Chapitre 4: La Médecine du Champ de Bataille
Annelise s'affairait à soigner les patients qu'elle avait déjà, jetant des coups d'œil rapides aux autres blessés autour d'elle. Le camp de fortune bourdonnait de gémissements et de cris étouffés. Soudain, on lui apporta un homme inconscient, transporté à bout de bras. Le soldat qui le portait affichait une expression de panique.
« Il ne respire plus, » dit le soldat, la voix tremblante.
Annelise attrapa son stéthoscope et le pressa contre la poitrine de l'homme. Son cœur battait encore, mais faiblement. Elle déboutonna rapidement la chemise de l'homme, découvrant des brûlures sévères sur le cou et le torse. La chair était rouge et boursouflée, noircie par endroits.
« Qu'est-ce qui s'est passé ? » demanda-t-elle en se tournant vers le soldat.
« Il a reçu beaucoup de chair de Titan en décomposition, et sa fusée éclairante lui a explosé pratiquement au visage, » expliqua le soldat, la voix serrée par l'inquiétude.
Elle examina le visage du patient, remarquant les lèvres bleuies, signe d'une cyanose sévère. « Perte de conscience, absence de respiration.. » murmura-t-elle pour elle-même, tout en prenant délicatement la main de l'homme, confirmant la teinte bleue de ses doigts. « Cyanose, » continua t-elle à voix haute.
D'un geste rapide, elle fit signe au soldat de l'aider à déplacer l'homme. « On l'emmène dans les soins urgents maintenant. » Les deux parvinrent à poser le blessé sur un lit de fortune. Annelise se mit à genoux près de lui, jetant des regards autour d'elle. Elle se tourna de nouveau vers le soldat : « J'ai besoin de quelque chose comme une tige, un morceau de bambou, n'importe quoi de creux. Dépêchez-vous ! »
Le soldat s'éclipsa en courant, laissant Annelise seule avec le patient inconscient. Son cœur battait la chamade, mais elle n'avait pas le temps de céder à la panique. Elle fouilla dans son sac avec des gestes rapides, en sortit un scalpel, et l'aspergea d'alcool pour le désinfecter. Ses mains tremblaient légèrement sous l'effet de l'adrénaline, consciente que c'était la première fois qu'elle allait réaliser une trachéotomie. Elle prit une profonde inspiration pour se calmer, ses yeux fixés sur la gorge de l'homme. Quelques secondes plus tard, le soldat revint en courant, le souffle court, et lui tendit une plume de stylo. «C'est tout ce que j'ai trouvé» dit-il, essoufflé.
« Ça fera l'affaire, » répondit la jeune médecin d'une voix concentrée. Elle désinfecta la plume et ses mains. Elle prit une profonde inspiration, puis pratiqua une incision précise dans la trachée du patient, juste au-dessus du sternum. La peau se déchira sous la lame du scalpel, révélant la trachée, et un filet de sang coula le long de la gorge de l'homme. Avec délicatesse, elle inséra la plume de stylo dans l'ouverture, créant une nouvelle voie d'air.
Pendant un instant suspendu, elle attendit. Puis, la poitrine de l'homme se souleva faiblement, un filet d'air s'échappant par la plume. Elle laissa échapper un soupir de soulagement. Sa première trachéotomie, et elle l'avait réussie. « Surveillez sa respiration et gardez la plaie propre, » dit-elle au soldat avec une pointe de soulagement dans la voix. En se relevant, elle sentit des regards posés sur elle. En se retournant, elle aperçut trois personnes, visiblement des soldats du Bataillon d'Exploration, qui l'observaient avec une curiosité mêlée d'admiration. Une femme brune aux cheveux attachés en queue de cheval désordonnée, portant des lunettes carrées, et deux hommes, tous deux blonds, l'un avec des cheveux courts et bien coiffés, l'autre avec des cheveux plus longs.
« Je peux vous aider ? » demanda-t-elle, un peu intimidée par la prestance de ces inconnus.
L'homme au centre, blond aux cheveux coupés courts et aux yeux bleu perçant, s'apprêtait à parler, mais la femme à ses côtés le coupa. Les yeux brillants d'excitation, elle s'avança vers le patient pour examiner la trachéotomie.
Elle pencha son oreille vers l'ouverture, entendant le souffle léger qui en émanait. « Oh, c'est incroyable, il respire par cette tige ! » s'exclama-t-elle avec enthousiasme. Elle leva la main, prête à toucher la plume. « Qu'est-ce que ça fait si je mets mon doigt là ? »
Annelise attrapa rapidement sa main. « Ne fais pas ça ! » dit-elle fermement. « Ça lui couperait la respiration, et tes mains ne sont pas stériles. Tu pourrais causer une infection qui le tuerait. Déjà qu'il n'est pas encore sorti d'affaire… »
La femme retira sa main, semblant plus fascinée que contrite. « Tu as fait ça avec quoi ? » demanda-t-elle, le regard pétillant de curiosité.
« Avec une plume de stylo, » répondit Annelise, un peu sur la défensive.
« Tu crois que ça marcherait sur un Titan ? » s'émerveilla la femme, saisissant les deux mains d'Annelise avec enthousiasme.
Annelise la regarda, incrédule. « Euh… quoi ? »
L'homme blond aux cheveux courts intervint alors, calmant l'excitation de la femme. « Hanji, du calme. » Annelise comprit que c'était le nom de cette femme étrange et excentrique. Puis, il se tourna vers Annelise, la voix plus posée. « C'est toi qui as organisé tout ça ? » demanda-t-il en désignant le camp de fortune avec un mouvement de main.
Annelise hocha la tête. « Oui, c'est moi. » Puis, ses traits se durcirent, et elle libéra la colère qui bouillait en elle. « Et d'ailleurs, pourquoi j'ai dû mettre cela en place. Il est scandaleux qu'il n'y ait pas eu d'unité médicale prête. Vous savez très bien que les civils ne savent pas se battre, n'ont ni équipement ni chevaux. A ce niveau là c'est de l'inconscience ou de l'incompétence! »
Le blond allait répondre, mais le deuxième homme, plus grand avec des cheveux blonds longs, intervint. « Calme-toi gamine, tu t'adresses au major Erwin, » dit-il d'une voix ferme.
Excédée par le manque de sommeil, le stress, la peur et le deuil, Annelise ignora l'intimidation. Elle croisa les bras et leva les yeux au ciel, un sourire ironique aux lèvres. « Oh, excusez-moi, devrais-je faire une révérence ? Ou peut-être un salut militaire ? » Elle fit une pause avant d'ajouter d'un ton acerbe : « Je me fiche de qui vous êtes. Ici, ce qui compte, c'est de sauver des vies. La mienne pourrait bien s'achever bientôt aussi, alors vos grades et vos statuts importent peu. »
Elle se retourna pour partir, mais s'arrêta, lançant un regard par-dessus son épaule. « Et de toute façon, je ne suis pas militaire. Vos règles ne s'appliquent pas à moi. » Puis elle s'éloigna, laissant les trois soldats derrière elle.
Le grand blond fit un mouvement pour la suivre, mais Erwin l'arrêta d'un bras. « Calme-toi, Mike. Et après tout, elle n'a pas tout à fait tort. »
Hanji éclata de rire, trouvant la situation si divertissante que des larmes perlaient aux coins de ses yeux. Elle se tenait le ventre, secouée par des éclats de rire incontrôlables, et lança avec un sourire malicieux : « Elle a pas froid aux yeux, la petite ! » Ce commentaire ne fit qu'accentuer l'agacement de Mike, dont les mâchoires se contractèrent visiblement. Erwin, lui, resta de marbre. Il continuait d'observer Annelise au loin, ses yeux perçants fixés sur elle. Une lueur s'alluma dans son regard, trahissant une réflexion silencieuse, absorbé par une analyse dont lui seul connaissait les détails.
Un voile de brouillard couvrait le sol, épais et cotonneux. Annelise avançait à tâtons, ses pieds nus frôlant la surface douce et mouvante des chemins. Autour d'elle, tout semblait irréel : un espace infini, où des racines lumineuses s'étendaient à l'infini, s'enroulant et se déroulant comme des serpents de lumière. Elles pulsaient d'une étrange lueur bleutée, palpitant comme des veines géantes, apportant la vie à cet endroit énigmatique. Des échos de murmures flottaient dans l'air, indiscernables mais étrangement familiers, comme les souvenirs d'un rêve oublié.
Annelise sentait son cœur battre à tout rompre dans sa poitrine. Chaque pas qu'elle faisait la remplissait d'une appréhension sourde, comme si elle avançait sur le fil fragile d'une toile invisible. Les lieux lui étaient étrangers, et pourtant, une partie d'elle se sentait attirée, comme si elle revenait chez elle après une longue absence.
Les murmures devinrent plus clairs à mesure qu'elle s'avançait, des voix qui semblaient lui parler directement, chuchotant des vérités oubliées et des secrets à moitié murmurés. « Qui êtes-vous ? » tenta-t-elle de demander, mais sa voix resta emprisonnée dans sa gorge. Le silence résonna en réponse, aussi profond que l'obscurité qui entourait les chemins.
Soudain, une silhouette se dessina dans le brouillard, floue d'abord, puis plus nette à mesure qu'elle s'approchait. C'était un homme, debout au milieu des racines lumineuses, les bras croisés sur sa poitrine. Il portait un uniforme sombre qui mettait en valeur sa silhouette élancée et musclée. Ses cheveux noirs étaient coupés court, et son regard… Son regard était perçant, d'une intensité troublante. Ses yeux, aussi froids que l'acier, semblaient transpercer Annelise, la scrutant avec une acuité presque surnaturelle.
Il ne bougeait pas, immobile comme une statue. Mais il y avait quelque chose de familier en lui, une impression fugace qu'elle ne parvenait pas à saisir. Annelise ouvrit la bouche pour lui parler, pour demander qui il était, pourquoi elle se trouvait ici, mais aucun son ne sortit. Elle tendit la main vers lui, espérant briser la barrière invisible qui les séparait, son cœur battant de plus en plus fort, comme s'il cherchait à s'échapper de sa poitrine.
Juste avant que ses doigts ne puissent toucher la silhouette de l'homme, tout bascula. Le sol sous ses pieds se déroba, et une sensation de chute la saisit, un vertige violent qui l'emporta loin des chemins. Le brouillard s'épaissit autour d'elle, enveloppant tout dans un voile opaque. Annelise sentit son corps s'effondrer, comme aspiré par un vide sans fin. Elle tenta de crier, de s'accrocher à quelque chose, mais tout se brouilla.
Puis, soudainement, elle se réveilla en sursaut, le souffle court, elle était adossé à un arbre. La lueur de l'aube filtrait à travers les arbres de la petite forêt où la petite armée humaine avait trouvé refuge il y a maintenant deux jours. Annelise porta une main à sa poitrine, sentant son cœur battre à tout rompre. Son esprit était encore brumeux, confus. Elle ferma les yeux, tentant de se rappeler les détails du rêve, mais ils lui échappaient déjà, se dissipant comme de la fumée. Elle avait l'habitude de ces rêves où apparaissait cet homme étrangement familier dont elle ne retenait que les yeux couleur bleu acier. En réalité, elle le voyait dans ses songes depuis qu'elle était petite, mais ces deux dernières semaines, les visions s'étaient intensifiées sans qu'elle ne comprenne pourquoi. Annelise se redressa, le cœur encore battant, murmura dans un souffle : « Qui es-tu ? ».
Perdue dans ses pensées, elle sentit un picotement lui parcourir la nuque. Elle se retourna brusquement et découvrit l'homme qui l'avait sauvée deux jours auparavant et qui lui avait donné un bol de ragoût. Pendant un instant, elle se demanda depuis combien de temps il était là à l'observer en silence. Décidant de briser la distance qui les séparait, elle s'avança vers lui. Il ne bougea pas, la fixant d'un regard froid et désintéressé qui la déstabilisa. Elle prit une grande inspiration, cherchant le courage de soutenir son regard. Lorsqu'elle leva les yeux, elle se retrouva figée devant l'intensité de ses prunelles. Jamais elle n'avait croisé un regard aussi pénétrant.
Ils restèrent ainsi, immobiles, à se scruter l'un l'autre pendant ce qui lui sembla une éternité, avant qu'elle ne rompe enfin le silence: «Merci.»
L'homme parut sortir de ses pensées. Il cligna des yeux, son expression se refermant immédiatement, redevenant froide et détachée. «Pour quoi?» demanda-t-il d'un ton sec.
«Pour m'avoir sauvée... et pour le bol de ragoût,» répondit-elle, hésitante.
«La prochaine fois, évite de t'éloigner du groupe,» répliqua-t-il sur le même ton glacial. Annelise ne prêta pas attention à sa froideur. C'était la première fois qu'elle faisait attention à sa voix, une voix grave de baryton, dénuée de toute émotion apparente. Pourtant, quelque chose en elle se réveilla, comme si ce timbre lui avait manqué sans qu'elle le sache.
Elle fut tirée de ses pensées par une voix derrière cet homme qui appelait son nom : « Livaï ! » Toujours en la fixant du regard, il répondit simplement : « Quoi. » Curieuse, Annelise se pencha pour voir qui était derrière lui et reconnut Hanji. Depuis presque deux jours qu'ils campaient dans cette forêt, et après son altercation avec le major Erwin, Hanji venait sans cesse la voir, fascinée par les techniques médicales de la jeune médecin.
Hanji, remarquant la tête d'Annelise qui dépassait derrière l'épaule de Livaï, s'approcha en souriant. « Eh, Annelise ! » dit-elle avec une pointe de surprise. « Je ne t'avais même pas vue. C'est la première fois que je vois le nain dépasser quelqu'un en taille ! » ajouta-t-elle d'un ton moqueur, posant son bras sur l'épaule de Livaï.
Annelise réalisa alors que Livaï était effectivement plus petit que la moyenne, et fut étonnée de ne pas l'avoir remarqué plus tôt. Cet homme dégageait une telle assurance et autorité qu'elle n'avait jamais prêté attention à sa taille. Puis, en y réfléchissant, elle se dit que, de toute façon, étant elle-même petite, la plupart des gens lui semblaient grands.
Livaï détourna enfin son regard d'Annelise, qu'il observait encore sans qu'elle ne s'en rende compte, pour se tourner vers Hanji. Il haussa l'épaule, faisant tomber le bras d'Hanji. « Ah, parce que t'arrives à voir quelque chose avec ces gros verres, quatre yeux ? » répliqua-t-il avec son habituelle ironie. « Qu'est-ce que tu me veux ? »
Hanji ne perdit pas son sourire. « Il y a une réunion avec Erwin et les autres chefs d'escouade pour préparer la mission de cet après-midi. »
La curiosité piquée, Annelise demanda : « Vous allez tenter de dégager le terrain pour rejoindre la forteresse dont on nous a parlé ? »
À ces mots, Livaï tourna son regard vers elle, et Annelise sentit son cœur s'accélérer. Ses yeux semblaient la traverser, comme s'il cherchait à lire au-delà de ses pensées. Elle avait l'étrange sensation d'être mise à nu sous ce regard perçant. Faisant de son mieux pour ignorer cette sensation troublante, elle se concentra sur Hanji, la femme aux lunettes.
Celle-ci hocha la tête en souriant joyeusement. « En gros, oui. »
«Avec des civils?» insista Annelise le front plissé.
Hanji prit un air plus sérieux. « Seuls ceux qui se porteront volontaires. Sinon, ce sera uniquement les membres du bataillon. » Puis elle retrouva son ton jovial. « Donc, ne t'inquiète pas, on ne va pas refaire le carnage d'il y a deux jours. On a bien compris que tu n'aimais pas gaspiller des vies. »
Elle se tourna ensuite vers Livaï. « Tu avais raison, elle a du caract… » commença-t-elle, avant que Livaï ne lui attrape sa capuche et ne l'entraîne vers le campement. « Tu parles trop, la binoclarde. »
Annelise les regarda s'éloigner, encore un peu abasourdie par la révélation de Hanji. « Comment ça, il a dit que j'avais du caractère ? » se demanda-t-elle, en observant leur silhouette qui se fondait dans le calme verdoyant de la forêt. Les plaintes de Hanji se faisaient de plus en plus lointaines, se mêlant aux murmures du vent.
Soudain, un éclair de reconnaissance traversa son esprit. Le nom « Livaï » résonna dans sa tête comme une note familière mais évanescente. Comme si une étincelle venait d'éclairer un coin obscur de sa mémoire, elle claqua soudainement ses doigts ensemble en s'exclamant : « Bien sûr, Livaï ! C'est le soldat le plus fort de l'humanité ! »
Dans la tente des soins, Annelise s'affairait autour du patient à qui elle avait pratiqué une trachéotomie. Elle vérifiait ses brûlures, inspectait la plaie autour de la canule improvisée. Le soldat avait repris conscience depuis plusieurs heures, et avec un soupir de soulagement, Annelise constata qu'il était enfin hors de danger.
Soudain, un frisson glacial parcourut l'échine d'Annelise, comme si une main invisible et glacée avait effleuré sa colonne vertébrale. Ce n'était pas un simple frisson dû au froid, mais une sensation viscérale qui fit naître en elle une vague d'angoisse inexplicable, un pressentiment sombre qui s'insinuait dans ses , ses doigts se portèrent à sa nuque, sous sa tresse désordonnée, effleurant la tache de naissance qui la démangeait de plus en plus ces derniers temps. Cette marque, présente depuis sa naissance, n'avait jamais été ordinaire. Elle ressemblait à un réseau de branches très pâles, presque argentées, qui semblaient parfois s'animer sous sa peau, comme si elles cherchaient à lui transmettre un message cœur battant plus fort, Annelise se tourna vers l'entrée de la tente, ses sens en alerte. D'une voix qu'elle voulait calme malgré son trouble intérieur, elle demanda à son patient de patienter un moment. Ses pas la portèrent presque malgré elle vers l'ouverture de la tente, comme attirée par une force franchissant le seuil, une brise légère mais chargée de promesses inconnues caressa son visage. L'air frais fit danser les boucles rebelles échappées de sa tresse, leur mouvement semblant refléter l'agitation de ses pensées. Ses yeux scrutèrent l'horizon, cherchant la source de ce malaise grandissant, tandis que sa main restait posée sur sa nuque.
Tout semblait calme. Des groupes de personnes discutaient par-ci par-là, d'autres jouaient ou dormaient. Certains étaient encore envahis par la peur et la tristesse des récents événements. Des soldats faisaient leur ronde au sol et dans les arbres. Une partie du bataillon, accompagnée de quelques civils, était partie en mission pour tenter de reprendre la forteresse. Rien ne paraissait alarmant à première vue, mais Annelise ne parvenait pas à se détendre. Quelque chose n'allait pas.
Soudain, elle perçut des bruits sourds résonner dans le sol, comme une menace lointaine qui se rapprochait. Instinctivement, elle serra la bandoulière de son sac, ses yeux cherchant des indices dans l'agitation autour d'elle. Puis, les soldats postés dans les arbres crièrent : « Les titans arrivent ! Courez ! »
Le cœur d'Annelise se serra. Elle se tourna vers la tente, ses pensées affolées allant aux patients qui ne pourraient fuir. Elle jeta un regard circulaire, cherchant une solution, et aperçut un cheval attelé à une charrette. Sans hésiter, elle se précipita vers l'animal, son esprit déjà tourné vers le sauvetage des blessés. Arrivée à sa hauteur, elle caressa le museau du cheval pour le calmer, murmurant des paroles apaisantes.
C'est alors qu'elle entendit la voix autoritaire du major Erwin retentir au-dessus du chaos : « On se replie vers le Mur Rose ! » Annelise attrapa les rênes du cheval et commença à le tirer vers la tente, mais les bruits des titans se faisaient de plus en plus proches, des bruits de pas lourds et précipités, de chair broyée, de cris déchirants. L'odeur du sang flottait dans l'air.
Elle se retourna juste à temps pour voir un titan écraser la tente sous son pied massif, ne laissant derrière lui qu'un amas de tissus déchirés et de sang. La panique envahit le camp. Les soldats combattaient avec acharnement, certains se faisaient dévorer, tandis que des civils étaient piétinés sans merci. Le cœur serré, Annelise détacha rapidement le cheval de la charrette, monta en selle et lui donna un coup de talon. L'animal partit au galop, ses sabots martelant le sol avec force.
Elle suivit de près les soldats qui galopaient devant elle, déterminée à ne pas s'éloigner du groupe, comme Livaï le lui avait conseillé ce matin même. Autour d'elle, les titans semaient le carnage, leurs mains gigantesques tentant de saisir tout ce qui bougeait. Son cheval esquiva une main qui s'abattait sur eux, manquant de les attraper de justesse.
Reconnaissant la forêt où ils avaient passé leur première nuit, Annelise guida son cheval dans cette direction. La densité des arbres ralentirait les titans et offrirait un avantage aux soldats. Déjà, elle sentait que les créatures étaient moins nombreuses derrière elle. Une fois à l'intérieur de la forêt, les derniers titans furent abattus, et un calme étrange retomba.
Annelise relâcha un peu les rênes, son souffle enfin régulier. Pour l'instant, ils étaient en sécurité.
Le chemin du retour semblait s'étirer à l'infini, chaque foulée du cheval envoyant des ondes de douleur à travers le corps meurtri d'Annelise. Ses muscles, tendus à l'extrême, hurlaient leur protestation à chaque mouvement. Le silence oppressant qui les enveloppait n'était brisé que par le bruit sourd des sabots sur le sol et le grincement occasionnel du cuir des selles. Dans son esprit, les cris d'agonie et le craquement sinistre des os broyés résonnaient encore, une symphonie macabre qui refusait de s'estomper.
Annelise balaya du regard les visages autour d'elle, figés dans une expression vide, presque cadavérique. Soldats et civils, tous portaient les stigmates de l'horreur vécue. Partis si nombreux, ils n'étaient plus qu'une poignée, à peine une centaine d'âmes brisées...
Soudain, un homme s'effondra juste devant elle, ses genoux heurtant durement le sol. Annelise tira sur les rênes, arrêtant sa monture dans un claquement sec. Chaque mouvement pour descendre de selle lui arrachait une grimace de douleur. Ses muscles protestaient violemment, mais elle les ignora, s'approchant de l'homme tombé, les rênes serrées dans sa main moite.
S'agenouillant à ses côtés, elle l'encouragea d'une voix rauque à monter sur son cheval. Mais en essayant de l'aider, la réalité la frappa de plein fouet : l'homme était trop lourd, trop faible pour se hisser seul. Autour d'eux, le flot de survivants continuait sa marche, indifférent à leur sort. La panique commença à monter en elle, la perspective de rester en arrière, seuls et vulnérables, lui glaçant le sang.
Annelise redoubla d'efforts, ses bras tremblants luttant contre la douleur lancinante qui irradiait dans tout son corps. Après plusieurs tentatives infructueuses, elle laissa échapper un grognement désespéré : « Ah, je suis désolée, je n'y arrive pas... »
Le bruit de sabots approchant la fit se retourner brusquement, tous ses sens en alerte. Un « Tch... » agacé résonna derrière elle, et elle croisa le regard perçant de Livaï. Son visage restait impassible, mais une lueur indéfinissable brillait dans ses yeux gris acier.
Il descendit de sa monture avec une grâce féline, ses mouvements fluides contrastant avec la raideur des survivants autour d'eux. Sans un mot, il posa une main ferme mais étonnamment douce sur l'épaule d'Annelise, la poussant délicatement sur le côté. « Bouge », dit-il simplement, sa voix basse et contrôlée.
Annelise observa, stupéfaite, Livaï soulever l'homme avec une force surprenante pour sa stature. Ses muscles saillaient sous l'effort, mais ses gestes restaient précis et mesurés. En quelques secondes, l'homme était en selle, agrippant maladroitement les rênes que Livaï lui tendait. Un remerciement à peine audible s'échappa des lèvres tremblantes de l'homme avant que Livaï ne donne une tape sèche sur la croupe du cheval, le renvoyant sur le chemin.
Se tournant vers Annelise, Livaï la dévisagea un instant, son regard scrutateur semblant lire en elle. « Tu peux prendre mon cheval », proposa-t-il, sa voix neutre masquant une once de... préoccupation ?
Annelise se frotta les fesses, grimaçant au contact de ses muscles endoloris. « Je pense que marcher me fera du bien, merci », répondit-elle, sa voix trahissant sa fatigue.
Pour un bref instant, elle crut voir les coins de la bouche de Livaï tressaillir, comme s'il réprimait un sourire. Mais l'expression disparut aussi vite qu'elle était apparue, son visage retrouvant son masque d'impassibilité. « Comme tu veux », répliqua-t-il.
Livaï se hissa sur son cheval noir avec une agilité qui défiait sa fatigue apparente. L'animal, une magnifique bête au pelage d'ébène luisant malgré les conditions difficiles, réagit instantanément au contact de son cavalier. Ses oreilles pivotèrent attentivement, captant le moindre son, tandis que ses yeux vifs et intelligents balayaient les alentours, reflétant la vigilance de Livaï.
Annelise ne put s'empêcher de remarquer la connexion subtile entre l'homme et sa monture. D'un simple effleurement des rênes, Livaï ajustait la position du cheval, leurs mouvements parfaitement synchronisés. Le capitaine se pencha légèrement, murmurant quelque chose à l'oreille de l'animal, qui secoua sa crinière en réponse, comme s'il comprenait chaque mot.
Alors qu'Annelise reprenait sa marche, elle sentit le regard de Livaï peser sur elle. Sans un mot, il ajusta l'allure de sa monture pour rester à sa hauteur, le grincement discret du cuir de la selle et le tintement léger du mors ponctuant chaque pas. La vapeur s'échappant des naseaux du cheval dans l'air frais du soir créait une atmosphère presque irréelle autour d'eux.
Le silence entre eux était chargé de non-dits, mais aussi d'une compréhension mutuelle née dans l'adversité. La présence imposante du cheval noir, aussi calme et maîtrisé que son cavalier, semblait offrir une barrière protectrice contre les dangers qui les entouraient.
Annelise garda les yeux rivés sur le chemin, chaque muscle de son corps tendu, prêt à réagir au moindre signe de danger. Le craquement d'une branche, le bruissement du vent dans les feuilles, chaque son la faisait sursauter intérieurement. L'angoisse sourde qui lui nouait l'estomac ne la quittait pas, la conscience aiguë que d'un instant à l'autre, les Titans pourraient surgir et réduire leur fragile groupe en miettes. Mais la présence stoïque de Livaï à ses côtés, son regard vigilant balayant constamment l'horizon, couplée à l'aura puissante de sa monture, lui insufflait un courage qu'elle ne se connaissait pas.
