La Selkie avait prétendu que le gras extrait du morse serait désormais trop rance pour que l'estomac de Drago puisse le supporter, mais elle vint tout de même l'embêter, le matin venu. Elle avait cette fois ramené une large coquille de bénitier au fond de laquelle clapotait un liquide sirupeux doré, pas beaucoup plus odorant qu'une huile végétale neutre.
Drago blêmit en espérant qu'il s'agisse bien d'une huile, et non d'urine, de bile, ou d'autre chose qu'il n'avait aucune envie d'ingurgiter.
Il fut tellement rassuré quand Lucile annonça : « C'est le gras pour enduire ton corps ! Je l'ai clarifié pour que ça pénètre plus vite », qu'il accepta l'offrande.
Il se trouva bien évidemment gêné quand ils se retrouvèrent à trois dans la petite salle d'eau, elle, Carrow et lui, et qu'elle lui ordonna de se déshabiller, mais il s'exécuta en se rappelant qu'elle l'avait déjà vu presque nu, et qu'à tout choisir, il préférait qu'elle lui masse le dos avec cet onguent, plutôt qu'il ne soit forcé de l'avaler.
Elle ne se contenta pas du dos.
Quand elle s'empara de son sexe pour que chaque recoin de son anatomie soit lustré, il se figea d'épouvante. Elle effectua cependant sa tâche sans cesser de discourir sur sa dernière chasse, peu intéressée.
Il se surprit à ne pas haïr l'expérience : S'il n'y avait pas eu ce dérapage du côté de son intimité, si le lieu avait été un peu plus propice, si l'huile avait été parfumée, et enfin, si elle avait été étalée par une créature moins dangereuse, il aurait pu s'imaginer dans une espèce d'institut de beauté.
Et puis plus tard, quand Harry l'avait rejoint à la tale du petit déjeuner, il l'avait regardé longtemps, songeur, puis avait demandé :
« Est-ce que tu as maquillé tes yeux, ou quelque chose ?
– Je me posais aussi la question, avait ajouté Fleur Delacour. On dirait que ta peau rayonne. »
Drago avait rougi et bégayé, occupé à nourrir Carrow. Il avait senti les regards curieux sur lui, et avait fini par cracher, entre deux cuillerées de porridge : « C'est la Selkie. C'est de la graisse. Elle a dit que ça aiderait à soigner ma joue. Carrow, ouvre ! »
Il avait ensuite été forcé de raconter quelques anecdotes à son propos. Il tut évidemment ses différentes paniques face à ses premières apparitions, ainsi que l'étendue de peau que ses mains huileuses avaient effleurée. Il ne dit rien non plus concernant le fait qu'elle pénétrait le château chaque jour et était capable de faire disparaître discrètement chacun d'entre eux. Il raconta en revanche d'où provenait l'os du sexe de morse, et ce que contenait ces bocaux de saumure bizarre.
Il y eut de nouveau rires, de nouvelles moqueries. On s'enquit de la raison de ce cadeau, et Drago fut incapable de répondre la vérité, à savoir que la Selkie avait suggéré qu'elle le transforme en flute. Certains courageux voulurent goûter au gras salé, et il accepta de bon cœur, bien que dégouté par ces gens qui se soumettaient à cette horreur par simple curiosité.
Harry le regardait en souriant joyeusement, en ayant l'air incroyablement heureux, et Drago essaya de ne pas prendre ces rires pour des attaques personnelles.
·
Cela faisait plusieurs jours que le Détraqueur ne s'était pas montré. En plus des discussions pour le combattre, il y en avait de nouvelles, pour juger de l'intérêt et des risques à faire revenir le ferry, avec l'espoir de renouveler le stock de nourriture et de produits de soins. A cette réunion, Drago fut convié à donner son avis. On décida que le week-end autoriserait l'exercice : Sept Aurors seraient alors présents, l'intégralité des Weasley, quatre anciens membres de l'Ordre de Phénix, cinq de l'Armée de Dumbledore… Le ferry serait protégé par une véritable armée, dès son transplanage à l'extérieur du dôme, puis escorté jusqu'au quai avec une sécurité optimale.
Drago s'était abstenu de voter. Un coup d'œil aux forces en présence, et il avait calculé que son opinion de froussard contre le projet ne ferait certainement pas pencher la balance dans le camp de la prudence.
Une bonne chose était cependant sortie de ce débat : Puisque tout le monde devait être en pleine forme pour l'opération, davantage de repos était préconisé pour les équipes aériennes.
Ça n'offrait pas plus d'une ou deux heures supplémentaires de repos par jour pour Harry Potter – évidemment, son endurance et sa puissance le forçaient à rester dans les équipes de réserve – mais chaque instant était bon à prendre.
En milieu d'après-midi, Drago osa se tourner vers Madame Johnson pour l'interroger : Il était temps que cette vieille peau ait une utilité !
« Madame Johnson, est-il vrai que du temps de votre carrière d'Auror, votre Patronus était d'une puissance remarquable ?
– Vous me flattez, mon petit Malfoy », répondit la vieille en se délectant qu'on s'intéresse enfin à elle. « Ma maitrise n'avait rien d'exceptionnelle, mais enfin, c'est vrai qu'on me répétait souvent que son éclat n'était semblable à aucun autre Patronus. Oh, peut-être y-avait-il quelque tentative de séduction là-dessous. A mon époque, il y avait peu de dames chez les Aurors, et…
– C'est fascinant, la coupa rapidement Drago. Avez-vous entendu parler des cours de Patronus que dispensait Monsieur Potter au personnel avant qu'il ne soit pris par des affaires plus urgentes ? Il n'a plus la liberté de s'en occuper, mais je pense que vos conseils pourraient aider beaucoup de nos employés. »
C'était comme s'il lui avait offert son poids en or, un mariage pour son fils, et des nouvelles oreilles par-dessus le marché : Il laissa un mot à Potter et emmena Carrow et les deux vieux au Hangar, où Runcorn poursuivait l'entrainement des troupes suffisamment vaillantes pour supporter le programme.
Drago abandonna la vieille devant un groupe d'élèves, puis partit rejoindre Moïrine NiDaïre qu'il avait repérée, seule dans le coin des débutants, et qui le salua d'un sourire.
« Ça fait plaisir de te revoir ici, Drago Malfoy, prétendit-elle. Comme tu le vois, je suis la dernière à ne toujours pas y arriver. Everglade, Barney et Goodelves sont entrés dans la classe de ceux qui ont un Patronus Corporel, et même McGuire et Cornac ont fini par obtenir une fumée. Les Welbert sont redescendus au même niveau. C'est entre toi et moi, maintenant. »
– Vous avez de l'avance sur moi en termes d'heures de pratique, mais je suis plus jeune », la défia poliment Drago.
Ils adoptèrent la même position et brandirent leur baguette à l'unisson.
« Je pense que ton bras est trop tendu », souligna gentiment l'Irlandaise.
Au fur et à mesure de la séance, plusieurs autres Surveillants vinrent les conseiller et les encourager. Quand de nouveaux paris commencèrent à être lancés, Madame Johnson s'offusqua, hurla que la pratique n'était pas un jeu, ordonna des rangs plus réguliers, plus de sérieux, et fit s'éloigner tout le monde. Elle poussa quelques hurlements supplémentaires pour corriger les postures de ces deux mauvais élèves, et Drago et NiDaïre partagèrent le regard amusé et bravache des enfants qui attendent que le prof ait le dos tourné pour oser se moquer.
Harry Potter finit évidemment par débarquer à son tour.
Drago ne s'en aperçut d'abord pas : Il y eut un silence inhabituel, et c'est cela qui lui fit tourner nerveusement la tête.
Et le Directeur d'Azkaban entama un nouveau discours d'excuses :
« Les gars… Je vous ai sacrément abandonné avec tout ça, et je suis désolé. Je vous répète pas assez souvent à quel point vous êtes une équipe formidable. Vous comptez pas vos heures, et franchement… »
C'était tellement différent des allocutions martiales et sans émotions du Seigneur du Ténèbres… Drago s'était moqué des premiers discours de Potter qu'il avait entendu et qu'il avait jugé immatures, et il avait haï les suivants, quand le Survivant mentait pour rassurer ses troupes, mais il fallait admettre que l'exercice fonctionnait : Harry était honnête, touchant, il assumait ses erreurs et montrait sincèrement son repenti et sa bonne volonté, et il reçut même quelques applaudissements quand il salua le dévouement du Major Runcorn, et assura tout le monde que dès que cette histoire de Détraqueur serait réglée, la liste des avancées sociales et salariales irait au-delà de leurs espérances. Enfin, il termina son discours sur une plaisanterie pour alléger encore l'atmosphère :
« Et bien sûr, je vous ferai pas l'affront d'essayer de vous faire croire que j'ai pensé tout seul à revenir ici pour vous enquiquiner. Je suis venu surveiller que vous me piquiez pas mon chouchou. Je vais quand-même faire un peu semblant de m'intéresser à vous, alors essayez de rentrer dans le jeu. »
Drago s'était immédiatement détourné et avait repris ses exercices avec NiDaïre, ignorant les rires moqueurs et les sifflements égrillards.
Harry prit tout de même réellement le temps de faire un tour de salle et de saluer les progrès de tout le monde avant de venir se plaquer dans son dos et lui chuchoter à l'oreille :
« Alors comme ça, tu penses que Johnson et Runcorn font de meilleurs profs que moi ? »
Drago frissonna au contact de la main qui corrigeait la position de son poignet et l'aidait à relâcher la pression de ses doigts.
« J'en avais assez d'être le seul à devoir la supporter, prétendit-il tout de même.
– Qu'est-ce que vous en pensez, NiDaïre ? » reprit Harry à voix plus haute et sans vraiment cesser de tripoter le détenu. « Est-ce que Madame Johnson vous a aidé à envisager les choses d'une autre façon ? Est-ce que ça a débloqué un truc ? Elle utilise surement des techniques différentes des miennes ?
– Pas vraiment, admit la femme avec un sourire indulgent. Mais je vais lui laisser sa chance. Pour être honnête, ça faisait quelques jours que j'hésitais à abandonner. Mais maintenant que j'ai un nouveau professeur et un nouveau rival, je suis plus motivée que jamais !
– Et c'est cet état d'esprit qui vous fera réussir ! Allez, fermez tous les deux les yeux. Essayez… Essayez d'imaginer votre pensée heureuse comme quelque chose de confortable, quelque chose qui vous accueille, qui vous attire, ou qui… »
Drago tâcha de nouveau d'imaginer cette soirée de printemps utopiste, dégoulinante de bons sentiments, la température, les odeurs… Mais il était bien évidemment moins détendu ici qu'il ne l'avait été dans la chambre du troisième étage, et fut incapable de ressentir à nouveau l'épanouissement qui lui avait alors fait croire que le sort était à sa portée.
Ils finirent par faire une pause, NiDaïre soupirant avec émotion, et Drago avec embarras. Il expliqua à Harry, en se massant les doigts :
« Tout ça me semble complètement ridicule. Toi, quand tu invoques le tien, tu ne passes pas quinze minutes à contrôler ta respiration et à réfléchir à ce qui te rend heureux.
– Moi, j'ai l'habitude. Au bout d'un moment, tu n'as plus besoin de réfléchir à ce qui te rend heureux. Tu sais que c'est là, au fond de ton cœur, tu sais à quel point c'est puissant, et tu sais que ça ne te quittera jamais, que ça fait parti de toi. De qui tu es. »
Drago se mordilla un peu les lèvres avant de reprendre la position, et il vit NiDaïre faire de même, en face de lui, brandissant la baguette de sa main droite et serrant sa main gauche contre son ventre, une expression bizarre sur le visage, déterminée mais triste…
Drago en était encore à se concentrer sur son souffle et sa position, n'avait pas encore fermé les yeux, qu'il entendit sa voix à l'accent Irlandais prononcer « Spero Patronum », et qu'une épaisse fumée argentée se mit à sortir de la baguette qu'elle tenait…
Il resta aussi surpris et interdit qu'elle quelques secondes avant d'éclater de rire, d'admettre de bon cœur sa défaite et de la féliciter comme il se devait, lui rendant son accolade sans bien comprendre pourquoi cette réussite qui n'était pas la sienne le rendait si heureux.
Une véritable liesse s'éleva alors dans le Hangar : Quelques Surveillants envoyèrent même des Patronus messagers pour prévenir des collègues absents. Le fait que la dernière des leurs soit enfin parvenue à l'exploit qui lui avait paru si inatteignable semblait une espèce de miracle, coïncidant étrangement avec le retour de leur Directeur adoré et de son petit Chouchou personnel, qui semblait continuer de porter bonheur à l'équipe.
