qu'elle ne le ferait réellement pas.
[...]
"Non pas que je n'aime pas ton nouveau rouge à lèvres, Love, mais tu aurais pu l'appliquer plus soigneusement." Son rire le surprit. Il ne s'attendait pas à ce qu'elle rit à l'une de ses blagues. Encore moins un soir où elle avait à nouveau faillit être tuée par sa faute, à nouveau.
Tandis que son rire, qui dura longtemps, se transforma peu à peu en sanglots, il se fit la réflexion que pour une fois sa vulnérabilité n'était pas à gerber. Il sortit de sa poche une flasque de rhum, qu'il ouvrit et qu'il porta à ses lèvres tandis qu'il contemplait les larmes dévaler son visage dans une course rythmée par son rire.
"Il paraît que pleurer te donnera moins envie de pisser." Souffla-t-il alors qu'il venait de finir la gorgée qu'il venait de faire glisser entre ses lèvres. Les rires de la brunette redoublèrent tandis qu'il eut un rictus. Elle fixa ses yeux dans les siens, et il fut étonné de voir qu'aucune tristesse ne paraissait dedans. Uniquement de la résignation.
"Donne moi ça." Souffla-t-elle, alors qu'elle lui arracha la flasque de ses mains. "C'est moi qui ait failli me faire jeter d'un pont et c'est toi qui boit pour oublier, magnifique." Elle porta la fiole à ses lèvres et vida la moitié du flacon.
"Je te rappelle que t'es mon ingrédient essentiel." Commença-t-il. "As-tu déjà vu quelqu'un faire une tarte aux pommes sans pommes, Love ? Je te rappelle que quand je tombe en rupture de stock je dois attendre cent ans minimum, je pense que j'ai mérité cette flasque autant que toi pour la frayeur que j'ai ressenti."
"Tu as un point." Siffla-t-elle entre ses dents serrées. Elle lui rendit la flasque.
Il remarqua que les frissons avaient maintenant pris possession de la peau de la jeune femme, et comme dans une RomCom, il retira son manteau pour le déposer sur ses épaules. Ses yeux étaient gonflés, et les cernes apparentes. Il se rappela soudainement à quel point elle était humaine, et par conséquent fragile. Il prit la décision de la ramener.
"Je ne te ramène pas à Dumb et Dumber je suppose ?" Elle eut un rictus amer. "Et puisque je t'ai fait exiler ton propre frère, souhaites-tu rentrer chez toi et que j'appelle Caroline ?"
"Tu sais te tirer des balles dans le pied, quand j'oublie tes agissements." Elle souffla, un peu amusée par la situation. "Tu as des chambres d'amis, il me semble ?" Il eut un sourire en coin.
"Non pas que l'idée que ma banque de sang personnelle se décide elle-même à vivre sous le même toit que moi me déplaise…" Commença-t-il, amusé. "Mais est-il sûr que cela n'alerte pas tous tes copains, blanche neige ?"
"Sans mauvais jeux de mots, je ne pense pas qu'ils soient prêts à se jeter dans la gueule du loup pour venir me chercher." Elle sourit tandis qu'il se mit à rire.
De manière étonnante pour lui, cette situation lui plaisait beaucoup. Cette Elena aussi. Elle était relativement surprenante, ce qui était rafraichissant pour lui et son ennuyeuse vie à mystic falls.
L'hybride la saisit fermement par la taille et la rapprocha de lui, un sourire carnassier sur les lèvres. "Accroche toi, ça va secouer."
[...]
Il était aux alentours des onze heures quand la porte d'entrée de la maison de Klaus s'ouvrit dans un grand fracas, laissant paraître une Caroline furibonde.
"Klaus !" Hurla-t-elle. "Klaus !" Perpetua-t-elle, alors qu'elle s'aventurait dans la demeure de l'originel, sans une once de peur. C'était nouveau, ça. Elle finit par le trouver dans son salon, un verre de bourbon à la main, avachi dans le canapé.
"Ne m'as tu pas entendu, merde ?" Souffla-t-elle, alors qu'elle croisa ses bras contre sa poitrine.
"Je pense que toute la ville t'as entendue, Caroline." Souffla-t-il amusé. Elle fronça les sourcils.
"Où est Elena ?" Articula-t-elle, ignorant la réflexion qu'il venait de lui faire. Elle sentit soudain un changement dans l'air. Notamment, un changement dans le comportement de l'hybride, qui était soudain devenu plus sombre. Plus dangereux. Elle déglutit, en le voyant calmement poser son verre sur la table proche du canapé et s'avancer vers elle.
"Je dois admettre que je suis admiratif." Commença-t-il, alors que Caroline fut clouée sur place, se sentant d'un coup non plus comme une invitée - imposée, certes - mais comme une proie. "Je ne sais pas d'où vient cette confiance de débouler chez moi, à une heure avancée de la matinée, en hurlant pour me demander où est votre chère Elena." La jeune femme recula d'un pas, légèrement intimidée. "Pour une fois, je n'y suis pour rien." Siffla-t-il entre ses dents. "Renseigne-toi auprès de ce cher Stefan, qui a essayé hier soir de la jeter d'un pont." Il marqua une pause, le temps qu'elle assimile ce qu'il venait de lui dire. "Maintenant, je n'ai pas besoin de t'indiquer où se trouve la sortie. Et pour information, ce n'est pas parce que je t'ai sauvé une fois que tu n'es pas exempté de la possibilité que je démembre ta tête de ton corps."
L'original finit sa phrase sur un sourire, qui fit disparaître la vampire à une vitesse dont il ne la croyait presque pas capable. Cela l'amusa un peu. Il entendit soudainement des applaudissements provenant de sa gauche, et il tourna la tête pour croiser le regard d'une Elena, dans une chemise beaucoup trop grande pour elle. Extrêmement attirante.
"Tu aurais simplement pu lui dire que j'étais ici." Dit-elle dans un sourire en coin.
"Tu as demandé du calme, hier soir." Dit-il en s'approchant d'elle à vitesse vampirique. "Je t'apportes ce que tu veux, Love." Il reboutonna les deux premiers boutons de la chemise qu'elle portait, en même temps qu'il parlait.
"Je suppose que cela vient avec un prix." Dit-elle, en remontant la manche de cette même chemise. Elle avança son bras vers lui, comme une offrande. "Prends ce dont tu as besoin."
L'hybride eut un rictus, et saisit son bras pour la tirer contre son corps. Il approcha alors son visage de sa nuque, pour venir coller ses lèvres contre son oreilles. "Oh, Sweatheart, je pensais que tu me connaissais mieux que cela. Je préfères te prendre ton sang dans la contrainte, c'est plus amusant."
Il s'éloigna aussi vite d'elle qu'il s'était approché, comme frappé par une décharge électrique. "Tu devrais aller fouiller dans les affaires de Beckah pour te trouver des habits. Même un originel comme moi a des pulsions tu sais ?" Il conclut sa phrase par un sourire charmeur tandis qu'elle sentit ses joues chauffer. Elle s'évada rapidement à l'étage en quête de vêtements à enfiler.
Klaus se réinstalla dans le canapé à son départ et enfila la fin de son verre d'une traite. C'était terriblement dangereux, et il le savait. La doppleganger allait devoir vite s'en aller. Mais il serait son havre de paix, le temps de quelques jours.
