L'aversion soudain décuplée envers le Professeur Gabriel, une fois que les étudiants apprirent qu'il avait fait du mal à leur cher Dr Fell, tombait dans une de ces trois catégories bien distinctes :
Le premier groupe le fuyait. Les étudiants se retirèrent en masse de son cours, le laissant enseigner à une salle vide. Ils l'ignoraient dans le couloir, et le coupaient aussitôt s'il essayait de leur parler pour une raison ou une autre.
Le deuxième groupe lui jouait des tours. S'il y avait un moyen plausible pour qu'une substance se retrouve sur son costume immaculé, elle y finissait toujours. S'il pouvait être envoyé au mauvais endroit, il y terminait toujours. Si le mauvais message pouvait lui être transmis (ou si le bon message pouvait ne jamais lui parvenir), c'est ce qui arrivait invariablement. S'ils pouvaient s'arranger pour que quelque chose se passe mal pour lui, alors ils se creusaient l'esprit pour y parvenir.
Le dernier groupe propageait volontairement des rumeurs à son sujet. Il avait utilisé une bible pour écraser une mouche (celle-ci n'amusa pas Beelzebub, loin de là). C'était quelqu'un de mauvais, malveillant et cruel qui devait être évité à tout prix (Crowley ne put s'empêcher de remarquer qu'on avait juste pris les rumeurs habituelles le concernant et changé son nom par celui de Gabriel). C'était une ordure. Il était sale. Du genre potassium, qui dégage des flammes violettes et brule la peau à son simple contact, ou s'il touche quoi que ce soit d'humide. C'était un démon marchant incognito parmi eux, envoyé pour corrompre le département Théologie.
Personne ne demanda ce qu'il avait fait à Aziraphale. Apparemment, cela leur suffisait de savoir qu'il lui avait fait du mal, et Aziraphale en était soulagé.
Un coup timide à la porte du bureau de Crowley annonça l'entrée d'une première année pétrifiée, trop terrifiée pour prononcer un mot, et tenant dans la main une note demandant des accommodations qu'elle lui présenta.
Il ravala un juron (inutile de l'effrayer davantage), prit la note et la posa sur son bureau. Elle était bien trop longue pour qu'il puisse la lire sans que les lignes se mélangent devant ses yeux mais, par bonheur, elle était écrite plutôt que manuscrite. Il sortit donc son téléphone, ouvrit d'un simple contact du pouce une application qu'il gardait précisément pour des moments comme celui-ci, et tint son appareil ai-dessus du papier. L'application prit une photo puis réalisa une double conversion : d'image en texte, puis d'écrit à audio. Quand la lecture se termina, il se recula contre le dossier de la chaise et haussa un sourcil. « Un email sera très bien, la prochaine fois » dit-il d'un ton pince-sans-rire et elle se tétanisa, plus rigide encore qu'avant.
Il n'imaginait pas que ce soit possible.
Il ajouta avec bien plus de douceur : Respire, gamine. Je ne vais pas te punir parce que tu as des besoins particuliers. Tu auras tes ajustements, maintenant que je suis au courant. »
L'étudiante prit une inspiration soudaine mais ne se détendit que très légèrement, les yeuxallant de son téléphone à ses lunettes noires.
Crowley repoussa ses lunettes sur son nez d'un geste théâtral, puis ajouta d'un ton étudié pour être dénué de toute inflexion, comme s'il le disait sans y penser : « problème aux yeux ». Il vit la compréhension naître, suivie par des hypothèses. Il les laissa fleurir. Elles existeraient de toute façon, et ce n'était pas comme si ses éternelles lunettes noires étaient particulièrement discrètes. « Ce serait hypocrite de ma part de refuser des aides quand j'en utilise moi-même tout le temps, tu ne crois pas ? » Il lui adressa un petit sourire en coin, comme pour dire que même lui n'était pas assez diabolique pour s'abaisser à ça, et elle se détendit encore un peu.
Elle baissa les yeux sur la feuille puis le regarda à nouveau, clairement inquiète pour autre chose.
Il glissa la note vers elle en levant un sourcil interrogateur. « Tu veux le reprendre ? »
Un 'non' de la tête.
Oh.
« Ce n'est pas un problème si tu as besoin d'écrire des trucs, répéta-t-il. J'ai de quoi les lire. Mais l'électronique est plus facile que le papier. Plus d'options. »
La tension diminua une fraction supplémentaire.
Il tourna l'écran d'ordinateur pour qu'ils puissent le voir tous les deux. « Alors. Sur quoi tu voulais revenir ? »
