Chapitre 4: Coeurs de fous.


La seule chose à laquelle pensait Famuyiwa était de trouver un moyen de s'échapper de ce rendez-vous avec Akinola. Franchement, ce n'était pas la faute du pauvre garçon. La plupart des filles de son quartier serait aux anges de passer un moment si privilégié avec le fils du chef de la garde royale. L'homme de trois ans son cadet avait troqué son armure, qui ne laissait aucune place à l'imagination quant à sa musculature, contre une buba bleu nuit peu volumineuse et un sokoto qui épousait ses jambes avec une élégance remarquable. Les rayons du soleil glissaient sur sa peau lisse un peu plus claire que la sienne mais toujours proche des tons charbonneux. Sa bouche forte se mouvait au gré de ses prises de paroles timides et ses iris marron, égarés ne rencontraient presque jamais les siens.

Famuyiwa trouvait la discussion ennuyeuse et elle pensait que c'était aussi le cas de l'homme en face d'elle. Il tentait de rendre intéressant ses entrainements et ses missions en dehors d'Ife. Ils n'avaient pas du tout les mêmes centres d'intérêt et ils ne se seraient sans doute jamais parlés sans la volonté de leurs parents de faire connaissance. Quelle horreur! Akinola était vraiment beau et poli. Son crâne rasé de près permettait de faire ressortir la finesse de ses traits, la définition de ses pommettes saillantes, de ses tempes et de son nez aussi parfait que toute sa personne. Il s'y connaissait même en divination alors qu'il était lié à Shogun qui n'avait aucune affinité particulière avec le temps! Alors pourquoi Famuyiwa n'était pas fichu de l'aimer ou du moins d'éprouver suffisamment d'intérêt pour s'exciter à chacune de ses venues? Ses rendez-vous pour apprendre à se connaître et à potentiellement tomber amoureux étaient mal partis.

Assis à une table du restaurant, la voix enchanteresse de sa cadette Oyeniran les enveloppait eux, ainsi que toute la salle. La sirène s'était apprêtée pour l'occasion et était ravissante. Plus qu'elle en tout cas. Les paroles de la reprise d'une chanson des Petites-flammes aggravait son mal-être. Une chanson d'amour à laquelle Famuyiwa ne se reconnaissait pas du tout: Mr Rebel d'une certaine Tems.

À son grand soulagement, son interlocuteur semblait plus intéressé par la performance de sa sœur que par son manque de discussion. Décidée à battre en retraite, Famuyiwa mit en place un plan rapide pour le laisser en plan.

« Ma sœur est talentueuse, n'est-ce pas? demanda-t-elle avec un grand sourire. Elle en était fière de sa petite benjamine après tout.

— Très. Je ne m'y connais pas vraiment en musique mais c'est vrai que… qu'elle a une très belle voix.

— Pas qu'une belle voix vue comment tu la regardes Akinola… » s'amusa Famuyiwa.

Le jeune homme faillit s'étouffer avec le jus qu'il buvait à ses mots.

« Je rigole… Tu n'as pas besoin d'être aussi paniqué, roula des yeux Famuyiwa. Je voulais juste savoir si tu acceptais de rester avec elle le reste de l'après-midi. Je vais partir m'entrainer au temple.

— Cela ne me dérange pas de t'escorter, se proposa Akinola beaucoup trop gentil pour son propre bien.

— C'est ton jour de repos, Soldat. Profite un peu ! Dans tous les cas, tu devrais te reposer et parler avec mes sœurs. Je suis certaine que ça ne les dérangera pas. Ou alors tu peux appeler tes amis de la garde. Ma mère a sans doute trop cuisiné pour nourrir les clients comme d'habitude, proposa Famuyiwa, surexcitée à l'idée de pratiquer ses sorts.

— Tu es certaine que ça ne te gêne pas ? Ou Oyeniran? Elle a sans doute mieux à faire.

— Certaine! Oye a fini toutes ses tâches de la journée et elle t'apprécie. Je vais devoir te laisser. »

Famuyiwa le salua et sortit rapidement du restaurant. Elle tomba nez à nez sur son père, rentré du travail. Il avait une mine préoccupée. L'aînée avait pourtant fait en sorte de mettre dans les meilleures dispositions son paternel en lui proposant des massages magiques pour le détendre et améiorer sa mine pour sa cérémonie qui approchait.

« Qu'est-ce qu'il y a Baba?

— Je n'ai pas trouvé Omilaye au salon de coiffure… Elle a dû aller dans le monde des Petites-flammes sans nous prévenir pour faire je ne sais quoi, déclara son père soucieux.

— Elle a dû partir faire quelques emplettes, tenta de le rassurer Famuyiwa.

— Si c'étaient juste des courses, elle n'aurait pas menti, rétorqua le paternel. Et toi tu ne devais pas passer la journée avec Akinola ?

— J'ai une urgence au temple ! mentit Famuyiwa. Ne t'en fais pas trop pour Omilaye. À ce soir ! »

Famuyiwa ne put s'empêcher de pester en quittant les lieux. Sa soeur avait toujours tendance à attirer l'attention sur elle ainsi en papillonnant dans tous les sens et c'était toujours à elle de la couvrir ou de rassurer ses parents inquiets. Famuyiwa espérait qu'elle n'aurait pas à se préoccuper d'un autre problème avant sa cérémonie de passage de transmission. Elle était si proche de son but. Devenir prêtresse était son rêve. Et elle avait tant travaillé qu'elle aimerait le savourer sans devoir être fourrée dans les problèmes des autres. Le cas d'Aya était déjà préoccupant. Famuyiwa ne voulait pas être l'oreille de quelqu'un d'autre pour l'instant.


Le ballon roulait sur le sol à une vitesse qui augmentait toujours la vigilance de Will. L'un des garçons piqua la balle avant qu'il ne puisse le faire. Il évita une tacle à son mollet. Mais Yoann ne réussit pas à arrêter la balle qui échoua entre les deux sac qui faisaient office de cage.

Des cris de joie et de protestation fusèrent l'air. Will se rendit compte que le soleil tapait trop fort et que son front était en sueur. Pourtant, il se sentait détendu alors que son corps et ses muscles secs se défoulaient au cours du jeu.

Les parties de football n'avaient plus la même saveur que dans son enfance où il avait rêvé comme beaucoup de passer professionnel. Dans ces instants, il s'imaginait incarner un de ses joueurs préférés.

Alors que Will se désaltérait après cette partie intense, son téléphone vibra dans sa poche.

C'était Nick. L'américain était donc arrivé au Nigeria.

« Allo ? »

Il tenta de lui répondre en yoruba avec un accent toujours peu convaincant mais plus réussi qu'à leur première rencontre. Will éclata de rire.

« Arrête de te foutre de moi ! se plaignit Nick au téléphone.

— C'est drôle quand même. Dis-moi, tu es déjà dans le coin du coup ?

— Non, j'arriverais dans quelques jours avec Grace.

— C'est ta soeur c'est ça ?

— Oui. Tu pourras utiliser la voiture dans le garage. Mon père te dira où sont les clés. Finalement il y aura aussi une de mes cousines dans le trajet. On augmentera le salaire.

— Parfait. J'attends les infos. »

C'était un avantage de travailler pour Nick et sa famille. Surtout s'ils lui ouvraient les portes des galeries. Ils ne l'avaient jamais floué sur le prix de ses services et faisaient toujours en sorte de payer plus que le salaire moyen sur le marché. Ce n'était pas le cas de tout le monde. Et avec cet apport financier et la possibilité de montrer ses œuvres, Nick avait l'impression que son chemin escarpé se colorait de lumière.

Peut-être bien qu'un jour, il pourrait vivre sans se soucier du lendemain. Il pourrait même se targuer du titre d'artiste. Et des personnes iraient voir ses oeuvres.

C'était une belle image. Il préféra ne pas trop y penser pour ne pas voir ses espoirs absurdes éclater et continua sa partie de football, des rêves plein la tête.


Le mur avait été coloré en bleu pâle. Pour relever un défi, Enitan et Joseph avaient décidé de peindre tous les murs de leur maison à la main. Pour donner une petite touche de vie et de maladresse à cette maison qui deviendrait un magnifique foyer.

Famuyiwa adorait cette couleur. Elle était apaisante. Après une après-midi passée à réviser, il était agréable de se retrouver dans cette grande pièce qui donnait sur une cour non aménagé était doux de peindre ces murs de terre cuite d'une teinte qui tentait de mimer le ciel.

Enitan entra dans la pièce sans une tâche de peinture sur sa peau ou ses vêtements. C'étaient sans doute Joseph qui avait fait tout le travail ou bien il avait eu la présence d'esprit de mettre un sort anti-souillure. Contrairement à eux deux.

« Tu aimes cette pièce ?

— Très. C'est la plus belle de la maison, répondit Famuyiwa en remettant une couche de peinture.

— Tant mieux. Parce qu'on l'a imaginée pour toi, avoua Enitan.

— Pour moi ?

— Je… On sait que c'est un peu bizarre et pas conventionnel…Tu peux même ne pas dire oui. On a créé une chambre pour Monifa et une sorte de pièce garderie pour toutes celles qui voudraient passer régulièrement avec leurs enfants sans vivre ici tout le temps. On peut l'aménager de cette façon si tu veux vivre avec Akinola. Mais cette pièce-ci ne serait que pour toi Famu… » expliqua-t-il alors que ses joues se coloraient d'embarras.

Famuyiwa resta sans voix, trop émue par leur attention, leur cadeau, leur demande. Elle était si touchée qu'elle ne savait pas quoi faire.

Quitter sa famille pour vivre ici et construire un foyer peu orthodoxe. Partir mais être entourée de ses amis, de ses proches dans une étrange colocation qui n'avaient pas de justification si ce n'était l'amour qu'ils se portaient.

Famuyiwa imaginait déjà le bassin qu'elle pourrait installer à quelques pas de cette chambre. Elle voyait déjà où elle pourrait mettre son bureau et ranger ses parchemins et livres.

L'idée était complètement folle. Effrayante même. Mais son cœur battait la chamade.

« Je… J'y réfléchirais. »

Un sourire se fraya un chemin sur le visage sérieux d'Enitan à son annonce. Et Famuyiwa ne put s'empêcher de penser que c'était un projet fou.


Le cours de mathématiques de Zaynab s'était fini plus tôt que prévu. Elle attendait Mary en discussion avec le professeur sur un point du cours encore flou pour elle. Zaynab attendait donc, pianotant sur son téléphone. Elle envoyait un message à Grace. Il était court. Pas très intéressant mais restait un bon moyen de conserver un lien.

Avant de partir, le professeur leur déclara:

« Les filles. Vous êtes de très bonnes élèves même si vous ne faites parties des meilleures de la promotion. Vous avez pensé aux entreprises où vous voudriez faire vos stages dans deux ans ? »

Les deux amies répondirent par la négative.

« Même si vos parents n'ont pas les moyens, certaines écoles ou entreprises offrent des bourses pour les meilleurs étudiants. Ne vous limitez pas et ne vous fermez pas les portes de l'étranger ou des meilleures entreprises du pays.»

Le fait que quelqu'un d'autre puisse distiller cette idée dans son esprit conforta Zaynab dans son parcours et son travail. Et elle remercia le professeur avec un sourire sincère.

Cela n'avait pas été inutile de s'accrocher malgré la douleur, la solitude et la honte qui parfois lui tordait le cou. Zaynab se faisait une vie, ici, loin d'Abuja. Elle pourrait devenir ingénieure ici. Et travailler pour le pays. Travailler pour être autonome financièrement. Et rembourser au centuple son cousin et sa femme pour l'avoir soutenue et hébergée quand tout le monde lui avait tourné le dos.

Zaynab avait la foi. Et elle s'en faisait la promesse. Son futur serait rayonnant.


Adegoke connaissait le palais comme s'il s'agissait de sa deuxième maison. Sa famille avait servi celle du roi depuis des décennies. Le garde se sentait à l'aise avec tout le personnel. Et surtout, il était fier de pouvoir servir sa cité et aider les dirigeants et le Conseil dans leurs prises de décisions.

Le travail n'était pas simple. Le monde magique vivait dans un équilibre instable où il pouvait toujours être découvert ou collapsé de l'intérieur. Cela avait failli se produire au moins à chaque règne depuis l'Effondrement. Et la tendance allait en empirant.

La deuxième épouse du roi, Ibukun, souhaitait s'entretenir avec lui. En entrant dans ses quartiers richement décorés, Adegoke fut surpris de ne trouver aucune servante ou dames de compagnie à ses côtés. Elle était allongée sur l'un de ses divans. Ses bijoux cernés d'or étaient posés avec élégance contre sa peau brune claire et ses yeux en amande d'un noir de jais le fixait avec une indolence feinte.

« Votre Altesse. Pourquoi avoir demandé un entretien ? demanda Adegoke, inquiet.

— Nous ne pouvons pas en parler à beaucoup de monde. Vous êtes l'un des seuls à être dans la confidence, expliqua Ibukun en marmonnant un sort d'insonorisation à la porte.

— Si c'est par rapport à l'histoire des ombres, celle-ci commence déjà à se répandre parmi les citoyens. Certains en ont croisés dans nos rues et d'autres chez les Petites-flammes, déclara-t-il

— Nous ne pouvons plus cacher les ombres mais pour l'instant personne ne sait qu'elles ont déjà frappé.

— Comment…

— Depuis deux mois et demi, son corps repose… »

Sans laisser le temps à Adegoke de saisir ce qu'elle proférait, la reine s'approcha de lui et saisit son épaule pour les faire transplaner. Ils se retrouvèrent tout deux dans la chambre d'un des membres du conseils des Anciens. Le vieil Omolade, supposé être en voyage de convalescence, gisait sur son lit. Sa poitrine se soulevait à peine alors que des ombres voraces surplombaient sa peau et disparaissaient au gré du temps pour mieux enlacer une autre parcelle de son corps. Des larmes de sang glissaient sur ses joues.

Et Adegoke se demandait comment Omolade avait fait pour rester en vie alors que rien ne semblait perturber ce sommeil macabre.

« Qu'est-ce que… Comment cela a-t-il pu lui arriver ?

—Les ombres… Elles ne font pas que suivre les gens… Elles les poursuivent. » expliqua la reine en s'asseyant sur un des fauteuils.

Maintenant qu'il faisait plus attention, Adegoke se rendait compte qu'Ibukun semblait épuisée par rapport à son habitude. Moins lumineuse et enjouée. Ce fut la rine qui brisa le silence de plomb qui s'était créé:

« Adegoke, elles ont commencé à m'attaquer et je ne sais pas combien de temps il me reste. S'il m'arrive quelque chose, protège mes enfants , mon amie Tiwa et surtout notre roi. Protège-le comme tu l'as fait il y a vingt-cinq ans. Protège-les de Fatumbi et de sa folie. »